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Les causes de la Révolution Française
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A la mort de Louis XV (20 mai 1774), son successeur Louis XVI trouva le royaume dans un état presque désespéré. Les fautes et les crimes des Bourbons avaient enlevé tout prestige à leur dynastie pour laquelle le peuple opprimé ne pouvait avoir aucune affection. Les banqueroutes successives, suivies d'emprunts exagérés, destinés à subvenir aux folles dépenses de la cour, avaient détruit toute confiance. Les insuccès maritimes et militaires du dernier règne avaient humilié la nation, qui possédait pourtant le sentiment de sa force et qui se considérait comme mal dirigée. Une crise désastreuse, conséquence de la ruine financière et de la décadence politique, ne pouvait être évitée que si une main ferme et habile s'emparait du pouvoir. Malheureusement cette tâche était trop lourde pour Louis XVI.

Pour donner satisfaction à l'opinion publique, il commença par restaurer le parlement de Paris, et ce corps, au lieu de demander les réformes nécessaires, se montra, au contraire, le plus opposé aux voeux de la nation. Les ministres Turgot, Malesherbes et Maurepas, associant leurs efforts, éloignèrent l'instant fatal de la crise, et auraient peut-être remis quelque ordre dans les affaires si le parti de la cour ne les eût fait déposer. Necker, qui devint ministre des finances en 1777, vit tomber ses sages projets devant l'opposition des nobles et des prêtres, qui ne voulaient pas participer aux charges de l'Etat. Calonne, son successeur, se heurta à la même opposition des deux classes privilégiées. Le roi, au lieu d'agir avec énergie en créant l'égalité des charges, se laissa entraîner dans la voie qui devait fatalement aboutir à une révolution et non à une réforme. En 1786, il fit appel aux lumières d'une assemblée des notables; cette assemblée, exclusivement composée de privilégiés, voulait bien augmenter les impôts pour remplir les caisses de l'Etat; mais elle prétendit que le peuple seul était sujet aux taxes. Les notables se séparèrent en mai 1787, sans avoir voulu appliquer l'unique remède que l'on pût trouver aux maux de la France : la répartition équitable des impôts. 

A bout de ressources, le roi se décida à réunir les états généraux, qui n'avaient pas été convoqués depuis plus d'un siècle et demi. Il espérait que cette assemblée serait aussi soumise que ses devancières; mais la France de la fin du XVIIIe siècle n'était plus celle des Valois : la bourgeoisie s'était fortifiée, elle était devenue riche, instruite, influente, sans cesser d'être honnête et active. Digne de posséder le pouvoir, elle n'allait pas tarder à l'arracher à la noblesse. Ce fut en vain que, lors de la réunion des trois états, à Versailles, le 5 mai 1789, les députés du clergé réunis aux députés de la noblesse, voulurent humilier les députés du tiers état. Ces derniers, munis des cahiers de doléances rédigés par leurs commettants, et résolus à revendiquer hardiment les droits du peuple que les deux classes privilégiées méconnaissaient depuis le commencement de la féodalité, demandèrent à voter par tête et non par ordre. Le roi ne sut pas se mettre du côté de la nation qui, toute frémissante, dans l'attente de grands événements, lui décernait d'avance le titre de restaurateur de la liberté. Il crut qu'il y allait de la dignité même de sa couronne de soutenir la cause du passé. 

Le tiers état, sûr d'être soutenu par le peuple et par une partie de l'armée, se déclara le seul corps ayant le droit de donner des lois au pays, et le 17 juin, se constitua solennellement en Assemblée nationale constituante. Le roi espéra arrêter le cours des événements en faisant fermer la salle de réunion des députés. Ceux-ci s'assemblèrent dans la salle du Jeu de paume, et jurèrent de ne se séparer qu'après avoir voté et solidement établi une constitution basée sur le droit politique des peuples modernes. La cour, poussée a la résistance, voulut prendre l'air menaçant; elle réunit des troupes à Paris et exila Necker. Ces mesures soulevèrent le peuple (12 juillet). La garde nationale, formée spontanément, se plaça sous les ordres de La Fayette; des armes et des munitions furent arrachées aux arsenaux publics, et le 14 juillet, la Révolution commença avec la prise de la Bastille. Voilà pour l'enchaînement sommaire des faits, reste maintenant à examiner en détail les raisons profondes pour lesquelles on en arriva là.

