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Poétesse
et moraliste née à Venise vers 1363, morte
vers 1431, en tout cas avant 1440, Christine de Pisan ou Pizan
est issue de parents bolonais qui appartenaient à la noblesse. Elle elle
vint en France
à l'âge de cinq ans (1368) avec son père, Thomas
de Pisan, astrologue et médecin de Charles
V. L'enfance de Christine de Pisan fut heureuse. Élevée à la cour
comme une demoiselle de qualité, elle se distingua parmi ses jeunes compagnes
par un goût décidé pour l'étude : de bonne heure elle s'exerça par
plaisir à la poésie; ses ballades et ses rondeaux lui firent une assez
grande réputation; ajoutez qu'elle était jolie. D'après les portraits
en miniature que l'on a conservés d'elle dans quelques manuscrits du temps,
et surtout d'après celui qui est en tête de la Cité des dames,
elle avait le visage rond et les traits réguliers, le teint délicat et
assez d'embonpoint, et on doit la croire sur parole lorsqu'elle remercie
Dieu
« d'avoir corps sans nulle difformité et assez plaisant, et non maladif, mais bien complexionné. »De riches et nobles clercs (savants) la demandèrent eu mariage; c'est elle-même qui nous l'apprend dans un de ses ouvrages, en ajoutant avec modestie : « Cette vérité ne doit pas m'estre réputée ventence, car l'autorité de l'onneur et grant amour que le roy à mon père démonstroit est de ce cause, non mie ma valeur. »Il paraît du reste qu'en se mariant elle ne consulta point l'ambition. A l'âge de quinze ans (1378), elle épousa un jeune homme de Picardie, nommé Étienne du Castel, qui avait peu de fortune, et qui dut, à la faveur de cette alliance , une charge de notaire et de secrétaire du roi. Mais la fortune de la famille de Pisan vint à changer tout-à -coup, et cette brusque révolution dans la destinée de Christine exerça la plus grande influence sur son esprit et sur la direction de ses facultés poétiques. Après la mort de Charles V, Thomas de Pisan perdit sa place, sa pension, son crédit : il ne tarda pas à mourir de chagrin. Son gendre, Étienne du Castel, fut bientôt lui-même emporté par une maladie contagieuse (sans doute en 1389). Christine de Pisan resta veuve, sans fortune, sans appui, engagée dans de nombreux procès, ayant à sa charge non seulement deux fils - dont Jean Castel, qui lui aussi fut poète, et était peut-être le père du chroniqueur du même nom (Jean Castel) - et une fille, mais sa mère, deux frères et plusieurs parentes. Dans cette triste situation, Christine de Pisan ne perdit pas courage. Dès la mort de son père, elle avait cherché à se créer des ressources par ses talents. Le succès des poésies légères qu'elle avait composées comme en se jouant lui persuada de s'essayer à des écrits sérieux et de plus longue haleine. Mais avant de rien entreprendre, elle se remit, pendant plusieurs années, avec une ardeur admirable, à l'étude des meilleurs auteurs anciens et modernes, qu'elle lisait dans leur langue. Elle dit en un endroit : « Comme l'enfant que premier on met à l'a, b, c, d, me pris aux histoires anciennes dès le commencement du monde, les histoires des Ebrieux, des Assiriens, et des principes des signouries procédant de l'une et de l'autre, dessendant aux Romains, des François, des Bretons et autres historiographes, après aux déductions des sciences, selon ce que en l'espace de temps que y estudiai en pos comprendre : puis me pris aux livres des poètes.-»C'était ainsi que les écrivains entendaient alors les études. Ils ne séparaient pas la science des lettres; ils la considéraient comme la base la plus solide de leurs travaux; ils n'accordaient pas la toute-puissance à leur inspiration. Christine de Pisan. Christine de Pisan a été en France la
première des femmes savantes et des femmes auteures. Ses vers de début
étaient consacrés à la mémoire de son mari. Dans cette première période,
elle ne compose que des ouvrages courts, lais,
virelais, jeux à vendre, surtout des ballades et des
rondeaux,
dans le goût des poésies d'Eustache Deschamps, qu'elle appelle son maître;
une série de ses poésies est intitulée
le Livre des cent ballades,
où l'on trouve, dit un critique, de la passion, de la naïveté, de la
délicatesse, et même une certaine élégance d'expression. Les poèmes
de Christine de Pisan sont en vers de dix, de huit, de sept et même de
quatre syllabes : on ne goûtait pas alors beaucoup les vers
alexandrins.
