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Aperçu | Le règne de Louis XVI | Le procès et l'exécution |
Outragé dans les Tuileries par une population en colère le 20 juin 1792 et le 10 août suivant, Louis XVI était allé chercher refuge auprès de l'Assemblée législative, qui avait succédé à l'Assemblée nationale, mais celle-ci l'avait déclaré suspendu de ses fonctions et l'avait fait emprisonner au Temple. Tous les jours Santerre et son état-major faisaient une visite générale. Divers projets d'évasion, facilement éventés, amenèrent la suppression progressive de l'encre, du papier, des plumes, des couteaux, rasoirs, ciseaux et canifs. Les achats nécessaires étaient faits par l'administration du Temple qui souvent eut à rejeter certaines demandes, moins par inhumanité que par méfiance. Les cuisines étaient en dehors de la tour; la dépense mensuelle de la table atteignit 14.000 livres; il y avait treize officiers de bouche, mais un seul communiquait avec Cléry. Louis XVI apprenait quelques nouvelles du dehors par un crieur public que Cléry avait gagné. Pendant cette captivité, Dufriche-Valazé fit un premier rapport sur les faits imputés au monarque. Mailhe en présenta un second sur la question de droit : 1° Louis XVI peut-il être jugé? 2° Quel tribunal prononcera le jugement La discussion en fut ajournée au 13 novembre. La Constituante de 91 portait l'inviolabilité de la personne du roi. Aucun des conventionnels n'osa défendre cette inviolabilité comme juste en elle-même, mais seulement comme article d'un contrat existant : « La nation, disaient en substance ceux qui voulaient sauver la tête du roi, s'est liée elle-même, non sans doute à perpétuité, mais pour un temps. La loi est la loi. On ne saurait donner à la loi nouvelle, par laquelle la nation s'est défiée, un effet rétroactif préjudiciable à l'autre contractant. Or, dans le contrat bilatéral de 1791, la trahison, la guerre à la nation, ne sont punies que de la déchéance : cette peine a été prononcée. Les ministres responsables couvrent la personne du roi. »À ces arguments, les partisans d'un procès capital répondaient : « Si le roi est inviolable, c'est à l'égard des corps constitués, et non à l'égard de la nation elle-même, souveraine absolue. Louis ne peut invoquer un contrat auquel il n'a jamais été fidèle, une constitution qu'il a travaillé à détruire par tous les moyens. Les ministres ne peuvent être rendus responsables que de leurs actes ostensibles. Peut-on leur demander compte de ce que peut-être ils ont ignoré, de ce qui s'est tramé au-dessus de leurs têtes? La déchéance ne saurait être une peine suffisante; elle n'est que l'effet naturel d'un coup manqué et non la réparation légitime d'un crime commis. Quant à la peine à appliquer, c'était celle dont toutes les lois humaines ont toujours puni la trahison. Le tribunal, c'était la nation souveraine, représentée par les députés qu'elle venait d'élire. Elle ne pouvait pas ne pas être juge et partie : car, si l'on s'arrêtait à cette objection, irait-en soumettre la cause de Louis XVI à l'arbitrage de quelque autre nation? »Bref, le comité de législation conclut dans le sens le plus rigoureux, et fixa ainsi la procédure : « Il sera dressé un acte énonciatif des faits reprochés à Louis. Louis comparaîtra en personne. Des consens de défense lui seront accordés. Là Convention prononcera son jugement sur appel nominal de chacun de ses membres présents. »Comme les arguments de droit, pour et contre, se balançaient, Saint-Just formula un autre système, celui de la force victorieuse et du salut public (13 novembre), en réponse à Morisson qui avait plaidé l'inviolabilité. Rouzet et Faure défendirent Louis XVI au point de vue historique et moral. Fauchet parla contre la peine de mort en elle-même. La discussion dura jusqu'au 30 novembre, et l'on nota l'incertitude croissante des Girondins relativement à cette question, et ce défaut d'entente et de discipline qui devait les perdre après le roi