« Les révolutions, dit A. de Tocqueville, naissent spontanément [...] de causes générales fécondées, si l'on peut parler ainsi, par des accidents, et il serait aussi superficiel de les faire découler nécessairement des premières que de les attribuer uniquement aux seconds » (Souvenirs, p. 49). 
L'on conçoit les difficultés que présente une telle distinction. D'une part, lorsqu'une Révolution s'est produite, l'on a beau jeu pour démontrer qu'elle ne pouvait pas ne pas se produire; tout s'explique toujours, après l'événement, bien ou mal, et le fatalisme historique, doctrine a priori, revêt ainsi le masque de la science positive. D'autre part, les causes générales sont la plupart du temps discordantes et contradictoires au point de vue constructif, après s'être coalisées et combinées dans le sens destructif. Par exemple en 1789, le tiers état comprend et rallie tout ce qui n'est ni noblesse ni clergé; dès que la victoire est gagnée sur les deux ordres privilégiés, il se dissocie, il donne lieu à un parti bourgeois, à un parti démocratique, à un parti militaire. Même divorce, non seulement dans la nation, dans les partis, mais chez les individus eux-mêmes, entre l'idée de la liberté personnelle et l'idée de l'unité politique; entre la conscience morale et la religion d'État; entre le droit électoral et le salut public; entre le citoyen insurgé de la veille et le soldat discipliné du lendemain. Quant aux « accidents », on peut placer dans cette catégorie : 
1° les individualités que la Révolution a mises en scène, et qui en furent les héros ou les victimes, la plupart du temps l'un et l'autre; 

2° les faits qui, à la rigueur, auraient pu ne pas se produire ou se produire autrement. 

Cet ordre de considérations a ouvert le champ à des hypothèses rétrospectives qu'il est bon de signaler, mais aussi d'écarter résolument. Que serait-il advenu si Louis XVI avait eu le génie politique de Henri IV, ou les facultés militaires de Charles ler d'Angleterre. Si Marie-Antoinette eût été moins imprudente et plus Française? Si le duc d'Orléans eût été un loyal sujet, moins avide de popularité? Si Mirabeau avait eu autant d'autorité morale que de capacité et d'éloquence? Si la Bastille eut résisté? Si la déchéance du roi eût été prononcée après son arrestation à Varennes? Si la guerre n'avait pas été déclarée à l'Allemagne? Si les Tuileries se fussent mieux défendues au 10 août? Si Louis XVI n'avait pas été condamné à mort? etc. Les historiens de la Révolution n'ont bâti que trop d'inductions sur ces fondements imaginaires. A tous les si, l'on peut répondre hardiment que d'autres accidents auraient fécondé, un peu différemment, les causes générales dont la prépondérance est si peu contestable, qu'elles, ont à leur tour fécondé les accidents, en leur donnant une portée historique que n'auraient jamais eue, sans elles, par exemple, le 14 juillet, le 21 janvier ou le 9 thermidor. En un mot, plus les monographies et les synthèses historiques se multiplient, plus se fortifie cette conclusion : la Révolution française s'explique et se justifie, dans son ensemble, par l'Ancien régime, vivier de toutes les injustices.

L'Ancien régime.
Deux traits essentiels caractérisent l'Ancien régime, auquel a mis fin la Révolution de 1789 : au point de vue politique, l'absolutisme du pouvoir royal; au point de vue social, l'inégalité la répartition des charges publiques et aussi l'inégalité des droits civils.

