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L'histoire de Carthage et de Rome
Les Guerres puniques
Aperçu
L'impérialisme carthaginois
Les Guerres puniques
La culture carthaginoise*
On appelle Guerres puniques les guerres qui opposèrent Rome à Carthage entre le IIIe et le IIe siècle avant notre ère. Il y en eut trois. La première, qui dura de 268 à 241 av. J.-C., fut à la fois terrestre et maritime, eut pour principal théâtre la Sicile ainsi que les mers qui l'entourent et; valut aux Romains la conquête de cette grande île. La seconde, de beaucoup la plus dangereuse pour Rome et la plus célèbre, dura 18 ans, de 219 à 201 av. J.-C. Elle est fameuse par l'expédition d'Hannibal en Italie, par ses victoires de la Trébie, de Trasimène et de Cannes et par la défaite que Scipion l'Africain infligea aux Carthaginois à Zama, sur leur propre territoire, en 202. Elle eut pour résultat l'empire des mers acquis à Rome et la suprématie des Romains sur toute la côte africaine. La troisième, de 149 à 146 av. J.-C., mit fin à la lutte entre les deux républiques : Carthage fut assiégée, prise et détruite de fond en comble par Scipion Emilien. A la première grande Guerre punique se rattache la guerre des Mercenaires ou guerre Inexpiable, que Carthage eut à soutenir contre ses troupes mercenaires révoltées et dont elle ne se délivra que par une trahison suivie d'un massacre général.

La première guerre punique

La première guerre punique dura vingt-sept ans (268 à 241); il s'y agit pour Carthage de défendre contre Rome ses possessions de Sicile et sa prépondérance sur la mer Tyrrhénienne. Les Romains, appelés en Sicile par les Maniertins, s'emparent d'Agrigente en 262; Duilius remporte la victoire navale de Mylae en 261; Régulus, en 256, renouvelle la tentative d'Agathocle en Afrique et périt dans les fers à Carthage. Enfin, la bataille des îles Aegates remportée en 241 par Lutatius Catulus sur Hannon, força Hamilcar Barca à demander la paix; les Carthaginois abandonnèrent la Sicile qui fut déclarée province romaine.

La guerre finie, Carthage voulut licencier ses armées qui lui coûtaient cher à entretenir. Les mercenaires, avant de partir, réclamèrent l'arriéré de leur solde, et comme on faisait mine de vouloir en retenir une partie, ces soldats de tous pays et de toutes langues se révoltèrent; sous les ordres d'Autarite, de Zarzas et de Spendius, ils se rassemblèrent à Tunis, à 20 kilomètres des murs de Carthage, mirent à mort les députés qu'on leur avait envoyés, et appelèrent aux armes tous les Africains, essayant de soulever toutes les villes qui, comme Hippone et Utique, supportaient avec dépit le joug des Carthaginois. Pendant ce temps, la Corse et la Sardaigne chassaient leurs garnisons et se donnaient aux Romains. Carthage comprit l'imminence du danger, et Hamilcar la sauva. Avec l'aide de la cavalerie numide, Hamilcar, secondé par Naravas, parvint à resserrer les mercenaires sans discipline dans les défilés de la Scie ou de la Hache où il en extermina quarante mille; cette guerre terrible de l'an 238 av. J.-C. porte dans l'histoire le nom de guerre inexpiable (Polybe). Le danger pour Carthage fut ensuite Hamilcar lui-même que ses succès et ses services avaient rendu tout-puissant. On l'éloigna en le chargeant d'une expédition contre les Numides et les Maurétaniens qu'il soumit. Hamilcar passe en 237 en Espagne, et pendant neuf années il parcourt la péninsule, gorgeant ses soldats de butin et envoyant le surplus à Carthage; il est tué en 228 dans une panique au milieu de ses soldats. Son gendre Hasdrubal le Beau lui succéda dans le commandement de l'armée; dans un traité qu'il conclut avec les Romains, le cours de l'Ebre fut désigné comme la limite des possessions carthaginoises dans la péninsule ibérique, puis il bâtit Carthagène (Carthago nova, ou Nouvelle nouvelle ville) en 227. Il fut assassiné par un esclave gaulois en 223. Les soldats élurent alors pour chef son beau-frère Hannibal, le fils du grand Hamilcar, et le sénat de Carthage ratifia ce choix.

