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Les Corégones
Coregonus
Les Corégones (Coregonus) sont un genre de poissons téléostéens de la famille des Salmonidés. On y range des espèces telles que le Lavaret (C. lavaretus), la Féra  (C. fera),  la Gravenche (C. hiemalis), la Petite Marène (C. Albula) ou encore le Houting (C. oxyrhynchus). Ces poissons ont pour caractères le corps un peu comprimé, latéralement couvert d'écailles caduques assez grandes et arrondies, la bouche petite, le maxillaire court, les dents, quand elles existent, petites et tombant facilement, une dorsale haute en avant, obliquement tronquée en arrière, placée en avant des ventrales. 

Le type du genre, le Coregonus lavaretus ou Lavaret, est un poisson à dos gris bleuâtre; les flancs et le ventre sont d'un blanc d'argent brillant; la ligne latérale est ponctuée de noir; les nageoires sont lavées de gris vers leur extrémité et teintées de noir; l'œil est argenté. Cette forme est très commune dans le lac du Bourget et manque dans le lac de Genève; on la rencontre également dans les lacs de la Bavière et de l'Autriche. Elle se nourrit de larves d'insectes, de petits crustacés et de débris organiques. 

Les Lavarets se tiennent habituellement dans les eaux profondes; au moment du frai, ils se réunissent en troupes souvent si pressées que, les animaux se frottant les uns contre les autres, leurs écailles se détachent et troublent l'eau sur une grande étendue. A l'époque du frai, chez les mâles apparaît aussi une sorte d'éruption cutanée qui détermine sur chaque écaille une saillie allongée et de couleur blanchâtre. 

Le lavaret, dont la chair est très estimée, subit les mêmes préparations culinaires que la truite.

Mœurs, distribution géographique

La plupart des Corégones, dont on connaît environ quarante espèces, habitent les lacs; peu d'espèces accomplissent des migrations au moment de la ponte, comme c'est le cas, par exemple, pour les Saumons; ces dernières espèces sont marines et remontent périodiquement les fleuves.

Les espèces sont confinées dans la partie nord et tempérée de l'Europe, de l'Asie et de l'Amérique du Nord. Leur distribution est très localisée, mais souvent on trouve plusieurs espèces dans le même lac. La distinction des espèces est, d'ailleurs, très difficile, ces animaux paraissant varier beaucoup.

On ne trouve que quatre espèces de Corégones en France; en Allemagne le nombre des espèces est de six; les Corégones des lacs de la Grande-Bretagne, de la Scandinavie et de la Russie sont considérés comme étant d'espèces distinctes. Les Corégones abondent dans les lacs et les cours d'eau de la partie nord des États-Unis, où on les connaît sous le nom de Poissons blancs (Whitefish).

Les Corégones abondent également dans certaines parties de la Sibérie, où leur pêche revêt dans la culture traditionnelle une grande importance (ci-dessous). On en voit énormément dans l'Ob; ce grand fleuve renferme cependant peu d'espèces de Poissons comparativement à son étendue. Les Corégones se trouvent dans les lacs et les cours d'eau montagneux de la région de l'Altaï. Le Njelma (Coregonus leucichthys), le Sirok (Coregonus syrok), le Moksun (Coregonus muksun), le Tschokor (Coregonus nasus) et le Sjeld (Coregonus merkeï) habitent l'Ob et l'Yrtitch en quantités innombrables depuis le golfe de l'Ob jusque dans les affluents supérieurs. Chaque année, après le départ des glaces, ces Corégones commencent leur voyage, remontent en quantités innombrables du côté des montagnes, beaucoup allant jusque dans les affluents du bassin supérieur; ils atteignent leur frayère vers la fin de l'été, pondent, puis retournent lentement vers leur point de départ. 

