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L'origine
d'Apollon.
L'étymologie du nom d'Apollon est
douteuse : on en a proposé beaucoup : les deux principales sont
Apellon et Abelios; celle-ci affirme qu'Apollon est avant
tout un dieu solaire, celle-là s'accorde aussi bien avec les hypothèses
opposées. En tout cas on trouve le nom sous les formes Apellwn
(vases de Vulci, de Cadmos aujourd'hui à
Berlin, inscription de Mégare,
etc.) et Aploun,
forme thessalienne ( Aplu,
étrusque). On a beaucoup discuté ces questions d'étymologie,
depuis le Cratyle de Platon, on espère
arriver ainsi à préciser la nature primitive du dieu. Apollon
est-il ou non un dieu solaire? Nous exposerons les deux systèmes
en présence; une synthèse serait forcément incomplète,
d'autant plus que la discussion porte non seulement sur la nature primitive
du dieu, mais sur toute sa mythologie. Nous
exposerons la théorie d'Apollon dieu solaire, d'après
Roscher qui l'a développée suivant une rigoureuse logique,
et la théorie d'Apollon, divinité morale d'après
Otfried Müller. Nous commencerons par l'analyse
du système de Roscher.
Apollon,
dieu solaire.
Apollon est un dieu solaire, cela résulte
des épithètes par lesquelles on le caractérise : Lukeios,
lukhgenhs
ramènent à la racine luk
(= lumière); tel est aussi le sens de Foibos
( = brillant), d'Ewios
, Enauros
( = dieu de l'aube), de Crusokomas
(aux cheveux d'or), etc. Dieu du soleil, Apollon
préside naturellement aux divisions de l'année, aux saisons,
aux mois; spécialement aux saisons chaudes (printemps, été,
automne). On suppose que pendant l'hiver il est retiré chez les
Hyperboréens; au printemps des fêtes
célèbrent son retour que chante le Péan ; sa
naissance est placée au printemps. Dieu de l'été et
de l'automne, il préside aux maladies que développe la chaleur,
c'est lui qui envoie et guérit les fièvres; il est le protecteur
de l'agriculture.
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Figure
primitive d'Apollon. Ile de Paros.
Musée
du Louvre
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Apollon.
Bronze de style éginétique
(Ve
s. av. J.-C.). Musée d'Athènes.
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D'autre part le dieu de la lumière
physique devient naturellement le dieu de la lumière spirituelle,
il prédit l'avenir et d'abord les phénomènes météorologiques
qui dépendent de lui. Apollon étant le dieu des oracles
et de l'enthousiasme divinatoire, fut, par
association d'idées, le dieu de la musique et de la poésie.
Le dieu solaire est souvent représenté comme un héros
combattant les fléaux naturels (nés de l'hiver ou de l'obscurité),
d'où la conception d'Apollon dieu de la guerre. Comme il préside
aux faits les plus importants de la vie sociale (agriculture, santé,
guerre), on est porté à en faire le patron des cités,
par suite des colonies qu'on fonde,
d'autant que c'est au printemps, sous ses auspices, que recommence la navigation.
Il s'occupe de la santé morale comme de la santé du corps,
et il est le dieu de l'expiation et des purifications. Enfin, comme tous
les dieux solaires, on se le représente beau et d'une éternelle
jeunesse. Dans cette hypothèse, les caractères moraux d'Apollon
dérivent de sa nature physique.
Apollon,
dieu moral.
C'est un point de vue diamétralement
opposé à celui d'Otfried Müller,
pour qui Apollon n'a qu'un rôle et des attributs
exclusivement moraux. Il est complètement distinct du dieu du soleil,
Hypérion ou Hélios,
dont partout le culte subsiste à côté du sien; ce n'est
qu'assez tard qu'on songea à les identifier : les mages
perses par une idée superficielle, les philosophes partant d'idées
préconçues; même l'époque
Alexandrine, l'assimilation est encore contestée. Apollon n'a
aucun des caractères des dieux naturalistes qui incarnent l'une
des puissances créatrices de la nature; il reste célibataire;
à peine peut-on lui reprocher quelques amourettes avec des nymphes;
nulle trace dans son culte de l'adoration des forces productives; quel
contraste avec celui de Dionysos par exemple!
Apollon d'apellwn
ou apeirgwn,
est un synonyme d'alexikakos,
le dieu qui écarte, le dieu protecteur et vengeur, les épithètes
de foibos,
lukeios
s'appliquent à la pureté morale.