On cite toujours la ballade où elle pleure son isolement (seulete suy) et le virelai où elle déclare ne chanter que par couverture (contenance); dans la plupart des autres poésies, il existe du reste une grande part de convention. Ce fut à la demande d'un jeune prince qu'elle fit son gracieux poème intitulé le Livre du duc des vrais amants où se trouvent insérées plusieurs lettres en prose. Vers 1399, elle s'adonne à de plus sérieuses occupations et se met à étudier l'histoire et les diverses sciences, principalement les sciences morales et politiques, puis les poètes anciens, de préférence Ovide et Lucain; quant au grec, elle l'ignora très probablement. Dans l'espace de cinq années, de 1399
à 1403, Christine de Pisan composa quinze gros volumes presque entièrement
écrits en vers. De cette époque datent, par exemple, des débats
et des dits amoureux, ainsi le dit de Poissy,
imité de Guillaume de Machaut, charmant récit du voyage qu'elle fit en
avril 1400 pour aller voir à Poissy sa fille religieuse, le dit de
la Pastoure et le dit de la rose, composition gracieuse ou Christine
de Pisan suppose la fondation d'un ordre dans lequel entrent tous ceux
qui ont fait le serment de ne jamais traiter légèrement l'honneur des
femmes (1402). Elle devient ensuite franchement moraliste et, conformément
au goût du temps, fait dans ses vers un usage constant de l'allégorie,
par exemple dans l'épître
d'Othéa à Hector, qui est un traité de l'éducation d'un prince,
imprimé dès le XVe siècle sous le titre
de Cent histoires de Troie;
une autre de ses épîtres est adressée à Eustache Morel (E. Deschamps);
elle fait aussi alors quelques poésies pieuses, puis aborde les grandes
compositions avec un but avant tout didactique
et dans un esprit encyclopédique le Chemin de long estude
(1402), poème cosmographique et moral de 6500 vers où l'influence de
Dante se fait sentir et qui renferme, avec une
description de la Terre
et du ciel.
Christine de Pisan y feint que, pendant son sommeil, elle parcourt, sous
la conduite de la sibylle
de Cumes,
les terres classiques, la région éthérée, etc. C'est une sorte
de traité des devoirs à l'usage des nobles et des rois, intéressant
pour l'histoire des idées et de l'instruction au XVe
siècle (éd. R. Püschel, Berlin et Paris, 1881, in-8); puis la Mutation
de fortune (1403), poème d'environ 6000 vers, où il est traité des
divers changements que la fortune opère dans le monde, et qui est à la
fois une satire de la société et un cours d'histoire de l'Antiquité.
Elle a donné dans ces deux poèmes des renseignements sur elle-même;
le prologue du second contient sous forme allégorique le récit de ses
propres aventures.
Mais quoique ces diverses productions fussent toujours aussi bien accueillies par la cour et les lettrés, elles suffisaient à grand-peine à la subsistance de la famille de Christine de Pisan. L'imprimerie n'était pas encore inventée et les écrivains ne pouvaient espérer retirer jamais un profit réel de leurs oeuvres. A moins de les dédier et de les offrir à des personnages riches et puissants; lorsque quelques copies s'étaient répandues parmi les amis des protecteurs, elles tombaient dans le domaine public : il en résultait que le métier de copiste était plus lucratif que celui d'auteur. La gêne de Christine de Pisan dura ainsi longtemps. Comme elle était fière, elle cachait de son mieux sa pauvreté. dans une apostrophe qu'elle fit plus tard à la philosophie, elle s'exprime en ces termes : Si te promets que à mes semblans et abis peu apparaît entre gens le faissel de mes ennuys; ains soubs mantel fourré de gris et soubs surcot d'escarlate, non pas souvent renouvelé, mais bien gardé, avoie espresses fois de grands friçons, et en beau lit et bien ordonné de males nuits; mais le repas estoit sobre comme il affiere à femme veive.Grâce à ses poésies qui plurent à la cour, elle acquit des défenseurs et compta parmi eux, avec le roi Charles VI, les ducs de Berry, de Bourgogne et de Bourbon, etc. Les ouvrages de Christine de Pisan furent successivement dédiés au duc d'Orléans, à Isabelle de Bavière, au prévôt des marchands, au duc de Guyenne et surtout au sénéchal de Hainaut. Le comte de Salisbury emmena vers 1398 son fils aîné en Angleterre où sa réputation se répandit. On rapporte que Henri IV d'Angleterre, qui l'avait vue à Paris, lui offrit de grands avantages si elle voulait se fixer à Londres; mais elle ne se laissa pas séduire, et elle préféra rester avec peu d'aisance en France. Plus jeune, elle avait de même résisté aux sollicitations qu'avait faites auprès d'elle le duc de Milan, Jean Galéas Visconti, pour l'attirer dans sa ville.
