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Les Goths
Les Ostrogoths
Aperçu Les Ostrogoths Les Wisigoths L'Espagne wisigothique*
Les Ostrogoths ( = Goths de l'Est) étaient un peuple d'origine germanique, composé d'une partie des Goths venus des bords de la mer Baltique.

Depuis la mort d'Attila, les Ostrogoths vivaient en Pannonie. Leur roi, Théodoric (Teuderich) (né en 454), avait été élevé à Constantinople où il avait passé dix ans comme otage ; il y avait pris le goût des arts, de la politique, de la civilisation romaine, sans pourtant dépouiller le barbare, car il ne sut jamais lire ni former les lettres de son nom. Il avait rendu d'importants services à l'empereur Zénon qui à son tour le combla de présents, il devint sénateur, patrice, maître de la milice et consul (484). Mais son peuple, qui mourait de faim dans ses cantonnements danubiens, le força de se mettre à sa tête et l'entraîna jusqu'aux portes de Constantinople en détruisant tout sur son passage. 

Théodoric demanda l'Italie à conquérir. « Si je suis vainqueur », dit-il à l'empereur, «je posséderai l'Italie par votre bienfait; si je suis vaincu, non seulement vous ne perdrez rien, mais vous gagnerez l'argent que je vous coûte. » Faut-il s'étonner si Zénon consentit? Il lui attribua donc cette province par un acte solennel appelé Pragmatique, et le congédia en lui recommandant le Sénat et le peuple romains.

Théodoric eut bientôt achevé ses préparatifs. A l'automne de 488, il partit, emmenant les femmes et les enfants dans de longues fils de chariots. On traversa les montagnes en plein hiver. Sur les bords de la Save, on trouva le chemin fermé par les Gépides; Théodoric força le passage après une sanglante bataille où il se signala par un courage héroïque. Arrivé sur les bords du Sontius (Isonzo), il donna le temps à son peuple de se reposer dans les tièdes plaines de l'Italie qu'il venait, disait-il, délivrer du joug d'Odoacre.

L'entreprise fut longue et difficile; c'est au prix de beaucoup de sang et d'efforts que Théodoric put franchir l'Adige (489), puis l'Adda (490). A la fin, les deux adversaires, fatigués d'une lutte sans issue, consentirent à traiter : ils promirent de se partager le gouvernement de l'Italie et Théodoric fut reçu en grande pompe dans les murs de Ravenne (5 mars 493). Quelques jours après, Odoacre invité à un festin mourait de la main même de Théodoric et ses partisans étaient massacrés.

Ce que Théodoric avait conquis par la force et par la ruse, la paix seule pouvait le lui conserver; pour cela il fallait discipliner les Goths et rallier les Italiens, assurer la sécurité des frontières contre les entreprises des autres barbares, et au besoin de l'empereur même. La double éducation qu'il avait reçue dans le camp des Goths et à la cour byzantine le préparait merveilleusement à cette oeuvre si complexe.
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Fibule ostrogothique.
Fibule ostrogothique (ca. 500, musée de Nuremberg).

A l'égard de l'empire d'Orient, ses rapports ne furent jamais nettement définis. Légalement, il n'était que le lieutenant de l'empereur; en fait, il était indépendant. Roi des Goths, il prit aussi le titre de roi des Italiens. Il pria le successeur de Zénon, Anastase, de lui donner la pourpre et il l'obtint (498). L'empereur conservant pour lui le titre de Basileus, Théodoric dut se contenter de celui de Rex; cette fiction maintenait la suprématie de la dignité impériale. Aux yeux de la population romaine, il avait besoin de paraître subordonné à l'empereur; aussi dans ses lettres lui prodigua-t-il les expressions les plus humbles; ses monnaies gardèrent le type impérial; il laissa mettre le nom de l'empereur à côté du sien sur les monuments publics. Mais il ne souffrit pas que l'empereur portât la moindre atteinte à son indépendance royale : il refusa de reconnaître le consul annuel que l'empereur désignait pour l'Occident; il repoussa par la force une flotte impériale qui s'était montrée sur les côtes de la Calabre.

