L. Brunschvicg 1894 | Méthode Le trait le plus apparent de la méthode spinoziste, celui par lequel on la caractérise en général, c'est qu'elle reproduit fidèlement, jusque dans l'aspect extérieur de l'exposition, l'ordre de la déduction géométrique. Or il convient de remarquer que l'emploi de la méthode géométrique remonte à Descartes qui ne s'en est servi lui-même qu'à la suggestion de quelques savants contemporains (Secondes Objections aux Méditations). Le spinozisme existerait donc sans elle, et de fait il est tout entier dans le Court Traité. Il reste pourtant que la démonstration géométrique est particulièrement appropriée à la conception spinoziste de la vérité. La vérité est un caractère intrinsèque. de l'idée; l'idée est vraie, non parce qu'elle correspond à un objet qui lui est extérieur, mais parce qu'elle est adéquate, c.-à-d. parce qu'elle est un acte intégral de l'esprit. L'idée ne tient pas sa valeur du nombre des objets auxquels elle s'étend; la généralité, dont la scolastique faisait le signe de l'intelligibilité, est liée à la pauvreté du contenu; mais l'idée est une synthèse intellectuelle, qui se traduit par une définition; les conséquences, impliquées dans la synthèse initiale, permettent d'en tirer une série de jugements en compréhension, de poser ainsi les lois- abstraites relatives à l'essence. Toute science se constitue sur le modèle de la géométrie, grâce au progrès de l'esprit se plaçant en face de lui-même et déployant en vertu de sa seule fécondité la chaîne des vérités rationnelles. Mais la forme déductive du système ne doit pas dissimuler l'importance de l'oeuvre préparatoire, de l'ascension dialectique qui conduit aux définitions fondamentales, et sans laquelle la déduction serait arbitraire et illusoire. Pour Spinoza, cette dialectique a son point de départ dans l'expérience, qui sollicite l'attention de l'esprit et fournit à la pensée son contenu. Seulement de l'expérience vague et confuse il faut savoir s'élever à l'essence qui en est la loi, et pour cela il faut connaître la vraie méthode, qui repose, dit Spinoza, sur la distinction de l'imagination et de l'intelligence. L'imagination, c'est la liaison factice qui s'établit entre les idées, sans que l'esprit y ait une part active; les images recueillies par les sens sont isolées, détachées de leurs causes réelles, et, d'autre part, la mémoire les réveille en nous, comme au hasard, suivant les affections du corps, de sorte que nous composons des ensembles incohérents, et ajoutant à ces fictions l'idée abstraite de l'existence nous tombons dans l'erreur. Mais si l'intelligence exerce son activité synthétique sur l'idée fictive ou fausse, elle finit, en suivant aussi loin que possible les conséquences de l'erreur initiale, par rencontrer la contradiction qui la dénonce, et par y substituer l'enchaînement -rationnel des idées. C'est donc l'intelligence qui nous guérit de l'imagination la vérité n'a d'autre critérium qu'elle-même, l'humain trouve la sécurité de la certitude dans la conscience de son activité intellectuelle. Tandis que l'imagination est partielle, et qu'elle se condamne par ce qu'elle exclut, l'intelligence conduit à l'affirmation totale. Pour chaque objet, elle conçoit la notion qui enveloppe en elle toutes les propriétés différentes et explique toutes les transformations successives, l'essence éternelle. Encore les essences éternelles ne se conçoivent-elles pas les unes à part des autres, car dans l'éternel il est impossible de déterminer un ordre de priorité. La dialectique doit accomplir un nouveau progrès, relier les essences éternelles les unes aux autres, s'élever à l'unité totale qui est leur raison commune, et elle atteint ainsi la notion suprême qui est le point de départ de la science absolue et qui permet de développer la philosophie sous forme de déduction géométrique. (Léon Brunschvicg, 1894.). | |