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La monarchie du IIIe et du IVe siècle |
Le principat, tel que l'avait institué Auguste subsista jusqu'à la grande crise du IIIe siècle, laquelle marque la fin du Haut-Empire. Lorsqu'il fallut reconstruire sur les ruines laissées par un demi-siècle de guerres étrangères, de guerres civiles et d'anarchie, il parut inutile de conserver les formes qui dissimulaient mal la monarchie absolue. C'est celle-ci que proclama sans scrupule et sans réticence Dioclétien, le fondateur du Bas-Empire, Il commença par supprimer la fiction d'après laquelle le pouvoir était délégué par le peuple à l'empereur. Il se considéra comme empereur par la volonté des dieux, non point par le choix du peuple, de l'armée et du Sénat. Il ne demanda à celui-ci nulle confirmation de son titre. Il gouverna et légiféra seul. C'est en vertu de son droit propre qu'il procéda à la réorganisation complète de l'Empire. Il ne faudrait pas, sans doute, lui attribuer l'oeuvre tout entière; elle ne fut consommée que par Constantin, et elle avait été préparée depuis longtemps. « Plus d'un empereur avant Dioclétien avait senti la nécessité de prendre un collègue, de diviser les grands gouvernements, même de partager l'Empire et d'affaiblir les prétoriens; plus d'un s'était laissé nommer seigneur ou dieu, et les monnaies de Trajan et d'Antonin le Pieux les représentent avec la couronne radiée. Les peuples ne s'indignaient ni de ces titres, ni de ces couronnes, car la religion officielle leur faisait un devoir d'adorer l'empereur vivant, et ils élevaient des temples à l'empereur mort. Un siècle et demi avant Dioclétien, Hadrien avait fait de son consilium le rouage principal de l'administration. » (V. Duruy.)Caracalla avait séparé les fonctions civiles des fonctions militaires; le repeuplement des provinces frontières par des colons germains, le recrutement de l'armée parmi les Barbares, qui seront deux causes essentielles de la ruine de l'Empire romain, ont été inaugurés avant Dioclétien; de même, il a consacré plutôt que créé la hiérarchie des titres et la nomenclature nobiliaire. La chancellerie impériale était depuis longtemps le vrai pouvoir central et le moteur de tout l'Empire. « Dioclétien n'a donc pas créé de toutes pièces un nouvel édifice politique et social; au fond il n'accomplit qu'une grande réforme administrative. Mais les apparences républicaines si soigneusement prises par Auguste, conservées par beaucoup de ses successeurs et que Rome gardait encore, tombèrent; rien ne cacha plus le maître, et rey netto, et la république autocratique d'Auguste revêtit sa forme dernière, celle d'une monarchie orientale. » (Duruy).La monarchie absolue fut affirmée en principe; le souverain règne eu vertu d'un droit divin; il est la loi vivante, supérieur à toutes les lois écrites. On doit l'appeler maître et le qualifier de saint et de sacré. Pour le saluer, on plie les genoux à la mode orientale. Il est paré du diadème comme les anciens rois perses, dont il adopte le fastueux costume surchargé de pierreries. Il s'entoure d'une cour dont l'étiquette rigoureuse marque la distance entre lui et les autres humains. Une foule d'employés, de gardes, s'interposent entre ses sujets et lui; on ne peut obtenir l'accès auprès de l'empereur que selon les règles d'un cérémonial minutieux. Il garantit ainsi sa sécurité personnelle et frappe les esprits en s'entourant d'une sorte de mystère. En même temps, Dioclétien essaye d'assurer la succession régulière par un système ingénieux qui dura peu, celui de la tétrarchie. Il répartit les affaires de l'Empire selon une division territoriale, et, pour en diviser la charge, il se donne des collègues. L'un de ceux-ci sera auguste comme lui; à chacun des augustes est adjoint un césar plus jeune, son successeur désigné. De cette manière, le pouvoir ne sera jamais vacant; sa transmission est assurée et un usurpateur, fût-il vainqueur dans un quart de l'Empire, aura toujours à lutter contre trois princes et trois armées. L'inconvénient du système, on le vit tout de suite, c'est la rivalité entra ces quatre empereurs qui se feront la guerre; de sorte qu'au lien de garantir la régularité de la succession, Dioclétien préparait un conflit permanent. Le résultat de ce partage de l'Empire sera pourtant de faire éclater les dissidences entre la moitié occidentale ou latine et la moitié orientale on grecque de l'Empire, lesquelles finiront par se séparer. Un des premiers actes de la monarchie absolue du Bas-Empire fut de faire disparaître les derniers restes de la prépotence romaine. L'Italie fut assimilée aux autres régions, partagée en provinces auxquelles on préposa des gouverneurs (consulaires ou correcteurs) et son privilège de l'exemption d'impôt foncier lui fut enlevé. Rome cessa d'être la capitale. Celle-ci fut d'abord