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L'architecture égyptienne
Si l'on jette un coup d'oeil d'ensemble sur les monuments de l'ancienne Égypte, en partant du plus ancien pour arriver au plus moderne, on est frappé au premier abord par un manque complet de variété. En réalité, on le verra, cette invariabilité n'est qu'apparente. Quoique des règlements sacerdotaux eussent fixé, dès l'origine et d'une manière durable, certaines lois de construction, le temps apportait fatalement des changements, changements à peine perceptibles pour les Égyptiens, mais dont nous pouvons facilement nous rendre compte en comparant un temple de l'Ancien Empire avec un temple des époques ptolémaïqueou romaine

En suivant toute la série, les variations ne se remarquent pas; en passant plusieurs anneaux de l'immense chaîne, les modifications sautent aux yeux. Les plus anciens édifices égyptiens rappellent les monuments mégalithiques, avec cette différence, cependant, qu'ils sont soigneusement taillés et habilement disposés. Le plus antique que l'on puisse citer, - après le Sphinx, colline de calcaire taillée en forme de lion accroupi, à tête humaine - est un temple d'Isis situé près des grandes pyramides de Gizeh. Ce monument paraît appartenir à une époque à mi-chemin entre les temps préhistoriques et ceux des pyramides. Il est formé d'immenses blocs de granit et d'albâtre, dont quelques-uns mesurent plus de cinq mètres de long. Le tout est taillé à angles droits, disposé perpendiculairement, sans un ornement, sans une moulure, sans un hiéroglyphe

Pourtant, le soin avec lequel les matériaux sont polis et appareillés montre qu'à cette époque lointaine les Égyptiens étaient déjà fort avancés dans l'art de construire. Il serait impossible de tracer, en étudiant tous les genres à la fois, l'histoire de l'architecture égyptienne. Aussi étudierons-nous séparément les différents ordres de monuments que nous a légués l'ancienne Égypte. Ce moyen nous permettra de mieux en suivre les développements et de mieux en saisir les variations. On insistera sur  les aspects pittoresques, archéologiques et historiques. Le côté technique et pratique de la question demanderait une étude trop détaillée des procédés de construction et nous eût entraîné, et pour le texte et pour les illustrations, en dehors des limites d'un article d'encyclopédie

Pilastre (Thèbes, 18e dynastie).
Cariatide du temple de Ramsès III.
L'architecte et sa matière

Avant de passer en revue ces genres divers, il nous faut déterminer les procédés généraux de construction qui s'appliquent indistinctement à tous ces genres. Les matériaux le plus souvent employés sont le granit, le grès, le calcaire et l'albâtre, toutes pierres se rencontrant en abondance dans les carrières égyptiennes. Parfois, les Égyptiens se servaient de briques séchées au Soleil, mais seulement pour les constructions de moindre importance. Le bois (cèdre, acacia, sycomore) et le métal (électrum, bronze, cuivre) n'étaient guère utilisés que pour les portes des grands temples. Le bois, pourtant, servait avec la brique à construire les kiosques et les habitations de campagne. Des troncs de Dattiers étaient quelquefois, pour leur donner plus de solidité, disposés dans l'épaisseur des larges murailles de briques servant de parois aux forteresses ou d'enceintes aux cités.
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Les architectes égyptiens

L'Égypte antique, avec ses nombreuses inscriptions funéraires, nous indique nombre d'architectes dont les noms sont tracés par les hiéroglyphes couvrant des tombeaux qui remontent jusqu'aux premières dynasties de la période memphite (Ancien Empire), c.-à-d. jusqu'aux grandes pyramides, dont quelques-uns de ces architectes furent les constructeurs. Chacun des principaux temples de l'Égypte, d'après Paul Pierret, avait un architecte chargé de son entretien et chaque grande ville avait un premier architecte. L'architecte en chef du pays se nommait chef de toutes les constructions de la Haute et de le Basse-Égypte et cette fonction, de grande importance, souvent confiée à des princes du sang royal ou à des alliés à la dynastie régnante, est mentionnée, - comme pour Ptah-Asés, un des chefs de tous les travaux sous la IVe dynastie, ou comme pour Una , un des directeurs de travaux de la Vle dynastie, - avec force détails s'enchaînant parfaitement et offrant une réelle analogie avec le cursus honorum d'un personnage consulaire de la Rome impériale.