Certaines espèces, au moment de la ponte, entreprennent d'énormes voyages et font plus de 700 kilomètres. Bien que pendant ce voyage les Corégones se nourrissent surtout de petits Mollusques, beaucoup d'entre eux succombent à la fatigue. Dans les conceptions populaires de la Sibérie, cependant, on attribue pas la perte innombrable en certaines années des Poissons migrateurs à cette dernière cause, mais à « la mort du fleuve »; c'est-à-dire qu'on croit que l'eau de l'Ob et de quelques-uns de ses affluents devient mauvaise à cause de la présence des glaces, qui font que l'eau s'écoule lentement et qu'elle se sature alors de différents sels. En Sibérie on raconte également que les Corégones sont poussés par l'Esturgeon Beluga qui suit leurs bandes et remonte alors le fleuve. La montée des Corégones n'a pas lieu régulièrement à la même époque, mais se règle surtout d'après la température de l'eau. Lorsque les glaces fondent trop tôt, il arrive souvent que les Corégones remontent le fleuve, non seulement sous la glace mais encore au-dessus de la glace; dans ce cas, ils périssent en grand nombre lorsqu'il regèle, ce qui arrive assez souvent. Lorsqu'il pleut beaucoup au printemps, après la fonte de la glace, le voyage des Corégones est hâtif; c'est le contraire qui arrive lorsque le printemps est sec.

L'apparition du Beluga annonce aux Russes ainsi qu'aux Ostiaques le commencement de la montée. Pour ces derniers, le Dauphin (Cétacés) est le précurseur du Corégone; on ne le poursuit pas, aussi est-il peu craintif, à ce point qu'on peut s'approcher près de lui sans qu'il interrompe la pêche qu'il fait pour son propre compte. A ce que disent des pêcheurs expérimentés, cinq à six bandes de Dauphins, composées chacune d'une quarantaine d'animaux, visitent chaque année la partie inférieure de l'Ob; ils tiennent le milieu du fleuve, tandis que les Corégones, au contraire, remontent plutôt le long des rives.

La descente des Corégones vers la mer commence au mois d'août, le plus souvent vers la fin de ce mois; les Poissons reviennent, non plus en grandes troupes comme au moment de la montée, mais par petites bandes; en automne, les jeunes, que l'on trouve en quantité généralement dans toutes les petites rivières affluents du fleuve, suivent leurs aînés. 

Pêche, usages

C'est en Sibérie, que la pêche des Corégones a joué traditionnellement un rôle des plus importants. Tous les habitants du pays se livraient jadis à cette pêche lorsque les cours d'eau étaient débarrassés des glaces; les Ostiaques pêchent toujours sous la glace. Cependant la glace est parfois si épaisse que la pêche est impossible avec des filets et ne peut se faire qu'en certains points avec des nasses. Comme le raconte ci-dessous H. E. Sauvage, la pêche était, à la fin du XIXe siècle, dans toute son activité de Tobolsk à Obdorsk. Presque toute la population du littoral du fleuve s'y adonnait :

De Tobolsk, tout d'abord, partent de lourdes barques, appelées Barska; elles sont remplies de toutes sortes de marchandises d'échange pour les Ostiaques. Une fois arrivé sur les endroits de pêche, on met à l'ancre la première embarcation et on commence à construire les habitations nécessaires et les hangars pour préparer le poisson. La plupart de ces habitations sont du plus misérable aspect, faites en murs grossiers et recouvertes d'un mauvais toit; lorsqu'il existe une fenêtre vitrée et un poêle, c'est un grand luxe; le plus souvent l'habitation consiste en une cabane dont les murs sont construits en clayonnage et dont le toit est constitué par des lames d'écorce de bouleau; souvent aussi c'est le bateau qui sert d'habitation an patron. Les pêcheurs russes loués par celui-ci dorment dans une hutte en forme (le four dont le toit est si bas que, même assis sur le plancher couvert de branches d'osier, ils touchent le sommet avec la tête et ne peuvent se mouvoir qu'on rampant. Chez les plus favorisés une étroite étable pour une vache et un petit réduit où se trouvent quelques poules complètent l'habitation du patron de l'entreprise. En tous cas, on s'établit toujours près d'une rive large, sablonneuse, sans blocs de rocher, sans grosses pierres, sans troncs d'arbre charriés par le courant et de tels endroits sont le plus souvent en possession des indigènes. Le fleuve modifie sans cesse son lit, de telle sorte qu'il est rare qu'on puisse créer des établissements durables; on se contente dès lors de campements.

