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Gambetta : de 1838 à 1877

Aperçu De 1838 à 1877 De 1877 à 1882
Sous l'Empire.
Le  père de Léon Gambetta, originaire de Gênes, était épicier. Sa mère, Orasie Massabie, descendait d'une vieille famille bourgeoise du Quercy. Il était par excellence un fils de ces nouvelles couches sociales dont il devait proclamer et diriger l'avènement avec tant d'éclat. Après avoir fait de brillantes études d'abord au petit séminaire de Montfaucon, puis au lycée de sa ville natale, Léon Gambetta vint à Paris pour suivre les cours de l'Ecole de droit et se livrer, selon le désir de sa mère, qui lui avait appris à lire dans les oeuvres d'Armand Carol, à sa passion déjà dominante pour la politique. Inscrit au barreau en 1860, il débuta bientôt avec succès, et continua à développer par d'immenses lectures une instruction qu'il sentait incomplète. Dans les cafés, à la conférence Molé dont il fut deux fois président, à la conférence du stage dont il fut le troisième secrétaire, Gambetta ne faisait guère qu'ou vrir une écluse aux pensées qui s'agitaient dans son ardent cerveau. Peu d'hommes sont entrés mieux armés que lui dans la vie publique; il n'a réellement paru sur la scène qu'après avoir parachevé une éducation littéraire, historique, économique, politique et militaire qui faisait, dès 1865, l'admiration des vieux hommes d'Etat. Il suivait avec assiduité les séances du Corps législatif, dont il rendit compte pendant quelques temps dans l'Europe. Cherchant à connaître et à comprendre les hommes importants de tous les partis, voulant toujours voir et savoir par lui-même, méditant profondément sur les causes qui avaient fait échouer la tentative républicaine de 1848, il s'appliqua à dégager des nuages une conception claire et pratique de la démocratie.

Aux élections générales de 1863, Gambetta soutint avec énergie, dans le VIe arrondissement de Paris, la candidature simplement libérale de Prévost-Paradol. Cette campagne n'a pas été moins caractéristique de son tempérament d'homme d'Etat et de sa ligne générale de conduite que ne le fut, quelques années plus tard, sa foudroyante intervention dans l'affaire Baudin (novembre 1868); il y plaida pour Delescluze, rédacteur en chef du Réveil, poursuivi en police correctionnelle pour avoir ouvert une souscription en vue d'élever un monument à l'héroïque représentant tué sur les barricades de décembre. Jamais plus terrible réquisitoire contre l'Empire n'avait été prononcé dans un plus magnifique langage. Jamais encore le régime de Décembre n'avait été dénoncé avec plus de colère à la haine de tous les amis du droit et de la justice. Le jeune avocat passa d'emblée au premier rang des républicains qui étaient l'espoir du pays. Berryer étant mort, les électeurs de Marseille offrirent sa succession à Gambetta. Le gouvernement impérial s'effraya et il fut décidé qu'à la veille des élections générales toutes les élections partielles seraient ajournées.

Ce ne fût pour Gambetta qu'un très court retard. Deux circonscriptions, la première du département de la Seine et la première des Bouches-du-Rhône, l'envoyèrent au Corps législatif le 23 mai et le 6 juin 1869. Il fut élu à Marseille contre Thiers, Ferdinand de Lesseps et Barthélemy, et à Paris contre Carnot comme candidat réconciliable avec l'Empire. Gambetta devint rapidement l'un des chefs de la minorité républicaine du Corps législatif. 

« Le principe directeur de mes opinions et de mes actes politiques, avait-il dit dans sa profession de foi aux électeurs de Belleville, c'est la souveraineté du peuple organisée d'une manière intégrale et complète; démocrate radical, dévoué avec passion aux principes de liberté et de fraternité, j'aurai pour méthode politique, dans toutes les discussions, de relever et d'établir, en face de la démocratie césarienne, la doctrine, les droits, les griefs et aussi les incompatibilités de la démocratie loyale. »
Il tint parole. Le 5 avril, devant le ministère accablé, et au milieu de l'admiration générale de l'Assemblée pour le génie de politique et d'orateur qui éclatait devant elle, Gambetta proclama sans ambages la République contre l'Empire.