Les murs sont ordinairement composés d'assises horizontales dont les pierres présentent en hauteur des joints verticaux et parfois inclinés. Ces pierres sont creusées, sur leurs bords contigus, dans le sens horizontal, de mortaises triangulaires et reliées entre elles au moyen de tenons de bois en queue d'aronde. On a quelques exemples d'assises courbes sans que la nature du terrain puisse toujours servir à expliquer ce mode étrange de construction. 

Enfin, le corps même de la muraille peut être formé de menus matériaux, non taillés, revêtus, aux deux côtés extérieurs, d'un parement de grandes pierres bien polies et appareillées. Les plafonds sont soutenus par des piliers quadrangulaires, souvent sculptés en colonnes; ces piliers supportent des architraves formées de longues pierres joignant les piliers deux à deux, et sur ces architraves sont rangées les dalles formant à la fois le plafond de la salle et le sol de la terrasse ou de l'étage supérieur. La voûte était, dès les temps les plus reculés, connue des anciens Égyptiens, et pourtant ce mode si simple de construction - qui, en d'autres pays et même dans l'Égypte moderne, prit tant de développements - ne fut jamais employé aux époques pharaoniques que dans des occasions purement accidentelles. 

La voûte égyptienne était de deux sortes : 

1° la voûte en encorbellement, composée d'assises surplombant les unes sur les autres et se rejoignant au sommet de la voûte; 

2° la voûte proprement dite, à voussoirs et à clé de voûte, faite tantôt en pierres et tantôt en briques. 

Tels étaient, d'une manière générale, les procédés de construction mis en oeuvre par les anciens Égyptiens, mais nous aurons l'occasion, en examinant les différents emplois de l'architecture, de relever quelques exceptions à la règle ordinairement adoptée.

Fabrication de briques crues (tombeau de l'Assassif, Thèbes).

L'architecture funéraire

Pour bien comprendre la disposition d'ensemble d'une sépulture égyptienne, il importe d'abord de connaître les idées que se faisaient les Égyptiens de la vie dans le monde-autre (Religion égyptienne). Pour eux, l'humain ne mourait pas entièrement. Outre que sa momie devait ressusciter un jour, une partie de lui-même restait sur Terre. Cette partie, nommée double, était intermédiaire entre le corps et l'âme. C'était comme une seconde âme, plus matérielle. Le double avait exactement la forme du corps, auquel il se combinait intimement, qu'il pénétrait dans toutes ses parties et dont il ne différait que parce qu'il était immatériel et transparent. Pour lui restituer le support qu'il avait perdu par la mort du corps qu'il habitait, on plaçait dans le tombeau un certain nombre de statues du défunt. Le double retrouvait là la forme exacte de son ancien domicile et s'y incorporait. De là, pour les Égyptiens, deux conditions à remplir en construisant leurs sépultures : loger la momie et loger le double. La momie, qui ne devait plus revoir le Soleil, était placée dans une chambre que l'on murait pour l'éternité. Le double, qui vivait et à qui s'adressaient tous les hommages de la famille, habitait une salle ouverte à tout venant. 

La chambre funéraire, quand elle était décorée de figures, ne comportait que des représentations religieuses et infernales; le défunt y était comme entouré de ses concitoyens nouveaux. La chapelle de réception ne renfermait, au contraire, que des scènes de la vie civile n'ayant aucun caractère funèbre. Biographie du défunt, faits principaux et honorifiques de son existence, tableaux représentant les phases diverses de la vie égyptienne, chasses, pêches, fêtes, tels étaient, en général, les ornements ordinaires de la salle du double. Selon les époques et les localités, ces deux parties de la tombe présentaient, par rapport l'une à l'autre, des dispositions différentes.