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Tête
d'Apollon archaïque. Déjà se marque le type classique
et
définitif
du dieu. Musée du Louvre.
Apollon est un dieu vraiment grec : il
n'est ni italique, ni pélasgique (pré-hellénique),
ni oriental; c'est le dieu des Doriens, les Hellènes par excellence.
Le premier centre de son culte est Tempé ,
d'où il se propagea à Delphes,
à Délos
et à Cnossos
en Crète .
Dans une seconde période, les Crétois, maîtres de la
mer, le portèrent sur les côtes de la mer Egée (Lycie,
Troade, Ionie ,
Ténare, Trézène, Mégare).
De Delphes il se propagea en Béotie
et en Attique
où agit aussi l'influence crétoise. La troisième période
est proprement dorienne; après l'invasion et les conquêtes
des Doriens, partout ceux-ci élevèrent des temples à
leur dieu national; la colonisation, en partie provoquée et dirigée
par Delphes, achève de faire d'Apollon le grand dieu grec. Son culte
atteste cette unité d'origine; ce n'est pas une combinaison de plusieurs
divinités sous un seul nom, partout on le désigne par les
mêmes épithètes (Lykeios, Delphinios, Pythios), partout
on retrouve les mêmes légendes et les mêmes usages.
L'origine
orientale.
On ne conteste plus guère aujourd'hui
qu'Apollon soit en principe un dieu solaire; les épithètes
par lesquelles on le désigne, son rapport avec le calendrier,
la date et la nature de quelques-unes de ses fêtes, certains traits
de sa légende, surtout celle des Hyperboréens
( ci-dessous) ne sont guère
explicables autrement; en tant cas, il est incontestable qu'Apollon a hérité
d'un grand nombre de fonctions d'Hélios.
Il est assez probable aussi, contrairement à l'opinion d'O.
Müller, que son culte est d'origine orientale; on le rencontre
d'abord aux confins du monde grec, en Lycie, en Troade, en Crète,
et il est facile de comprendre comment de là il a pu passer à
Tempé .
Sur les questions d'origine, la théorie d'O. Müller paraît
donc excessive; mais quant à la conception générale
du culte apollinien et de son rôle en Grèce
(sauf quelques exagérations), elle est bien plus solide. Apollon
peut être une personnification du Soleil, mais quand son individualité
se fut dégagée, « il agit d'après les lois de
la psychologie, et non d'après celles de la physique » et
son caractère originel de dieu solaire ne rend compte ni de toute
sa légende ni de son culte. Dans les poèmes homériques,
le document le plus ancien que nous ayons sur la religion
grecque, Apollon n'a presque aucun trait qui rappelle sa supposée
origine naturaliste; c'est un dieu puissant et redoutable qui ne se départit
jamais de sa gravité sereine et ne se laisse pas aveugler par la
passion; il sait combien est grande la distance des dieux aux humains;
il protège les mortels ou les châtie, aussi bien pour venger
ses prêtres, que pour punir l'orgueil des Niobides. Hésiode
distingue soigneusement Apollon d'Hélios; de même l'hymne
homérique à Apollon pythien. A mesure que nous descendons
le courant de la littérature grecque, les rapprochements se multiplient
et Apollon finit par devenir tout à fait le dieu du Soleil; mais
cette transformation coïncide avec le déclin de son culte.
Sans nous attarder davantage à cette question d'origine, nous allons
étudier successivement l'histoire légendaire du dieu avec
les principaux mythes qui s'y rattachent, les différents aspects
sous lesquels Apollon se présente et l'organisation de son culte.
Les mythes apolliniens.
Apollon est fils de Zeus
et de Lêto et frère d'Artémis;
sa naissance nous est racontée par l'Hymne homérique à
Apollon délien. Lêto, poursuivie par le ressentiment d'Héra,
l'épouse de Zeus, erre autour de la mer Egée, cherchant une
terre qui veuille abriter son fils; elle finit par l'obtenir de Délos
au prix de magnifiques promesses. Protégée par les déesses
de l'Olympe et assistée par llithyia,
elle met au monde Apollon. On montrait encore à Délos, au
pied du mont Kynthios, le palmier sur lequel
elle s'était appuyée et le petit lac circulaire consacré
au dieu. Une autre légende faisait naître le dieu près
d'Ephèse, dans le bois
sacré I'Ortygie.
Une autre variante veut que l'île
de Délos ait flotté et erré sur la mer jusqu'au moment
de la naissance d'Apollon.
