| Le royaume gréco-indien Après la chute d'Helioclès vers l'an 120, le royaume grec de Bactriane proprement dit n'existe plus, il devient un royaume gréco-indien, c'est la seconde période de l'histoire des successeurs d'Alexandre dans l'Inde. A partir de ce moment et jusqu'à leur destruction par les Kouchans, on trouve dans la partie de l'Asie comprise entre le Paropamisus et le Gange, deux dynasties rivales qui se disputèrent la possession de l'Indus et des territoires adjacents; ce sont d'une part les successeurs d'Helioclès représentant la civilisation grecque et la dynastie des fondateurs du royaume de Bactriane, et d'autre part le royaume des Sakas du Kipin fondé par les Sse après leur expulsion de la Sogdiane par les Yué-tchi. Le royaume grec ne fut pas compact et uni, comme on pourrait le croire, contre les Scythes, l'ennemi commun des Grecs et des Indiens; il y a tout lieu de penser, au contraire, par la variété et l'abondance des monnaies de cette période, que les souverains qui ont vécu dans l'espace de temps compris entre 120 et 30 av. J.-C. n'ont pas été les successeurs réguliers les uns des autres, mais appartenaient à des royaumes distincts échelonnés le long de la vallée de Kaboul et de l'Indus, tous en guerre les uns contre les autres, ainsi que nous l'apprennent les sources locales. Ce n'est guère que par les monnaies découvertes en Afghanistan, le Nord du Pakistan et de l'Inde, que nous connaissons les noms de ces divers monarques; toutes les légendes sont en grec et bactrien avec un type à peu près le même pour toutes, ce qui a permis de les rapporter à une seule et même période. Le premier de ces rois gréco-indiens paraît avoir été Ménander, qui réunit un moment tous les divers Etats indépendants sous un seul sceptre, de 120 à 75 av. J.-C. D'après deux ouvrages hindous, le Vaqu-Purdna et le Milindapanna (et aussi d'après Strabon, XI, c. XI), Ménander ou Milinda, roi des Yavanas, était originaire de Kalasi, près d'Alasada (Alexandrie du Caucase); il s'empara de toute la vallée de l'Indus jusqu'au Saurashtra, traversa au Nord l'Hyphase et alla jusqu'à Mathurâ (sur la Djemna) où on a trouvé du reste de ses monnaies, s'empara d'Ayodhya (Aoude), du pays de Pantchala contre l'Himalaya et de Patalipoutra (Patna sur le Gange). On a prétendu aussi que Ménander s'était fait bouddhiste et qu'à sa mort il avait reçu les honneurs dus aux Tchakravartis. Comme pour Apollodote, un de ses prédécesseurs, les monnaies de Ménander avaient encore cours dans le port de Barygaza, et par conséquent dans l'Océan indien, à l'époque de l'auteur du Périple de la mer Erythrée. Nous ne savons rien de l'histoire des successeurs de Ménander, les principaux d'entre eux paraissent être d'après les monnaies parvenues jusqu'à nous : Apollophane, Antimaque II Nicéphore, Hippostrate, Artémidore, Zoïle, etc. Le dernier est Hermaeus ou son fils Su Hermaeus, si tant est que ce soient deux personnages distincts; en tous cas, les pièces, frappées par Kadphises Ier ou Kadphizes, le vainqueur et le destructeur du royaume gréco-indien, portent d'un côté la titulature de Kadphises et de l'autre la légende STHROS EG ERMAIOG qui n'est très probablement qu'une faute du graveur. C'est aux environs des années 30 à 25 avant J.-C. que disparut le dernier roi grec de la dynastie de Bactriane, à peu près en même temps que prit lui-même fin le royaume scythe de Kipin. Le royaume de Kipin Il nous reste à parler de ce royaume et des rois indo-parthes, dont les monnaies frappées sur le type et avec les mêmes légendes que celles des rois grecs font que leur histoire fait partie de celle des successeurs d'Alexandre. Les Scythes ou Sakas du Kipin sont, du reste, contemporains de Ménander et de ses successeurs. On a vu que le mot chinois Kipin n'est autre chose que la transcription du grec Kwfhn, la Kophène, nom de l'Arachosie chez les Anciens (Étienne de Byzance). Par ce mot, les historiens chinois entendaient désigner tout le pays conquis sur les Grecs par les Sse ou Sakas, après leur expulsion de la haute Asie vers l'an 130 av. c.-à d. non seulement l'Arachosie (Kandahar), mais aussi la Drangiane et le pays situé entre ces deux provinces, désigné par Isidore de Charax sous le nom de Sacastene ou Paraetacène (mod. Seistân). A l'époque d'Isidore, le royaume des Sakas était détruit et le seul souvenir de leur passage était resté dans le nom de cette province (Saka-stân) et dans les noms de villes cités par le même auteur : Barda, Min, Palacenti, Sigal, qui sont incontestablement des mots d'origine scythe, ainsi que Parin, Coroc, Corocoad et Biyt, autres villes de la Drangiane et de l'Arachosie. Ainsi, le royaume des Sakas ne comprenait pas, comme on pourrait le croire, le Kaboulistan ni Peshawar, lesquels étaient, au contraire, restés fidèles aux Grecs, mais seulement une très petite partie du Kaboul et l'Arachosie. Les auteurs chinois qui nous tiennent en courant des