| Illyrie est la dénomination géographique appliquée au pays situé au Nord-Ouest de la mer Adriatique. Le sens précis du mot Illyrie et les limites géographiques de cette contrée ont singulièrement varié depuis l'Antiquité. Les Grecs parlent d'un peuple des Illyriens qui aurait occupé le pays montagneux au Nord de l'Epire, jusque vers l'extrémité septentrionale de l'Adriatique, c'est-à-dire entre la moitié septentrionale de l'actuelle Albanie et la Croatie. Mais on n'était pas d'accord sur les peuples à classer parmi les Illyriens; les uns appliquaient cette dénomination générique à toutes les tribus comprises entre les Chaoniens d'Epire et les Liburnes; d'autres (Hérodote) y comprenaient les Vénètes et les habitants du bassin de la Morava (l'actuelle Serbie). On cite parmi les peuples de ce groupe les Autariates et Ardiéens qui auraient fondé au IVe, siècle av. J.-C. un royaume illyrien, les Dassarites, les Pirustes, les Penestes, les Albaniens, les Parthéniens, les Taulantiens, les Boulines, les Abantes. On ne sait rien de leur langue, de leur histoire ou de leurs moeurs qui permette d'affirmer l'unité d'une population illyrienne. Il est évident que les invasions celtiques avaient jeté le plus grand trouble dans ces pays et que les éléments grécisants, thraces, celtiques et autres, y étaient mélangés aux Shkiptars, ou Illyriens proprement dits, et ancêtres des actuels Albanais. Les Illyriens de la côte s'adonnaient à la piraterie, ce qui les mit en conflit avec leurs voisins plus civilisés de Grèce et d'Italie. Vers le début du IVe siècle av. J.-C., un chef de ces pays, Bardylis, en réunit sous son autorité une grande partie; il défit le roi de Macédoine/ Amyntas II, lui imposa un tribut et lui enleva une partie de ses Etats (385). Le roi de Macédoine Perdiccas fut tué par les Illyriens (359). En revanche, Philippe prit le dessus et s'agrandit à son tour à leurs dépens. Alexandre le Grand vainquit à Pélion Clitus, fils de Bardylis. Pyrrhus fit également des conquêtes de ce côté et s'étendit au delà du Monténégro actuel. Durant l'éclipse de la Macédoine, il se reconstitue un royaume illyrien sur les côtes, sous le roi Agron qui entra en conflit avec les Romains. Sa veuve Teuta lui succéda ; les corsaires illyriens molestant les gens d'Apollonie et d'Issa, ceux-ci invoquèrent l'aide de Rome; les ambassadeurs romains furent renvoyés par Teuta et assassinés au retour. La guerre éclata et les deux consuls, Cn. Fulvius Centumalus et L. Posthumius Albinus, la conduisirent. Ils s'emparèrent de la côte (229); le gouverneur de Pharos, Démétrius, la leur livra et leur gagna Corcyre (Corfou). Teuta fut obligée de traiter, céda une bande côtière et paya tribut (228). A sa mort, Démétrius de Pharos, tuteur de son fils Pinée, voulut soulever les Illyriens contre Rome; une seconde guerre s'ensuivit où il fut vaincu (219). Il s'enfuit en Macédoine. Pinée, puis son oncle Scerdilaïdas et le fils de celui-ci, Pleurate, régnèrent sous la tutelle romaine; la fidélité du dernier fut, après la guerre de Macédoine, récompensée par l'addition des territoires du lac Lychnidus et des Parthiniens enlevés à la Macédoine (196). Le roi Gentius, s'étant néanmoins allié à Persée contre les Romains, fut victime de son imprudence. En trente jours, le préteur L. Anicius conquit son royaume et s'empara de Scodra (Scutari) où il le fit prisonnier. Des soulèvements éclatèrent en 153 et 145 et furent comprimés. Un autre le fut en 49 par Jules César. L'Illyrie préalablement divisée en trois, fut réduite en province romaine, l'an 35 av. J.-C. Elle était peu soumise, surtout dans l'intérieur, et il fallut la faire passer des provinces sénatoriales dans la liste des provinces impériales (11 av. J.