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Dans l'ancienne
Rome, on désignait sous le nom d'album toutes les
surfaces blanches ou blanchies (en latin' albus
= blanc), en particulier les panneaux de muraille, sur lesquelles on écrivait
en traits rouges ou noirs, faits au pinceau, les actes publics ou les annonces
particulières. L'album n'est donc pas autre chose que l'emplacement
réservé aux affiches.
Les fouilles de Pompéi ont permis de se faire une idée exacte de l'album en mettant au jour un mur destiné à cet usage. L'extérieur du mur d'enceinte de l'édifice d'Eumachia présente sur une rue qui aboutit au Forum, la rue des Orfèvres ou la rue de la Fontaine-d'Abondance, une série de vingt-trois compartiments d'une disposition architecturale très élégante. Ils sont séparés les uns des autres par des pilastres corinthiens, et surmontés de frontons alternativement, ronds et triangulaires; toute cette décoration est en stuc. Sur les panneaux, qui sont peints en blanc, il y a de nombreuses inscriptions, tracées au pinceau, en rouge ou en noir : c'était donc bien l'album ou l'un des endroits réservés à l'affichage dans Pompéi. Ce mur a revu le jour en 1821; depuis lors, il a été fort endommagé; On connaît dans le détail la disposition de ce monument, ainsi que les inscriptions qui s'y trouvaient. Elles annonçaient des spectacles de gladiateurs, des ventes, etc. Les moins curieuses ne sont pas les réclames électorales, tracées aussi sur cet album, qui prouvent que Pompéi, au moment où elle a été engloutie, allait avoir des élections municipales; on y trouve un candidat à l'édilité recommandé par la corporation des orfèvres (aurifices); un autre, recommandé par un maître d'école « avec ses élèves », lequel a laissé parvenir à la postérité un étrange solécisme, cum discentes suos. Quand on voulait faire de nouvelles affiches, on passait une couche de blanc sur le mur-: on avait toujours, par ce moyen, de la place à volonté. On se servait de ce mode de publicité, à Athènes et à Rome, pour les programmes des jeux, des spectacles, pour certains actes de l'autorité judiciaire, pour la publication de listes de personnes, comme les listes des proscrits, pour des annonces de toute espèce faites par les particuliers. Naturellement, l'album était disposé à l'endroit le plus fréquenté et où la publicité était la plus aisée : ainsi à Rome, au Forum. Le mot album avait encore, chez les Romains, d'autres sens particuliers, dérivés du précédent. • L'album decurionum désigne la liste des décurions ou des membres du sénat municipal dans les cités provinciales le rang sur l'album déterminait l'ordre des suffrages. Cette liste était arrêtée tous les cinq ans par les quinquennales, magistrats suprêmes des municipes, analogues aux censeurs de Rome. Une inscription de l'année 22 ap. J.-C. a conservé une liste de ce genre pour la ville de Canusium en Apulie. Dans la société moderne, la chose a existé avant le nom d'album, qui a été naturalisé français assez tardivement, et ne fut pas admis dans toutes les langues sous sa forme latine. Ce qui constituait dans l'Antiquité des registres de la vie publique et de la vie privée se réduisit tout d'abord à cette dernière signification. Sur des feuillets blancs, réservés à la fin des livres de prières, on inscrivait les naissances, les mariages, les décès et autres événements de famille, et ces archives intimes, qui se transmettaient religieusement de génération en génération, fournissent souvent des renseignements précieux. Plus tard, pour obéir à ce sentiment, Michel Beuther publia à Paris, en 1554, un volume intitulé : Ephemeris historica, où la moitié de chaque page était en blanc pour recevoir les inscriptions d'éphémérides privées. Sous la première forme on possède le livre de famille de Bossuet, et sous la seconde ceux de Montaigne, d'Etienne Pasquier, etc. D'autre part, la sphère s'élargit. On eut le désir de conserver le souvenir des personnes avec lesquelles on était lié, et c'est ainsi que naquit ce qu'on appelait jadis le véritable album amicorum; ou bien, grâce au goût des autographes, qui remonte à l'Antiquité et qui ne s'est jamais éteint depuis, on eut l'idée de récolter dans des albums, ne fut-ce qu'une ligne ou deux émanant de la plume des contemporains célèbres ou distingués à n'importe quel titre. Sous ce dernier rapport, c'est en France même que l'usage des albums aurait pris naissance, Guibert de Nogent, chroniqueur du XIIe siècle, rapporte en effet qu'un de ses parents, « dès le commencement du XIe siècle, avait une habitude très élégante : toutes les fois qu'il rencontrait quelqu'un qu'il savait avoir quelque distinction dans les lettres, il exigeait de lui qu'il écrivît, à son choix, un morceau de prose ou de vers dans un petit livre qu'il portait toujours sur lui pour cet usage ». Cependant on ne connaît guère d'albums, soit