| Julio Arboleda est un poète, orateur, général et homme d'Etat néo-grenadin ( = colombien), né le 9 juillet (ou juin?) 1817 à Timbiqui, dans la province de Barbacoas; mort assassiné le 12 novembre 1862 dans les défilés de Berruecos. Grandeur d'âme, caractère chevaleresque, éloquence brillante étayée d'une érudition solide, charme poétique, une vie agitée et une fin tragique : tout se réunit en Arboleda pour faire de lui le personnage le plus attachant et peut-être le plus marquant de l'Amérique méridionale au XIXe siècle. Sa famille, d'origine française, s'était fixée de bonne heure en Espagne, d'où elle passa dans l'Amérique du Sud peu de temps après la conquête et y tint une place considérable. Pendant la guerre de l'indépendance, elle paya un large tribut de sang à la cause libérale. Ses parents, D. Rafael Arboleda et Matilde Pombo y O'Donnell, fort riches et considérés, fuyant la persécution des autorités espagnoles, se réfugièrent aux mines de Timbiqui, et c'est là, au milieu des forêts sauvages qui bordent l'océan Pacifique, que naquit l'illustre poète. Tous ces souvenirs douloureux firent plus tard sur la vive imagination de Julio une impression profonde, et développèrent dans son coeur la haine de la tyrannie, quelle qu'elle soit, et un amour de la liberté poussé jusqu'au sacrifice suprême. II fit ses premières études dans sa famille : son aïeule lui apprit le français, et son grand-père, le latin, l'espagnol et la géométrie. En 1830, il fut conduit à Londres et confié à un instituteur irlandais catholique; au retour de ce voyage, son père mourut à Pise (novembre 1831), et le jeune écolier resta en Angleterre jusqu'à ce qu'il obtint le diplôme de bachelier ès arts. Ses études classiques terminées, il voyagea en France et en Italie; il retourna à la maison familiale de Popayan en 1838, puis étudia à l'université de Cauca le droit et les sciences politiques. Il entra dans la vie publique comme rédacteur en chef des journaux El Patriota d'abord, El Independiente ensuite. A cette date, la Nouvelle-Grenade, un des trois rameaux détachés de la grande république de Colombie (1830), était à la veille de graves perturbations. Le pays était divisé en deux partis politiques : l'élément civil, à la tête duquel se trouvaient d'anciens amis et collaborateurs de Bolivar, constituait le parti conservateur; avec des idées centralistes; l'élément militaire en général dirigeait le parti révolutionnaire, qui s'appelait libéral et avait des tendances fédéralistes. Arboleda fonda une société «-philologique-» ayant pour but, sous ce couvert, de défendre les idées d'ordre, de modération et de combattre le militarisme. Le général Obando, instigateur indemne de l'assassinat de l'illustre maréchal Sucre, et candidat malheureux à la présidence de la République, profita d'un mouvement populaire local dans la ville de Pasto, assez insignifiant, pour provoquer une levée de boucliers contre le gouvernement légal du docteur Marquez. Arboleda, selon l'expression d'un de ses biographes, se jeta dans la mêlée « avec l'instinct d'oiseau de tempête ». Après avoir combattu le parti révolutionnaire par la parole, par la plume et dans des poésies qui eurent un grand retentissement, il mit l'épée à la main et se signala par de hautes qualités militaires. L'ordre ayant été rétabli après une campagne de trois ans, le jeune officier, qui avait eu l'occasion de se faire aussi remarquer par une singulière habileté dans des négociations diplomatiques fort ardues, obtint un congé illimité avec le grade de colonel (1842). - Julio Arboleda Pombo (1817-1862). . Elu député en 1844, Arboleda sut dès le début captiver et dominer son auditoire, ses ennemis même, par de rares talents oratoires. Conservateur, il défendit et fit adopter bien des lois libérales, et la société de Jésus n'avait pas alors d'adversaire plus redoutable que le très catholique Arboleda, qui cependant se rétracta plus tard. Sa popularité devint immense et, malgré son jeune âge, on voulut déjà lui confier de hautes fonctions publiques, honneur qu'il déclina, préférant garder son indépendance et cultiver les lettres. Il rédigeait alors le journal El Payanés. Mais une nouvelle tourmente politique approchait. L'élection du général Lopez à la présidence de la République et les actes révolutionnaires de son gouvernement, dont les chefs se déclarèrent communistes, ravivèrent les haines assoupies. Arboleda fonda alors le journal El Misoforo (juin 1850) où il attaqua vigoureusement la tyrannie de Lopez, son ancien ami, et se prodigua dans des clubs socialistes pour y défendre les idées d'ordre. N'ayant pas réussi à le faire assassiner, ses ennemis le jetèrent en prison (1851). De sa geôle de Popayan, Arboleda lança deux poésies sublimes : Estoy en la carcel et AI congreso granadino, qui firent palpiter d'enthousiasme l'Amérique entière et valurent à son auteur le surnom de «-géant des Andes-». Mis en liberté sous caution, il émigra à Quito. La guerre civile fut bientôt déchaînée : Arboleda revint pour se mettre à la tête d'un détachement, attaqua une ville, et fut battu. Il se réfugia alors au Pérou et resta à Lima, où il dut travailler pour vivre, jusqu'en 1853; alla ensuite à New York, et profita de l'amnistie pour retourner à Bogota en 1854 siéger au Parlement. Le coup d'Etat du général Melo qui se proclama dictateur, agissant pour le compte du président Obando, provoqua une résistance générale du parti constitutionnel et jeta de nouveau Arboleda dans l'arène guerrière; sa colonne fit des prodiges de bravoure. La révolte réprimée (décembre 1854), Arboleda fut élu président du Sénat et réélu en 1855. Mais la paix intérieure n'était qu'apparente. Le parti révolutionnaire fédéraliste eut le dessus et, par la Constitution de 1858, la République unitaire de la Nouvelle-Grenade se transforma en Confédération grenadine (L'histoire de la Colombie de 1831 à 1861). Le Congrès ayant voté plusieurs lois destinées à sauver ce qui restait de centralisation, quelques Etats se révoltèrent contre le gouvernement commun. L'ex-président conservateur, le versatile Mosquera, chef de l'Etat de Cauca, se mit à la tête du mouvement (1860). Arboleda, qui, depuis 1855, s'occupait à Paris de l'éducation de ses fils, fut appelé au service de son pays. Nommé commandant en chef des troupes constitutionnelles chargées de rétablir l'ordre à Santa Marta, il n'y réussit pas, après une dure campagne, n'ayant sous ses ordres que des soldats indisciplinés. Vaincu, mais non découragé, il organisa l'année suivante une expédition contre l'Etat de Cauca. Sur ces entrefaites, il fut élu président de la Confédération, en remplacement du docteur Ospina; mais le Congrès n'ayant pas pu se réunir, son élection ne fut pas validée. Tout entier à sa tâche politique, Arboleda, avec 800 soldats, gagna sur les révolutionnaires la sanglante bataille de Los Arboles, où il fut blessé (30 juin 1861) et assiégea Popayan qui capitula (10 août). Proclamé généralissime de l'armée légale, il déploya toutes les ressources de son génie militaire. Il se transporta dans le Nord, battit le général Lopez à Vilachi (23 janvier 1862), et les généraux Payan et Alzate près de Cali (11 avril). Revenu dans le Sud, il dispersa encore un détachement du corps de Lopez à Aganche (26 mai). Mais une complication grave vint à surgir. Le gouvernement de la République de l'Equateur, qui favorisait les rebelles, profita d'un conflit d'un de ses généraux avec un des lieutenants d'Arboleda pour lui déclarer la guerre, malgré toutes les tentatives de médiation. Arboleda se porta rapidement sur le territoire de l'adversaire et fit subir aux troupes équatoriennes une défaite complète, faisant prisonnier le chef de l'Etat lui-même, le président Garcia Moreno, avec tout son état-major (31 Juillet). Il courut ensuite au secours du général Henao, mais il arriva trop tard : celui-ci se laissa infliger par un lieutenant de Masquera un désastre irrémédiable à Santa-Barbara (18 septembre). Rétrogradant sur Pasto, Arboleda, accompagné seulement de ses aides de camp, périt de la main d'un assassin soudoyé par le général Juan Lopez, en traversant les défilés de Berruecos, à un endroit appelé Arenal. Sa mort assura le triomphe des révolutionnaires. L'année suivante s'accomplit la consécration définitive du système fédéraliste et la Confédération grenadine prit le nom d'Etats-Unis de Colombie (L'histoire de la Colombie de 1861 à 1903). En dehors des pièces de poésie de peu d'étendue, ArboIeda, déjà vers 1843, avait conçu l'idée de consacrer un poème épique à la gloire de la ville de Popayan et à celle de son pays tout entier au temps de la conquête (L'histoire de la Colombie du XVIe au XVIIIe siècle). Le héros en est Gonzalo de Oyon. Tandis que son frère, Alvaro, compagnon d'armes de Gonzalo Pizarro, cherche à se tailler dans les Andes grenadines un royaume indépendant, Gonzalo de Oyon, fidèle à son roi, intervient et décide le combat en faveur du souverain légitime. Une partie de ce poème a été détruite en manuscrit dans le sac de la maison d'Arboleda en 1851. Il combla les lacunes pendant son séjour à Paris, mais malheureusement la copie de ce travail tomba entre les mains des révolutionnaires et disparut, de sorte que, sur vingt-quatre chants, il n'en reste plus que quatorze. Des fragments en ont été publiés plusieurs fois, mais l'édition la plus complète est celle donnée par M.-A. Caro, avec une notice biographique (Poesias, New York et Bogota, 1883, in-8, avec portr.). C'est le seul poème épique de la littérature néo-grenadine, et, bien que la composition en soit défectueuse, c'est assurément une oeuvre remarquable par l'élévation et l'originalité des pensées, par un style pittoresque, par la pureté de langage et l'harmonie des vers. (G. Pavlowski.). | |