la résidence de l'empereur; tour à tour, Sirmium, Antioche et Nicomédie du temps de Dioclétien; plus tard, Constantinople, en Orient; Milan et Ravenne, en Occident. La garde prétorienne fut réduite et Rome soumise à l'autorité d'un préfet de police. Le Sénat, qui avait partagé le gouvernement avec le prince, fut mis de côté ; il ne subsiste guère qu'à titre honorifique; on lui témoigne encore quelques égards. Des anciennes magistratures, on supprime le tribunat et l'édilité, on conserve le consulat, la préture et la questure, dignités plutôt que fonctions. Au point de vue de l'administration intérieure, l'Empire romain resta partagé en quatre groupes de provinces assemblés deux à deux dans les empires d'Occident (Gaule, Italie) et d'Orient (Illyrie, Orient). Il comprend quatre grandes préfectures : celle d'Orient, subdivisée en 5 diocèses et 46 provinces; celle d'Illyrie, subdivisée en 2 diocèses et 11 provinces; celle d'Italie, subdivisée en 4 diocèses et 30 provinces; celle de Gaule, subdivisée en 3 diocèses et 29 provinces. De plus, les petites provinces proconsulaires d'Asie et d'Afrique relevaient directement du pouvoir central, et les deux capitales, Rome et Constantinople, avaient leurs préfets, égaux hiérarchiques de ceux des grandes préfectures. La préfecture d'Orient comprenait, en outre, l'Asie, l'Egypte et la Thrace; celle d'Illyrie n'embrassait plus les provinces illyriennes proprement dites, lesquelles formaient le diocèse de Pannonie ou d'Illyrie occidentale dépendant de l'Italie, à laquelle on rattachait encore les pays alpestres et l'Afrique. La tendance au morcellement des provinces ne s'arrête pas; Auguste en avait 14, Dioclétien 96, Constantin 120. A la tête de l'Empire est le pouvoir central, la cour avec ses offices. L'entourage personnel de l'empereur, particulièrement les femmes et les prêtres, auront une grande influence dans le Bas-Empire. Celui-ci représente, à ses débuts, un compromis entre l'organisation de la monarchie orientale des cours de Suse et de Ctésiphon et les usages de l'empereur romain, chef militaire, vivant autant dans les camps qu'en sa demeure du Palatin. Bien qu'il se forme de véritables dynasties, on n'arrive pas à constituer solidement la monarchie héréditaire; la succession ne sera jamais aussi bien réglée que chez les Perses ou les Égyptiens. La conception absolutiste prévaut de plus en plus; l'Etat, c'est l'empereur. Il s'entoure d'une bureaucratie ordonnée en de grands ministères. Mais ces charges publiques se confondent avec les offices de la cour. Cinq personnages se partagent les principaux départements. Le grand chambellan, chargé du service privé de la maison de l'empereur, a sous ses ordres les quatre classes de serviteurs, les cubicularii, le comte du palais, les pages, les architectes et gens de service, le comte de la garde-robe, l'intendant des résidences impériales, les silentiaires, les médecins, les gardes du corps à pied et à cheval, protectores et domestici. Le maître des offices est à la fois un maréchal du palais et un chancelier d'Etat : il a la juridiction sur tout le personnel de la cour; il commande aux écoles militaires, aux 3500 scolares qui montent la garde au palais; une section, celle des agentes in rebus, qui comprit plus tard 240 officiers, 250 sous-officiers et 750 agents, fournit les courriers et le personnel de la police secrète. En même temps, le maître des offices a sous ses ordres la poste, les manufactures d'armes de l'Empire romain, contrôle l'administration militaire. Comme chancelier, il préside au travail législatif, à la justice, à l'administration, aux affaires étrangères, commande aux interprètes, règle les audiences des ambassadeurs étrangers. Il dispose de quatre grands bureaux (scrina) avec 150 employés scrinium memoriae, bureau qui expédie les résolutions impériales et les ordres de cabinet, les grâces, etc; scrinium epistolarum, service de chancellerie pour les affaires extérieures - scrinium libellorum, pour les affaires judiciaires; scrinium dispositionum, pour la besogne administrative. A la tête de ce dernier est un comte; à la tête de chacun des autres, un sous-secrétaire d'Etat. Le maître des offices est moins puissant que ne l'indiquerait cette énumération parce que les préfets du prétoire partagent une partie de ses attributions; de plus, la durée de ses fonctions est assez courte, et il ne peut s'adresser à l'empereur que par écrit. Le questeur du palais sacré est une sorte de ministre d'Etat; il est le seul qui communique verbalement avec l'empereur; il reçoit les requêtes et transmet les réponses; il prépare les lois ou les ordres impériaux qui seront discutés en conseil et il les contresigne. Il n'a pas de bureau, mais prend pour son service vingt-six employés du maître des offices. Le ministre des finances (comes sacrarum largitionum) est