de ce genre, soit de l'autre, antérieurs au XVIe siècle. Ce mot servait encore à désigner les matricules ou registres où l'on inscrivait les membres d'une confrérie, d'une communauté, d'une corporation, d'une association, d'un corps de troupes, etc., et c'est dans un contexte ecclésiastique que se sont formés les plus anciens albums connus, tels que le livre de la Confrérie de Notre-Dame du Puy d'Amiens (établie à la fin du XIVe siècle), où chaque membre était tenu de mettre sa devise et un cantique en l'honneur de la Vierge, livre dont une magnifique copie, qui avait été offerte à la mère de François Ier, est conservée à la Bibliothèque nationale. Quant aux albums d'amis, avant de devenir indépendants, ils faisaient partie intégrante d'un livre imprimé quelconque, au gré de chacun : on l'interfoliait de papier blanc, où les amis et les connaissances inscrivaient leurs armes, et ce qu'ils voulaient. Le plus ancien exemple que nous en possédions est un exemplaire sur vélin de la première édition (vers 1507) du célèbre traité de Gaston Phébus : Des Deduiz de la chasse, exemplaire qui a appartenu à un grand chasseur de la Bohème, et où nombre de rudes confrères en Saint-Hubert consignèrent avec leurs noms leurs plus beaux exploits cynégétiques. Le XVIe siècle fut l'âge d'or de ces sortes d'albums, et l'Allemagne, le pays de prédilection. Là, à l'origine, c'étaient plus particulièrement des registres généalogiques personnels, d'où le nom de Stammbuch, qui y devint le nom générique des albums. Ensuite, on y associa des autographes d'amis, avec leurs armoiries peintes; enfin, on y introduisit des maximes, des sentences, des pièces de vers, puis des portraits, des dessins de costumes, etc. Les innombrables livres d'emblèmes publiés à cette époque furent souvent interfoliés de papier blanc, qui recevait des écussons historiés, des devises, des autographes, et ils devenaient ainsi des albums d'amitié. Chaque étudiant allemand, pour ainsi dire, eut son album où s'inscrivaient ses maîtres, ses protecteurs et ses condisciples; il lui servait en même temps de livre d'enseignement moral et social, par les maximes et réflexions qu'il contenait, et de recommandation dans le monde par la qualité des signataires. Pour faciliter cette opération, un étudiant de Francfort composa et fit imprimer en 1579, chez Sigmund Feyrabend, un Stammoder Gesellenbuch, orné de belles gravures sur bois du célèbre Jost Amman, avec des écussons vidés, et des vers allemands servant de paraphrase au sujet gravé. Des feuillets blancs étaient intercalés pour les autographes, Un livre analogue, mais non plus destiné spécialement à des étudiants, parut dans la même année à Vienne, chez l'imprimeur David de Neker. Le célèbre imprimeur lyonnais, Jean de Tournes, avait déjà publié pour cet usage un Thesaurus amicorum, composé de feuillets blancs avec encadrements variés, gravés sur bois. Parmi le grand nombre d'albums allemands de cette époque, il s'en trouve de très précieux par leurs autographes, et leurs dessins. Un des plus curieux est celui de Barnabé Pomer, artiste peintre, album orné de beaux portraits d'Henri III, de Ronsard, de Jean Goujon, de la reine Elisabeth d'Angleterre, etc. Les albums français du même siècle et du suivant offrent encore plus d'intérêt au point de vue littéraire et historique. Nous citerons d'abord le livre d'heures d'Anne de Lorraine, princesse d'Orange, puis duchesse d'Arschot, livre renfermant une quantité de vers, de devises, de chiffres et de signatures autographes des personnes illustres des deux sexes, et dans ce nombre un quatrain en français de Marie Stuart. Nous avons ensuite l'album de Madeleine de Laubespine, dame de Villeroy, dans lequel Ronsard écrivit un beau sonnet, et où tous les poètes de la Pléiade consignèrent leur admiration pour la savante destinataire. Dans l'album de Mme des Loges tous les beaux esprits de l'époque témoignèrent de leurs sentiments en vers et en prose, à commencer par le grand Malherbe qui y fit un sixain en guise de frontispice. Le livre bien connu, publié sous
le titre de la Puce de Mme des Roches, n'est que la reproduction
d'un album où tant de « doctes personnages » s'escrimèrent
en vers grecs, latins
et français en l'honneur
de cette dame et de sa famille, sous un prétexte et sur un thème
bien frivoles, pendant la tenue des grands jours à Poitiers,
en 1579. La fameuse Guirlande de Julie,
offerte en 1641 à la célèbre Julie
d'Angennes, marquise de Rambouillet, par le duc de Montausier, qui
devint ensuite son époux, était aussi un album, de grand
luxe, mais non autographe, offrant vingt-neuf fleurs peintes par Robert
et autant de madrigaux écrits par le célèbre calligraphe
Jarry, et composés à la louange de cette demoiselle par les
hommes de lettres qui fréquentaient l'hôtel de Rambouillet,
madrigaux dont plusieurs sont du grand Corneille.