-C.). L'intérieur fut solidement occupé et conquis jusqu'au Danube. La province se subdivisait en trois régions ayant pour centres respectifs Scardona, Salona, Narona, subdivisées en décuries ou communautés de villages; celle de Salona en comprenait 382. Des colonies romaines s'établirent à ladera, Salona, Narona, Epidaure (Ragusa Vecchia); Apollonie et Conyre restaient cités libres. Le nom d'Illyrie s'étendit à toute la région comprise entre l'Adriatique et le Danube, et les provinces de cette frontière, Hongrie, Pannonie, Mésie, Dacie, furent comprises dans l'appellation d'Illyricus limes, frontière illyrienne. De ces régions sortirent les plus vaillants défenseurs de l'Empire, les empereurs illyriens du IIIe siècle, Claude, Aurélien, Probus, qui repoussèrent l'invasion barbare, et, enfin, Dioclétien et Maximin. Lors de la grande division de l'Empire, on appliqua le nom d'Illyrie à toute la péninsule balkanique. Constantin en détacha la Thrace et la Mésie inférieure, mais y comprit définitivement la Macédoine, la Thessalie, l'Achaïe, la Crète, la Prévalitaine, les deux Epires. Ce fut l'une des quatre préfectures du prétoire. Lors de la séparation entre l'Occident et l'Orient, on divisa l'Illyrie entre les deux parties : l'Illyricum occidentale, comprenant les provinces danubiennes, Norique, Pannonie, Dalmatie, Savie, Valérie riveraine, fut attribué à l'empereur d'Occident; l'Illyricum orientale, comprenant la Macédoine, l'Epire, la Thessalie, la Grèce, la Prévalitaine, la Crète, fut attribué à l'empereur d'Orient. Ces régions furent effroyablement dévastées par les Goths, et la frontière fut continuellement forcée bien que les forteresses fussent énergiquement défendues. On s'attacha surtout à défendre la grande route de Dyrrhachium à Thessalonique et le pays au Nord fut à peu près abandonné aux barbares : Germains, Avars, Slaves, s'y succédèrent, le ravageant ou s'y installèrent. A partir du milieu du VIe siècle la colonisation slave commence. Elle reçut une vive impulsion d'Héraclius qui, pour pacifier ces contrées, établit tout le long de l'Illyrie depuis l'Istrie jusqu'à Dyrrhachium, des colons serbes ou slaves occidentaux. Ceux-ci se rendirent indépendants et formèrent un royaume à l'Ouest de celui des Bulgares. Il se constituait de nouvelles individualités provinciales : la Croatie ou Chrobatie, divisée par la Czettina en deux parties, chrétienne et païenne; la Rascie (de sa capitale Rasa, auj. Novibazar) ou vieille Serbie; la Divolna (Douklia ou Zeta); la Trebunia (Travunia), la Canala (Ronavlje au Sud de l'Herzégovine actuelle); la Zachlumia (Zahunje, Herzégovine actuelle); la Narentania; la Bosnie se détache de la Croatie. Les Byzantins conservaient une suzeraineté généralement nominale sur ce pays; les Hongrois les soumettaient à leur influence; la côte passait sous l'autorité des Vénitiens. Le nom même de l'Illyrie s'effaçait et n'était plus qu'un souvenir historique. Il reparut au XVIIe siècle quand les Autrichiens commencèrent à reconquérir le pays sur les Turcs, contre lesquels les Vénitiens s'étaient maintenus sur la côte. On donna alors le nom d'Illyriens aux Slaves de la religion grecque orthodoxe et spécialement aux Serbes ou Rasciens (Raizes). On les qualifia de nation illyrienne. Cependant lorsque le démembrement des Etats vénitiens valut à l'Autriche la Dalmatie, ce nom fut substitué à celui d'Illyrie. Mais, en 1809, Napoléon le ressuscita. Il projeta de reconstituer un royaume séparé au Nord-Est de l'Adriatique et donna le nom de province illyrienne aux territoires enlevés à l'Autriche par la paix de Schoenbrunn. Ces provinces illyriennes comprenaient Gorica, Monfalcone, la Carniole, Trieste, Villach, Fiume, l'Istrie, le littoral hongrois et presque toute la Croatie. En 1811, on y réunit Raguse (Dubrovnik) et on organisa cet Etat sous un gouverneur en six provinces civiles (Carniole, Carinthie, Istrie, Croatie civile, Dalmatie, Raguse), plus une province de confins militaires. Cette organisation croula avec l'empire napoléonien. Les provinces illyriennes revinrent à l'Autriche. On forma en 1816 un royaume d'llyrie (28.000 km², 1.300.000 habitants) comprenant la Carniole, la Carinthie, Gorica, Gradisca, l'Istrie, divisé en gouvernements de Laibach et de Trieste. En 1849 on abolit ce royaume qui fut divisé en trois provinces, et le nom d'Illyrie cessa d'être appliqué à une entité politique. On parla, pour désigner les Slaves du Sud, de Yougoslaves plutôt que d'Ilyriens. Le terme put ainsi retrouver sa signification première et s'appliquer désormais seulement aux populations de langue Albanaise. | |