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Baruch Spinoza
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Aperçu Les origines du spinozisme Méthode Métaphysique
Psychologie Morale Politique et religion Influence du spinozisme

L. Brunschvicg
1894 
Politique

La politique de Spinoza est réaliste elle ne suppose pas une humanité idéale pour une organisation idéale. Si tous les humains étaient capables de vivre suivant la raison, ils formeraient spontanément, par le seul jeu de leurs libertés, une association profonde et stable; mais, parce que la plupart sont soumis à la passion, une organisation politique est nécessaire, et elle a pour but de créer, par l'équilibre des passions, un État qui permette à chacun de se développer avec sécurité. Le but, c'est la paix; le moyen, c'est la puissance, et la puissance est le droit. Dans l'état de nature, chacun dispose de sa force à son gré; mais par là même tous les individus se heurtent les uns aux autres, et de là une menace constante qui les amène à se priver de leurs droits individuels pour les transférer à l'État qui leur garantit la paix et qui crée l'ordre social. Par sa puissance l'État impose à tous l'obéissance, et son droit subsiste tant que subsiste l'autorité de ses récompenses et de ses châtiments.

La seule morale pour l'État, c'est de subsister; c'est de ce point de vue que Spinoza étudie les différentes formes de gouvernement, conservateur en principe, puisque l'État a pour fonction de préserver de la guerre civile ou étrangère et que le meilleur régime est pour chaque peuple, celui qui a le plus de chances de durer sans crise et sans catastrophe, manifestant néanmoins ses préférences de rationaliste pour la démocratie. Or, pour obéir au devoir de se conserver lui-même, I'État doit respecter les limites de sa puissance; il a toute juridiction sur les actes extérieurs; mais il s'arrête au seuil de la pensée, car il ne peut empêcher l'humain d'avoir un esprit, de concevoir la vérité et d'y adhérer. Toute tentative d'empiéter sur le domaine de la pensée libre va contre la fin de l'État qui est d'assurer à tous le développement le plus complet de l'humanité. Aussi la confusion du pouvoir civil et du pouvoir ecclésiastique doit-elle être proscrite absolument, comme dangereuse pour l'État dont la sécurité est ébranlée par les guerres d'opinion, et pour la religion qui relève de la conscience individuelle et qui ne peut avoir rien de commun avec les pratiques extérieures ou une loi politique. Spinoza n'accepte les principes politiques de Hobbes que pour en tirer, suivant une déduction plus rigoureuse, des conclusions tout opposées; le despotisme est lié au matérialisme; mais si l'humain ne se réduit pas à un ensemble de fonctions organiques, s'il y a en lui une raison autonome, il suffit de définir avec exactitude le fondement et la limite du droit naturel et du pouvoir social pour comprendre la nécessité du libéralisme.

