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La religion mongole

Devenus le plus souvent bouddhistes (lamaïstes), surtout depuis le XVIIe siècle sous l'effet du prosélytisme très actif des lamas tibétains qui ont établi dans le pays de nombreux monastères, les Mongols sont parfois aussi Chrétiens nestoriens (Nestorius) ou même, de plus en plus, agnostiques. Et s'ils conservent certaines traces de leur ancienne religion, sous la forme d'un panthéisme diffus, dans lequel les bois, les rochers et les fontaines sont honorés, et surtout sous la forme persistante de pratiques chamaniques, c'est principalement par les récits des anciens voyageurs et chroniqueurs que cette religion traditionnelle des Mongols est connue.

D'après Ricoldo de Monte Croce et Haïthoum, les Mongols disaient qu'ils croyaient en dieu suprême, créateur de tout ce qui est visible et invisible, punissant les méchants et récompensant les bons, nommé Itoga et chez les Tatars du Coman Kam. Ce dernier nom est évidemment identique au mot Khan, qui, comme le mot persan Khodâ, possède à la fois le sens de souverain et de dieu. Aujourd'hui les Kalmouks adorent la divinité sous le nom d'Atzaïci, le créateur, que l'on a songé à rattacher au mot itoga. Dans le mongol classique, le seul mot employé pour dire dieu est tangri ou tengri, comme en turc; ce mot paraît se rattacher au mongol tagera « élevé, sublime » et au turc teng « aurore ». Suivant Plan Carpin, les Mongols n'avaient aucun culte institué pour honorer ce dieu, mais ils utilisaient des idoles de feutre en forme d'hommes et de femmes pour rendre un culte aux autres dieux; Haïthoum dit également qu'ils adoraient un dieu suprême, mais, ajoute-t-il, 

« autre reverence ilz ne font à Dieu, ne par oraisons, ne par jeunes, ne par affliction, ne par autre bienfait ».
En plus d'Itoga, les Mongols avaient donc on vient de le dire, des divinités ou tangri (au nombre de 99), dirigées par Köke Möngke Tangri (l'éternel ciel bleu),  qu'ils représentaient sous la forme de figurines de feutre et de drap. Ils plaçaient celles-ci de chaque côté de leur maison suivant G. de Rübrück, au-dessus de la place où se tenait le maître de la maison, à droite, se trouvait une idole de ce genre que l'on appelait « le frère du maître de la maison » et il y en avait une analogue au-dessus de la place de sa femme, à gauche; cette dernière recevait le nom de « frère de la maîtresse de la maison ». La gauche, côté du coeur, était la place d'honneur chez les Mongols. En plus de ces deux idoles, ils avaient aussi d'autres images, l'une avec, des mamelles de vache, qui était une divinité des femmes, chargées de traire les vaches, et l'autre avec des mamelles de jument pour les hommes à qui incombait le soin de traire les juments. Ils en plaçaient également d'autres sur leur toit et devant la porte de leur maison.

Plan Carpin nous apprend que le vol de ces idoles était impitoyablement puni de mort. D'autres images étaient faites avec des morceaux de soie, mais l'on ne peut savoir, d'après les termes de Plan Carpin, si elles étaient peintes sur soie, ou si elles étaient faites de fragments de soie plissés et bourrés comme des poupées. La confection de ces idoles se faisait suivant un rite bien arrêté : toutes les maîtresses de maison se réunissaient, et, après avoir achevé leur travail, elles égorgeaient un mouton qu'elles faisaient cuire et dont elles brûlaient les os quand elles l'avaient mangé. Lorsqu'un enfant tombait malade, un attachait l'un de ces simulacres sur son lit.

