|
. |
|
On peut affirmer sans exagération que parmi les traits distinguant et séparant les diverses Eglises qui prétendent au titre de chrétiennes, il n'en est pas de plus caractéristiques que leurs doctrines et leurs pratiques à l'égard du purgatoire et de l'efficacité de l'intercession des vivants en faveur des morts. Il en résulte des différences énormes pour le culte de ces Eglises, pour la source des subsides qui contribuent à leur entretien et à leur développement, et aussi pour la mentalité de leurs fidèles. De là, l'effort que nous croyons devoir faire afin d'exposer ces choses avec exactitude et précision. L'Eglise romaine. « Si quelqu'un dit qu'à tout pécheur pénitent, qui a reçu la grâce de la justification, l'offense est tellement remise et l'obligation à la peine éternelle tellement effacée et abolie, qu'il ne lui reste aucune obligation de peine temporelle à payer, soit en ce monde, soit en l'autre, dans le purgatoire, avant que l'entrée du ciel puisse lui être ouverte, qu'il soit anathème » (Sess. VI, can. 30).Cependant, comme il délibérait sous le feu des attaques des Réformateurs, et que ceux-ci avaient relevé avec véhémence les subtilités, les superstitions, les égarements de la conscience, les exactions de gain sordide auxquels la croyance au purgatoire et à l'efficacité de l'intercession pour les morts avait donné lieu, le concile recommandait, dans le même décret, de bannir des prédications publiques tout ce qui pouvait fomenter ces abus. Le Catéchisme du concile de Trente (1re part., art. 5, 5) exhorte les curés à enseigner très diligemment et très fréquemment à leurs paroissiens « qu'il est un feu du purgatoire par lequel les âmes des pieux sont tourmentées, cruciatae, pendant un temps déterminé; et subissent expiation, expiantur, afin que leur soit ouverte l'entrée de la patrie éternelle, dans laquelle rien de souillé ne peut entrer ».Pour la plupart des théologiens de l'Eglise latine, le feu du purgatoire est un feu réel, pareil à celui qui brûle les vivants : Communis sententia theologorum est verum et proprium esse ignem, ejusdem speciei cum nostro elementar. Quae sententia non est quidem de fade, quia nusquam ab Ecclesia definita est (Bellarmin, De Purgat., II, 11).Quelques théologiens ont profité de ce que la nature de ce feu n'a pas été définie par l'Eglise, pour le moderniser; ils le considèrent comme un symbole des remords de la conscience et de la purification qui est nécessaire pour entrer dans le séjour des bienheureux. Mais cette spiritualisation n'est conforme ni aux usages de l'Eglise, ni aux images qu'elle offre à la piété ou à la terreur des fidèles, ni aux conceptions du peuple. D'autre part, l'Eglise latine a fondé sur l'existence du purgatoire et l'efficacité de l'intercession pour les morts les particularités de sa doctrine sur la Communion des saints, sur L'Eglise souffrante; et elle y rattache sa distinction entre le Péché mortel et le Péché véniel. La foi en ces choses établit un lien mystérieux, avec enchaînement de bienfaits, entre ceux qui sont morts et ceux qui les aiment encore sur la terre; elle présente à la pensée et au sentiment des horizons voilés d'une poésie dolente mais consolable, et elle adresse à la dévotion et à la bienfaisance des appels puissants; mais elle stimule aussi d'autres instincts moins nobles. Si le désir et l'espérance de diminuer pour les siens, et surtout pour soi, les tourments du purgatoire, et même de les supprimer, car on le pourrait en y mettant le prix, ont déterminé des fondations d'un haut mérite, il semble incontestable qu'ils inspirent parfois, souvent peut-être, des calculs plus ou moins obscurs, plus ou moins inconscients, où le testateur, peu soucieux de pénitence en son vivant, prélève sur la part de ses héritiers le coût des oeuvres pies, des messes et des prières destinées à fournir la rançon qui le délivrera du purgatoire. Enfin, pour considérer la question sous tous ses aspects, et y voir, après ce qui concerne la théologie et la morale, ce qui regarde