| Himilcon est un navigateur carthaginois qui conduisit une expédition dans l'Océan septentrional : il y explora les îles Britanniques et Oestrymnides ou Cassitérides (Scilly?). Entre tous les personnages du même nom, qui fleurirent à presque toutes les époques de la république de Carthage, ce qui distingue celui-ci c'est le voyage qu'il entreprit dans l'Océan septentrional, avant qu'aucun navigateur connu eût indiqué la route, ou seulement révélé l'existence. Cependant nous n'avons que peu de lumières sur un voyage qui dut être si remarquable dans son temps, et dont les résultats devaient être si importants pour l'avenir. Pline (Histoire naturelle, Lib. II, c. 67) se borne à dire que l'expédition d'Himilcon fut contemporaine de celle d'Hannon, et produite par les mêmes motifs, quoique conduite dans une direction différente. Les seules notions, un peu précises, mais encore bien défectueuses, que l'Antiquité nous ait transmises à ce sujet , sont entièrement dues à Rufus Festus Avienus, qui, dans son Ora maritima (apud Geograph. Graec. minor. , tom. IV , édit. Hudson ), poème latin très incomplet lui-même, a recueilli quelques fragments du Périple original d'Himilcon. Ces fragments sont tellement obscurs et incohérents, que la plupart des géographes , ou n'y ont fait que peu d'attention, ou même ont absolument négligé d'en parler. Voici, en substance, ce qu'on trouve dans la relation abrégée du poète latin; et c'est à cela seulement que doivent se réduire les découvertes du navigateur carthaginois : « Au-delà des colonnes d'Hercule, s'élève un promontoire qu'on appelait jadis Oestrymnis. Toute la masse de ce grand promontoire se prolonge vers le midi. A ses pieds, s'ouvre un golfe que les nomment OEstrymnicus. Dans ce golfe, on voit les îles OEstrymnides, qui s'étendent au loin, et qui abondent en étain et en plomb. Les peuples de ces îles sont courageux, altiers, industrieux et fort adonnés aux soins du commerce ils franchissent, dans des barques, les abîmes de l'Océan et le détroit qui les sépare des autres terres. Ils ne construisent pas leurs bateaux avec le pin , l'érable ou le sapin, mais avec des peaux qu'ils cousent ensemble. Au moyen de ces barques, ils parcourent souvent de grands espaces de mer, et se rendent en deux jours dans l'île Sacrée : c'est le nom que donnaient les anciens à l'île habitée par la grande nation des Hiberni. Cette île est voisine de celle des Albioni. Les Tartessiens avaient coutume de venir négocier sur les côtes du pays des OEstrymni; les Carthaginois y venaient aussi, en passant les colonnes d'Hercule. Himilcon rapporte qu'il a employé près de quatre mois pour arriver à ces îles, parce que, dans ces parages, les vents n'ont pas de force, et que la mer y est presque immobile. Il ajoute que, dans beaucoup d'endroits, elle est peu pro-fonde, et remplie d'herbes dans lesquelles la poupe du vaisseau s'engage et s'arrête. » Voilà la première notion que nous ayons sur les îles de l'Océan septentrional; et l'on s'aperçoit aisément, d'après l'embarras et l'obscurité qui règnent dans cette description, qu'Aviénus n'avait pu se faire une idée nette et précise de la forme, de l'étendue, de l'éloignement des îles et du rivage dont il parlait : c'est que, suivant la judicieuse observation du savant géographe dont on a repris la traduction, Gosselin (Recherches sur la géographie des Anciens, tome IV), les Carthaginois n'avaient probablement pas permis qu'Himilcon traçât la route des îles OEstrymnides, avec assez de clarté pour qu'elle pût être retrouvée et suivie parles autres nations. Aussi, les connaissances qu'Himilcon avait acquises, réservées pour les seuls Carthaginois, demeurèrent-elles étrangères aux Grecs, qui, appliquant seulement à ces îles un nom propre à désigner, dans leur langue, l'étain, qui en était la principale production, en ignorèrent toujours la situation et la route : on le voit par l'avoeu que fait Hérodote ( lib. III, C. 115 ) de l'inutilité des recherches qu'il avait faites à cet égard. Plus tard, les Romains eux-mêmes partagèrent cette ignorance, longtemps encore après que la destruction de Carthage les eut mis en possession des titres et des archives de cette cité rivale. Ce ne fut que vers le temps de l'expédition de Jules César dans la Gaule, que les Romains, parvenus jusqu'aux rivages septentrionaux de cette contrée, apprirent enfin l'emplacement des OEstrymnides ou Cassitérides; et cette découverte, quoique connue de Strabon, était si peu répandue à Rome, dans le siècle de Pline, que cet auteur reléguait encore les Cassitérides au rang des îles fabuleuses de l'océan Atlantique : tant avaient été ingénieuses les précautions des Carthaginois pour se réserver le commerce de ces îles! Quoi qu'il en soit, on convient généralement aujourd'hui, que les Oestrymnides d'Himilcon, les Cassitérides des Grecs et des Romains, sont les îles Scilly. Ce ne peut être que par méprise que des écrivains fort savants, tels que Huet (Histoire du commerce), et le président de Brosses (Oeuvres de Salluste, tom. 1), ont appliqué le nom de Cassitérides au groupe entier des îles Britanniques. Les anciens, et même Himilcon, le premier de tous, ont su constamment distinguer les Cassitérides, de l'île d'Albion et de l'île d'Hibernie, l'Angleterre et l'Irlande de nos jours. Il y a encore d'autres erreurs que nous nous permettrons de relever ici, dans l'endroit où de Brosses parle du voyage d'Himilcon, Il l'appelle Ham-Melech, en langue punique; et l'on peut ne voir, dans ce nom ainsi restitué, qu'une supposition assez hasardée. Mais en voici une autre d'un genre plus grave. Cet auteur ne fait nulle difficulté d'avancer qu'Himilcon est probablement le même qu'un navigateur nommé mal-à-propos par Pline, Médiocrite ou Médacrit, au lieu de Mélech-Carth, chef ou roi de Carthage. Si cette identité était aussi réelle que l'assure de Brosses, il serait étrange qu'elle, eût échappé à Pline, qui , dans le seul passage où il parle d'Himilcon, n'indique rien qui y ait rapport. Mais, en admettant cette identité, qui ne nous paraît nullement prouvée , il resterait encore à démontrer, l'existence de ce Médiocrite, person nage absolument inconnu d'ailleurs, et dont nous avons vainement cherché le nom dans l'ouvrage entier de Pline. Il est donc, probable que de Brosses a fait ici quelque confusion , ou que, dans la citation de Pline , il aura été mal servi par sa mémoire. Quant à la date de l'expédition d'Himilcon, elle résulte nécessairement du témoignage de cet historien latin, qui la fait, ainsi que nous l'avons dit, contemporaine de celle d'Hannon et , comme nous n'avons rien à ajouter aux documents que nous avons présentés sur cette double question à l'article d'Hannon, nous renvoyons nos lecteurs à cet article. (R.-R.). | |