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Céraunies ou Pierres de Tonnerre |
| Le mot Céraunie (ceraunium, ceraunias) vient du grec keraunos, tonnerre; c'est comme si l'on disait pierre de foudre (La Foudre et les éclairs), pierre de tonnerre, par conséquent pierre du ciel (Les météorites). Or, ce nom a été donné par les Anciens à différentes espèces de pierres. Tout d'abord, il le fut à une certaine gemme dont Pline fait cette description : « Au nombre des pierres blanches, dit-il, se trouve la pierre appelée Céraunie, qui absorbe la lumière des astres. Elle est cristalline, d'un reflet bleu, et se trouve en Carmanie. Zénothémis dit qu'elle est blanche, mais qu'elle a dans l'intérieur une étoile qui va de côté et d'autre. Selon lui, il y a des céraunies de peu d'éclat, dans lesquelles on fait naître cette étoile par une macération de quelques jours dans le nitre et le vinaigre, étoile qui s'éteint au bout de tant de mois que la macération a duré de jours. » [a]Les Anciens employaient beaucoup ce genre de manière de traiter les pierres, et prétendaient ainsi en changer la nature et leur donner des propriétés particulières. L'Histoire naturelle de Pline abonde en recettes pour produire ces effets surprenants. Ces céraunies rentraient donc dans les espèces de pierres précieuses que l'on appelait alors astrion, astérie et astroïtes. | [a]Pline, L. XXXVII, ch. 51. | |
Par Céraunies, on entendait aussi une autre espèce de pierre précieuse « très rare et recherchée par les mages pour leurs opérations, attendu qu'elles ne se trouvaient que dans les lieux frappés de la foudre. »[b]Pline (est-ce bien Pline ?) rapporte que la foudre étant un jour tombée dans un lac, on en retira, aussitôt après, huit de ces pierres merveilleuses. [c] La croyance était ou qu'elles tombaient avec la foudre, ou que la foudre tombant sur certaines roches, en changeait la nature et l'aspect; dernière hypothèse qui s'accorde avec ce que les minéralogistes appellent des fulgurites. C'est du reste la définition première que Georges Agricola donne de la Céraunie : « La Céraunie tire son nom de ce que, selon l'opinion vulgaire, elle tombe avec la foudre. Elle n'a ni stries, ni lignes, et diffère ainsi de la Brontée. Elle est lisse, tantôt ronde, tantôt oblongue. »Or, la Brontée, ou pierre de tonnerre, ressemblait, selon les Anciens, à une tête de tortue, et tombait, à ce que l'on pensait, avec la foudre [d]. Comme elle a des stries et des lignes, cette Brontée ne serait pas autre chose que ce que dans nos campagnes on appelle encore la pierre de tonnerre, c'est-à-dire la pyrite de fer radiée; ou peut-être encore, si nous nous en rapportons. une gravure du livre d'Anselme de Booth sur les pierres, une espèce de fossile du genre Spatangus. Nous nous rappelons, en effet, que le Spatangus complanatus, fort commun aux environs de Tarascon (Bouches-du-Rhône) est regardé comme un préservatif contre la foudre, pourvu que l'on ait la précaution de faire passer une de ces pierres de St-Pierre par dessus le toit de la maison que l'on habite. Pour en revenir à ces deux sens du mot Céraunie, nous trouvons dans un poème de Prudence (318-405) [e] un passage où il nous montre les guerriers germains portant sur leurs casques d'éclatantes céraunies. Dans d'autres pays, elles ornaient les statues des dieux et formaient comme des rayons autour de leur tête. Aussi, la poésie ne pouvait dédaigner un sujet qui frappait singulièrement les imaginations. Les vers suivants du poète Claudien en font foi : «... Pyrenaeisque sub antrisMarbode, évêque de Rennes, mort en 1123, chanta aussi ces pierres produites par la foudre, dans des vers latins qui sont venus jusqu'à nous. Les vers suivants seraient-ils de lui? « Cum tonat horrendum, cum fulminat igneus oether, Nubibus illoesus coelo cadit ipse lapillus; Qui caste gerit hunc, a fulmine non ferietur; Nec domus et villae quibus adfuerit lapis ille.Mais ce ne sont pas là les deux seuls sens de ce mot Céraunie. Il a, de plus, une acception des plus intéressantes au point de vue de la paléontologie. Ecoutons d'abord, à ce sujet, Pline l'ancien : « Sotacus, dit-il, distingue deux autres espèces de Céraunies, une noire et une rouge; il dit qu'elles ressemblent à des haches; que, parmi ces pierres, celles qui sont noires et rondes sont sacrées; que par leur moyen, on prend les villes et les flottes, et qu'on les nomme Bétules (ou Boetyles); mais qu'on nomme Céraunies celles qui sont longues. » (Pline, XXXVII-51). | [b] Ibid. [c] Cette histoire est-elle la même que celle où l'on dit que Galba, ayant vu la foudre tomber dans un lac des Cantabres, le fit fouiller et y trouva douze haches, signe manifeste de la souveraine puissance qui devait lui permettre de devenir empereur? [d] Pline, L. XXXVII, ch. 55. [e] Psychomachia, ou combat de l'Esprit contre les passions. [f] Laus Serenae; Eloge de l'impératrice Séréne, V. 77. | ||