les finances, il convient de constater que le purgatoire constitue la plus riche valeur qui se puisse imaginer. En effet, le courant quotidien formé par l'afflux des divers mobiles que nous venons d'indiquer apporte régulièrement à l'Eglise des bénéfices qui n'ont jamais été égalés par les recettes d'aucun impôt ou d'aucun monopole d'Etat, ni par les profits d'aucune combinaison commerciale ou industrielle, ni par les produits d'aucune mine d'or ou de diamants. Tout un ensemble d'oeuvres, une imagerie et une littérature spéciales et des journaux, comme l'Echo du purgatoire, ont opéré avec zèle et succès pour produire ces résultats. Le protestantisme. « Nous tenons le purgatoire pour illusion procédée de la boutique de Satan; de laquelle sont aussi procédés les voeux monastiques, pèlerinages, abstinences de viande, confession auriculaire, indulgences » (art. XXI V).Parmi les arguments fort nombreux et véhémentement présentés par les protestants pour motiver cette réprobation, nous relèverons les trois principaux : 1°. - L'Eglise romaine abuse des audacieux procédés d'interprétation qui lui sont familiers, en prétendant trouver dans les Saintes Ecritures les indices du purgatoire et de l'intercession pour les morts. La Bible ne contient rien de pareil. Le seul texte que ses théologiens aient pu découvrir en ce sens, au temps de l'Ancienne Alliance, est une réflexion de l'auteur du IIe livre des Maccabées, composition grecque, à peu près contemporaine d'Hérode, que les juifs, de qui les chrétiens tiennent l'Ancien Testament, n'ont jamais admise parmi les écrits canoniques. Les passages du Nouveau Testament allégués par ces docteurs (S. Math., XII, 32; Act. Ap. II, 24; I Cor. III, 13; II Tim. I, 18) n'impliquent pas la moindre idée de purgatoire ni de souffrances purificatrices endurées après la mort. Ces textes impliquent si peu une idée de ce genre, que plusieurs controversistes protestants affirment irrévérencieusement qu'il est impossible de les citer de bonne foi, comme la contenant. 2°. - Non seulement les écrits du Nouveau Testament ne présentent pas la plus lointaine allusion à un lieu intermédiaire entre le séjour des élus et le séjour des réprouvés, ni à une con dition qui ne serait pas soit le bonheur parfait des justes, soit les peines éternelles des damnés; mais la description que Jésus fait du jugement suprême exclut précisément toute condition et tout lieu pareils : « Comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs, le Fils de l'homme mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Il dira à ceux qu'il aura mis à sa droite : Possédez en héritage, le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Puis il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits, et allez dans le feu éternel; et ceux-ci iront aux peines éternelles; mais les justes s'en iront à la vie éternelle » (Ev. S. Math., XXV, 31-46).Entre les péchés des hommes et la justice de Dieu, il y a la miséricorde et le pardon, dont la promesse forme le fond de la religion chrétienne. Or Jésus a enseigné aux humains à demander à Dieu de leur pardonner comme eux-mêmes doivent se pardonner mutuellement. Si Dieu ne pardonnait qu'avec réserve de punition, les humain seraient induits à mettre une réserve analogue à leurs pardons réciproques. 3°. - La croyance en l'efficacité de l'intercession des vivants, pour obtenir la remise des peines méritées par les morts, attribue à Dieu une mesure et des procédés dont l'application déshonorerait le plus vulgaire des juges sur la terre. C'est cet argument, adressé à la conscience, qui détermine chez les protestants la conviction de la plupart des fidèles, inexperts en matière de théologie et d'histoire, et qui exaspère leur aversion contre le dogme romain : « Saint Paul, disent-ils, a écrit qu'il faut que tout homme meure une fois, et qu'après vient le jugement. Or, qui dit jugement doit dire justice. Supposez en ce bas monde un juge ayant devant son tribunal deux hommes accusés et convaincus du même crime; mais dont