| La Révolution, en renouvelant l'état social de la France, vint apporter aussi des modifications dans l'existence de l'art. Le fanatisme de l'antique s'accentuait chaque jour dans les usages de la vie, et dans tous les détails du costume. Les meubles de la dernière partie du règne de Louis XVI trahissaient déjà une maigreur de forme et une recherche de la simplicité dénonçant l'imitation des marbres romains. L'avènement d'une société éprise du souvenir des républiques de la Grèce et l'Italie vint précipiter ce mouvement. L'ameublement devint athénien et bientôt même, à la suite de l'expédition d'Egypte, on copia les monuments des bords du Nil. Le goût public proscrivit les anciennes traditions d'élégance des derniers règnes, pour adopter des vêtements et des ameublements étrangers aux traditions françaises, dont l'emphase théâtrale et monotone nous étonne aujourd'hui. Le peintre Louis David fut le coryphée de ces doctrines esthétiques qui condamnaient comme entachés de mauvais goût les meubles ornés de mosaïques et de marqueterie, les fines ciselures de bronze, les délicates productions céramiques, et les sculptures sur bois, pour rechercher des formes et des modèles primitivement destinés à être taillés dans le marbre ou dans les pierres dures. Les ouvriers, dispersés par suite de la fermeture des ateliers et découragés par cette évolution du goût, se désintéressèrent de la production artistique qui disparut sous l'indifférence générale. De ce jour commence la séparation entre l'art et l'industrie que ne connaissaient pas leurs habiles devanciers. - Fauteuil Premier Empire. (Mobilier national) L'architecte Percier fut chargé, sous l'Empire, de meubler à nouveau les anciennes résidences, que des ventes successives, faites après la chute de la royauté, avaient dénudées. Les nombreux dessins qu'il fit alors dénotent une imagination féconde, mais il devait donner satisfaction à un guerrier, fils de la Révolution, qui désirait s'entourer des souvenirs de ses campagnes militaires en Egypte et en Italie. Percier s'attacha a multiplier les emblèmes guerriers sur tous les objets d'ameublement; il simulait des tentes de campagne pour y disposer des cabinets de travail, tandis que les alcôves des chambres à coucher rappelaient les autels des musées de Rome ou les triclinium de Pompéi. L'ébéniste Jacob Desmalter fut le représentant le plus autorisé de l'art de l'ameublement pendant la durée du Premier empire. C'est lui qui fut chargé d'exécuter les grandes consoles et les buffets en bois d'acajou, soutenus par des cariatides ou des figures de sphinx en bronze qui garnissaient les appartements du palais des Tuileries et des châteaux de la couronne. Ces commandes, qui auraient pu exercer une action si favorable sur le relèvement des anciennes industries artistiques en France, dont les anciens représentants achevaient obscurément leur existence, furent dirigées avec une absence complète de goût et avec l'ignorance la plus absolue des règles de l'art. On ne sait ce que l'on doit le plus déplorer des formes massives et disgracieuses ou de la banalité prétentieuse des ornements de ce mobilier. Le dernier degré désirable de la perfection semblait alors la mise en oeuvre de l'orme noueux et des essences indigènes qui devaient affranchir la France du tribut payé à l'étranger, avec lequel on était en guerre, pour l'importation des bois exotiques. On oubliait que les ébénistes antérieurs avaient su tirer de ces matières premières, habilement employées par eux, une importante source de revenus pour le pays. - Table de toilette du Premier empire (Mobilier national). Le mal ne tarda pas à s'aggraver lorsque disparurent les derniers représentants des grands ateliers parisiens du XVIIIe siècle et de ceux qui, nouveaux venus, s'étaient appliqués à égaler les procédés de fabrication qu'ils avaient vu employer par les survivants de l'ancienne industrie. Avec eux s'éteignirent les souvenirs de ces grands travaux de ciselure sur cuivre, de marqueterie de bois, et d'incrustations sur écaille, qui ne trouvaient