Sous l'Ancien Empire, les tombes offrent deux formes principales : la pyramide et le mastaba. Toutes les pyramides que l'on a eu l'occasion d'ouvrir sont des tombes royales; les mastabas, au contraire, ne renferment que les momies de simples particuliers, ou plus exactement de notables. Dans l'axe central de la pyramide, soit dans l'intérieur de la maçonnerie, soit sous le sol, se trouve la partie de la tombe consacrée uniquement à la momie. Cette partie se compose d'une seule chambre pour les pharaons peu importants, de plusieurs salles pour ceux auxquels leur règne plus long a permis de consacrer de nombreuses années à la construction de leur dernière demeure. Ces salles, à l'origine, sont fort simples, dénuées d'ornements et ne renferment que le sarcophage. Un peu plus tard, sous les Ve et VIe dynasties, on les trouve décorées de longues inscriptions formant tout un rituel funéraire. Ces chambres communiquent avec l'extérieur de la pyramide par un couloir en pente qui s'ouvre au niveau du sol, ou vers la moitié de la hauteur du monument. Aussitôt le défunt enseveli, ce couloir était soigneusement refermé par des dalles de pierre disposée par intervalles dans sa longueur et l'entrée en était recouverte par le parement général de la pyramide. Quant à la chapelle de réception, elle était située au bas de l'un des côtés de la pyramide.

A vrai dire, on n'a pas encore retrouvé de ces chapelles extérieures dans les pyramides de l'Ancien Empire, mais dans la nécropole de Méroé (Soudan), bien postérieure comme époque, quoique les tombes en affectent également la forme pyramidale, les chapelles du double sont admirablement conservées. On peut donc en conclure, par analogie, que des édicules, aujourd'hui disparus, existaient au pied des pyramides de l'Ancien Empire. Dès qu'il était monté sur le trône, un roi faisait commencer les travaux de sa tombe et s'arrangeait de manière qu'elle pût être achevée en peu de temps, aussitôt sa mort venue. Aussi, les pyramides étaient-elles construites, non pas par couches horizontales, comme Hérodote le laisse supposer, mais par un noyau pyramidal central qui allait s'élargissant de jour en jour par des revêtements successifs. Ce mode de construction, mis au jour par les recherches des égyptologues, s'accorde mieux avec les idées des Égyptiens qui voulaient que l'on pût juger la longueur d'un règne d'après les seules dimensions d'une tombe royale.

Le mastaba avait extérieurement l'aspect d'une pyramide tronquée fort près du sol. Dans l'intérieur du monument se trouvent les salles de réception et les chambres où sont enfermées les statues du double. Cette partie de la tombe est décorée de scènes de la vie civile, dont on peut se faire une idée en examinant les tableaux, si souvent publiés, qui sont peints sur les parois de la sépulture de Ti, à Saqqarah. En soulevant l'une des dalles de ces pièces, on trouve l'ouverture d'un puits qui s'enfonce verticalement dans le sol et est obstrué de briques cassées, de tessons, de mortier. Ce puits, souvent fort profond, aboutit à la partie réservée à la momie; plusieurs chambres pour les gens riches, une seule pour les moins fortunés. Ces caveaux funèbres ne sont que très rarement ornés.

Sous le Moyen Empire, dont on a retrouvé des monuments funèbres dans les nécropoles d'Abydos et de Thèbes (Drah-Abou'l-Neggah), les tombes sont encore construites et rangées en plaine. La disposition en a peu changé, les matériaux employés y sont seulement de moindre importance. Au lieu de blocs gigantesques de calcaire ou de granit, on se sert plutôt de briques. Quand aux formes architecturales des sépultures appartenant à cette époque, l'état d'extrême mutilation des monuments qui auraient pu nous les transmettre nous oblige à n'en parler qu'à peine. Dans la nécropole d'Abydos, on retrouve les traces de salles de réception voûtées. A Thèbes, la partie extérieure de la tombe semble avoir eu la forme d'un édifice complet, situé au milieu d'un jardin. 