l'un est un miséreux, sans famille, sans amis; l'autre est riche, possédant une famille dévouée, des amis nombreux, des protecteurs puissants. Le juge les condamne à la même peine, puisqu'ils sont coupables du même méfait. Néanmoins, aussitôt après, il dit au riche Comme tes parents m'ont adressé des prières et des supplications qui me flattent, et qu'ils m'offrent des présents qui me plaisent; comme tes protecteurs me pressent d'être indulgent envers toi, je te remets le quart de ta peine; s'ils redoublent leurs instances, je te remettrai un autre quart; et s'ils persévèrent, je finirai par te remettre tout le reste. Puis il dit au pauvre : Comme tu n'as ni parents, ni amis, et que personne ne s'intéresse à toi, tu resteras en prison jusqu'à la dernière minute comprise dans ma sentence. N'est-il pas vrai que si un juge faisait et disait cela sur la terre, tous les hommes lèveraient les mains au ciel pour implorer la justice divine contre son iniquité. Voilà pourtant la conduite que l'Eglise romaine prête à Dieu, lorsqu'elle le montre fléchi par l'intercession des vivants en faveur des morts qu'il a jugés ».Il est facile d'apercevoir la répercussion de ces conceptions sur la mentalité du peuple, et de comprendre combien peu les protestants sont préparés par leur religion à admettre de la part de leurs gouvernants et de leurs magistrats des procèdes qu'ils réprouvent, lorsqu'on les attribue à Dieu. Dans un ordre d'idées analogue, ils se déclarent irrespectueusement incapables de comprendre pourquoi le clergé, dont les messes sont si puissantes pour tirer les âmes du purgatoire, attend un salaire pour les dire. L'Eglise grecque. Dans les circonstances où l'Eglise grecque l'admet, l'intercession des vivants échappe à quelques-uns des reproches relatés plus haut. Il ne s'agit pas de modifier ou de supprimer les effets d'un jugement, puisque ce jugement n'a point encore été rendu; mais de prêter assistance à des âmes placées dans un état provisoire, on elles peuvent s'amender elles-mêmes, et de les aider, avant la résurrection générale, à se préparer pour le jugement définitif. Dans ces conditions, l'intercession correspond assez bien à l'assistance que les hommes se donnent pendant leur vie terrestre, parleurs prières, leurs oeuvres. L'opinion des premiers auteurs chrétiens. En attendant ce jour suprême, plusieurs docteurs placent les âmes, tant des bons que des méchants, dans des retraites souterraines, que la plupart appellent des Réceptables, et quelques-uns le Sein d'Abraham (Origène, Principes, XII); Lactance, liv. VII, ch. XXI; Hilaire, Sur le Psaume XXXVIII; Chrysostome, Homélie XXVIII, sur l'Epître aux Hébreux). D'autre part, presque tous, du IIe au Ve siècle, affirment que, aussitôt après la résurrection générale, les morts seront flamboyés et purifiés par le feu du jugement, qu'ils appellent le Baptême de feu, et qu'ils comparent à un glaive flamboyant mis à l'entrée du paradis. Ils n'en exemptent personne, pas même les Apôtres et la Vierge Marie (Ambroise, Sermon XX, sur le Psaume CXVIII ; Hilaire, sur le même Psaume; Augustin, Cité de Dieu, liv. XVI, ch. XXXII; Grégoire de Nazianze, Sermon XLII, sur le Baptême; Basile, Sur le Saint-Esprit, XV). Il est évident que le feu dont il s'agit ici diffère essentiellement de celui du purgatoire. Cependant l'histoire doit rapporter à cette doctrine ou plutôt à son altération l'origine de ce qui est devenu le dogme de l'Eglise latine. Augustin, dont les opinions ont beaucoup varié sur ces points, comme sur plusieurs autres, avait émis la supposition que l'épreuve par le feu pourrait bien avoir lieu, pour chaque fidèle, entre le moment de la mort et le jugement dernier. Cette hypothèse fut admise comme une réalité par Césaire d'Arles, et répandue ensuite dans tout l'Occident par Grégoire le Grand. La doctrine fut précisée et développée par Thomas d'Aquin, et consacrée définitivement comme dogme par le concile de Florence (1439). (E.-H. Vollet).
|
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|