Le premier exploit du jeune dieu nous est
raconté dans l'hymne homérique
à Apollon pythien : c'est sa victoire sur le monstre Python,
le plus intéressant et le plus important des mythes relatifs à
Apollon. Python ou Delphyne est un dragon femelle,
établi près du temple de Delphes,
qui dévorait les humains et leurs troupeaux. Le dieu le perça
de ses flèches et s'écria :
«
Pourris maintenant sur la terre féconde; tu ne seras plus le fléau
des mortels qui amènent ici leurs hécatombes; ni Typhaeus
ni la Chimère ne te sauveront, la noire
terre et le rayonnant Hypérion te feront
pourrir .»
Tel est, résumé dans ses traits
essentiels, le plus ancien récit; il y en a beaucoup d'autres, mais
les divergences portent sur des points secondaires. On a essayé
d'expliquer ce mythe de bien des manières
: les uns voient dans le monstre le torrent qui descend de la montagne
au printemps, ravage la plaine et tarit bientôt, séché
par le soleil ;
pour d'autres, c'est un symbole des forces indisciplinées de la
nature, domptées par Apollon (d'après une version, en effet,
le monstre aurait été suscité par Gaïa
à qui Apollon enleva l'oracle de Delphes)
d'autres enfin, s'appuyant sur la mythologie
comparée, retrouvent dans ce mythe grec une tradition indo-européenne;
la victoire d'Indra sur le dragon Vritra ou le
serpentAhi leur en fournit la clef : il retrace
soit la lutte de la lumière contre les ténèbres, soit
le drame de l'orage, où le dragon personnifie
l'éclair. Ces questions d'origine sont, par leur nature même,
à peu près insolubles. En tout cas les grecs ne prenaient
pas leur mythe au sens allégorique. Après sa victoire, Apollon,
qui s'était souillé par un meurtre, était obligé
d'aller se purifier; son exil durait huit ans (99 mois lunaires), au bout
desquels il se purifiait à Tempé ,
faisait les sacrifices expiatoires, se couronnait de lauriers
et revenait à Delphes. Le chemin qu'il suivait était la Voie
sacrée. Tous les huit ans, à la grande fête du
Septérion, on donnait une nouvelle représentation du mythe.
On construisait près du temple une cabane qui était censée
abriter le dragon. Un jeune garçon, jouant le rôle du dieu,
s'en approchait par un chemin détourné et y lançait
une flèche; puis il se précipitait à l'attaque avec
son cortège, démolissait et brûlait la cabane. Il s'enfuyait
alors vers le Nord, allait jusqu'à Tempé où il se
purifiait et d'où il revenait par la Voie sacrée. Ce mytheest
intimement lié aux fêtes de Delphes.
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Dispute
du trépied de Delphes entre Apollon et Héraclès.
Bas-relief
antique. Musée du Louvre.
L'absence d'Apollon, son voyage dans un
pays septentrional, son retour au printemps sont autant de traits invoqués
par ceux qui font de lui un dieu solaire; ces traits se retrouvent, plus
accentués, dans le mythe de son séjour chez les Hyperboréens.
Chaque année, dit-on, il se retire dans la région hyperboréenne,
dans l'extrême Nord, au delà des monts Riphée, séjour
de Borée, dieu de l'hiver et des mauvais
temps. Dans ce pays règne un jour perpétuel, et les Hyperboréens,
prêtres du dieu, sont ses serviteurs favoris. Chaque année,
en automne, des hymnes d'une gravité
triste, chantent le départ d'Apollon (apodhmia);
au printemps on le rappelle par des hymnes dits klhtikoi
et il reparaît monté sur
un cygne ou un griffon.
D'autres mythes, admettent aussi que le dieu s'absente pendant l'hiver;
à Delphes, il cède la place
à Dionysos; à Délos, on
croit qu'il se retire à Patara en Lycie.
Les autres mythes
apolliniens sont d'importance secondaire. Enumérons les principaux-:
1° la servitude chez Admète,
à laquelle Zeus le condamne pour venger
la mort des Cyclopes. Apollon guide les troupeaux
du roi. O. Müller voulait lier ce récit
à celui de l'expiation imposée après la mort du dragon
: il identifiait Admète avec Hadès
et veut que l'expiation ait consisté dans cette sujétion
vis-à-vis des divinités souterraines; le mythe aurait un
profond sens moral.
2° Apollon et Poseidon
subissent une servitude analogue au profit du roi de Troie
Laomédon.
