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Histoire des arts décoratifs
Le style Louis XV
Le style Louis XV vient après le style Louis XIV. Les tentatives financières de Law ont sous la Régence amené des bouleversements de fortune et des enrichissements subits qui ont aidé à la fusion des classes. La haute bourgeoisie se constitue dans les familles parlementaires et dans les familles des traitants.

De nombreux hôtels particuliers se construisent dans Paris. Aux environs, ce ne sont que petites maisons de campagne élégantes et coquettes dont les noms mêmes indiquent quelque chose de frivole. On s'inquiète davantage du luxe des intérieurs.

Ce qui caractérise principalement l'accroissement que l'architecture a reçu sous le règne de Louis XV, dit un écrivain du temps, c'est l'art de la distribution des bâtiments.  Avant ce temps on donnait tout à l'extérieur et à la magnificence. A l'exemple des bâtiments antiques et de ceux de l'Italie que l'on prenait pour modèles, les intérieurs étaient vastes et sans aucune commodité. C'étaient des salons à double étage, de spacieuses salles de compagnie, des salles de festin immenses, des galeries à perte de vue, des escaliers d'une grandeur extraordinaire. Toutes ces pièces étaient placées sans dégagement au bout les unes des autres; on était logé uniquement pour représenter et l'on ignorait l'art de se loger commodément et pour soi. Toutes ces distributions agréables que l'on admire aujourd'hui dans les hôtels particuliers modernes, qui dégagent les appartements avec tant d'art, ces escaliers dérobés, toutes ces commodités recherchées qui rendent le service des domestiques si aisé, n'ont été inventées qu'au XVIIIe siècle; ce fut au Palais-Bourbon, bâti par Lassurance en 1722, qu'on en fit le premier essai, qui a été imité depuis en tant de manières. Ce changement dans les intérieurs fit aussi substituer à la gravité des ornements dont on les surchargeait toutes sortes de décorations de menuiserie, légères, pleines de goût, variées de mille façons diverses. On supprima les solives apparentes des planchers : on les revêtit de ces plafonds blanchis qui donnent tant de grâce et de lumière aux appartements et que l'on décore de frises et de toutes sortes d'ornements agréables; au lieu de ces tableaux et de ces énormes bas-reliefs que l'on plaçait sur les cheminées, on les a décorées de glaces qui, par leur répétition avec celles qu'on leur oppose, forment des tableaux mouvants qui grandissent et animent les appartements et leur donnent un air de gaieté et de magnificence qu'ils n'avaient pas. On a obligation à Cotte de cette nouveauté.

L'ameublement majestueux et officiel de l'époque de Louis XIV se métamorphose en une foule de petits meubles gracieux et coquets dont le dessin est, pour ainsi dire, capricieux. Les cartels, les appliques à torsions rocaillées ou végétales sont à la mode. Les formes varient à l'infini. Jamais autant de mots nouveaux, autant de nouvelles appellations de meubles, ne sont entrés dans la langue en un espace de temps si court. Les lits, les canapés sont innombrables dans leur diversité. La variété des matières se joint à la multiplicité des formes. A côté du bois doré, la marqueterie des bois diversement colorés apparaît, puis les divers vernis, imitations des laques de l'Orient.

L'art est dominé par le peintre François Boucher (1704-1770) qui, fils d'un brodeur, répand son incroyable activité jusque dans les arts décoratifs auxquels il fournit des modèles et que son influence régente. Les architectes Blondel, Germain Boffrand, Briseux, Cuvilliès père, élève de Robert de Cotte, aident au mouvement général. Le bataillon des ornemanistes compte en tête l'ami de Boucher, Juste-Aurèle Meissonnier, qui de 1724 à 1735 publie des modèles sur lesquels le siècle apprend aux artisans tous les secrets des combinaisons de rocailles. La rocaille domine aussi dans les estampes de Babel et du grand orfèvre Pierre Germain. De la Joue, en France, Habermann et Nilson à l'étranger, sont encore des apôtres du nouveau style.

Les chinoiseries sont à la mode. Le peintre Boucher dessine un grand nombre de fantaisies sous le titre de « figures chinoises »; mais nul plus que Jean Pillement ne contribue à mettre la chinoiserie à l'ordre du jour. Dans sa longue carrière (1719-1808), il reste fidèle au style Louis XV et au genre chinois. « Ornements, parasols, balançoires, fontaines, baraques », tout dans ses modèles est chinois, jusqu'à ses « fleurs idéales » et ses « fleurs baroques ». Le joaillier Gersaint, en 1740, prend pour enseigne A la pagode.

De la Chine, on imite les laques. Robert-Martin donne son nom à un vernis de son invention : il en couvre les meubles, les instruments de musique, les panneaux des chaises à porteurs et des carrosses - des choses les plus petites aux plus grandes, des tabatières jusqu'aux lambris et aux plafonds.