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Deux traités, la Cité des dames et le Livre des Trois Vertus ou Trésor de la Cité des Dames, qui sont de l'année 1407 environ, constituent comme un cours d'éducation à l'usage des femmes où l'on retrouve les allégories et les visions qui étaient de mode à cette époque; Boccace est ici une des sources; Christine de Pisan suppose une ville réservée aux femmes célèbres, réunies sous le gouvernement de la Vierge Marieet des saintes, et elle y donne entrée à la reine Isabeau. LaCité des dames est surtout une compilation. Mais le Livre des Trois Vertus peut être considéré comme son meilleur ouvrage en prose. il y a là quantité de détails relatifs aux moeurs et usages; les renseignements qu'on y trouve sur le luxe des femmes de marchands à Paris méritent d'être signalés; c'est le devoir des princesses, y lit-on, de s'opposer aux guerres. Cependant la situation politique en France
devenait de plus en plus grave. Christine de Pisan compose en 1410 une
Lamentation
sur les maux de la guerre civile (éd. dans Thomassy). Son Livre de
paix, de 1412-13, qui présente une certaine ressemblance avec le Livre
des faits et moeurs est un curieux ouvrage dans lequel elle a tracé
le portrait des démagogues du temps. Elle était depuis une dizaine d'années
retirée dans un couvent sis à Paris ou dans les environs, à Poissy
sans doute, quand elle imagina son Poème sur Jeanne
d'Arc, qui venait de faire sacrer le roi (1429); ce sont les derniers
vers qu'on a d'elle (éd. dans Quicherat, Procès de Jeanne d'Arc,
t. V).
Christine de Pisan présentant ses Epîtres du Débat sur le Roman de la Rose à la reine Isabelle de Bavière. (Miniature du British Museum). Ses autres productions sont secondaires, en dehors des épîtres qu'elle fit sur le Roman de la Rose de Jean de Meung, et où elle attaquait celui-ci avec l'appui de la reine et du prévôt de Paris (1401-2) : le Livre de prudence, paraphrasé de Sénèque; le Livre du corps de policie, traité de science politique, emprunté d'Aristote, de Plutarque ; le Livre des faits d'armes et de chevalerie, traité de la guerre, traduit principalement de Végèce, de Frontin, et renfermant toutefois une partie originale, un code du droit des gens dans la société féodale dont le roi d'Angleterre Henri VII fit faire une traduction sur laquelle des traductions françaises furent faites ensuite. Le Livre d'enseignements moraux, écrit peut-être pour son fils, eut un grand succès; les Proverbes moraux furent imprimés et traduits en anglais dès 1477. Son oeuvre ainsi est considérable. On lui a parfois attribué le Livre des faits du maréchal Boucicaut. D'une activité littéraire telle qu'elle produisit quinze ouvrages importants en six années, auteure de vers parfois monotones, mais souvent aussi délicats et mélodieux, Christine de Pisan a reçu beaucoup d'éloges de ses contemporains, et Martin Le Franc n'a pas craint de la comparer à Cicéron et à Caton. Ayant une intelligence très ouverte, un caractère élevé, c'est surtout comme moraliste qu'elle est remarquable; elle a fait preuve de beaucoup de bon sens et combattu les exagérations de la mode et celles de la dévotion comme aussi tous sentiments romanesques; en défendant le droit des femmes à recevoir l'instruction, elle voulait les rendre plus conscientes de leurs devoirs, à défaut de les émanciper. Douée d'une grande faculté d'assimilation, Christine de Pisan a pour principal défaut l'absence d'invention. Bien que ses ouvrages soient confus au point de vue de la composition, elle recherche la précision, et sa langue est claire, tout en étant à l'occasion pompeuse. Sa préoccupation d'imiter le latin en français lui est commune avec ses contemporains; elle a subi d'ailleurs tout naturellement l'influence des poètes et des érudits français dont elle était entourée, comme d'autre part celle des auteurs italiens. (M. Barroux).
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