lui-même. Enfin le 3 décembre (après les séances uniquement consacrées aux subsistances), Robespierre obtint de l'Assemblée le décret suivant : « La Convention déclare que Louis XVI sera jugé et jugé par elle. »Dès le 20 novembre, les pièces de l'Armoire de fer des Tuileries avaient été déposées par Roland à la Convention. Mais les papiers les plus importants en avaient été retirés avant le 10 août (Mémoires de Mme Campan); l'on soupçonna Roland, peut-être à tort, d'en avoir soustrait d'autres. Quoi qu'il en fût, ils ne renfermaient pas contre le roi de preuves plus décisives que celles qui étaient déjà connues. Le 4 décembre, Pétion fit décider que la Convention s'occuperait tous les jours du procès du roi, de onze heures à six heures du soir, et que le jugement ne serait pas prononcé immédiatement après l'instruction publique du procès. L'acte énonciatif fut présenté le 10 décembre à l'Assemblée, et le roi fut assigné à comparaître pour le lendemain. Il était déjà prévenu par Cléry lorsque le 11 décembre, à onze heures, Pétion vint lui communiquer le décret : il aurait pu (comme Charles Ier) refuser de s'y soumettre. Il n'en fit rien. Il répondit, assis sur un siège près de la barre, à tous les articles successifs de l'acte d'accusation, qui lui rendaient personnelles toutes les fautes de son règne depuis le 20 juin 1789 jusqu'au 10 août 1792. Tantôt il nia les faits énoncés, tantôt il en rejeta la faute sur ses ministres, tantôt il invoqua pour se justifier la lettre de la constitution de 1791, qu'il possédait parfaitement. Relativement à l'Armoire de fer, il fit une réponse mensongère, et de plus inutile et maladroite (il n'en connaissait pas exactement le contenu). - L'Armoire de fer, ouverte par le serrurier Gamain (gravure allégorique). - L'apparition du squelette de Mirabeau rappelle les rapports qu'entretenait l'orateur avec la cour. Le procès. « Je cherche en vous des juges, et je ne trouve que des accusateurs. »Après un bref discours du roi et son retour au Temple, Lanjuinais demanda l'annulation de la procédure et s'en prit audacieusement aux « conspirateurs du 10 août ». Mais, le 27, Saint-Just démasque dans Louis le tyran souple et modeste, qui a opprimé avec souplesse, qui se défend avec modestie : dans l'incohérence de ses actes, il ne voyait - sincèrement - que perfidie forte et calculée. L'expédient de l'appel au peuple, proposé par les Girondins dès le 27, soutenu par Vergniaud le 31 décembre seulement, ne parut à beaucoup promettre qu'une perspective de guerre civile et un renom de lâcheté politique. Le résumé de Barère (7 janvier) fut décisif et la position des questions, ainsi que l'appel nominal des députés, fut fixé aux 14 et jours suivants. Sur la première question : « Louis Capet est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et la sûreté générale de l'Etat ? » le scrutin doit être établi ainsi qu'il suit : -
Sur la deuxième question : « Le jugement de la Convention nationale sera-t-il soumis à la ratification du peuple?» il faut compter :
(Ces chiffres, qui ne sont pas conformes à la lettre du procès-verbal de la Convention, sont le résultat du travail critique de Belhomme, les Régicides.) Sur la troisième question : « Quelle peine sera infligée à Louis? » le scrutin officiel a été révisé, collationné, imprimé avec le plus grand soin et la plus grande exactitude. Au cours du vote, la question du sursis à l'exécution fut incidemment présentée par Mailhe. Sur 721 votants (majorité absolue : 361) 2 votèrent pour les fers, 286 pour la détention et le bannissement à la paix, ou pour le bannissement immédiat, ou pour la réclusion, et « quelques-uns » [il convient de préciser : 33] ajoutèrent la peine de mort immédiate en cas d'envahissement du territoire; 361 votèrent pour la mort; 26 pour la mort en réclamant une discussion sur le sursis, motivée par l'intérêt public, mais dont ils déclarèrent leur sentence de mort indépendante. Somme toute, la mort sans condition fut donc votée par 