Les Mongols rendaient à ces divinités un culte décrit comme suit par divers auteurs  : au moment de se mettre à table, le mari mouillait avec un linge trempé dans les plats la bouche de ces images en commençant par le 

« frère du maître de la maison » (Rübrück); « A l'heure que ilz donnent à leur ydole à mengier, je entray avec les autres pour voir la guise. Ils apportèrent à leur ydole viandes très chaudes et boulans, et la mettent devant lui. » (Odoric de Pordenone). «-Et quant ils menjuent, dit Marco Polo, si prennent de la char grasse et li oignent la bouche. » 
Cela fait, l'homme sortait avec sa boisson et son plat, et fléchissant le genou, il en répandait un peu à terre, au Sud, pour honorer le Feu, à l'Orient pour honorer l'Air, à l'Occident pour l'Eau, au Nord pour les âmes des morts

Quand ils étaient à cheval et qu'ils voulaient boire, ils répandaient une partie de leur boisson sur le col et la crinière de leur cheval (Rübrück). Quand ils tuaient un animal, ils offraient son coeur à l'une de leurs idoles et ne le mangeaient que le lendemain.

En plus d'Itoga et de leurs autres divinités, les Mongols associaient à leurs cultes le Soleil, la Lune, le Feu, l'Eau et la Terre, à qui, comme on vient de le voir, ils offraient les prémices de leurs nourriture. Ils appelaient la Lune le « grand empereur-», et disaient que le Soleil était la mère de la Lune et qu'elle en recevait la lumière. Les Mongols avaient aussi une image de leur souverain, qu'ils plaçaient sur leur char; ils lui offraient des chevaux qu'ils laissaient en vie, mais que personne n'aurait osé monter jusqu'à leur mort. Ils lui consacraient également d'autres animaux dont ils brûlaient les os quand ils les tuaient pour les manger. Ils s'inclinaient vers le Sud pour vénérer leur empereur, et un grand prince de Russie, qui était venu à la cour de Batou Khan, ayant refusé d'agir ainsi, fut impitoyablement mis à mort.

Les Mongols étaient, en général, très indifférents en matière de religion; Gengis Khan protégea à peu près tous les cultes, et ses descendants, même quand ils se firent bouddhistes en Chine et musulmans en Perse, ne furent jamais sectaires. Khoubilaï Khan était bouddhiste, mais il reconnaissait comme prophètes Jésus, Mohammed, Moïse au même titre que le Bouddha Sakya Mounii. Il allait à la messe le dimanche, et, les jours de fêtes des chrétiens, baisait dévotement leurs Evangiles, mais le vendredi il allait à la mosquée, et au jour de l'an (6 février) on priait pour la prospérité de son règne dans les temples chinois, bouddhiques, dans les églises et dans les mosquées. 

Leurs épouses paraissent n'avoir pas été toutes aussi sceptiques, mais au moins aussi libérales la plupart du temps en matière religieuse; Syourkoukeïti Beiki était officiellement chrétienne, quoiqu'elle fit des dons aux musulmans pour bâtir des collèges; l'impératrice, femme de Mangou, l'était également, mais Guillaume de Rübrück raconte que quand elle venait à la messe, elle s'enivrait avec les prêtres et qu'il fallait la ramener chez elle ivre morte. Il raconte également que Mangou et sa famille assistaient à la fois aux cérémonies des chrétiens, des musulmans et des bouddhistes. D'ailleurs, suivant le même voyageur, les Mongoles chrétiennes adoraient la croix comme un de leurs fétiches de feutre et, pour le reste, suivaient les pratiques propres à la religion mongole.

Les Mongols avaient une grande confiance dans les prédictions des astrologues et des magiciens. Gengis Khan consulta ses astrologues pour savoir à quel moment il devait livrer bataille à Ong Khan, et Houlagou agit de même dans son expédition contre Bagdad. Ils commençaient toutes leurs entreprises dans les premiers jours de la lunaison ou au milieu, à la pleine lune, mais jamais à une autre époque (Plan Carpin).

Koubilaï était très porté à l'astrologie, il avait à Khanbalik 5000 devins, chrétiens, musulmans ou chinois; les éclipses et les apparitions de comètes lui causaient, paraît-il, une peur épouvantable. Le chef des devins était logé devant le pavillon qui servait de résidence à l'empereur, et il avait sous sa garde les chariots qui portaient les idoles. Les devins semblent, d'après ce que dit Guillaume de Rübrück, avoir eu une grande influence; ils faisaient condamner à mort qui leur convenait en l'accusant de maléfices, Ils se prétendaient inspirés par les esprits; ils prédisaient les éclipses, ce qui semblerait indiquer qu'ils avaient des connaissances astronomiques assez étendues, et quand elles se produisaient, ils battaient du tambour et des cymbales en criant le plus fort qu'ils pouvaient; ils tiraient l'horoscope des enfants qui venaient de naître. 