La deuxième Guerre punique (219 à 201)

Hannibal, l'homme d'exception qui prit alors le commandement des armées carthaginoises en Espagne, personnifie la lutte de Carthage contre Rome pendant toute la seconde guerre punique. Ses campagnes en Espagne, en Italie, en Afrique, ont fait l'admiration des hommes de guerre de tous les temps, et s'il succomba devant Scipion il ne le dut qu'au mauvais vouloir de sa patrie ingrate et égoïste. Dans la première période de la lutte, il s'agit pour lui non seulement de conserver l'Espagne à Carthage, mais de conquérir cette Italie elle-même sur les côtes de laquelle les vaisseaux carthaginois n'avaient jamais pu établir un seul comptoir. Dans la seconde période, il ne songe plus, malgré une série de victoires retentissantes, qu'à défendre l'Afrique envahie par Scipion. Les Romains prirent leur revanche de Cannes à Zama. Hannibal offre la paix et subit les conditions les plus humiliantes : Carthage ne conservera que ses possessions d'Afrique; elle livrera tous les prisonniers et tous ses navires à l'exception de dix, tous ses éléphants; elle ne fera aucune guerre sans l'autorisation préalable du sénat romain; elle n'enrôlera plus de mercenaires; elle paiera dix mille talents en cinquante années; elle reconnaîtra Masinissa pour allié et pour maître légitime de ses États héréditaires et de ceux de Syphax. En exécution de ce traité, quatre mille prisonniers et cinq cents galères furent livrés aux Romains.
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Carte de Rome et carthage après la Seconde guerre punique.
Rome et Carthage après la seconde Guerre punique.
(cliquer sur la carte pour l'agrandir).

La troisième Guerre punique

Hannibal, nommé suffète, s'était appliqué à réparer les désastres de la guerre et à rétablir l'ordre dans les finances jusqu'au jour où la politique ombrageuse du sénat le força de s'exiler. Grâce à son génie commercial, Carthage répara vite ses forces; elle comptait encore 700 000 habitants, et malgré son abaissement elle faisait toujours trembler sa rivale victorieuse. On sait qu'une des clauses du dernier traité obligeait les Carthaginois à ne faire la guerre à aucun peuple sans l'assentiment du sénat romain. Le roi numide Masinissa, allié de Rome, résolut de profiter de cette situation pour agrandir ses États au détriment de Carthage. Chaque année, il s'appropriait une nouvelle ville, un nouveau canton. Les Carthaginois qui avaient les mains liées par le traité ne pouvaient se défendre; ils portèrent leurs réclamations devant le sénat romain. Rome qui, à ce moment, était engagée dans sa lutte contre Persée, roi de Macédoine, prit garde de se mettre un nouvel ennemi sur les bras; l'affaire traîna en longueur, on fit des réponses évasives, et finalement dix commissaires furent nommés pour aller en Afrique trancher le différend entre Carthage et Masinissa. Caton était au nombre des arbitres. La vue des richesses et de la prospérité de Carthage qu'il avait crue affaiblie pour jamais, aviva sa haine jalouse; grâce à lui, les commissaires revinrent à Rome sans avoir fait droit aux légitimes revendications des Carthaginois, et le jour où il rendit compte de sa mission au sénat, Caton, laissant tomber de sa toge des figues de Libye, s'écria : 
« La terre qui les produit n'est qu'à trois journées de Rome. » 
A partir de ce jour, il termina invariablement tous ses discours par ces paroles : 
« Delenda quoque Carthago,  j'ajoute qu'il faut que Carthage soit détruite ».
Il y avait alors à Carthage trois factions rivales : le parti de l'alliance romaine, dont le chef était Hannon; celui de l'alliance numide dirigé par Hannibal Passer ( = le Moineau); le parti populaire et national qu'inspiraient Hasdrubal et Carthalo. Celui-ci, le plus fort et le plus turbulent, exaspéré par la mauvaise foi des Romains, chassa de Carthage les amis des Numides et la guerre fut déclarée à Masinissa. Une grande bataille fut livrée à Oroscope en 149, et les Carthaginois vaincus perdirent cinquante-huit mille hommes. Rome alors intervint et, résolue d'en finir avec sa rivale tout à fait affaiblie, elle lui déclara la guerre sous prétexte que les Carthaginois avaient, sans son autorisation, ouvert les hostilités contre Masinissa. Déjà les consuls étaient partis avec une armée de débarquement quand arrivèrent de nouveaux ambassadeurs exposant que Carthalo et Hasdrubal venaient d'être exilés, et déclarant que Carthage s'en remettait à la discrétion du peuple romain. Le sénat répondit ironiquement qu'il laissait aux Carthaginois leurs lois, leurs terres et leurs cités, qu'ils devaient envoyer en otages trois cents membres choisis parmi les familles les plus illustres et que, pour le reste, il leur faudrait s'en rapporter à la décision des consuls.

