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Un éventail est ustensile de toilette ou un bijou, un accessoire de mode. Prenant la forme d'un petit écran portatif, il sert aussi à éventer ou à s'éventer : agité autour du visage, il exerce sur l'air une certaine pression qui donne la sensation de fraîcheur. Mais ce n'est là que l'emploi d'utilité, modeste et apparent de l'éventail. Combien la grâce et l'adresse de celles qui en ont usé ont su élargir son rôle et étendre son action? « Ce qu'on en fait quand on sait jouer convenablement de cette machine d'Etat, qui pourrait le dire? s'écrie quelque part Jules Janin. On le ploie, on le déploie, on l'agite, on le renverse; ou l'abaisse, on l'élève, on s'en sert pour montrer ses mains quand on les a belles, pour cacher ses vilaines dents, pour caresser sa poitrine entrouverte; on s'en sert pour apaiser les bondissements involontaires de son coeur [...]. Il a toutes sortes de petites câlineries et de rages intimes qu'il faut savoir. Ainsi, la jalouse appuie au bord de sa lèvre frémissante un éventail furieux; la curieuse, à travers l'éventail, regarde et devine; l'ennuyée, au-dessus de l'oreille, se pique en baillant! Et puis quel truchement commode aux belles amours!... »Comment s'étonner qu'un tel bijou, ayant si prestigieux emploi, ait son origine dans les âges lointains et que, dans les annales de l'art, il tienne une place égale à celle qu'il occupe dans l'histoire de la parure. L'usage de l'éventail remonte à une haute antiquité, car on en trouve des représentations dans tous les monuments figurés, quelles que soient les civilisations et les époques. Mais il est impossible, pour ces objets figurés, de faire un départ exact entre les éventails proprement dits, les chasse-mouches ou émouchoirs, et les écrans manuels. - Eventail monté en nacre du XVIIe siècle. En général, dans toutes les civilisations orientales, l'éventail ne peut se différencier du chasse-mouches; en Europe, jusqu'au XVIIe siècle, les femmes se sont servies du même petit accessoire indifféremment pour s'éventer ou pour se garantir de l'ardeur du foyer. Souvent même, dans les pays de grand soleil, l'éventail faisait office d'ombrelle. Les grands éventails anciens sont, en général, en forme de feuille. Aujourd'hui encore, en Inde, on fait de ces éventails à longs manches, dont le disque est formé par une feuille de palmier plus ou moins façonnée et ourlée, dont la côte tient lieu de manche. II est probable que la disposition rayonnée de cette feuille de palmier a donné l'idée des éventails plissés en roue, qui ont précédé les éventails actuels à plis. Tous les éventails anciens ou chasse-mouches se ramènent, en général, à un type commun que l'on exécute, en paille tressée ou en plumes, et qui a la forme d'une feuille de lotus ou d'un coeur, ou mieux d'un as de pique dont l'échancrure inférieure loge la naissance d'un manche. Les Egyptiens, les Chinois, les Indiens et tous les peuples d'antique origine, qui eurent à se défendre de la chaleur, ont fait des éventails d'abord avec des feuilles de lotus ou de palmier, puis avec des plumes de paon, des bois de senteur, des matières précieuses. Les grands éventails en forme de panneaux mobiles suspendus aux plafonds des maisons de l'Inde, et que l'on appelle pounkas, semblent être d'invention européenne et avoir été exportés par les Portugais au XVIIe siècle et même avant, car, à ces époques, on se servait de pareils éventails, mus par des cordes et des poulies, en France, et, au XVIIIe siècle, en Espagne et en Italie, autant pour rafraîchir l'air des salles que pour chasser les mouches. Les Japonais ont aussi fabriqué de longue date des d'objets de ce genre. Les éventails de fer dont ils se sont servi n'étaient ni des armes ni des objets d'usage courant, mais bien plutôt des insignes de dignité, comme les parasols, dont les dimensions ont varié suivant le temps et la nature des offices. En Europe et en Amérique l'éventail est passé de mode depuis les premières décennies du XXe siècle, sauf en Espagne où il reste d'un usage courant. L'éventail appartient à toutes les cultures...