un grand personnage auquel incombe toute la direction de l'ensemble des impôts directs et indirects, la surveillance des fournitures en nature, des transports pour les approvisionnements, la surveillance fiscale du commerce, celle des mines, de la monnaie, des magasins et des manufactures publiques, celle du trésor de l'Etat. II est vrai que les autorités provinciales ont la responsabilité de la répartition et de la perception de l'impôt et que la caisse centrale ne reçoit que les excédents des caisses des préfectures du prétoire. Dans chaque diocèse, le ministre des finances a un directeur des finances, dans chaque province des employés nationales); au centre, il dispose de quinze bureaux (en Orient, treize en Occident). Le trésorier de l'empereur (comes rerum privatarum) administre la caisse privée de l'empereur, les domaines publics, palais impériaux, haras, forêts, etc., les biens confisqués ou tombés en déshérence. On doit encore mettre auprès des cinq ministres les deux chefs de la garde impériale (domestici et protectores); cette garde est formée soit de vétérans, soit de jeunes gens de bonne naissance qui y font leur apprentissage. Enfin, les maîtres de la milice (magistri militum), généraux en chef, dont nous reparlerons tout à l'heure. A côté des ministres détenteurs des grandes charges de la cour, il faut nommer le primicerius des notaires ou grand notaire; c'est lui qui tient le grand livre des fonctions et offices publics constatant et contrôlant l'avancement et la situation hiérarchique de chacun. Le conseil de l'empereur (consistorium sacrum) comprend le préfet du prétoire de la résidence, les généraux en chef présents, le maître des offices, le questeur, les deux ministres des finances, un certain nombre de comtes ou de conseillers secrets. Il arrive qu'on y adjoigne, pour des circonstances spéciales, des employés supérieurs ou des personnages de haut rang spécialement compétents. Au-dessous de l'administration centrale vient la hiérarchie de la bureaucratie provinciale. A la tête de celle-ci sont les quatre préfets du prétoire; ce sont, chacun dans sa circonscription, de véritables vice-empereurs; ils promulguent les lois impériales, édictent en certains cas en leur nom propre. Ils président à l'administration et aux finances; ils ont le droit de vie et de mort, la juridiction suprême, mais ne peuvent statuer sur les affaires de plus de 50 livres d'or. Leurs décisions ne sont pas susceptibles d'appel à l'empereur. Les sièges des quatre préfectures étaient : Constantinople pour l'Orient; Sirmium pour l'Illyrie; Milan pour l'Italie; Trèves pour la Gaule. A Rome ne réside que le vicaire du diocèse d'Italie. Dans chaque diocèse, le préfet est représenté par un vicaire (sauf dans ceux de Dacie et d'Illyrie, administrés directement par le préfet du prétoire d'Illyrie et par celui d'Italie). Le vicaire est un fonctionnaire nouveau interposé par Dioclétien entre le gouverneur de province et l'empereur que supplée au temps de Constantin le préfet du prétoire. Au-dessous des vicaires viennent les administrateurs civils : 37 consulaires, 71 présidents, 5 correcteurs; les trois proconsuls relèvent immédiatement des préfets du prétoire. Ces gouverneurs de province sont des administrateurs et des juges, soit en première instance, soit définitivement pour certaines catégories d'affaires, soit en appel des juridictions des cités. L'appel de leurs décisions est porté au vicaire ou au préfet du prétoire. Ceux-ci ont des bureaux considérables; le préfet d'Orient occupait 150 employés, le vicaire d'Egypte 50. Le préfet du prétoire a un pouvoir disciplinaire sur les vicaires et les gouverneurs qu'il peut suspendre, mais ils sont nommés par l'empereur et ils correspondent directement avec le maître des offices. A tous les degrés de la hiérarchie administrative, nous retrouvons de grands bureaux; ils sont répartis en trois sections principales : affaires judiciaires, affaires financières, expéditions. Les emplois supérieurs sont encore réservés aux chevaliers, mais on sentit bientôt qu'il était fâcheux d'exclure la noblesse sénatoriale de l'administration. D'autre part, on renonça complètement à l'emploi des esclaves ou des affranchis. La petite bourgeoisie recruta donc les carrières administratives, et il se forma une classe sociale d'employés publics. Il est très intéressant de remarquer comment l'empire romain, qui était d'abord un Etat militaire, se transforma en monarchie bureaucratique par une évolution progressive. La hiérarchie de rangs et de titres achevée par Constantin eut une importance décisive. Les consuls restent en dehors, avec le titre de gloriosus. Le patriciat est devenu une dignité que l'on confère un peu comme les grands-croix de nos ordres modernes; le titre de nobilissime est réservé aux princes du sang. Les plus hauts fonctionnaires sont dits viri illustres (les six préfets, les maîtres de la milice, les cinq ministres); puis viennent les spectabiles, qui occupent les hautes charges de la cour : notaire supérieur, sous-secrétaire d'État, proconsuls d'Asie, d'Afrique et d'Achaïe, vicaires des diocèses et généraux; les clarissimi, parmi lesquels figurent les gouverneurs de province, les sénateurs, etc.; les perfectissimi, qui répondent à peu près aux modernes chefs de bureau; on vend aussi ce titre; celui d'egregii est donné aux chevaliers, celui d'honorati à ceux qui ont reçu le titre d'une fonction sans l'exercer en fait. Un grand nombre des personnages de cette hiérarchie sont qualifiés de comtes (comites), c.