Ceux-ci débarquèrent à Utique avec quatre-vingt-quatre mille hommes; les ambassadeurs carthaginois les y rejoignirent. Le consul Marcius Censorinus leur demanda de livrer toutes leurs armes et toutes leurs machines de guerre, la protection de Rome devant suffire à garantir leur sécurité, même contre Hasdrubal et les dissidents : les Carthaginois se désarmèrent sans murmurer. Puis, le consul ajouta ces cyniques paroles que n'aurait jamais su trouver la foi punique elle-même : 
« Je vous loue de votre prompte obéissance à exécuter les ordres du sénat; connaissez à présent ses dernières volontés : il vous commande de sortir de Carthage qu'il a résolu de détruire, de vous établir dans le lieu que vous choisirez, pourvu que ce soit à quatre-vingts stades de la mer. » 
A peine les ambassadeurs eurent-ils fait connaître au peuple cette suprême et inique exigence, qu'un immense cri de vengeance et de rage fit explosion : les chefs des diverses factions, tout à l'heure prêts à s'entre-tuer, s'embrassèrent. Hommes, femmes et enfants, tout le monde se prépare à la résistance. Les ateliers fabriquent chaque jour cent quarante boucliers, trois cents épées, cinq cents piques, mille traits et des machines; les femmes donnent leurs parures; on tisse des cordages avec leurs cheveux; on prend les poutres des maisons pour en fabriquer des vaisseaux; Hasdrubal et les trente mille bannis qui composaient son armée campée à Néphéris et menaçaient la ville, furent rappelés en toute hâte. Lorsque le consul, attendant patiemment la réponse, s'avança du côté de la ville, il trouva les portes closes et un peuple prêt à mourir pour Carthage. Sur ces entrefaites, des ordres nouveaux et pressants arrivèrent de Rome, ordonnant d'en finir avec Carthage.

Les consuls Manilius et Censorinus, suivant ces instructions à la lettre, se partagèrent la tâche de donner l'assaut. Manilius a pour mission de conduire les opérations du siège, par terre, du côté de la presqu'île; Censorinus dirige ses efforts contre l'angle de la Taenia, non loin du port marchand. Une première, puis une seconde attaque, sont successivement repoussées; après un troisième assaut, Manilius qui doit combler le vallum et escalader les murailles de la triple enceinte, considère la place comme inexpugnable, Quant à Censorinus il est plus heureux du côté de la Taenia, moins fortifiée. Deux énormes béliers appuyés chacun par six mille hommes réussissent à ouvrir une brèche dans la muraille; les Carthaginois s'élancent par cette ouverture et mettent le feu aux machines des Romains; ceux-ci, à leur tour, reprennent l'offensive, se rendent maîtres de la brèche et se précipitent sur les Carthaginois rangés en bataille a quelque distance de l'enceinte, les hoplites en première ligne, les hommes armés de pierres et de massues, au second rang. Les Romains sont repoussés : seule, la valeur de Scipion Emilien, alors tribun militaire, empêcha cet échec d'être changé en désastre. Les chaleurs de l'été, la peste qui sévit dans l'armée romaine déterminèrent Censorinus à regagner la haute mer avec ses vaisseaux.