L'un des procédés de divination les plus curieux des Mongols était le suivant : quand le khan voulait entreprendre quelque chose, il prenait trois os, de préférence trois omoplates de mouton, et les mettait dans le feu. Si après un certain temps ils étaient restés intacts, c'était un signe que l'affaire réussirait; s'il se fendillaient et tombaient en morceaux, elle devait avoir une issue funeste.

Les Mongols regardaient comme de grands péchés de planter un couteau de fer dans le feu, de tirer de la viande d'une marmite avec un couteau, de toucher leurs flèches avec un fouet, de frapper un cheval avec un frein, et de renverser à terre un vase de lait ou d'eau. On ne devait pas non plus laver les couteaux qui servaient à manger, ni laver les habits, parce que cela mettait les dieux en colère et qu'il se mettait à tonner, ce qui leur causait une peur effroyable. Quand il tonnait, ils sortaient de leurs maisons et se couchaient à terre en se roulant dans des couvertures de feutre. Il était de même sévèrement défendu de tuer les moutons ou autres animaux en leur coupant la gorge, il fallait leur ouvrir la poitrine; on ne devait pas non plus au printemps ou en été se baigner dans les cours d'eau. 

Quand quelqu'un était malade, personne ne pouvait entrer dans la maison, sauf les serviteurs, car ils craignaient que le mauvais esprit n'entrât avec les visiteurs et n'aggravât l'état du malade; pour écarter le monde, ils plantaient une lance en terre et enroulaient autour de la hampe un morceau de feutre noir. Quand un homme avait été frappé de la foudre, on éloignait sa famille et on brûlait sa tente; il était défendu à tous les membres de sa famille d'entrer dans le campement d'un prince, et pour les purifier, on les faisait passer entre deux feux. Il était absolument interdit de toucher le seuil de la porte en entrant dans une tente; celui qui le faisait par mégarde était entièrement déshabillé et recevait des coups de bâton. Quand un prince de la famille souveraine venait à mourir, il était défendu, sous peine de mort, de se servir de son nom pour nommer une autre personne, ce nom devenait kourouk, c .-à-d. interdit. Cette conception ne peut guère se rapprocher que du tabou des peuplades océaniennes. 

Les historiens rapportent expressément qu'à la mort de Toulou et de Djagataï, on défendit de se servir à l'avenir de ces noms; cela explique qu'il est très rare de trouver deux princes mongols portant le même nom. Le nombre neuf était un nombre fatidique et sacré chez les Mongols comme chez les Turcs. On offrait, en effet, à un souverain neuf esclaves, neuf éléphants, etc., et l'on nommait ce groupe une chaîne (toukouz en turc, zendjir en persan). A l'avènement de Mangou, les princes lui offrirent neuf présents composés chacun de neuf pièces; les criminels graciés devaient, après s'être prosternés à la porte de la tente impériale, offrir neuf fois neuf objets.

Ils croyaient qu'après la mort, le défunt vivait dans un monde meilleur, mais où il faisait tout ce qui se fait dans celui- ci; aussi quand quelqu'un venait à mourir, on lui donnait tous les objets dont il aurait besoin dans sa vie d'au delà la tombe. Suivant Ricoldo, beaucoup de gens faisaient cuire une grande quantité de viande dans laquelle ils roulaient le mort, ils lui mettaient une partie de ses vêtements sous la tête comme un oreiller et déposaient dans le cercueil une certaine somme d'argent. L'évêque de Sultaniyé rapporte que les Mongols mettaient le cadavre dans un cercueil de papier orné d'or et d'argent avec de l'encens et de la myrrhe; on portait ce cercueil jusqu'à un bûcher où on le brûlait. Les parents faisaient ensuite une image à la ressemblance du mort, devant laquelle ils brûlaient au jour anniversaire de sa naissance des essences odorantes. Quand il s'agissait d'un grand personnage, on creusait une fosse dans l'une des parois de laquelle on pratiquait une niche où l'on plaçait le cercueil, et l'on remplissait ensuite la fosse principale de terre. 