La défense nationale.
Le 15 juillet, le gouvernement impérial déclarait la guerre à la Prusse. Le plaidoyer pour Delescluse avait révélé dans Gambetta l'orateur de premier ordre; le discours du 5 avril contre le plébiscite avait montré dans le jeune tribun l'homme d'Etat le plus puissant de son parti; il apparut, à partir de l'ouverture des hostilités contre l'Allemagne, comme le plus ardent patriote de son pays. Après avoir joint ses efforts à ceux de Thiers pour obtenir du ministère une preuve que la France avait été réellement insultée par le roi de Prusse dans la personne de son ambassadeur, que cette guerre était vraiment une guerre nationale et non une guerre dynastique, Gambetta se sépara avec éclat de ceux de ses collègues qui refusèrent de voter les demandes de subsides. 
« Quand la guerre sera déclarée, avait-il dit, nous ne verrons devant nous qu'une seule chose : le drapeau de la patrie. »
En effet il ne vit plus autre chose.

Après les désastres de Woerth et de Spickeren, il fut le premier à signer avec Jules Favre la demande d'un comité de gouvernement élu par le Corps législatif « pour repousser l'invasion étrangère » et le plus énergique à répudier les avances des démagogues qui ne cherchaient dans les malheurs de l'armée qu'une occasion de trouble et d'insurrection. Il flétrit l'échauffourée de La Villette. Le ministre de la guerre n'eut pas d'avocat, de collaborateur plus dévoué pour les mesures relatives à l'organisation de la défense et à l'expulsion de l'étranger.

Il montait presque chaque jour à la tribune du Corps législatif pour y prononcer des paroles dont la sagesse et le patriotisme allaient droit au coeur de la France. Le 10 août, il réclama l'armement immédiat de la garde nationale; le 12, l'armement immédiat de Paris; le 13, la discussion et l'adoption de la proposition de Jules Favre. Puis ce fut lui qui annonça au Corps législatif l'entrée des Prussiens à Nancy (14 août); il demanda la permanence de l'Assemblée (15), réclama l'application énergique de la loi sur les étrangers (17), insista avec énergie pour le projet de loi relatif à l'activité des militaires de tous grades et la proposition des gauches de mettre le recrutement et l'armement de la garde nationale de Paris dans les attributions du général Trochu (27 et 29).

Dans la nuit du 2 au 3 septembre, le ministère reçut la première dépêche de la capitulation de Sedan; la nouvelle se répandit le lendemain dans Paris. Le patriotisme de Gambetta grandit avec le désastre. Comprenant quelle serait, en face de l'invasion triomphante, la faiblesse originelle d'un gouvernement issu d'une insurrection, il aurait voulu que le Corps législatif eût le courage de proclamer lui même la vacance du pouvoir et de nommer, en dehors de toute préoccupation de parti, un gouvernement de défense nationale. Thiers et Jules Favre eurent le même sentiment, mais les efforts de ces citoyens furent inutiles. Le Corps législatif ne sut pas se décider à temps. Le général de Palikao s'obstina à poursuivre une lieutenance chimérique de l'Empire, et cependant tout le peuple de Paris se mit en mouvement. Il n'y eut pas, à proprement parler, de révolution. Le Corps législatif fut envahi malgré les efforts de Gambetta, et l'Empire disparut. Lorsqu'il fut bien avéré que la majorité du Corps législatif ne déciderait rien, Gambetta s'élança à la tribune : 

« Citoyens, attendu que la patrie est en danger; attendu que tout le temps nécessaire a été donné à la représentation nationale pour prononcer la déchéance; attendu que nous sommes et que nous continuons le pouvoir régulier issu du suffrage universel libre, nous déclarons que Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé de régner sur la France. » 
La foule réclame la République. 
« Oui, Vive la République! réplique Gambetta. Citoyens, allons la proclamer à l'Hôtel de Ville. » 
Et il partit au milieu d'un escorte enthousiaste de gardes nationaux. A l'Hôtel de Ville, ce fut lui qui proclama la République. Les députés de Paris se constituèrent en gouvernement de la Défense nationale sous la présidence du général Trochu, et le ministère de l'intérieur fut confié à Gambetta.