Théodoric avait encore plus d'intérêt à ménager Rome que Byzance. Quand il y vint pour la première fois en 500, le Sénat, le peuple, le clergé conduit par son évêque, vinrent à sa rencontre. Le roi goth fit dans la ville une entrée triomphale; l'arien alla se prosterner dans la basilique de saint Pierre sur la tombe de l'apôtre, le barbare harangua le Sénat assemblé dans la curie de Domitien. D'une voix énergique et brève, il déclara « qu'avec l'aide de Dieu il maintiendrait les institutions établies par ses prédécesseurs et que, comme garantie de sa promesse, il ferait graver ses paroles sur le bronze ». 

Il attira auprès de lui les Romains qui avaient servi fidèlement Odoacre et ne changea rien à l'ancienne administration; la justice fut rendue par les tribunaux ordinaires; les impôts furent répartis et levés comme par le passé. Les fonctions militaires seules étaient entre les mains des Goths qui formaient comme une année de colons militaires cantonnés sur le sol romain, avec leurs comtes qui les commandaient et les jugeaient. Ainsi qu'Odoacre l'avait déjà fait, il distribua à ses soldats le tiers des terres italiennes; mais ce partage fut opéré d'une façon presque administrative, par des fonctionnaires romains. 

« Nous remarquons avec joie », écrivait a ce propos son ministre Cassiodore, « que Libérius, par l'opération de la Tertia, a uni les biens et les coeurs des Goths et des Romains; le voisinage des deux peuples n'amène pas de luttes, au contraire la possession commune des terres donne aux deux peuples de la considération l'un pour l'autre; la partie retranchée au Romain lui donne un défenseur dans la personne du Goth.-» 
Cette fiction officielle renfermait une part de vérité, et montre au moins les intentions politiques de Théodoric; il lui importait de faire croire qu'il voulait fondre en un seul peuple les vainqueurs et les vaincus. Son armée n'était composée que de Barbares, mais partout ailleurs les deux peuples eurent en apparence les mêmes droits et les mêmes charges; les Goths durent respecter les lois romaines et payer les impôts. Au milieu du fanatisme universel, il fut tolérant. Les Ariens étaient persécutés par les, empereurs, les Catholiques par les Vandales, les Juifs par tout le monde Théodoric protégea les Catholiques et les Juifs; il força les Chrétiens qui avaient brûlé des synagogues à les reconstruire à leurs frais; s'il intervint dans les élections épiscopales à Rome, ce fut pour rétablir l'ordre troublé par les factions et pour faire reconnaître l'élu de la majorité.

En même temps qu'il calmait les esprits, il s'efforça de faire renaître la prospérité matérielle. Il favorisa l'agriculture. Les partages réitérés des terres avaient détruit les latifundia et reconstitué la petite propriété rurale; Théodoric fit dessécher des marais pour rendre encore plus de terres à la culture, réparer les routes et nettoyer les canaux pour faciliter les transports, creuser les ports pour assurer l'arrivée des céréales à Ravenne et à Rome.

Les monuments anciens furent restaurés; à Rome une brigade de gardiens fut chargée de défendre contre les voleurs le peuple de marbre et de bronze qui ornait encore la cité. Les quatorze aqueducs qui amenaient à la capitale les eaux pures de la campagne furent entretenus avec soin. Dans l'amphithéâtre de Titus (le Colisée) on donna des jeux et des courses de char, en même temps que Théodoric reprenait l'antique usage des distributions de vivres au peuple. Panem et circenses! A Ravenne, résidence ordinaire du souverain, de riches édifices furent construits; il en est un encore intact aujourd'hui; c'est l'église de Saint-Apollinaire le Neuf qui fut construite vers l'an 500.

Théodoric avait aussi bien le goût des lettres que des arts. Les deux plus beaux ornements de son règne ont été deux chrétiens, Boèce et Cassiodore. Boèce (Anicius Manlius Torquatus Severus Boethius) était né à Rome vers 480; il fut consul en 510. Éloquent et savant, il devint le favori du roi goth. Il fut chargé par lui de mettre de l'ordre dans le système monétaire, de choisir une clepsydre et un cadran solaire destinés au roi des Burgondes, et des chanteurs exercés pour être envoyés au roi des Francs. Ses ouvrages ont transmis au Moyen âge la science des Grecs : il traduisit ou commenta les écrits d'Aristote sur la logique, de Nicomaque sur l'arithmétique, d'Euclide sur la géométrie, de Ptolémée sur l'astronomie; son oeuvre dernière :  De la consolation philosophique, a joui pendant dix siècles d'une popularité extraordinaire. 