-à-d. compagnons du prince, on pourrait traduire conseillers. C'est le cas pour les membres du conseil, les ministres des finances, le vicaire d'Orient, les commandants de la garde et plusieurs chefs militaires. Il va de soi que, pour chacun des degrés de la hiérarchie, on admettait des différences de grade, d'ancienneté, etc. On multiplie les décorations, les insignes extérieurs de chaque fonction; c'est dans ces images symboliques qu'on trouve une origine de notre blason. Le personnel administratif fut très favorisé dans le nouveau régime. Outre le salaire ou traitement, les employés bénéficièrent d'une série de privilèges et d'exemptions; rien de plus contraire à nos idées démocratiques. Ces privilèges, par l'extension qu'ils prirent, devinrent très nuisibles au reste de la population (Classes sociales). II se constitue une noblesse administrative à côté de la vieille noblesse sénatoriale et municipale. D'autre part, le pouvoir a conservé vis-à-vis de ses agents la méfiance de l'époque républicaine et du principat (Haut-Empire). Il redoute leur ambition et leurs intrigues. Il ne les nomme que pour un certain délai, ne les laisse en fonctions qu'un temps assez court, déplace constamment les employés inférieurs. En un mot, il repose sur la bureaucratie, mais il ne se décide pas à accepter les conséquences de son système et il en paralyse les principaux mérites. Il ne se trompait pas sur la valeur morale de ces employés qui était des plus médiocres : à tous les degrés de la hiérarchie sévissent l'intrigue, la fourberie, la violence, la corruption, les exactions. D'autant plus lourdement pèse sur le peuple cette énorme machine. Les embarras fiscaux seront une des causes de la ruine de l'Empire romain. Pour surveiller ce personnel bureaucratique et administratif, Constantin et ses successeurs cherchent à relever les assemblées provinciales. Nous avons déjà signalé la gravité de la réforme qui sépara les carrières civiles des carrières militaires. Le résultat fut de faire de l'armée un Etat dans l'Etat. A d'autres égards encore, l'armée du Bas-Empire est organisée sur un tout autre modèle que celle du Haut-Empire; les nécessités ne sont plus les mêmes. Auguste avait pu concentrer toutes les forces aux frontières; cela n'est plus possible maintenant. A la tête de l'armée sont deux généralissimes, les maîtres de la milice de la cavalerie et de l'infanterie, dont le nombre fut porté à quatre sous Constance II. Ils dirigent l'administration centrale de l'armée; l'avancement, les déplacements, la juridiction sont réglé par eux. Pour ne pas se mettre à leur discrétion, l'empe reur a laissé les chefs de troupe de la frontière sous l'au torité du maître des offices, et une fraction de l'état-major est à la nomination du questeur. Le système militaire est nouveau. Aux frontières, on a bâti des forteresses et l'on y a caserné des troupes, une milice locale (riparienses ou castriciani) qui arrête le premier choc d'une invasion et suffit contre les incursions de simples pillards. On recrute cette milice dans la population de la frontière, et on complète celle-ci par l'établissement de colons empruntés généralement aux Barbares. Cette armée plus nombreuse qu'autrefois est une lourde charge, non moins que la bureaucratie et la cour. Il a donc fallu procéder à une réorganisation financière, afin d'accroître les ressources du budget impérial. Dioclétien a réformé l'impôt foncier, assis sur un cadastre soigneusement dressé. Il a conservé tous les anciens impôts, monopoles, droits réguliers, capitation, et les a étendus à l'Italie, sans parler des corvées et des impôts indirects. Ce qu'il faut constater ici, c'est que le gouvernement coûtait très cher; que l'impôt direct sur lequel il vivait était une charge écrasante, aggravée par le mode de perception qui en rendait responsables les autorités municipales et la classe des Curiales. En Occident, au moins, celle-ci en fut écrasée. L'Empire romain succomba autant sous le déficit financier que sous la décadence de l'esprit militaire qui livra ses armées aux Barbares. (GE). |
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