Il est impossible de résumer dans le cadre étroit de cet article le rôle de Gambetta dans la Défense nationale. Il tira la France de sa prostration, l'électrisa par l'éloquence enflammée de ses discours, la remplit pour quelques semaines de son enthousiasme; il en fit une nation armée qui disputa pied à pied le sol du territoire contre les plus fortes troupes du monde. L'Europe fut émerveillée, et les militaires allemands, le général de Moltke le premier, rendirent à Gambetta le plus éclatant hommage. Ministre de l'intérieur, il avait réprimé toutes les tentatives factieuses, domptant la Commune dans Lyon par son intervention hardie aux funérailles du commandant Arnaud, brisant la ligue du Midi par la vigueur d'une prompte répression, arrêtant les dissidences monarchistes par la dissolution des conseils généraux. Ministre de la guerre, il fit de la France un immense camp retranché et lança coup sur coup, au secours de Paris, quatre armées. Quand il avait débarqué au milieu de la forêt d'Epineuse, près de Montdidier, la France manquait de tout. Un mois après, elle était debout et les Allemands vaincus évacuaient Orléans. Il avait débuté à Tours par une proclamation où il signalait aux citoyens des départements le double devoir d'écarter tout autre souci que celui de la guerre à outrance et d'accepter fraternellement, jusqu'à la paix, le commandement du pouvoir républicain sorti de la nécessité et du droit. Puis il annonçait que l'on concluait des marchés pour accaparer tous les fusils disponibles, et il peignait en traits de feu ce qui était à faire pour mettre en oeuvre toutes les immenses ressources du pays, pour inaugurer la guerre nationale.

« La République, s'écriait-il, fait appel au concours de tous! C'est sa tradition, à elle, d'armer les jeunes chefs; nous en ferons! » 
Et il en faisait. A côté des d'Aurelles et des Faidherbe, il découvrit Chanzy, Billot, Clinchant, Faure, Crémer; il prit à la marine Jauréguiberry, Jaurès, Gougeard :
« Non, il n'est pas possible que le génie de la France se soit voilé pour toujours, que la grande nation se laisse prendre sa place dans le monde par une invasion de 500,000 hommes! Levons-nous en masse, et mourons plutôt que de subir la honte du démembrement. »
Et il formait les deux armées de la Loire, l'armée du Nord, l'armée de Normandie, l'armée des Vosges, l'armée de l'Est. Il avait accepté le concours de Garibaldi; il reçut avec joie celui de Cathelineau, de Stofflet, de Charette. Il choisit l'ingénieur Charles de Freycinet pour son délégué à la guerre, le colonel Thoumas comme directeur de l'artillerie, et le genéral Loverdo comme directeur de l'infanterie et de la cavalerie. Clément Laurier conclut à Londres un emprunt de 250 millions. Il appela à lui toutes les forces, tous les courages, tous les patriotismes. Mais le destin nous avait condamnés : Metz capitule, tout semble perdu, les plus vaillants désespèrent. Gambetta ne se laisse pas abattre. 
« Français! s'écria-t-il dans une proclamation qui semble écrite de lave ardente, Français! élevez vos âmes et vos résolutions à la hauteur des effroyables périls qui fondent sur la patrie! Il dépend encore de vous de lasser la mauvaise fortune et de montrer à l'univers ce qu'est un grand peuple qui ne veut pas périr, et dont le courage s'exalte au sein même des catastrophes. »
Presque au lendemain de cet héroïque appel, le général d'Aurelles de Paladines rentrait dans Orléans. Le mouvement militaire que couronna cette victoire avait été indiqué par Gambetta. Le ministre de la guerre avait même insisté pour que l'opération eût lieu quinze jours plus tôt, et il avait vu juste. Les retards nécessités par l'inutile voyage de Thiers à Versailles et l'hésitation du général d'Aurelles après la bataille permirent à l'armée du prince Frédéric-Charles de rejoindre les Bavarois défaits et d'entrer en ligne. Orléans fut repris par les troupes allemandes, et dès lors recommença la série des désastres, interrompue, pendant quelques jours à Coulmiers et à Bapaume. Pourtant ni la perte de la bataille du Mans ni la défaite de Saint-Quentin ne purent altérer la confiance inaltérable de Gambetta dans un retour final de la fortune. Les troupes, en effet, s'aguerrissaient à vue d'oeil; l'admirable retraite de Chanzy, la campagne de Faidherbe dans le Nord, des combats comme ceux de Dijon, Nuits et Villersexel témoignaient que la France allait bientôt tenir une véritable armée. Mais Paris affamé capitule; un armistice est signé à Versailles; l'armée de l'Est est perdue par l'erreur fatale de Jules Favre; le gouvernement de Paris convoque les électeurs pour la nomination d'une Assemblée nationale... Gambetta persiste à vouloir lutter. Tout en s'inclinant devant la décision qui convoque les électeurs pour le 8 février, la délégation rend le fameux décret qui frappe d'inéligibilité tous ceux qui ont exercé sous l'Empire les fonctions de ministre, de sénateur, de conseiller d'Etat, tous ceux qui ont été présentés aux populations comme candidats officiels. Mais le gouvernement de Paris, dominé par d'autres sentiments, ayant annulé ce décret, Gambetta donne sa
démission de tous les pouvoirs réunis en sa personne.