Les femmes grecques se servirent surtout d'éventails de plumes. A Rome, ce bijou fut un objet de grand luxe. II y avait des esclaves chargés de l'agiter doucement dans les festins derrière les convives. Tous les éventails employés en Europe, du Moyen âge au XVIe siècle, peuvent se ramener à trois types : le type en feuille ou en disque, le type en bannière ou en girouette encore si en usage dans tout l'Orient, et le type plissé en roue. Dans ce dernier, une longue feuille de parchemin ou d'étoffe, plissée régulièrement, porte à chacune de ses extrémités étroites un montant plat en bois. Quand on fait tourner cette bande en la développant comme une roue, on obtient un éventail parfaitement rond. Ce type est extraordinairement ancien. Il existe encore, dans les trésors de certaines églises, des éventails liturgiques (Flabellum), datant du VIIe siècle de notre ère. L'éventail plissé du type moderne, où la feuille, ordinairement munie d'une doublure, est collée sur des tiges minces de bois, de corne, d'ivoire, etc., réunies à leur extrémité inférieure par un pivot commun, est beaucoup moins ancien : les Chinois et les Japonais en revendiquent l'invention dès le VIIe siècle de notre ère et même avant. Au XVIe siècle, époque à laquelle ce modèle devint courant en Europe, la France et l'Italie en revendiquaient la découverte. En fait, en France, ce fut surtout Catherine de Médicis qui contribua à en répandre l'usage. L'éventail qu'elle apporta d'Italie se pliait comme les éventails de nos jours.Henri III s'en servit. Pierre de l'Etoile nous raconte qu' « on mettait, à la main droite du roy, un instrument qui s'estendoit et se replioit en y donnant. seulement un coup de doigt. II estoit d'un velin aussi délicatement découpé qu'il estoit possible, avec de la dentelle à l'entour de pareille étoffe. »La reine Marguerite, quelques années plus tard, donna à la reine Louise de Lorraine, pour ses étrennes, un éventail de nacre d'une valeur de plus de 1200 écus. A partir du règne de Henri III, l'éventail plissé, très peu différent des formes modernes, est adopté à la cour, d'où il passe à la ville et se répand dans le monde entier. Les peaux, les vélins, les papiers ou les soieries des éventails furent toujours plus ou moins ornés de découpures, de broderies, et surtout de peintures, tandis que les montures, faites souvent des matières les plus précieuses, donnaient carrière à l'art du ciseleur, du sculpteur, du tabletier, du fabricant de laques et de vernis. La mode a varié extraordinairement le volume, la forme, l'ornementation de l'éventail, sans en changer l'architecture essentielle. On en a fait dont les tiges peuvent se doubler de longueur et se diminuer en se repliant ou en rentrant les unes dans les autres, etc. Eventails exposés au Palais royal d'Aranjuez (Espagne). Images : The World factbook.- Avec le XVIIe siècle s'ouvre véritablement en France le règne de l'éventail : il devint l'emblème de la coquetterie, le roi des salons. On raconte que, lorsque Christine de Suède vint à la cour de Louis XIV, quelques grandes dames, pour faire preuve d'amabilité, lui demandèrent son avis sur la coutume de porter l'éventail en hiver comme en été. Christine, comme on sait, n'aimait pas les femmes et s'inquiétait peu des questions de mode; elle répliqua grossièrement : « Je ne crois pas; vous êtes assez éventées sans cela. »L'éventail n'en devint pas moins en faveur en toute saison. L'industrie s'en répandit et produisit des artistes extrêmement habiles. Dans cette cour brillante de Louis XIV où l'on respirait une atmosphère de galanterie, l'éventail fut aux mains déliées des duchesses une arme et un symbole. Il eut, comme les diplomates, un langage à lui, que toute femme dut apprendre pour pénétrer dans un salon. II fut un appui, une espérance, un conseil, une promesse, un refus, une menace, un pardon. II fut propre à tout, à la paix, à la guerre, à la tendresse, à l'enjouement, à la malice, à la grimace. Que de choses ne devait-il pas exprimer entre les doigts agiles d'une Mme de Sévigné, d'une duchesse de Chevreuse, d'une Ninon de Lenclos, d'une Mme de Longueville ou d'une Montespan! Sur les yeux, ce rempart fragileIl y eut aussi ce qu'on pourrait appeler des éventails comiques, tel que celui qui fait partie de la collection de Chambrun et sur lequel on voit des scènes parisiennes, la Promenade en voiture, le Café, le Théâtre de Guignol, les Equilibristes, etc. D'ailleurs, la mode était changeante comme aujourd'hui et les peintures qui ornaient les éventails s'en ressentaient. Un jour, Mme de Sévigné en envoya un à sa fille représentant la Toilette de Vénus sous les traits de Mme de Montespan. Une autre fois, elle avertit Mme de Grignan qu'un de ses amis lui en destine un nouveau dans le goût du moment : « Le chevalier de Buons, dit-elle, vous porte un éventail que j'ai trouvé fort joli : ce ne sont plus de petits Amours, il n'en est plus question; ce sont des petits ramoneurs, les plus gentils du monde. »Au surplus, les grandes dames faisaient peindre sur leurs éventails les sujets qu'elles préféraient. Ainsi Ninon de Lenclos n'aimait sur les siens que des scènes graves et bibliques, comme le Siège de Jérusalem, etc. L'éventail au Japon (XIXe s.).