Enfin, sous le Nouvel Empire, c. -à-d. à partir de la XVIIIe dynastie, la tombe change entièrement de forme. Au lieu de s'élever sur le sol, elle est creusée dans la montagne. Là encore nous avons à faire la division en sépultures royales et en sépultures particulières. Pour les rois, les deux parties de la tombe sont absolument séparées; pour les particuliers, elles sont réunies intimement. La chaîne de montagne qui borde Thèbes vers I'Occident est littéralement criblée de cavités sombres qui sont les ouvertures d'autant de tombes. Toutes sont construites sur un modèle uniforme. D'abord, une longue et étroite salle, parallèle au grand axe du tombeau; puis plusieurs autres salles, dans l'une desquelles s'ouvre un puits peu profond, conduisant au caveau de la momie. Les dernières salles sont ornées de représentations funèbres et religieuses. La première, dont la porte qui communiquait avec les autres semble avoir été murée, rappelait sur ses parois toute l'existence du défunt; c'était la salle de réception. Une stèle encastrée dans l'une des murailles, s'adressait aux visiteurs et leur demandait des prières pour celui qui reposait dans la tombe. Une plate-forme, ménagée devant l'ouverture extérieure, soutenait un jardinet funèbre, au centre duquel était creusé un bassin sacré. 

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Deir el-Bahri : temple funéraire d'Hatshepsut.
Le temple funéraire  d'Hatshepsout (1508-1458 av. J.C.; XVIIIe dynastie), à Deir el-Bahari.
Source : The World Factbook.

Les momies des rois thébains étaient ensevelies dans une vallée sinistre et solitaire, qui s'ouvrait à l'Ouest de la ville, et qu'on nomme aujourd'hui vallée de Bibân-el-Molouk (Vallée des Rois). Une suite de galeries et de salles, descendant obliquement sous le sol, telle était la demeure propre du défunt. On en murait l'entrée, et même, pour mettre le cadavre à l'abri de toute profanation, on en dissimulait la place en aidant la montagne, très friable en cet endroit, à s'ébouler devant l'ouverture. Ces hypogées ne contiennent que des représentations funèbres. La plupart sont très richement ornés de peintures et de sculptures. L'un des plus remarquable que l'on connaisse est celui de Sethi Ier, dont un bas-relief a été enlevé et apporté au Musée du Louvre; les tableaux y sont d'une variété de coloris extraordinaire. 


Transport des briques et du mortier.

C'est dans Thèbes même, loin de la vallée de deuil, que se trouvent les temples funéraires qui, pour les rois, répondaient aux salles de réception des tombes ordinaires. Ces temples, de grandes dimensions, s'étendent sur la rive gauche du Nil et forment le quartier de la ville appelé Memnonia par les Grecs. On y trouve représentés les principaux traits de la vie des rois, fêtes de couronnement, batailles, triomphes : l'un d'eux y est même figuré au milieu des plaisirs de son harem. Le terrain ne faisant pas défaut, le jardinet des simples particuliers se transformait en parc, et le bassin prenait l'importance d'un grand lac. Un temple funéraire était comme une vaste colonie chargée de pourvoir elle-même à son entretien et à sa subsistance. Rien n'y manquait : étables, greniers, trésors, jardins potagers et jardins fruitiers, canaux communiquant avec le Nil et par lesquels arrivaient sans cesse  des bateaux chargés de tributs et d'approvisionnements. Quantité de gens l'habitaient, servis par des esclaves sans nombre. C'est là que les Égyptiens allaient, à certaines fêtes anniversaires fixées par la religion, rendre hommage à leurs souverains disparus. Ces temples mêmes se multipliaient; il n'y en avait pas seulement dans les villes où les rois étaient ensevelis, mais dans les principales cités égyptiennes. Ainsi, Ramsès III eut au moins trois temples funéraires, l'un à Memphis, l'autre à Héliopolis, le troisième à Thèbes.

En somme, on voit que, malgré les changements survenus aux différentes époques, la tombe égyptienne est toujours, en principe, restée la même. Les deux parties qui la constituaient, la salle funèbre et la salle de réception, n'ont varié que dans leur position par rapport l'une à l'autre, et par l'importance que leur donnaient la richesse ou la longévité de leur possesseur.