Elu représentant dans neuf départements, à Paris, dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, la Moselle, la Meurthe, Seine-et-Oise, les Bouches-du-Rhône, à Alger, à Oran, il opta pour le Bas-Rhin et vota contre les préliminaires de paix (1er, mars). Puis quand le traité de démembrement eut été adopté, par 516 voix contre 107, il signa avec tous les représentants de l'Alsace et de la Lorraine une éloquente protestation contre le pacte qui livrait ces deux provinces à l'ennemi.

La politique de régénération.
Aux élections complémentaires du 3 juillet, Gambetta accepta une triple candidature dans la Seine, le Var et les Bouches-du-Rhône et il fut élu dans ces trois départements. Rentré à l'Assemblée, il y poursuivit un double but; préparer le relèvement du pays en refaisant l'éducation civique et militaire de la nation; faire du parti républicain un parti de gouvernement. L'Assemblée, se croyant en état de rétablir la monarchie, se déclarait constituante : Gambetta nia qu'elle en eût le droit et combattit la proposition Rivet (30 août). S'il était vrai cependant que l'Assemblée, élue uniquement pour trancher la question de paix ou de guerre, avait pour devoir de se dissoudre et de faire place à une assemblée vraiment constituante, il ne convenait pas pour cela aux représentants du parti républicain de se mettre en grève. Gambetta jugeait au contraire que ses amis de l'Union républicaine ne devaient pas négliger une occasion d'apporter leur pierre à l'oeuvre commune de la régénération nationale; il le dit et persuada. La compétence de ses discours sur les traités de commerce, la réorganisation du conseil d'Etat, le recrutement de l'armée et la responsabilité ministérielle produisit une vive impression sur les esprits. Il se révéla bientôt comme le premier des manoeuvriers parlementaires et des tacticiens de couloir, habile à intervenir au meilleur moment, toujours prêt à profiter de la moindre faute de ses adversaires, prompt à se décider dans les moments de crise et à s'emparer de la position la plus forte, confiant et inspirant la confiance, sachant se dégager aussi bien que s'engager, le plus vigilant enfin de tous les leaders politiques, et le plus sûr.