Au point de vue politique, le pouvoir royal, après une longue évolution, est devenu absolu. La théorie du droit divin est formulée par Bossuet dans sa Politique tirée de l'Ecriture Sainte, et par Louis XIV dans ses Mémoires; le roi n'a responsabilité que devant Dieu. En fait, l'administration très centralisée qui, depuis la création des intendants et la rédaction des ordonnances de Colbert, s'est fortement constituée, ne trouve dans aucun corps de contrôle élu le contrepoids qui lui serait nécessaire. Les états généraux, dont l'impuissance s'est accusée en 1614, n'ont pas été convoqués depuis cette date. Depuis les troubles de la Fronde, l'énergique politique de Louis XIV a dompté le Parlement, et, même au XVIIIe siècle, ses remontrances les plus bruyantes restent dépourvues de sanction effective. Enfin, au début du règne de Louis XVI, les assemblées provinciales et communales que Turgot songe à organiser ne doivent avoir, dans sa pensée, qu'un rôle consultatif. Le roi peut dire : "Cela est légal parce que je le veux!" ; la vérité est que personne en France, hormis le roi, n'a le droit de traduire en acte une volonté.

Au point de vue civil, la société de l'Ancien régime est fondée tout entière sur les privilèges, qui règlent les droits de chacun. Ces privilèges sont une survivance des immunités et des droits personnels établis au cours du régime féodal. Les règles de la justice ne sont pas les mêmes pour les nobles et les roturiers. Les nobles sont exempts des impôts levés par les seigneurs sur les roturiers. Ils ne payent pas la taille. Au fief sont attachés des droits politiques et de nombreux droits dits féodaux qui représentent autant de privilèges. Le clergé a le pas sur la noblesse, mais jouit en grande partie des mêmes privilèges. Il est dispensé des charges municipales, des tutelles et des curatelles; il est soumis aux juridictions ecclésiastiques. Ses membres sont exempts des tailles et corvées personnelles; ils ne paient pas l'impôt des gabelles ni un grand nombre d'impositions locales. 

C'est la disproportion entre ces privilèges et l'utilité réelle des classes qui les détenaient qui fut la cause principale de la Révolution; la nuit du  4 août 1789 devait en marquer la suppression solennelle, par la renonciation même des privilégiés. 

« Une Révolution déjà faite ».
A l'aube de 1789, la partie la plus éclairée de la nation, sans distinction d'ordres, mais surtout la bourgeoisie, qui travaille, qui commerce, qui administre, qui lit et qui écrit, n'ont pu fermer les yeux à la misère politique et sociale à laquelle est réduit l'essentiel de la population. Toutes les classes souffrent moralement ou matériellement des limites, des privilèges, des jalousies, des injustices qui les séparent. Les lettrés, les physiocrates, les économistes, les philosophes décrivent et critiquent à l'envi le désordre, le gaspillage de forces et d'argent, le despotisme incohérent dont ils sont les témoins et souvent les victimes. Si les plus illustres s'en prennent surtout à l'Eglise, ce n'est pas seulement au nom de la libre pensée, mais aussi au nom de la morale évangélique ou pour mieux dire éternelle. C'est aussi qu'ils gardent pour la royauté, symbole d'unité et pendant de longs siècles agent d'égalité, un respect traditionnel. C'est enfin qu'ils sentent que le dogme du droit divin, bien qu'opposé en principe à la cour de Rome, est au fond d'essence catholique, et en contradiction avec le vrai droit, le droit humain, le droit national, le contrat social. Cette incessante action de la pensée, qui se résume dans les noms de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau, de Diderot, de Condorcet, de d'Alembert, de Turgot, et dans le monument de l'Encyclopédie, est chose unique dans l'histoire de la civilisation. Les reconstructions utopiques de la société, inévitables en pareil cas, ont leur effet négatif et destructif. La Sorbonne et les Parlements font en vain la police des « idées révolutionnaires avant la Révolution » (F. Rocquain); elles n'en deviennent que plus populaires et se répandent par le théâtre, par les libelles, par les nouvelles à la main, par les chansons. Les hommes qui profitent le plus de certains abus sont les premiers à se moquer ou à s'indigner de ceux dont profite le voisin, et Mignet a pu écrire : 

« Les Etats généraux ne firent que décréter une révolution déjà faite ».
(H. M. / NLI).
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