L'architecture religieuse

Un temple égyptien n'est pas un édifice religieux ouvert librement à tous, renfermant des salles spacieuses et brillamment ornées où se donnent des fêtes pompeuses. On n'y voit point les fidèles accourir de tous côtés pour adorer l'image imposante de la divinité. Dans un temple d'Égypte, tout est mystère, inconnu, obscurité morale et matérielle. Lorsque, après avoir traversé plusieurs cours et plusieurs salles vastes et bien éclairées, on dépasse le seuil du temple proprement dit, on se trouve dans un milieu vague, sombre et froid. A droite et à gauche, l'oeil entrevoit indistinctement des ouvertures donnant dans des salles privées entièrement de lumière. On avance, guidé par de rares points lumineux, semblant des rayons d'étoiles, qui tombent obliquement, çà et là, d'étroits soupiraux percés dans le plafond. Le dallage est à peine éclairé par places; le haut des colonnes se perd dans l'ombre. Enfin, on atteint le sanctuaire au fond duquel une niche, plus noire encore que tout le reste, renferme un attribut mystérieux, qui symbolise le dieu du temple, et que personne n'a jamais vu, hormis peut-être les rois et les prêtres. La divinité s'y fait d'autant mieux sentir qu'on la voit moins, et un prêtre nouveau, admis pour la première fois au sanctuaire, devait y éprouver une poignante émotion de trouble, de respect et de terreur religieuse, produite par la peur du mystère et de l'ombre impénétrables. 

Temple périptère d'Aménophis III. Eléphantine.
Un temple pharaonique répondrait d'ailleurs bien mieux à une sacristie qu'à une cathédrale. C'est une sorte de magasin sacré où les prêtres seuls peuvent pénétrer, et parfois le roi. Les chambres basses, sans jour, s'ouvrant de tous côtés sur les salles de l'axe, sont comme autant d'armoires ayant chacune son usage particulier. L'une reçoit les vêtements sacrés dont on recouvre les statues divines, une autre renferme les barques portatives que l'on promène dans certaines cérémonies publiques, à dos d'hommes, ou que l'on fait circuler sur des bassins divins. Les insignes, les accessoires de toutes sortes sont distribués dans d'autres pièces. Un dépôt d'approvisionnements reçoit, de toutes les villes tributaires du temple, les vivres qui doivent pourvoir à la subsistance de ceux qui l'habitent. Un laboratoire, dont les murs sont couverts de recettes de parfumerie gravées en hiéroglyphes, voit confectionner chaque jour les huiles et les onguents dont on oint les statues divines. Des cryptes, fermées par des ouvertures secrètes qui font songer au conte de Rhampsinite, s'étendent dans l'épaisseur des murs et recèlent les richesses les plus importantes du temple. Aucune salle habitable; les prêtres n'y demeuraient pas. Nulle trace fumeuse montrant qu'on y ait jamais allumé des lampes. Les cérémonies du culte se célèbrent en dehors du temple obscur, dans les premières cours, sur les terrasses, dans la partie comprise entre le monument et l'enceinte qui l'entoure.
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Bas-relief du temple d'Abydos.

À Abydos, on trouve deux cours, puis deux colonnades, et le temple retourne sur lui-même, en équerre. A Tentyris (Denderah), au contraire, le temple s'ouvre par la colonnade. A Louqsor, deux cours également, mais ne communiquant l'une avec l'autre que par une longue et haute galerie perpendiculaire. A Karnak, un petit temple, bâti sous la XIIe dynastie (Moyen Empire), est devenu peu à peu, par des embellissements successifs, l'un des plus vastes monuments que l'on connaisse. Chaque souverain a cru devoir ajouter, devant la façade qui existait, une façade plus monumentale encore; il en résulte que les cours et les colonnades y sont en fort grand nombre. D'autre part, le sanctuaire s'est développé de la même manière. A mesure que les pylônes s'élargissaient par devant, l'édifice, pour garder ses proportions, allait s'agrandissant par derrière, de sorte que la chapelle intérieure finit par se trouver comme perdue au milieu de plusieurs rangées parallèles de chambres et de couloirs.