Pour travailler, en dehors de l'Assemblée, à la constitution du parti républicain et à la régénération du pays, Gambetta entreprit une double tâche. Il fonda la République française (5 novembre 1871) et commença au banquet de Saint-Quentin la campagne de propagande et d'éducation démocratique qu'il devait continuer avec une activité infatigable dans cinquante discours. Par l'influence de sa parole, éclatant tour à tour dans toutes les parties du territoire, il avait l'ambition de former à une seule et même politique les populations les plus diverses par l'éducation, les besoins et les moeurs, et de les amener à la République. Aucune peine, aucun sacrifice ne devait lui coûter pour la réalisation de cette oeuvre. Harcelé par une administration réactionnaire, injurié et calomnié par une presse violemment hostile, il ne se lassa pas. Du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, chaque fois que les vacances parlementaires lui en donnaient le loisir, il allait répandre, dans son vigoureux langage, les principes et les règles d'une sage conduite politique, recommander la patience et le courage, démontrer la nécessité et l'excellence du gouvernement républicain, semer à pleines mains le patriotisme et l'espoir. Tous les discours de ce grand prédicateur laïque sont des enseignements, chacune de ses campagnes oratoires marque une étape en avant dans la marche de la République.

La constitution républicaine.
Cependant la coalition des droits monarchiques contre le gouvernement républicain suivait son cours et obligeait Thiers à abandonner la présidence de la République (24 mai 1873). Le maréchal de Mac-Mahon, qui lui succéda, appela aux affaires les chefs de la réaction cléricale, et la campagne de restauration monarchique commença aussitôt. Dans ces circontances critiques, ce fut Gambetta qui conduisit la résistance des gauches après avoir rédigé cet appel des représentants républicains à la nation : 

« Citoyens, dans la situation que fait à la France la crise politique qui vient d'éclater, il est d'une importance suprême que l'ordre ne soit pas troublé. Nous vous adjurons d'éviter tout ce qui serait de nature à tourmenter l'opinion publique. Jamais le calme de la force ne fut plus nécessaire. Restez calmes. Il y va du salut de la France et de la République! »
Le parti républicain se conforma à cette sage exhortation. Laissant à Gambetta le soin de protester à la tribune de l'Assemblée contre les abus de pouvoir, contre les tentatives de corruption et d'intimidation qui se produisaient chaque jour, il resta calme devant toutes les provocations de ses adversaires. La ferme attitude du centre gauche dérouta une première fois, au mois d'octobre, le complot royaliste; bientôt, plus intimidé par l'énergie tranquille des républicains qu'il ne l'eût été par les demonstrations les plus violentes, le comte de Chambord ne se soucia plus de l'aventure et protesta qu'il ne pouvait renoncer au drapeau blanc (lettre à Chesnelong). En présence de cette déclaration, force fut aux conjurés du 24 mai de renoncer, pour le moment du moins, à la réalisation de leurs espérances. Le comité de direction des droites adopta alors ce système : maintenir le provisoire à l'aide d'une dictature indéfinie et garder le pouvoir en attendant les occasions, c.-à-d. la mort du comte de Chambord.

Ce fut alors que Gambetta commença, de son côté, à retourner ses batteries; tout en continuant à réclamer la dissolution de l'Assemblée, il laissa entrevoir la possibilité d'une transaction sur le vote des lois constitutionnelles établissant la République; laissant dénoncer par ses adversaires la politique des résultats, il négocia hardiment avec le centre sur cette base commune : ou la dissolution ou l'établissement de la République par l'Assemblée. Mais, d'abord, il fallait faire rentrer sous terre le bonapartisme qui, après avoir été au 24 mai le protecteur du duc de Broglie, l'avait débordé et finalement renversé avec le concours de la droite légitimiste. Ce fut une des plus éloquentes campagnes oratoires de Gambetta. Lorsque l'Assemblée se sépara, le 31 juillet, il devint évident que, malgré les rejets consécutifs du projet de loi constitutionnelle présentée par Casimir-Perier et de la proposition de dissolution déposée par le marquis de Malleville au nom de plus de trois cents députés, une majorité allait se former dans l'Assemblée pour élever la République contre le bas-empire menaçant.