Les arts décoratifs et les arts manuels prennent dans les préoccupations du public une place qu'ils n'avaient jamais eue, peut-être même au temps de la Renaissance. L'Encyclopédie - qui commence à paraître en 1751 avec le sous-titre de Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et métiers - n'est pas qu'une entreprise philosophique; c'est aussi un monument élevé à la gloire de l'industrie nationale. C'est d'ailleurs le temps où l'on voit de grands seigneurs consacrer une partie de leur fortune à fonder des centres de céramique.

L'évolution des modifications du style Louis XV est caractérisée par les contours . en arbalète, le ventru, le chantourné, le rocaillé qui nous amènent peu à peu à la réaction du style Pompadour, transition entre le Louis XV et le Louis XVI. Si Gillot, Watteau, Oppenort et Cressent ont donné le branle au mouvement qui deviendra le style Louis XV, plusieurs ornemanistes, sur la fin, abandonnent ce dernier pour préparer le Louis XVI. L'influence du peintre Vien, précurseur et maître de David, est manifeste dès 1754-: il ouvre une école de peinture qui obtient la plus grande vogue. L'ornemaniste Charles Eisen a déjà la grâce naïve du Louis XVI; Hubert Gravelot et Babel se montrent infidèles à leur première manière et font du Louis XVI sur la fin de leur carrière.

Les caractéristiques du style Louis XV sont les suivantes :

L'impression produite est celle d'une grâce piquante et spirituelle mais raffinée et voulue. C'est le joli, mais non sans manière, non sans effort et contorsion. C'est l'impression de quelque chose de capricieux et de mutin avec une pointe de vice : l'art marivaude. L'époque qui applaudit au triomphe de la rocaille est celle qui applaudit Marivaux entrant à l'Académie (1743).

Les ensembles géométriques sont ennemis de la symétrie. Il est impossible de les diviser par un axe vertical médian en deux parties qui se répètent : il y a toujours enjambement d'un motif décoratif sur l'axe. C'est là la grande caractéristique qui appartient au seul style Louis XV parmi tous les styles. L'équilibre n'est pourtant pas compromis et, tout en fuyant la symétrie, le style Louis XV a pu atteindre à la beauté; car il obéit à la loi de la pondération, en ce sens que, si les deux côtés ne se répondent pas, ne se répètent pas symétriquement, leurs masses se pondèrent et se balancent. Les cartouches et les écussons sont toujours penchés et ont l'axe oblique : l'ornemaniste Meissonnier avait une prédilection et un grand bonheur dans le dessin de ces ornements. L'ensemble géométrique Louis XV affecte même dans sa silhouette et son ombre chinoise l'horreur de la ligne droite. Les profils se courbent en S. Tout serpente, ondule, rien de rectangulaire. Les contours chantournés, les formes violonnées règnent partout On évite les surfaces planes, on les bombe - et le style Louis XV reçoit en Angleterre le nom de style bombé.

Parmi les matières des meubles, le bois doré est encore la préférée. Avec les fils de Boulle la marqueterie cuivre et écaille a produit des pièces dans le nouveau style. L'application des bronzes dorés aux coins des meubles, au haut des pieds en console ou bien encore, comme dans les commodes de Caffieri, sur les panses et les panneaux, sur les laques et les vernis Martin, forme des enroulements de végétations fantaisistes. La marqueterie (de thuya, de violette, de bois de rose) est employée à la décoration des panneaux de meubles. On peint déjà le bois, et les céladons apparaissent, doux et comme mêlés de gris. La tapisserie recherche le rose, le bleu tendre et les tous vert d'eau.

L'ornementation est touffue ou plutôt très riche tout en restant ténue dans le détail. L'acanthe est si appauvrie qu'elle devient filiforme. Ce n'est plus la large et grasse feuille du style Louis XIV; on dirait bien plutôt d'une chicorée tortillée, rebroussée, déchiquetée. Les principaux personnages qui interviennent dans la décoration sont les personnages de la comédie italienne, les Chinois, les Amours badins. Dans les dessus de portes, sur les éventails et les paravents, ce ne sont qu'élégants badinages, sujets amoureux, escarpolettes à balancements indiscrets. Sur la fin, les pastorales annonceront le futur style Louis XVI. La débauche ornementale de l'apogée du Louis XV se jette dans la rocaille, les pierres trouées, les coquilles : Meissonnier tord la rocaille en forme de grandes vagues rebroussées, Pierre Germain la tuyaute, en fait des sortes de flots qui effleurent la panse des aiguières et des vases, ou lui imprime des sortes de remous d'une allure cavalière toujours élégante. Cet avènement de la rocaille et du monde sous-marin s'explique par l'importance que prennent les sciences naturelles au XVIIIe siècle. Buffon commence la publication de sa grande Histoire naturelle en 1749. La mode est aux cabinets de curiosités naturelles, « cristallisations, madrépores, coraux, coquilles » On publie de volumineux traités de conchyliologie. La vogue de la porcelaine de Saxe n'est pas sans influence sur le développement et peut-être sur la naissance de cet amour de la rocaille où l'art  allemand se lance avec plus de frénésie encore que l'art français. (Paul Rouaix).

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Dictionnaire Architecture, arts plastiques et arts divers
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