Religion

La religion est positive comme sa politique; elle comprend toutes les formes de religion que l'humain a connues, et elle les justifie par une interprétation exempte de préjugés, en les mettant chacune à son véritable rang. Tout d'abord, pour la plupart des humains, la religion a sa source dans la révélation, et la révélation est consignée dans les livres saints; il s'agit de les lire avec la même liberté et la même intégrité d'esprit que s'il s'agissait des épopées ou des tragédies de l'Antiquité, et pour faciliter cette étude, Spinoza travaillait à une grammaire de l'hébreu et à une traduction hollandaise de la Bible. Il ne doutait pas que les esprits sincères n'aboutissent à la même conclusion que lui : l'Ancien Testament, écrit dans la langue de l'imagination, s'adresse à l'imagination. Il y est parlé de Dieu comme d'un humain dont on verrait le corps ou dont un redouterait la colère, et pour justifier l'autorité des prophéties, il y est fait appel, non à des démonstrations rationnelles, mais à des signes extérieurs, aux miracles qui seraient, s'ils étaient authentiques; des échecs à la nécessité des lois naturelles, c.-à-d. à l'unité de Dieu. Par l'imagination, l'Écriture agit sur les passions des humains, elle les détourne de l'égoïsme et de l'envie par la crainte de Dieu, et elle leur commande la justice et la charité; c'est par là qu'elle fait oeuvre religieuse et qu'elle est sacrée. Elle donne une certitude morale - le mot est de Spinoza même - qui peut devenir le substitut pratique de la conviction rationnelle et qui est pour la foule des ignorants l'unique voie du salut. Seulement l'Ancien Testament ne satisfait pas la raison; il ne démontre aucun des attributs de Dieu, il ne tranche aucune question d'ordre spéculatif. La révélation historique, qui est pour un peuple et pour un temps, est subordonnée à la raison qui est la révélation permanente et profonde de l'essence divine. C'est là ce que nous enseigne le Nouveau Testament : la loi n'y est plus le commandement d'un roi à ses sujets, elle est la vérité universelle. Moïse avait connu Dieu face à face; mais le Christ l'a connu esprit à esprit. Le Christ n'est pas un prophète qui fait imaginer Dieu; c'est l'esprit même de Dieu, et la parole de vérité qui s'exprimait par lui revit dans toute raison humaine qui s'élève à l'infinité et à l'unité de Dieu : 

« Nous connaissons, aimait à répéter Spinoza, que nous demeurons en Dieu et que Dieu demeure en nous, par ce qu'il nous a donné de son esprit ». 
Le christianisme de Spinoza devait être contesté au nom des préjugés traditionnels que sa doctrine s'efforçait d'exclure, et lui-même a laissé voir son éloignement pour les différentes églises, ou il ne retrouvait ni désintéressement moral ni pureté spirituelle et qui lui paraissaient avoir renié le Christ; mais il est vrai, comme le manifeste la préface mise à ses Oeuvres posthumes, qu'il se rattachait, par Jarigh Jellis, à un groupe de protestants, les Mennonites, et il a, en plus d'un endroit de ses écrits, témoigné de son amour pour le Christ qui lui avait donné l'exemple de briser le cadre du judaïsme; de rejeter tout culte matériel et particulier, pour vivre la vie divine en esprit et en vérité.

Nous avons déjà décrit cette vie divine, telle que Spinoza la célèbre dans la cinquième partie de l'Éthique. L'humain n'est qu'un mode fini, perdu en apparence dans l'infini de Dieu; mais, puisque son être a sa racine en Dieu, il lui est possible d'exprimer adéquatement par le développement de son essence propre l'essence divine. Quelle que soit la cause particulière de nos idées ou de nos actions, quel que soit le tissu d'événements où notre existence individuelle est engagée, partout se retrouvent un seul être, une seule loi; de tous les points de l'univers, de tous les moments du temps se forme en nous l'idée de Dieu; elle remplit notre âme, et la forme sur son modèle, comme une unité totale. En elle, nous nous sentons vivre de la vie éternelle, et nous sommes détachés de ce que nous étions dans le temps. Nous ne pouvons à la fois concevoir l'essence de Dieu, et faire retour sur notre individualité, comme si elle était distincte de Dieu. Nous ne pouvons renoncer à notre ascension perpétuelle vers Dieu, pour nous interroger sur les sentiments de Dieu à notre égard. Toute cause d'inquiétude, de tristesse, est bannie. L'idée de Dieu est devenue l'amour intellectuel de Dieu. L'identité peut même aller plus loin; ce n'est plus nous qui aimons Dieu, c'est Dieu qui s'aime en nous d'un amour éternel; le développement infini de l'être, qui se présente pour la déduction métaphysique comme une nécessité d'ordre géométrique, est devenu, dans la conscience du sage, une source perpétuelle de joie et de béatitude; nous devenons, à la lettre, la gloire de Dieu. La doctrine religieuse de Spinoza est le mysticisme, mais exempt de toute pratique matérialiste, le quiétisme, mais sans les allures de roman sentimental qu'on lui a données souvent. (Léon Brunschvicg, 1894.).
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