D'autres temples, à Eilithyia (El Kab), à Éléphantine, à Philae, ne sont, au contraire, composés que d'une pièce unique. Généralement, dans les temples compliqués, lorsque l'on ne tient compte que de la partie la plus ancienne, on se trouve en présence d'un édifice relativement assez simple; les agrandissements seuls en ont modifié la forme primitive. 
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Portique du temple de Philae.
Grand portique du temple de Philae, en Nubie.

Dans diverses villes d'Égypte et de Nubie, on rencontre des temples creusés dans la montagne, et ordinairement désignés sous le nom de spéos. Naturellement, les pylônes, les cours ne s'y retrouvent pas; la façade en est décorée de gigantesques statues sculptées à même le rocher. Ces spéos, - car toute modification à la règle générale a sa raison d'être, - n'existent que dans les localités où la montagne est si rapprochée du Nil que la place manquait totalement pour édifier un temple. En somme, si les temples d'Égypte sont si variés, on ne doit attribuer cette variété qu'aux différences d'époques ou de localités, au temps plus ou moins long que vécurent leurs constructeurs, aux sommes d'argent qu'ils purent y consacrer, au goût des architectes chargés d'en dresser les plans, à l'importance des divinités auxquelles ils étaient destinés, à la disposition spéciale des lieux, et enfin à la proximité de carrières fournissant tels ou tels matériaux.

L'architecture civile

On n'a que fort peu de restes de l'architecture civile des anciens Égyptiens. Les sujets des pharaons, en effet, n'édifiaient solidement que les temples et les tombes. Ils ne considéraient leurs habitations, ainsi que nous l'apprend un ancien voyageur grec, que comme des hôtelleries où l'on passe un jour, et réservaient tous leurs soins pour la construction de leurs funèbres et éternelles demeures. Les maisons étaient bâties en matériaux fort peu durables, tels que la brique, le pisé ou le bois. De là vient qu'il nous reste à peine quelques ruines d'habitations égyptiennes. On peut néanmoins se rendre compte de ce que pouvait être une maison égyptienne par les représentations que nous en donnent les peintures sépulcrales et même par quelques minuscules spécimens qui sont parvenus jusqu'à nous. Dans les demeures d'une certaine importance, les chambres étaient disposées quadrangulairement autour d'une cour assez vaste. Une galerie, soutenue par des piliers, longeait ces salles et permettait de passer de l'une dans l'autre sans rester à découvert sous le ciel brûlant. Aucune fenêtre ne s'ouvrait sur l'extérieur, la lumière et l'air venaient de la cour; une étroite porte était la seule communication avec le dehors. Ces chambres étaient surmontées d'une terrasse circulaire à laquelle on arrivait par un escalier placé dans un angle de la cour. 

Parfois, comme dans bien des maisons du Caire, une ouverture percée dans le plafond servait à aérer l'intérieur. Elle était recouverte d'un auvent disposé obliquement vers le nord, de façon à intercepter les rayons du Soleil, tout en laissant pénétrer dans l'habitation les brises fraîches venant du côté de la Méditerranée. Les maisons de paysans comprenaient une petite cour entourée de murailles assez élevées et, au fond, deux ou trois pièces, en forme de hangars, surmontées toujours d'une terrasse; en Orient, la terrasse, où le soir on va prendre le frais, est un luxe accessible à tous. Dans les grandes villes, à Thèbes, par exemple,  les maisons avaient plusieurs étages; dans ce cas, le rez-de-chaussée était construit plus solidement, en pierres de taille. Elles étaient fort étroites, et les étages assez élevés; des fenêtres donnant sur la rue, et grillées peut-être comme aujourd'hui, à l'aide de moucharabiehs, en éclairaient l'intérieur.


Construction d'une maison.