C'est le Dictionnaire de Trévoux qui donna le premier, en 1704, la définition du mot album, en le restreignant au livret qu'emportaient en voyage les savants pour y récolter des autographes des autres savants. L'Académie française n'admit ce mot que dans la quatrième édition (1762) de son Dictionnaire, avec la même définition, qui fut reproduite dans les éditions subséquentes, et développée seulement plus tard, quoique d'une manière incomplète. Au XVIIe siècle, l'album fut encore en vogue, mais avec un caractère beaucoup plus intime, et avec moins d'apparat. On y introduisit des romances, des airs notés, des ouvrages en cheveux, en broderie, des fleurs, etc. Si le goût s'en est graduellement affaibli en France, il s'est maintenu néanmoins dans d'autres pays. A côté de l'intérêt personnel, subjectif, l'album a de tout temps servi aussi connue moyen de rendre un hommage public à celui qu'on voulait honorer, ou bien de présenter à quelqu'un, dans les sphères des relations privées, un souvenir collectif, comme témoignage d'affection et de reconnaissance, à l'occasion d'un événement particulier. C'est ainsi que les étudiants, au moment de quitter une université, avaient l'habitude d'offrir un album de leurs autographes à un professeur illustre ou très aimé; et de même pour les adeptes d'un savant ou les admirateurs d'un écrivain. C'est la contre-partie de ce qu'on appelait XVIe siècle le Tombeau, dont la touchante coutume a disparu; l'un était l'hommage rendu au vivant, l'autre était la glorification du mort. A titre de curiosité, nous signalerons à cet égard un album offert par les juifs de Rome, au pape Clément XIII, à l'occasion de son avènement (1758); il consistait en cinquante-quatre dessins emblématiques accompagnés d'un texte hébraïque et latin. Au nombre des albums d'hommages du XIXe siècle, nous en citerons un très intéressant, et qui a une saveur exotique : c'est celui qui a été offert, en 1857, à Lamartine, par le Brésil. Il contient des milliers de signatures, à commencer par celles de l'empereur don Pedro II (avec son portrait à l'aquarelle), et de son épouse, des pièces de vers, etc. Fait sur l'initiative de la presse, il était accompagné de cette lettre d'envoi en français : « Monsieur, j'ai l'honneur de vous passer l'album que le Brésil offre; comme un simple hommage, au plus grand poète de le France. Vous y trouverez l'expression du sentiment que votre nom a éveillé dans le coeur d'un peuple jeune, mais qui sait honorer les gloires de la vieille Europe, — la mère de la civilisation américaine. La presse a le droit d'initiative dans les manifestations publiques; c'est pourquoi vous lirez ici, à la place d'un nom distingué, la signature d'un obscur journaliste. J. de Alencar, rédacteur du Diario ».Cet « obscur journaliste » n'est autre que le plus grand romancier brésilien de son temps. Avons-nous besoin d'ajouter que par la suite le mot album a été appliqué à bien des choses : à des recueils de romances illustrées destinés à des cadeaux d'étrennes, à des livres d'images pour les enfants, à des recueils de gravures sans texte ou de photographies, à des chansons ou des morceaux de musique enregistrés sur divers supports, etc. (G. Pawlowski). |
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