Or, remarquons en passant cette expression qu'elles ressemblent à des haches; et cette autre, que celles que l'on nomme céraunies, sont longues. Rappelons aussi que l'Empereur Auguste, au rapport de Suétone, avait réuni dans son palais du mont Palatin, une collection nombreuse de silex polis et de haches de pierre, dont la plupart venaient de l'île de Capri, (Octave Auguste, ch. 72). C'est qu'en effet, ces silex et ces haches que l'on trouvait anciennement, et dont la science actuelle a déterminé l'origine et l'usage, avaient autrefois frappé les esprits du vulgaire, étaient devenus l'objet d'un culte superstitieux, par suite de l'origine céleste qu'on leur supposait et des propriétés miraculeuses qu'on leur attribuait. C'était des pierres de foudre, ou des pierres de tonnerre; c'était des céraunies. Que l'on ouvre l'ouvrage d'Anselme de Booth, à l'article céraunie, et l'on y trouvera des dessins représentant précisément cinq de ces haches de pierre. Or, il est vraiment curieux de retrouver cette croyance en France, en Irlande, dans la Scandinavie, en Allemagne, en Hongrie, en Portugal, en Italie, comme dans l'Asie Mineure, le Japon, la Chine, les Indes, à Java, dans la Birmanie, dans les îles Bahamas et jusque en qu'Afrique occidentale qui prétendent que ces haches sont les haches que Sango, le dieu du Tonnerre, lance du haut du ciel. Quant aux populations indiennes, elles les regardaient comme les traits lancés par Vischnou. En Écosse, on croyait, jusqu'à la fin du siècle dernier, que ces pierres servaient aux âmes pour frapper aux portes du purgatoire. | |||
Voilà pourquoi, chez les peuples, l'idée de la foudre et du tonnerre entrait toujours dans l'appellation de ces pierres, haches ou silex. Comme le fait remarquer le Marquis de Nadaillac, « nous trouvons les Donnerkeile en Allemagne, les Thunder Stones, en Angleterre, les Donderbeitels en Hollande, les Tordensteen au Danemark, les Tonderkile en Norvège, les Thorsviggar en Suède (Thor, chez les nations du Nord, était le Dieu du tonnerre). » [g]Chez les Celtes, il y avait les Mengurun; en Asie Mineure, les Ilderim-Tachi; au Japon, les Rai-funo-seki : et partout ces mots signifient pierres de la foudre ou du tonnerre. Au Portugal et au Brésil, ces pierres seront appelées corisco, éclair. Et bien d'autres exemples semblables. | [g] Les premiers Hommes, t. I. p. 12. | ||
On comprend dès lors certains rites religieux de l'Antiquité. Qui sait si ces céraunies que les mages recherchaient pour les cérémonies de leur culte n'étaient pas aussi des silex ? Porphyre rapporte que Pythagore, à son arrivée en Crête, se fit purifier avec des pierres de foudre par les prêtres du mont Ida. Hérodote et Diodore de Sicile nous apprennent qu'en Égypte le cadavre, avant d'être embaumé (Religion égyptienne), devait être ouvert avec un couteau en pierre; le même instrument servait aux Hébreux (Judaïsme) pour la circoncision; et c'est aussi avec des silex taillés que les prêtres de Baal et ceux de Cybèle se mutilaient en l'honneur de leur dieu et de leur déesse. Chez les Romains, la hache de pierre servait au culte de Jupiter Latialis. Certains héros du cycle ossianique, au commencement de l'ère chrétienne, plaçaient dans le creux de leur bouclier une pierre polie aiguisée et tranchante qui devait avoir été consacrée par les Druides; et ces pierres se nommaient pierres de la foudre [h]. On pourrait multiplier ces exemples. Du reste, ce culte, dans plusieurs pays, s'étendait aussi aux Bélemnites. Or, si ferme était la croyance que les silex, principalement, étaient des flèches de foudre, que, dit Anselme de Boodt [i], si quelqu'un avait voulu réfuter cette opinion du vulgaire, il aurait passé pour fou. Les savants de l'époque, les Physici, avaient même cherché à expliquer comment ces pierres, d'un poids parfois relativement considérable, avait pu se former dans les nuées. Pas n'est besoin de dire que leurs explications sont des plus obscures. Et cependant, un minéralogiste éminent, Michel Mercati, mort en 1593, avait découvert l'origine vraie de ces céraunies. Mais son ouvrage était resté manuscrit et inconnu jusqu'en 1717. Il n'hésitait pas à reconnaître que ces pierres de foudre sont celles que l'homme utilisait au delà des âges connus, à une époque caractérisée par l'absence complète des métaux; et Mercati ne s'occupait pas seulement des haches, il signalait aussi les pointes de flèche de silex. | [h] Nadaillac. - Les premiers Hommes. [i] Gemmarum et lapidum historia. - Art. Céraunie. | ||