3° Le mythe de Daphné,
où Max Müller voyait une personnification
de la fuite de l'Aurore devant le Soleil,
est un des plus gracieux; poursuivie par Apollon, la jeune nymphe
est changée en laurier.
4° Le dieu tue son jeune ami Hyacinthe
en jouant au disque avec lui; Hyacinthe personnifierait la végétation
du printemps tuée par le Soleil
d'été
5° Les différentes luttes soutenues
par le dieu contre ses ennemis; le monstre Tityos
(analogue à Python), les géants
Aloades, l'archer Eurytos
d'Oechalie (les Oechaliens étaient ennemis des Doriens, les fidèles
d'Apollon); l'extermination des Niobides.
6° La défaite et la mort de
Linus et de Marsyas qui lui avaient disputé
le prix de la musique.
Tels sont les principaux actes par lesquels
Apollon a prouvé sa puissance. On pourrait consacrer à chacun
de ces mythes une longue étude : elle nous en apprendrait moins
sur la nature d'Apollon que les quelques détails que nous allons
donner sur ses différents cultes et les différents aspects
sous lesquels il était conçu par les populations grecques.
L'empire d'Apollon.
Les épithètes par lesquelles
on le désigne le plus fréquemment sont : Phoebus (Phoibos),
dont nous avons indiqué le sens; Pythien (Pythios ou Pythoktonos),
qui se rapporte au mythe du dragon ou à
la racine puq
( punqanomai
= consulter) et à l'idée de la divination, une attribution
fondamentale d'Apollon; Delphinios, qu'on peut rapprocher du nom de Delphes,
et du Dauphin, consacré à Apollon; Lycien (Lykios) qu'on
explique, soit par l'idée de lumière, soit par les rapports
du dieu avec la Lycie, soit par le nom du loup
(lukos)
qui lui est consacré. Ce sont là des épithètes
qu'on retrouve partout : la plupart ont été expliquées
indifféremment par son origine solaire ou par son caractère
moral. Nous allons maintenant étudier les différentes formes
et les différentes fonctions d'Apollon, en les rattachant autant
que possible à ses principaux caractères : dieu solaire,
divinité agricole, divinité morale, dieu des arts, enfin,
il est le principal interprète de la volonté céleste
dans la divination.
Il est difficile d'expliquer autrement
que par le caractère solaire d'Apollon ses rapports avec le calendrier;
attestés par plusieurs surnoms, wriths,
neomhnios
(dieu des heures, dieu qui renouvelle les mois), de nombreuses fêtes
qui toutes tombent dans la saison chaude. Les Daphnéphories,
fêtes d'Apollon Isménien à Thèbes, sont particulièrenent
significatives; on couronnait de laurier, d'olivier
et de fleurs, un morceau de bois, surmonté d'une sphère qui
représentait le Soleil
et entouré de boules plus petites représentant les autres
astres. Les fêtes qui célèbrent la naissance du dieu,
les Théophanies sont placées
au printemps; en été on trouve les Thargélies,
fêtes ioniennes (avec procession et sacrifices
à Hélios, aux fleurs et aux Kharites);
les Hyacinthies laconiennes ( Hyacinthe).
Le septième jour du mois est consacré à Apollon; de
même les jours de pleine lune et assez généralement
le vingtième jour du mois. La période de huit années
(99 mois) qui établit la concordance entre l'année lunaire
et l'année solaire est aussi la période sacrée du
culte de Delphes. L'Apollon Aiglétès,
adoré à Anaphé, près de Théra ,
l'Apollon Kynnicos d'Athènes et de
Corinthe sont aussi des dieux solaires;
de même l'Apollon Heoos, et l'Apollon Enauros de Crète, dieux
de l'aube, et l'Apollon Horomédon de Ténos, dieu des heures.
En outre, nous avons vu qu'on prétend retrouver des mythes solaires
dans la plupart des mythes apolliniens.
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Apollon
et Artémis. Peinture d'une Amphore trouvée à Mélos
(Milo).
Bien différente est la physionomie
d'Apollon dieu agricole; à ce type se rattache l'Apollon Carneios,
apporté à Amyclées
par les Agides et adoré par tous les Doriens; c'est bien le dieu
d'un peuple pasteur; karnos
veut dire mouton. Non moins important était le culte arcadien
d'Apollon Nomios qu'O. Müller lui-même
renonce à rattacher à son type d'Apollon. C'est encore un
dieu pasteur. Ce culte est très ancien, et une des principales faces
d'Apollon est certainement ce type de dieu berger; c'est à lui qu'Hermès
dérobe ses vaches ( Hymne
homérique à Hermès). Apollon a gardé les
troupeaux d'Admète et de Laomédon.