Dès lors les Carthaginois reprennent l'offensive contre Manilius dont ils assiègent le camp, situé, suivant Charles Tissot, à la hauteur du village de Sidi-Daoud. Les Romains réussissent à garder leurs positions. Au printemps de l'an 148, le consul Calpurnius Piso et le préfet de la flotte L. Mancinus prirent le commandement des forces romaines. Ils sont battus devant Clypea et Hippo Diarrhytus par Hasdrubal qui tenait la campagne, et forcés de prendre leurs quartiers d'hiver à Utique. Ce fut alors que le Sénat romain, ému de ces échecs répétés, donna la direction suprême de la guerre d'Afrique à Scipion Émilien. Celui-ci organise son armée à Utique, tandis que Mancinus avec la flotte, opère subitement un débarquement et escalade avec des échelles le mur qui borde le promontoire escarpé de Sidi Bou-Saïd. Les Romains finissent par occuper, dans le pomaerium, une assez forte position. Scipion apprend ce succès, vole au secours de Mancinus et arrive au moment où celui-ci allait être précipité du haut de la falaise dans la mer. Scipion commença par diriger, la nuit, une double attaque contre le faubourg de Megara, par les pentes occidentales de Kamart. Les Carthaginois surpris durent, malgré une résistance acharnée, laisser les Romains se rendre maîtres du rempart. Scipion entre dans Megara avec 4000 hommes, et une fois maître de cette partie de la ville, il assure ses communications avec son camp situé à l'Ouest de Sidi-Daoud, coupe l'isthme par un fossé de 25 stades (4625 m), et emploie vingt jours à se fortifier contre tout retour offensif de l'ennemi, et à mettre Carthage hors d'état de recevoir des secours du côté de la terre ferme.

Cependant, le général carthaginois Bithyas, campé avec son armée près de Néphéris, envoyait par mer des secours en vivres et en hommes à la ville assiégée. Scipion résolut en conséquence de compléter l'investissement en fermant l'entrée des ports. Il fit jeter devant l'ouverture du port marchand une digne de 24 pieds de large au sommet sur  96 pieds de large à la base : on voit encore aujourd'hui les vestiges de ce travail gigantesque. Alors, les Carthaginois résolurent de percer une nouvelle issue à leurs ports sur la haute mer.

« Hommes, femmes et enfants, dit Ch. Tissot résumant le récit d'Appien, y travaillèrent jour et nuit, en commençant par la partie intérieure, et avec tant de secret que Scipion ne put rien savoir des prisonniers qu'il fit alors, sinon qu'on entendait un grand bruit dans les ports, mais qu'on en ignorait la cause. En même temps, les assiégés construisaient avec d'anciens matériaux des trirèmes et des quinquérèmes. Enfin, lorsque tout fut prêt, les Carthaginois ouvrirent la communication avec la mer et sortirent avec cinquante trirèmes et un grand nombre d'autres bâtiments de moindres dimensions, tous formidablement armés. »
La flotte romaine était sans défense puisque les matelots eux-mêmes avaient débarqué pour prendre part aux opérations du siège; si les nouveaux vaisseaux carthaginois, peut-être contrariés par le vent, n'eussent manoeuvré avec indécision, c'en était fait de l'armée romaine. Mais ce ne fut qu'au bout de trois jours que les Carthaginois présentèrent le combat : les galères romaines étaient prêtes à répondre à l'attaque. La mêlée dura plusieurs jours, sans trêve ni relâche, avec un acharnement épouvantable. Les vaisseaux carthaginois se réfugient le long du quai qui borde la pleine mer et se trouvent protégés par les défenses des remparts. Scipion cherche dès lors à s'emparer du quai et fait avancer ses béliers pour saper le mur de mer. Un détachement de Carthaginois se jetant dans l'eau, s'avancent les uns à la nage, les autres ayant l'eau jusqu'à la poitrine. Arrivés près des Romains, et sans répondre aux coups qui leur sont portés, ils allument des torches. et brûlent les béliers, puis regagnent leurs positions à la nage, tandis que les Romains sont forcés de rentrer dans leur camp. Chaque jour renouvelle de pareils traits d'audace de la part des assiégés et une opiniâtreté toujours plus obstinée du côté des assiégeants : on atteignit ainsi la fin de l'été. Les Romains, maîtres d'une partie des quais, se fortifièrent dans leurs positions et suspendirent les opérations du siège. Dans l'hiver, Scipion, qui allait être attaqué sur ses derrières par une armée de renfort, prend la place de Néphéris où il tue ou fait prisonniers 80 000 hommes.
« Dès les premiers jours du printemps de l'année suivante, dit Appien, Scipion résolut d'attaquer Byrsa et celui des ports intérieurs qu'on appelle Cothon. Hasdrubal fit incendier pendant la nuit la partie quadrangulaire du Cothon, espérant arrêter ainsi la marche de l'ennemi, mais tandis que lui et les siens étaient tout entiers à cette opération, Lélius, à leur insu, escalada la partie opposée du port, qui était circulaire. Les Romains s'élancent de toutes parts, passent d'une enceinte à l'autre au moyen de poutres et de planches et repoussent facilement un ennemi exténué par la faim. Ils s'emparent ainsi du mur qui enfermait le Cothon. La nuit était venue : Scipion campe avec ses troupes sur le forum, qui était voisin du port. » 
Les Romains étaient au coeur de la ville; il ne leur restait plus qu'à prendre d'assaut la citadelle. Trois rues, dit Appien, y montaient du forum, formées de maisons très serrées à six étages. Les Romains durent faire le siège des maisons, les unes après les autres, avançant lentement de terrasse en terrasse, au moyen de planches et de poutres jetées sur les intervalles des rues adjacentes. On arriva ainsi au pied des murailles avancées de Byrsa qu'on sapa par la base pendant six jours et six nuits d'un travail sans relâche. Les opérations touchaient à leur fin lorsqu'une députation suppliante descendit du temple d'Esculape (en fait Eschmoun) apportant la reddition de la place. Cinquante mille personnes de tout âge et de tout sexe défilèrent en vaincus dans le camp des Romains.