387 voix contre 334; il y eut 28 non votants ou absents (16-17 janvier). Le 19 janvier fut posée la quatrième question : « Y aura-t-il un sursis, oui ou non, à l'exécution du décret qui condamne Louis Capet? » Le nombre des non votants est cette fois de 59. Sur les 690 votants, 380 se prononcèrent contre le sursis et 346 pour. Le procès de Louis XVI. En 1815, la Restauration a considéré comme régicides quatre catégories de conventionnels les 361 qui ont voté la mort; les 26 qui ont voté la mort avec l'amendement Mailhe; les 46 qui ont voté la mort avec sursis; et ceux qui, en dehors des catégories précédentes, ont voté contre le sursis; total : 455. Pendant les quatre nuits et les trois jours pleins qui séparèrent la sentence de mort du 17 janvier du jour de l'exécution, les royalistes ne firent aucun effort sérieux et concerté pour sauver le prince : la Commune avait d'ailleurs pris de minutieuses précautions; et, malgré la pitié croissante dont les gardiens et familiers du Temple se sentaient pris pour le père de famille séparé peut-être inutilement des siens, la surveillance était devenue de plus en plus rigoureuse. La 20 janvier à deux heures, le ministre de la justice Garat, avec Santerre, Grouvelle, etc., se présentèrent au Temple pour lire l'arrêt au condamné. Louis demanda par écrit : 1° trois jours pour se préparer à la mort;Garat envoya chercher rue du Bac, n° 483, un prêtre d'origine étrangère et non assermenté, Edgeworth de Firmont, et l'amena dans sa voiture, à six heures. Pendant deux heures, cet ecclésiastique s'entretint avec le roi, soit du clergé, soit des matières de la religion. A huit heures et demie et jusqu'à dix heures, eut lieu l'émouvante entrevue de Louis XVI avec la reine, Mme Elisabeth, le dauphin et Madame Royale : celle-ci s'évanouit dans ses bras. Le roi retourna ensuite auprès de son confesseur et veilla jusqu'à minuit. Il s'endormit profondément après avoir recommandé à Cléry de le réveiller avant cinq heures, pour entendre une messe qu'avait autorisée la Commune et qui fut en effet célébrée. Edgeworth obtint du roi qu'il s'épargnerait à lui-même et qu'il épargnerait aux siens la douleur d'une nouvelle entrevue qu'il leur avait promise. Cependant l'assassinat de Lepeletier de Saint-Fargeau, un des conventionnels qui avaient voté la mort (20 janvier à neuf heures du soir), avait fait croire à l'existence d'une vaste conspiration. La Convention, la Commune, le Conseil exécutif, les Jacobins se déclarent en permanence. Les dernières dispositions du roi concernèrent son anneau de mariage qu'il pria de remettre à la reine, son cachet aux armes de France, destiné au dauphin, et son testament, que Jacques Roux, de la Commune, se recula pour ne pas recevoir, mais sans ajouter le mot cruel dont il se vante dans son rapport. Une voiture verte, avec deux gendarmes sur le devant, et au fond Louis et le confesseur, transporta le roi place de la Révolution. L'exécution. Toute la ville était muette, fenêtres et portes closes, mais une multitude armée et silencieuse garnissait tout le parcours. Un grand espace vide, avec du canon et une troupe nombreuse de fédérés tout autour, avait été ménagé autour de l'échafaud. Le roi portait un habit brun, une veste blanche, une culotte grise et des bas blancs. A dix heures, il descendit sur la place, enleva ses vêtements, et, non sans combat, se laissa lier les mains à la voix de son confesseur. Les tambours battaient. Santerre demanda le silence et le roi dit, assez haut pour qu'on put l'entendre de six cents pas : « Je désire que mon sang cimente le bonheur de la France. »Puis le général Berruyer, qui seul commandait les troupes, ordonna un roulement pour que chacun se remit en place et gardât son rang. Telle est la tradition conservée dans la famille de Santerre; dans son récit, Edgeworth semble la confirmer en partie, en ce qui concerne l'ordre donné par Berruyer et non par Santerre. Enfin les derniers mots du roi ont été ainsi généralement traduits : « Je meurs innocent; je désire que le sang que vous allez répandre ne retombe pas sur la France. »Il est absolument controuvé que Louis ait crié « Grâce! » au dernier moment; mais il est certain qu'il poussa un grand cri lorsqu'on lui mit la sangle, et qu'il se débattit. Il était, disent tous les témoins oculaires, très rouge : la violence du tempérament, l'espoir, qu'il semble avoir gardé jusqu'au bout, d'une intervention en sa faveur, n'ont donc pas laissé toute sa sérénité à la résignation chrétienne dont il était par instants pénétré. Le mot : « Fils de saint Louis, montez au ciel ! » n'a pas été prononcé par Edgeworth, ou du moins, dit son parent Sneyd Edgeworth, il ne s'en souvenait pas. C'est dans le Journal de Paris, au lendemain de la mort du roi, qu'on le lit pour la première fois. Il n'est pas dans le journal de Charles His (le Républicain français), auquel on l'a attribué. Il est traduit ainsi par la gravure n° 185 des Révolutions de Paris (19-26 janv.) : « Allez, fils aîné de saint Louis, le ciel vous attend»;mais on doit noter que cette gravure, malgré sa date, n'a été expédiée, selon l'usage, de l'époque, qu'à la fin du trimestre. Dans son testament écrit le 25 décembre 1792, Louis XVI pardonne à ses ennemis, à ses geôliers, et prescrit à son fils d'oublier comme lui tout ressentiment. Il lui recommande, « s'il a le malheur de devenir roi, de songer qu'il se doit entièrement au bonheur de son peuple ». Il termine «en déclarant devant Dieu et prêt à paraître devant lui, qu'il ne se reproche aucun des crimes dont on l'accuse ». L'exécution du roi Louis XVI, le 21 janvier 1793. En effet, la roi n'a guère dû se reprocher qu'une chose (dont on ne l'accusait pas) : d'avoir signé la constitution civile du clergé. Mais la culpabilité n'est pas seulement affaire subjective. Un roi, qui se croit absolu par droit divin, maître de la vie et de la mort de ses sujets, peut se croire innocent à leur égard et ne l'être pas. L'absence de remords n'implique pas l'absence de crimes ni de fautes. Hébert eut à ce propos un mot abominable, mais profond : « Comme Desrues, il a été ferme et dévot jusqu'au dernier moment. »Quant à la question de salut public, E. Quinet a dit, du 21 janvier : « De bonne foi, à quoi a servi cette date? Qu'est-ce que ce sang a produit? »Michelet insiste dans le même sens : « On pu voir cette chose fatale, que la royauté morte sous le déguisement de Varennes, avilie par l'égoïsme de Louis XVI au 10 août, venait de ressusciter par la pitié et par la vertu du sang. » Un ultra-royaliste qui n'est pas un historien, mais qui a consacré tout un volume des plus curieux au « meurtre du 21 janvier 1793 », le baron de Vinck d'Orp, paraît avoir conclu plus justement : «Si le couteau de Jacques Clément et le poignard de Ravaillac ont tué des personnes royales, ces régicides n'ont pas porté atteinte au principe même de la royauté, tandis que la Convention, par le meurtre juridique qu'elle a consommé le 21 janvier 1793, a compromis et la royauté et le principe monarchique. »D'autres on dit, en d'autres termes, que le 21 janvier la nation a simplement exercé sa souveraineté. Mais « autant il est aisé de décider ce qu'il convenait de faire lors de la fuite de Louis XVI, autant il est difficile d'approuver ou de blâmer sans réserves le décret qui l'envoya au supplice. » (E. Champion).Quoi qu'il en soit, la Convention mit au nombre des fêtes révolutionnaires l'anniversaire de la mort du tyran. La Restauration en fit une fête expiatoire; le cimetière de la Madeleine, où le roi, puis la reine avaient été ensevelis, servit d'emplacement au monument expiatoire. Il fut aussi question d'élever une chapelle à l'endroit même où avait eu lieu l'exécution. Mais après les journées de Juillet, le deuil public du 21 janvier fut aboli, et le fils de Louis-Philippe-Egalité choisit la place de l'échafaud du 21 janvier pour y faire dresser l'obélisque. (H. Monin). |
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