Boèce est l'interprète du passé, un savant, un philosophe; Cassiodore (Magnus Aurelius Cassiodorius Senator), fils d'un ministre d'Odoacre, était avant tout un homme pratique. A vingt ans, il devint secrétaire privé de Théodoric (497), et pendant près d'un demi-siècle il fut le principal ministre des rois goths. Il mit à leur service toutes les ressources de sa science encyclopédique, tout son talent d'écrivain. Les XII livres de Lettres où il a réuni les actes de son administration sont une mine précieuse de renseignements sur les institutions romaines du Ve siècle et, dans son Histoire des Goths malheureusement perdue, il avait recueilli les traditions historiques des nouveaux maîtres l'Italie

Jordanès nous en a conservé un abrégé dans le monastère de Vivarius où il vécut après la chute de l'empire goth jusqu'à un âge très avancé, il composa ses Institutions des lettres divines et humaines où il enseignait la théologie chrétienne et les sept branches fondamentales de la science (les sept arts libéraux); elles furent la base des études pendant les premiers siècles du Moyen âge. L'Histoire tripartite, abrégé latin des histoires ecclésiastiques de Socrate, de Sozomène et deThéodoret, qui a été rédigée, dit-on, sous la direction de Cassiodore, fut pendant longtemps, avec celle d'Eusèbe, le principal manuel d'histoire ecclésiastique. Il invitait les moines au travail intellectuel, fondant ainsi une tradition que continuèrent les ordres religieux les plus célèbres dlu Moyen âge et qui contribua au développement de la civilisation chrétienne.
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Eglise Saint-Apollinaire le Neuf, à Ravenne.
Tombeau de Théodoric, à Ravenne.
Ravenne- Eglise Saint-Apollinaire le Neuf, construite pour les Ariens.
Maulolée de Théodoric à Ravenne
La coupole est faite d'un seul bloc de pierre.

Tranquille dans l'Italie pacifiée, prospère et embellie, Théodoric étendit son influence dans le monde barbare. Une de ses filles épousa un roi des Burgondes, Sigismond; une autre, Alaric Il, roi des Wisigoths; sa soeur, le roi des Vandales, Trasamond; lui-même il prit pour femme une soeur de Clovis, roi des Francs. Il traita avec le fils de Genséric qui lui céda la Sicile (491), obligea un autre roi des Burgondes, Gondebaud, à lui rendre des prisonniers italiens qu'il avait faits en Italie (494), recueillit les Alamans défaits par Clovis et les établit dans la Rhétie (495). Cette conduite à la fois résolue et bienfaisante lui fit une renommée qu'aucun chef barbare n'a possédée jusqu'à Charlemagne. Maintes fois il apaisa par son arbitrage des querelles naissantes; « dans la partie occidentale de l'empire, il n'y avait aucun peuple qui ne lui rendit hommage » (Jordanès). La légende, qui avait adouci la terrible figure d'Attila, exalta le grand « Théodoric de Vérone» (Dietrich de Bern). héros par ses qualités morales autant que par sa bravoure.

Les dernières années de Théodoric terminèrent mal un si grand règne. Quand l'empereur orthodoxe Justin Ier se mit a persécuter les Ariens, Théodoric s'irrita. On lui dénonça plusieurs sénateurs qui, disait-on, étaient en correspondance secrète avec l'empereur et songeaient à renverser le « tyran ». Il sévit contre ces tardifs amis de la liberté romaine. Boèce, qui avait pris non sans arrogance la défense de ses collègues, fut arrêté, mis à la torture et condamné à mort par un jugement irrégulier; son beau-père Symmaque, le plus illustre des Romains de son temps, subit peu après le même sort (525). Ces exécutions sanglantes ruinèrent l'oeuvre de Théodoric en rendant impossible tout rapprochement entre les Goths et les Romains. Le vieux roi lui-même ne survécut pas longtemps à ses victimes ; il mourut le 30 août 526. Les Germains racontèrent que le cheval noir d'Odin était venu le prendre au milieu d'un festin à Ravenne pour l'enlever au palais céleste; les Catholiques, qu'il avait été emporté par le diable monté, lui aussi, sur un noir coursier. Les factions déchirèrent la mémoire de celui qui avait été le prince de la paix. Le cadavre du roi fut déposé dans un vaste mausolée qui existe encore près de Ravenne, mais la tombe est vide depuis longtemps.