En effet, dans sa séance du 30 janvier 1875, l'Assemblée reconnaissant la nécessité de sortir d'un provisoire énervant, vota, par 353 voix contre 352, la proposition présentée par Wallon :

 « Le président de la République est élu, à la pluralité des suffrages, par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. » 
La République était désormais la loi. Cependant il restait un dernier écueil à franchir. Une disposition additionnelle à la loi sur l'organisation des pouvoirs publics stipulait que cette loi ne serait promulguée qu'après le vote du projet sur le Sénat. Or, l'Assemblée ayant adopté l'article premier d'un projet en vertu duquel le Sénat devait être nommé par les mêmes électeurs que la Chambre des députés, le président de la République intervint par un message qui bouleversa les constitutionnels et les détermina à se joindre aux droites pour rejeter l'ensemble de la loi. De nouvelles négociations durent être entamées, et Wallon déposa un projet d'organisation du Sénat qui, après quatre jours de débats, fut adopté par l'Assemblée, la veille même du jour où fut également voté l'ensemble de la loi sur l'organisation et la transmission des pouvoirs publics. Si l'institution d'une seconde Chambre a pu s'acclimater en France, le mérite en revient à Gambetta qui a su convaincre la démocratie de la nécessité d'une assemblée de contrôle. La victoire des républicains dans l'élection des sénateurs inamovibles par l'Assemblée nationale fut aussi son oeuvre et le résultat d'une de ses plus habiles manoeuvres parlementaires. Mais il fut battu sur la question du mode de scrutin. Il demandait que la Chambre des députés fut élue au scrutin de liste; les droites, soutenues par le président du conseil, Buffet, firent adopter le scrutin d'arrondissement.

Séparation de l'Assemblée nationale. - Chambre des députés.
 L'Assemblée nationale se sépara le 31 décembre; Gambetta fut alors, pour les élections sénatoriales comme pour les élections à la Chambre des députés, le leader du parti républicain. Après le vote du 30 janvier qui avait envoyé au Sénat une forte minorité républicaine, le vote du 20 février justifia toutes les espérances des républicains et récompensa tous leurs efforts. Le premier tour de scrutin donna au parti républicain 300 sièges contre 135, et le second 56 contre 49. Presque aussitôt, et sans attendre la réunion des Chambres, Buffet, battu dans les quatre circonscriptions où il s'était présenté, dut se retirer et laisser la présidence du conseil à Dufaure. Gambetta, élu à Paris, à Lille, à Marseille et à Bordeaux, fut le chef incontesté de la majorité républicaine de la nouvelle Chambre.

En dehors de l'impulsion générale donnée à la marche des affaires pour l'affermissement progressif de la République, deux grandes questions occupèrent principalement Gambetta : celle des finances et celle des empiétements du clergé. Nommé président de la commission du budget le 5 avril, il révéla dans cette nouvelle direction des qualités de premier ordre. La discussion du budget pour l'exercice 1877 fut l'une des plus remarquables de l'histoire économique et politique de la France.

Dans les premiers jours du mois de mai, il avait proposé à la commission du budget de rédiger, outre le rapport général sur l'exercice 1877, un second rapport ayant pour objet spécial l'exposé des réformes à introduire dans les exercices suivants. Cette proposition ayant été accueillie, la République française publia une étude préparatoire sur la réforme de l'impôt dans un sens démocratique (16 octobre); Gambetta y préconisait l'impôt sur le revenu. Ce fut dans le même esprit politique que Gambetta défendit contre Jules Simon, successeur de Dufaure à la présidence du conseil, les droits de la Chambre en matière de budget. Fortifié chaque jour par l'adhésion de plus en plus chaleureuse du parti républicain grandissant, il engagea résolument la lutte contre le cléricalisme, montrant comment le parti clérical était avant tout aux ordres de Rome, insistant sur l'influence profonde qu'il avait su prendre en France dans les classes bourgeoises, et signalant le mépris croissant où était tenue la déclaration de 1682. (Joseph Reinach).

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