Cependant, Hasdrubal et les transfuges romains se renfermèrent dans le temple d'Eschmoun refusant de se rendre ; au nombre de neuf cents, ils résistèrent pendant plusieurs jours à tous les assauts. Ils étaient épuisés et près de succomber lorsque Hasdrubal, par une inexplicable défaillance, dans le but peut-être de sauver sa vie, descendit au camp romain par un chemin détourné, une branche d'olivier à la main : c'était une trahison. Transportés de rage, les assiégés résolurent de mettre eux-mêmes le feu au temple et de s'ensevelir sous ses ruines; la femme d'Hasdrubal elle-même, se parant de ses habits de fête et tenant ses deux enfants par la main, parut au milieu des flammes, où elle périt en proférant des imprécations contre la lâcheté de son mari et contre les Romains; les autres guerriers imitèrent son exemple. On dit que ce spectacle arracha des larmes à Scipion et que, lisant dans l'Iliade la chute de Troie, il prédit la ruine de Rome par un juste retour des choses d'ici-bas. L'incendie de Carthage dura sept jours.
 « Il faut lire dans Appien, dit Charles Tissot, le récit tout entier de ces derniers jours de Carthage [...]. Les maisons qui s'écroulent avec leurs défenseurs, les survivants, femmes, enfants, vieillards, traînés par des crocs, entassés pêle-mêle avec les morts, et ensevelis tout vifs sous les débris que les assiégeants nivellent à la hâte, les membres encore palpitants qui sortent des décombres et que les cavaliers heurtent du sabot de leurs chevaux, le va-et-vient des cohortes qui se relayent dans cette oeuvre de destruction, les sonneries des trompettes, les ordres que portent les aides de camp, les commandements précipités des tribuns et des centurions, aucun détail n'est oublié, et ce récit de la ruine de Carthage est un des tableaux les plus émouvants et les plus vrais que nous ait légués l'Antiquité. Nous disons « des plus vrais », car la couche épaisse de cendres, de pierres noircies, de bois carbonisés, de fragments de métaux tordus ou fondus par le feu, d'ossements à demi-calcinés, qu'on retrouve encore, à cinq ou six mètres de profondeur sous les décombres de la Carthage romaine, témoigne assez de ce que fut cette horrible destruction. »
Tout ce qui restait fut pillé par les soldats, à la réserve des statues et des ex-votos des temples qui furent destinés à orner le char du triomphateur. Byrsa et tout le quartier du forum et des ports n'était plus qu'un monceau de décombres, mais les faubourgs de Mapalia et de Megara avaient moins souffert et étaient encore en partie debout. Consulté par Scipion, le sénat romain, impitoyable, envoya une commission pour que l'oeuvre de destruction fit accomplie jusqu'au bout. Maisons, temples et remparts, tout fut systématiquement démoli et rasé, et défense fut faite d'habiter ces ruines que de solennelles imprécations vouèrent aux dieux infernaux.


Helène Guiraud, Hellénisation en Méditerranée occidentale au temps des Guerres puniques, Presses universitaires du Mirail, 2006.
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