Il a aussi de nombreux rapports avec les Nymphes,
leur chef dit une inscription de Thasos. D'autres épithètes
dérivent de la même idée, Smintheus, tueur de rats,
le fléau des laboureurs; Parnopios, tueur de sauterelles; Galaxios,
Epimélios, Poimnios, etc., dieu berger; Agreus, dieu chasseur; on
prétend même qu'Aristée,
héros et protecteur divin des bergers, doit être identifié
avec Apollon.
L'ApolIon d'Amyclées
paraît avoir été une divinité naturaliste, analogue
à l'Arès thrace ,
peut-être d'origine minyenne; c'est le dieu qui vivifie et qui tue,
c'est de ce culte que relèvent les Hyacinthies ( Hyacinthe).
Citons encore l'Apollon Agyieus, le dieu
des rues, symbolisé par un pilier conique que l'on trouvait à
Athènes devant chaque porte ou dans
chaque cour, et l'Apollon Patroos, divinité nationale des Athéniens,
fils d'Athéna et d'Héphaïstos,
ancêtre mythique des Ioniens, protecteur
des Phratries qui ne put d'ailleurs évincer Athéna, la grande
divinité locale.
L'empire d'Apollon est, avant tout, le
monde moral. C'est le dieu pur par excellence; à Délos, dans
son île sacrée, on ne doit ni naître ni mourir; après
avoir tué Python, il faut qu'il expie
et se purifie; il préfère les sacrifices ou le sang n'est
pas versé; si, en certains endroits, il exige des sacrifices
humains (ou du moins le simulacre), c'est qu'il faut que la cité
se débarrasse des criminels qui la souillent. Mais que ce criminel
s'approche de l'autel du dieu, qu'il expie et se purifie selon les rites,
Apollon l'accueille avec bienveillance comme il fit pour Oreste.
Aux Thargélies les fêtes purificatives
(kaqarmoi)
jouent un grand rôle. Toute justice criminelle étant liée
à une purification, il est dans une certaine mesure le dieu de la
justice; à Athènes le polémarque
la rend dans le Lycée ,
près de la statue d'un loup.
Le Péan, le chant national des Doriens, se chante après
qu'on a écarté un malheur. C'est qu'en effet le dieu pur
est aussi un dieu puissant qui sait punir ses ennemis et protéger
ses fidèles. On attribue à ses flèches invisibles,
non seulement la peste, mais toute mort subite; il est le conducteur des
Moires (Parques) (moirageths)
; il châtie l'orgueil des Niobides jouant le rôle de la Némésis
d'Hérodote. Mais il est aussi le dieu
qui secourt (epikourios)
et qui écarte les maux ou les dangers (alexikakos);
en un mot, il remplit une grande partie du rôle qu'on est habitué
à voir jouer au dieu suprême. Il protège l'humain et
les cités, non seulement contre les ennemis ou les fléaux,
mais aussi contre la maladie en général; il est le dieu médecin,
Apollon Oulios : c'est lui qui a enseigné leur science à
Chiron et aux médecins de l'âge
héroïque, Machaon, Podalise, Asklèpios
même, qui finit par s'élever au rang de grand dieu et s'asseoir
dans l'Olympe à côté de son
protecteur devenu son père.
Apollon est aussi le dieu de la musique,
au sens où l'entendaient les Grecs ,
c.-à-d. de l'ensemble des arts. Il est représenté
portant dans sa main les trois Kharites (les
trois Grâces); il conduit le choeur des
Muses. Il charme l'Olympe
des mélodies de sa cithare et triomphe de ses imprudents rivaux
Linus et Marsyas.
Les oracles, le
culte.