On enterrait en même temps une jument avec son petit et un cheval mâle tout sellé et bridé; on plaçait devant la sépulture une tente avec une table garnie de vases de lait et de plats de viande. La famille tuait ensuite un cheval, et après l'avoir mangé on bourrait sa peau de paille, et on le dressait sur un chevalet de bois. Ces détails rappellent, comme on le voit, ce qu'Hérodote raconte des coutumes des Scythes nomades. Le char du défunt était brisé, sa tente brûlée, et il était défendu de prononcer son nom au moins jusqu'à la troisième génération. Il paraît même qu'on inhumait des esclaves vivantes, car les historiens musulmans racontent qu'aux funérailles d'Houlagou, on enterra toutes vives de belles jeunes filles richement parées. Rübrück rapporte que l'on faisait des pyramides ou des tours en tuiles cuites sur les tombeaux des riches; il raconte en avoir vu aux quatre coins desquelles on avait suspendu quatre peaux de cheval. Les Tatars du Coman érigeaient un tumulus sur la tombe et y plaçaient une statue tournée vers l'orient, tenant une coupe à la main.

Les grands khans et le plus grand nombre des descendants de Gengis étaient ensevelis dans l'Altaï, et quand l'on conduisait le corps du prince défunt à cette sépulture, on tuait tous les gens qui rencontraient le cortège. Marco Polo affirme expressément que plus de 20 000 personnes périrent ainsi aux funérailles de Mangou. Il était absolument interdit d'approcher des sépultures, et Plan Carpin rapporte qu'en passant en Hongrie, lui et ses compagnons faillirent entrer dans le cimetière où reposaient les Mongols tués dans ce pays, et qu'ils furent reçus à coups de flèches. Ces endroits étaient d'ailleurs soigneusement cachés. Quand quelqu'un assistait à la mort d'un adulte, il ne pouvait paraître devant le khaqan pendant un an; si c'était un enfant, durant un mois. La famille du défunt ne payait pas d'impôt durant une année.

Même avant leur conversion au bouddhisme, les Mongols croyaient à une sorte de métempsycose, car un général chinois ayant subi avec le plus grand courage les tortures que lui infligeaient les soldats d'Ogotaï, les officiers mongols s'écrièrent : 

 Illustre guerrier! Si jamais tu es rappelé à la vie, renais parmi nous...
Ils croyaient aussi qu'il était possible à quelqu'un de donner sa vie en échange de celle d'un de ses parents gravement malade. Rachid-ed-Dîn raconte qu'Ogotaï étant tombé malade au retour de l'expédition de Chine, son frère Touli s'offrit à Dieu pour le sauver et qu'il ne tarda pas à mourir tandis qu'Ogotaï revenait à la santé. Il est curieux de retrouver une croyance identique chez les Turcs Baber raconte que, son fils Mohammed Houmayoun étant mourant, il offrit à Dieu sa vie en échange de celle du jeune prince et qu'il se sentit immédiatement atteint d'une maladie mortelle. Il est certain qu'il mourut quelques jours plus tard, le 6 djoumada (1er jour de l'an 937). On peut en rapprocher le fait suivant : Ogotai se sentant très gravement malade ordonna à ses officiers de remettre en liberté un jeune loup qu'on lui avait amené quelque temps auparavant, dans l'espérance que le ciel prolongerait sa vie pour le récompenser d'avoir sauvé cet animal de la mort. (A19).

En librairie - Jean-Paul Roux, La religion des Turcs et des Mongols, Payot, 1994. - Guillaume de Rubrouck, Voyage dans l'empire mongol, Imprimerie nationale, 1997. - Laurence Delaby, Chamanes toungouses, Klincksieck (Etudes mongoles n° 7), 1978.
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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