conquêtes des Yué-tchi distinguent le Kao-fou (Kaboul) du Kipin (Kophène) et du Han-tha (Gandara, capitale Peshawar). Ils nous dépeignent la Kophène comme un pays très cultivé et très civilisé; les habitants en sont industrieux, habiles à travailler les étoffes, les métaux et à fabriquer les objets précieux; ils avaient des "monnaies d'or et d'argent qui portaient d'un côté l'image d'un cavalier et au revers une tête d'homme". C'est, en effet, le type des monnaies bactriennes en général et en particulier de la plupart des monnaies d'Azès et d'Azilises et des Kouchans, sauf que la tête d'homme est remplacée par un personnage debout. On possède toute la série numismatique des souverains de la Kophène : les pièces imitées des rois gréco-indiens portent, comme celles-ci, des légendes en grec et en bactrien, ce qui prouve que malgré leur origine touranienne, les rois scythes qui vinrent s'établir dans l'Afghanistan et le bassin de l'Indus surent bien vite se mettre au niveau des populations iraniennes ou indiennes qui les entouraient, et adopter la civilisation grecque qui régnait depuis deux siècles dans cette portion de l'Asie. Cette même facilité à adopter la langue et les moeurs des Grecs et des Indiens a été également constatée en ce qui concerne les Yue-tchi (Yuezhi) ou Kouchans qui succédèrent aux Sakas. Une particularité que présentent les monnaies des Sakas, c'est que tous les rois de cette série prennent le titre de grand roi des rois; toutes-leurs légendes commencent par BASILEWS BASILEWN MEGALOU [etc.]. Ce titre a été adopté après eux par les Indo-Parthes et par Kadphises II. Les royaume Indo-scythes (Les Sakas) Le premier roi des Sakas de la Kophène est Maues (on n'a la forme de ce mot qu'au génitif : grec Maou, bactrien Moasa. Arrien cite un Mauakès, chef des Sakas venus au secours de Darius Codoman qui étendit les limites de l'empire jusqu'aux bouches de l'Indus, sans toutefois franchir le fleuve, dont l'orient était gardé par Ménander, son contemporain. Le fait de la conquête des rives occidentales du fleuve jusqu'à la mer est consacré par une très belle médaille de Maues représentant d'un côté Poseidon et de l'autre l'Indus, personnifié sous les traits d'une femme placée entre deux tiges de plantes indigènes. La fondation de la ville de Minnagara (en sanscrit « ville de Min ») à la pointe du delta, en souvenir de la ville scythique de Min existant déjà en Sacastène, remonte probablement à cette période de conquête; la ville, grâce à sa position géographique, prit une grande importance commerciale, dont les villes modernes Tattah et Hayderabad ont hérité. Un siècle et demi plus tard, sous la domination des Indo-Parthes, l'auteur du Périple de la mer Erythrée constatait que Minnagara était encore la métropole des Scythes. (Il existait plus au Nord une autre ville du même nom qui fut fondée par Kanichka.) Quoiqu'il soit difficile d'établir d'une manière rigoureuse la chronologie de cette époque, on peut cependant donner quelques dates approximatives Maues a régné de 130 (ou 125) à 110 av. J.-C. Son successeur Azès (en bactrien Aya) a dû avoir un très long règne (environ de 110 à 80 av. J.-C.), vu la quantité considérable de monnaies qu'on a trouvées à son nom aux types et avec les styles les plus divers : la représentation de l'éléphant, du chameau, du buffle, du lion, du cheval sur les revers de ces pièces indique l'étendue et la variété des provinces soumises à son empire, de même que l'image Poseidon et celle de la déesse entourée de lotus rappellent qu'Azès avait su garder les conquêtes de Maues du côté de la mer et de l'Indus. A défaut de renseignements écrits sur ces divers personnages, on peut dire que leurs monnaies constituent de véritables documents historiques. Les successeurs d'Azès sont : le stratège Aspavarma ou Aspavati, fils d'Indravarma ou Indravarti, son lieutenant et associé; Azilises, Vonones (véritable nom scythe que l'on retrouve cinquante ans plus tard chez un roi parthe), Spalahores, Spalagadamès, Spalyris et Spalirisès, tous princes de la même famille et dont les noms se trouvent respectivement sur les monnaies les uns des autres. On peut placer leur règne entre les années 80 et 30 avant notre ère, c.-à-d. jusqu'à la destruction du royaume de Kipin par les Yué-tchi. D'après les annales chinoises (Matouanlin), le royaume de Kipin resta en relation avec l'empire chinois pendant tout le règne de Wou-ti (de la dynastie des Han), c.-à-d. de 130 à 90 avant J.-C. et envoya chaque année un tribut de vasselage; mais un des rois Saka, que l'auteur chinois appelle Ou-téou-lao (peut-être Azilises), en l'an 80, voulut s'affranchir de cette suzeraineté et les armées chinoises durent intervenir. Le fils d'Ou-téou-lao fut tué et remplacé, vers l'an 50, par lu-mo-fou (peut-être Hermaeus), fils du roi de Young-Kiou (Younaki, le pays des Grecs). Ce dernier fut détrôné à son tour par les Yué-tchi. (E. Drouin). | |