Suivant la situation que doit occuper ce campement, on s'accorde de différentes manières avec le propriétaire de l'endroit de pêche. Lorsque l'entrepreneur amène ses propres gens, il compte au propriétaire indigène du sol une certaine somme d'or, plus du poisson et parfois même du pain; d'autres fois le payement se fait avec de l'eau-de-vie et diverses marchandises. Très souvent le pêcheur russe travaille de compte à demi avec les indigènes. Dans ce dernier cas, l'entrepreneur russe paye à chaque compagnie de pêche qui se sert du même filet une certaine somme; il prête en outre un filet traînant de cent cinquante brasses et reçoit en échange la moitié de tous les poissons capturés par ce filet, n'acceptant toutefois que ceux qui mesurent au moins 0,25 m de long. Lorsque les pêcheurs indigènes n'habitent pas des maisons de bois au voisinage d'un sable peu variable, ils viennent avec toute leur famille et se construisent des huttes en écorce de bouleau, appelées tschun, à quelque distance de l'habitation des Russes.

La pêche commence sitôt que le fleuve grossi par la fonte des neiges a baissé. Pendant l'été, les Russes pêchent partout sur l'Ob inférieur et toujours de la même manière. Le filet, que l'on cherche à proportionner autant que possible au fond sablonneux du fleuve, a, en moyenne, 160 mètres; on le maintient à la surface de l'eau, soit au moyen de longues planchettes, soit avec des flottes formées de l'écorce du peuplier blanc et on le charge avec des pierres enveloppées dans des morceaux d'écorce de bouleau. Huit à douze hommes sont employés à la manoeuvre du filet. Cet engin étant plié dans un assez grand bateau, les hommes rament jusqu'à l'extrémité du banc de sable; un pêcheur qui a à diriger le bout d'une aile saute à terre et enfonce dans le sol une grande perche garnie d'une pointe en fer; il attend alors que le filet soit développé en un grand arc, puis il suit lentement le filet qui flotte, jusqu'à ce que ses compagnons soient arrivés sur le sol. Après qu'on a tiré à terre une longueur assez grande pour que le sac placé à l'extrémité supérieure de l'aile soit parvenu au milieu, on tire le filet sur la rive et on vide dans le bateau le contenu, souvent très considérable, du sac; on dirige ensuite le bateau vers les cabanes à poisson. On recommence la pêche et on continue à travailler jour et nuit tant que dure le passage.

Les Ostiaques pêchent également avec les mêmes filets, et en outre avec des filets à bourse, avec des nasses, ils barrent aussi le petit bras des rivières avec des haies qui forcent le poisson à suivre certains couloirs à l'extrémité desquels se trouvent des filets ou des nasses dans lesquels le poisson vient s'entasser.

Les poissons pris ou achetés par les Russes sont salés aussitôt que possible; ceux qui sont capturés par les Ostiaques sont coupés et séchés à l'air; une bonne partie est consommée à l'état frais par les pêcheurs russes aussi bien que par les indigènes.

Ni les Corégones salés ni ceux qui sont séchés ne peuvent passer pour un mets délicat; autant les Corégones mangés frais sont savoureux, autant ceux qui ont été préparés sont secs et coriaces; la préparation du poisson est d'ailleurs des plus grossières; elle se fait avec le sel impur qu'on retire des lacs des steppes, sel mélangé de sulfate de soude et de sulfate de magnésie, ce qui le rend amer et déliquescent. Avec le foie des corégones on obtient une huile très estimée; les Ostiaques en font une grande consommation.

Dans les principaux villages de pêche de l'Irtisch on conserve jusqu'en hiver dans des étangs une partie des Corégones pris en automne, on les repêche au commencement de l'hiver, on les fait geler, on les emballe dans de la neige, on transforme le tout on un massif bloc de glace en l'arrosant avec de l'eau, puis on transporte ces blocs à Moscou ou à Saint-Pétersbourg.

Malgré le prix extrêmement bas du poisson en Sibérie, le produit de la pêche des Corégones se chiffre par une somme considérable; il pourrait du reste être beaucoup plus important si le poisson était mieux préparé, de telle sorte qu'il pourrait être exporté sur les marchés étrangers. (H. E. Sauvage).

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