Apollon est par-dessus tout le dieu de
la Divination. C'est par ses oracles,
surtout celui de Delphes, que son culte s'est généralisé,
a étendu son influence jusqu'aux limites des pays helléniques
et acquis, vers le VIe siècle, une
prépondérance incontestée. La divination ne paraît
pas cependant avoir été une de ses fonctions primitives et
il est probable que le premier oracle d'Apollon fut celui de Pytho ou de
Delphes. Il l'enleva, non sans luttes, aux divinités chtoniennes
qui le détenaient et l'écho des combats soutenus contre Gaïa
( = la Terre), la vieille déesse locale,
est venu jusqu'à nous. Il finit par les supplanter, grâce
à ses adorateurs crétois, venus par mer, et aux Doriens,
descendus de la montagne; il hérita de l'antre prophétique,
de cette crevasse par laquelle on pouvait communiquer avec les puissances
souterraines. Aux vieux rites, s'en ajoutèrent d'autres; on apprit
à discerner la volonté des dieux non seulement dans les voix
souterraines entendues surtout dans les songes
et dans les signes célestes, mais aussi dans le vol des oiseaux;
on appliqua presque toutes les méthodes divinatoires, jusqu'au jour
où I'on emprunta au culte de Dionysos
l'élan mystique et l'enthousiasme prophétique de ses élues,
instrument passif de la pensée divine, et où l'on assit la
pythie sur son trépied, au-dessus de la fameuse crevasse. Nous ne
ferons pas ici histoire de l'oracle ni de l'habile corporation sacerdotale
qui y était préposée. Ou trouvera à l'article
Delphes à la page consacré
aux Oracles en Grèce le détail
de cette histoire; qu'il nous suffise de rappeler ses tendances oligarchiques,
son influence directrice sur l'expansion coloniale (d'où le nom
d'Apollon Archégète, fondateur de cités), son intervention
dans les affaires politiques et religieuses, les encouragements donnés
au culte des héros, enfin les doctrines morales de l'oracle, dont
on ne saurait méconnaître le rôle et la portée.
Les autres oracles
apolloniens furent nombreux, subordonnés cependant à celui
de Delphes; énumérons les principaux
: Abae en Phocide ;
Tégyre en Béotie
qui disputait à Délos l'honneur d'avoir donné le jour
au dieu; Akraephia (consacré à Apollon Ptoos); l'lsménion
de Thèbes ;
l'oracle d'Argos ,
celui d'Hysise, etc. En Asie Mineure, on peut citer entre autres le grand
oracle des Branchides à Milet ,
celui de Klaros près de Colophon ,
celui de Troade d'où partit la légende de la Sibylle,
de Patara en Lycie, de Daphné
à Antioche, qui tous eurent leur
moment de grande vogue. Néanmoins, les sacerdoces apolliniens ne
réussirent jamais à monopoliser à leur profit la divination;
ils en donnèrent l'expression la plus élevée, et éclipsèrent
leurs rivaux, mais ils connurent eux aussi, et avant d'autres, les vicissitudes
de la fortune. C'est que le culte d'Apollon déclina en même
temps que le libre génie hellénique dont il était
dans l'ordre religieux la création la plus parfaite. Dieu des Ioniens,
archer divin, musicien et poète, héritier d'Hélios
et de Poseidon, les Doriens en avaient fait
le dieu moral et purificateur, qui guérit le corps et l'esprit,
l'interprète attitré de Zeus. II
était devenu le type idéal de Hellène, beau, sage,
vaillant et habile, dieu de la science et des arts; mais avec la décadence
de l'Hellade, l'invasion des cultes orientaux, on reconnut ou crut reconnaître
son identité avec le Soleil; les stoïciens
la démontrèrent; il se confondit avec Hélios et Hypérion;
les caractères physiques l'emportèrent et sa personnalité
s'effaça peu à peu; il dut céder la place à
des divinités nouvelles, qui satisfaisaient mieux les aspirations
mystiques des générations nouvelles
ou les besoins superstitieux du vulgaire.
Il nous reste à dire quelques mots
du culte d'Apollon à Rome .
II y fut importé de bonne heure sous les Tarquins, avec les livres
sibyllins venus de Cumes
ou par Caere
dont nous savons les relations avec Delphes.
Il n'eut longtemps à Rome qu'un temple, bâti en 422-428 pour
détourner une épidémie; aux Lectisternia
institués dans le même but, Apollon jouait un rôle capital.
Les jeux apollinaires furent introduits en 212 au temps de la seconde guerre
punique ,
après consul tation des livres sibyllins (comme les lectisternia).
L'importance d'Apollon s'accrut à mesure que prévalait l'interprétation
philosophique qui en faisait le dieu du Soleil.
Elle devint très grande sous Auguste qui
révérait en lui le patron d'Enée,
l'ancêtre mythique de la gens Julia et qui
lui attribuait en partie sa victoire d'Actium ;
c'est dans le temple d'Apollon sur le Palatin que fut chanté le
Carmen saeculare d'Horace. En somme, Apollon
fut toujours pour les Romains un dieu étranger; introduit et développé
par les livres sibyllins, son culte n'eut avant et après Auguste
qu'un rôle secondaire. (A.-M. B.). |