C'est qu'en effet, ces pointes étaient de son temps et partout l'objet des mêmes croyances que les céraunies, dont elles partageaient souvent le nom. On les trouve suspendues aux colliers d'or de l'Etrurie; on en connaît de nombreux exemplaires montés en argent ou en cuivre, qui sont encore de précieux talismans en Italie et en Irlande. Un d'eux est attaché à un chapelet du XVIIe siècle, provenant de la tombe d'un moine bourguignon [j]. Si maintenant, nous passons aux propriétés merveilleuses des céraunies, nous verrons qu'en outre de celles que nous avons citées, l'évêque Marbode nous certifiera qu'avec elles on peut gagner sa cause et triompher dans les combats, affronter les flots sans crainte d'un naufrage, avoir de doux songes et un agréable sommeil... Ce n'est pas trop d'une page entière pour énumérer leurs vertus. | [j] Émile Cartailhac. La France préhistorique. | ||
Une autre chose digne d'admiration, dit Anselme de Booth, c'est que si, après avoir entouré d'un fil une hache de pierre ou un silex, de manière à ce que ce fil, sans toutefois être doublé, recouvre toute la céraunie, on la place ensuite sur des charbons ardents, ce fil ne brûlera pas, mais, tout au contraire, deviendra humide. C'est même la seule façon de savoir si la pierre est vraie ou fausse. Portées aux bras ou sur les reins, les céraunies auraient aussi une vertu merveilleuse pour guérir ou préserver de la gravelle « comme l'expérience le fait voir journellement ». Il en serait de même, chez les enfants à la mamelle, pour les préserver des hernies. Or, ce n'est pas seulement en France, que ces croyances existent encore. En Birmanie et dans le royaume d'Assam, on réduit en poudre les pierres de tonnerre comme un remède infaillible contre l'ophtalmie, et en Suède, on les place dans le lit des femmes, au moment de l'accouchement, pour faciliter leur délivrance. On comprend dès lors que des haches de pierre aient compté parmi les trésors précieux que l'on offrait aux souverains. M. de Nadaillac raconte l'histoire d'un empereur chinois, vivant au VIIIe siècle de notre ère, qui aurait reçu d'un prêtre bouddhiste des cadeaux précieux, envoyés, prétendait ce prêtre, par le souverain du Ciel. Or, parmi ces objets étaient deux haches en pierre, désignées sous le nom de Loua-Kong, pierres du dieu du tonnerre [k]. Et si nous lisons Cartailhac, nous verrons qu'en 1081, l'empereur de Byzance, Alexis Commène, entre autres présents envoyés à l'empereur d'Allemagne, Henri IV, lui offre une astropelekia, ou hache du ciel [l]. Bien plus tard, vers 1670, un pareil trésor est apporté au prince François de Lorraine, évêque de Verdun, par l'ambassadeur de France en Turquie. Et la dite hache de pierre existe encore, conservée au Musée Lorrain, à Nancy. Allez donc ensuite vous moquer des gens de la campagne qui, ignorants encore des progrès que la science a faits depuis peu dans cette matière, continuent à donner créance aux propriétés de ces pierres qu'ils trouvent dans leurs champs, et qui précisément à cause des caractères, extraordinaires pour eux qui ne savent ni l'histoire préhistorique ni la paléontologie, leur semblent surnaturelles. On comprend dès lors, enfin, pourquoi ils font tant de difficultés pour les céder à un amateur. Pour eux, en effet, c'est un amulette, c'est un préservatif contre bien des dangers; c'est un remède contre bien des maux. Leur expliquer ce que c'est en réalité, est chose difficile; et si vous leur en niez les propriétés auxquelles ils croient depuis des siècles, on s'expose à leur défiance : « Et alors, que voulez-vous en faire? » vous disent-ils. Sur ce, bien souvent, on n'a qu'à se retirer... pour en chercher et en trouver soi-même, si la chance vous favorise. | [k] De Nadaillac. Les premiers Hommes, t. I., p. 12. [l] Cartailhac. Le préhistorique en France, p. 4. |
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