plus l'occasion de se produire. L'ébénisterie alla déclinant sans cesse pendant la Restauration et sous le règne de Louis-Philippe pour tomber absolument dans la pratique industrielle. Il se fit entre l'art et le commerce une séparation aussi profonde que regrettable et les ouvriers, ne se sentant plus soutenus par les maîtres, tombèrent dans la pratique absolue du métier. Rien ne parait plus triste et plus glacial que l'ameublement de cette époque. La majeure partie des appartements, revêtus en papier d'un dessin vulgaire, étaient garnis de meubles aux formes raides ou grêles, tandis que les tentures des lits et des fenêtres étaient drapées en plis les plus disgracieux. Sur les cheminées et sur les consoles étaient placés des pendules et des flambeaux aussi médiocres d'exécution que banals de composition. Malgré tout, et sans doute par force de l'habitude, la France imposait son goût à l'étranger qui commandait chez les fabricants français des productions moins mauvaises que celles que l'on rencontrait dans les autres pays. Durant cette longue période d'effacement artistique, tout ce qui rappelait l'ancien ameublement fut proscrit plus sévèrement que jamais. C'est à ce moment surtout que les plus beaux spécimens de décoration intérieure furent sacrifiés sans nécessité pour faire place aux moulures de menuiserie encadrant des panneaux de papier peint que l'on regardait comme la dernière expression du luxe moderne. Il ne tarda pas cependant à se produire une réaction en faveur du passé; elle était la conséquence des luttes littéraires qui accompagnèrent l'apparition du style romantique et de la rénovation des études historiques. L'art classique si fatal à notre industrie fut abandonné et l'on rechercha tout ce qui rappelait le Moyen âge et la Renaissance. On fut plus longtemps à comprendre l'élégance gracieuse des meubles des deux derniers siècles, mais l'heure de la juste revanche devait aussi bientôt sonner pour eux. Cette renaissance timide et un peu inexpérimentée à ses débuts était dirigée par les sculpteurs Klagmann et Feuchère, aidés par divers dessinateurs et par des modeleurs habiles. Les progrès étaient assez accentués pour que, lors de l'exposition universelle de Londres, en 1851, l'industrie artistique de la France fût placée au premier rang. A l'occasion de ce concours international Laborde publia un intéressant rapport dans lequel il indiquait tout ce que les fabricants français devaient tenter pour renouer les fils de la tradition. Il rappela que l'étude seule des monuments pouvait faire comprendre le caractère et le goût particuliers de chaque époque et qu'avant de rien créer, les ouvriers devaient s'assimiler à nouveau les éléments d'un art dont la tradition était perdue. Ces conseils ne furent pas donnés en vain, et les ébénistes s'efforcèrent de répondre à ce réveil du goût en retrouvant les principes dont s'inspiraient leurs prédécesseurs. Bientôt ils apprirent à sculpter les dressoirs et les bahuts de chêne ou de noyer, d'après les modèles des huchiers du Moyen âge et de la Renaissance; d'autres consacrèrent leurs burins à l'imitation des incrustations de cuivre et d'écaille d'après C.-A. Boulle, tandis que de nombreuses maisons produisaient des meubles d'un goût tout parisien en les décorant de fines marqueteries de bois et de délicates ciselures sur bronze. En quelques décennies, l'ameublement s'est assimilé tous les procédés; à la fin du siècle, il connaît par coeur le style de toutes les époques, et il peut répondre à toutes les demandes d'un public trop épris du passé, dont les goûts éclectiques n'ont adopté aucune manière particulière. Les habitations du XIXe siècle, bien disposées au point de vue du confortable intérieur, ne présentent le plus souvent que des restitutions du passé. On y vit dans des salles à manger Moyen âge et Renaissance, dans des salons Louis XIV, dans des boudoirs Louis XV et dans des chambres de l'époque de Louis XVI; ce que l'on y trouve le moins, c'est un ameublement portant le cachet original du XIXe siècle. (A. de Champeaux). | |