Amalasonthe, fille de Théodoric, régente au nom de son fils mineur Athalaric, était imbue de culture romaine; les Goths lui enlevèrent son fils pour l'élever selon leurs moeurs nationales; épuisé par de précoces débauches, il mourut en 534. Amalasonthe épousa son cousin Théodat (535) qui, pour régner seul, la fit bientôt tuer au bain. Mais Justinien, empereur à Constantinople, se posa en vengeur de la reine assassinée et fit envahir l'Italie par la Dalmatie et par la Sicile, où débarqua Bélisaire. Le lâche Théodat s'humilia et promit d'abdiquer en échange d'une rente viagère. Il fut assassiné par les Goths, tandis que Bélisaire, maître de la Sicile, soumettait sans coup férir le Sud de la péninsule, accueilli en libérateur par les populations romaines et catholiques; en décembre 536, il entrait à Rome

Le roi élu par les Ostrogoths, Vitigès, vint l'y assiéger (mars 537-mars 538), mais y usa son armée; repoussé sur Ravenne, il dut s'y rendre prisonnier à Bélisaire (décembre 539). Le rappel de celui-ci et l'énergie du nouveau roi Totila (qui remplaça en 541 son oncle Ildebald assassiné) permirent, aux Ostrogoths de reconquérir l'Italie. Ils reprirent Rome; qu'assiégea vainement Bélisaire (mai 546-février 547), replacé à la tête de l'armée romaine. Après son second rappel, Totila reconquit même les îles, Sicile, Sardaigne, Corse (549). Mais ce fut la fin. Justinien confia une grande armée à l'eunuque Narsès; les Romains n'occupaient plus que le port d'Amone. 

La flotte gothique fut détruite au large de Sinigaglia, tandis que Narsès contournait l'Adriatique par le Nord, convoyé par la flotte; il prit Ravenne, et par la voie flaminienne descendit droit sur Rome. Totila lui livra bataille dans la plaine de Lentaglio, entre Tagina et les tombeaux gaulois; il fut tué avec 6000 des siens (juillet 552). Teia, gouverneur de Vérone, fut élu roi des Goths, tandis que Narsès occupait Rome et assiégeait dans Cumes Aligern, frère du nouveau roi. Celui-ci accourut pour le débloquer; par d'habiles manoeuvres, Narsès l'arrêta sur les bords du Sarno et, après l'avoir affamé, écrasa l'armée gothique dans une bataille de deux jours (mars 553). Teia périt et Aligern capitula. 

La destruction de l'armée de Francs et d'Alamans amenée par Leuthairs et Buccelin (554) et enfin la capitulation de la forteresse de Campsa, dans le Samnium (555), marquent la fin du royaume de Théodoric. Des Ostrogoths survivants, les uns se soumirent et furent dispersés dans l'empire où ils s'absorbèrent; les autres se retirèrent au Nord des Alpes où ils se confondirent avec les autres Germains du Danube. La nation des Ostrogoths disparut ainsi.

Les Ostrogoths avaient laissé au Nord de la mer Noire le petit peuple des Goths Tetraxites, qui survécut à tous ceux de la famille gothique. Cantonnés en Crimée et vassaux de l'Empire romain d'Orient, puis des khans mongols, ils conservaient encore leur langue au XVIe siècle; le Flamand Augerius Gisler de Busbeck (1522-1592) nous en a transmis d'importants témoignages. Plus tard, ils étaient complètement tatarisés, lorsque Souvorov transplanta leurs descendants sur les bords de la mer d'Azov. (A.).

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