Le XVIIIe siècle a la réputation d'être le grand siècle des éventails. On s'imagine volontiers que Boucher, Watteau ou Lancret en ont peint des quantités. Or, c'est là une erreur. On possède peu d'éventails authentiques de ces maîtres; ce qui est certain, c'est que cet objet de parure fit fureur à cette époque. Toute femme élégante en possédait un grand nombre de toute espèce. Il y en eut surtout un qui, pendant quelque temps, fut en grande vogue, éventail perfide, muni de miroirs et à travers lequel on pouvait regarder sans être vu. Les éventails d'Orient eurent aussi beaucoup de succès, mais ils ne parvinrent pas à détrôner ceux que les imitateurs de Gillot et les élèves de Boucher enjolivaient de sujets d'histoire ou d'idylles galantes. La marquise de Pompadour a laissé un nom à une variété d'éventails dont la monture, richement sculptée dans la nacre ou l'ivoire, était couverte de peintures délicates. Marie-Antoinette eut également la passion des éventails; elle en avait une grande quantité qu'elle distribuait aux dames d'atour. Pendant la Révolution et les années qui suivirent, on songea peu aux éventails et à leurs perfectionnements. II y en eut cependant de célèbres, comme celui de Charlotte Corday, celui de Mme Tallien, etc. On les ornait à cette époque de scènes politiques plus ou moins soigneusement peintes et faisant allusion aux événements contemporains. Le musée de la ville de Paris à l'hôtel Carnavalet en possède plusieurs de cette époque qui sont fort curieux. Ce ne fut qu'à partir de 1829, à la suite des fameux quadrilles style Louis XV dansés aux Tuileries que les charmants éventails des XVIIe et XVIIIe siècles revinrent à la mode. On se mit à les imiter et on est arrivé même à une grande habileté dans ce genre. Un certain nombre de peintres en renom en ont composé, tels que Horace Vernet (la Danse arabe), Ingres, Diaz, Célestin Nanteuil (les Saisons), Gérôme, Eugène Lami, Gavarni, Camille Roqueplan, Léon Cogniet (Allégorie), qui tous ont naturellement leur place dans de riches collections particulières. Plus près de nous encore des artistes de renom ont composé volontiers des éventails fort appréciés des amateurs. Chaplin a représenté des femmes aux carnations rosées; Detaille a peint des scènes militaires; Duez, de belles fleurs, Madeleine Lemaire, des intérieurs discrets et des scènes familières; John-Lewis Brown, des cavaliers fringants; Eugène Lambert, des chats spirituels et comiques; Maurice Leloir, Jacquet ou Worms, Mlle Abbéma, de piquantes et aimables compositions. En dehors de la France où l'industrie de l'éventail s'est épanouie avec tous les raffinements du luxe, les autres pays en ont produit en grande quantité qui sont empreints des qualités d'art et d'industrie propres à chaque pays. L'éventail sur d'anciennes affiches de comédies musicales.
Nous avons dit déjà un mot des éventails du Japon ou de la Chine qui sont des merveilles d'ingéniosité, et qui, simplement en feuilles de bambou et en plumes d'oiseau, ou fabriqués avec les matières les plus précieuses, portent le cachet d'habileté suprême des ouvriers de ces pays. En Italie, la mode de l'éventail se répandit plus tôt qu'en France. On en fit soit plissés, soit en touffe, soit en forme de drapeau. En Angleterre, l'éventail fit son apparition sous Richard Il à la fin du XIVe siècle et fit fureur sous Henri VIII et sous Elisabeth Ire qui institua cet usage qu'un éventail put être le seul cadeau qu'une reine dût accepter. On le portait alors à la ceinture suspendu par une chaîne d'or. En Espagne, les femmes rivalisèrent d'habileté avec les Françaises dans le maniement de l'éventail. On cite un peintre de ce pays, Cano de Arevalo, qui, au XVIIe siècle, fit fortune en s'adonnant exclusivement à la décoration d'objets de ce genre. A la fin du XIXe siècle, en Autriche, l'industrie de l'éventail était particulièrement en faveur.
Terminons en notant que la fabrication des belles montures d'éventails était autrefois centralisée dans diverses localités du département de l'Oise, à Méru, à Andeville, à Sainte-Geneviève, dont les habitants vivaient presque exclusivement du produit de la tabletterie appliquée à cette industrie, travaillant et vernissant la bois, préparant, guillochant ou sculptant l'or, l'ivoire ou la nacre, en un mot se chargeant de la branche, tandis qu'à Paris la composition des feuilles et des ouvrages rares étaient confiés à des artistes spéciaux, parmi lesquels il faut mentionner, pour la fin du XIXe siècle, Henneguy, Guérard, Cécile Chennevière, Marie Damas, etc. (Victor Champier / NLI). Eventails : 1. Egyptien (antique); 2 et 3 Indien; 4 Mexicain; 5 Grec (antique); 6 Chinois; 7 en éclisse (XVe s.); 8 à girouette (XVIe s.); 9 à plumes (XVe s.); 10 du XVIe s.; 11 à lames (Empire); 12 à plumes; 13 à gaine. |
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