On pourrait, grâce à un hasard historique étrange, reproduire le plan entier d'une ville de la XVIIIe dynastie (Nouvel Empire). Aménophis IV (Akhenaton) fit, en effet, construire de toutes pièces une cité qu'il nomma Pa-aten. Il l'habita quelque temps dans le but de supplanter Thèbes. Mais ses successeurs retournèrent à l'ancienne capitale, et la ville de Pa-aten, toute neuve encore, fut désertée de tous ses habitants et laissée à l'abandon. Elle n'eut donc pas le temps de s'user comme les autres villes égyptiennes et les restes s'en retrouvent aujourd'hui, presque intacts, près du village arabe de Tell-el-Amarna. La ville avait environ 3 kilomètres de longueur. Des rues étroites et disposées en angles droits la parcouraient en tous sens les maisons y étaient construites en calcaire et en briques et, d'après les arasements qui en subsistent, devaient, comme à Thèbes, avoir plusieurs étages. Des carrefours, peu de places publiques, si ce n'est autour des palais et des temples, qui étaient séparés des demeures privées par un assez grand espace de terrain. Peut-être les rues étaient-elles couvertes, comme le Mouski au Caire, pour abriter les promeneurs. En effet, dans les ruines d'une ancienne ville égyptienne de Nubie, peu connue, et située près du village moderne de Méhendi, on a trouvé presque toutes les rues protégées contre le Soleil par de longues voûtes percées, de loin en loin, d'ouvertures destinées à donner du jour et de l'air. 

C'était surtout à leurs habitations de campagne que les riches Égyptiens donnaient quelque importance. C'étaient des sortes de cottages construits en briques et en charpentes laissées à nu entre la maçonnerie. Les pièces de bois, disposées de manière artistique, contribuaient à donner à la maison un certain cachet pittoresque. Ces pavillons, assez petits, se trouvaient en assez grand nombre dans les propriétés. L'un servait de chambre à coucher, un autre de salle à manger, un troisième de salon de réception. D'autres, moins soignés, renfermaient les cuisines, les offices, les greniers, les chambres des serviteurs, etc. De grandes vérandas y laissaient l'air entrer librement. A la campagne, on avait moins besoin de préserver du Soleil les habitations qui étaient basses et se trouvaient ainsi ombragées par les grands arbres. On vivait au jardin. Des allées bien abritées s'y trouvaient à profusion ainsi que des tonnelles, des kiosques, des pièces d'eau et des canaux sur lesquels circulaient des bateaux de plaisance ornés d'épais tendelets. 

Les représentations nous montrent que, sous le rapport du goût et du confortable, les Égyptiens savaient donner à leurs maisons rustiques tout l'attrait possible. Chose assez curieuse, on n'a pas retrouvé en Égypte un seul monument qu'il soit permis de nommer convenablement un palais. Les ruines que l'on a prises pour des palais se sont toutes trouvées, après examen, être des ruines de temples. Où les pharaons habitaient-ils? Dans les temples, peut-être, quoique aucun d'eux ne soit guère habitable, si ce n'est celui de Médinet-Habou. Aussi, est-ce généralement ce monument que l'on a cité comme exemple de palais égyptien. Mais nous savons, par des documents certains, que c'était le temple funéraire de Ramsès III, et lui-même nous en a laissé la description en le qualifiant de Temple de millions d'années, ce qui signifie, dans la phraséologie égyptienne, temple funèbre. 

Il est probable que les palais royaux, s'il y en a eu, n'étaient guère plus durables que les demeures des particuliers et que c'est pour cette raison que l'on n'en a pas retrouvé de traces. Mais, probablement, il n'en a jamais existé. Aménophis III nous apprend que c'est dans le temple de Louqsor qu'il passa toute sa jeunesse et nous pouvons peut-être conclure de ce fait que les rois vivaient dans les temples, inaccessibles au commun des mortels, et invisibles comme la divinité. 

En résumé, la maison égyptienne n'était pas destinée à durer. Dans les villes, on la bâtissait comme on pouvait, selon le terrain dont on disposait, et l'on ne songeait qu'a bien s'y abriter de la chaleur. A la campagne, au contraire, on savait l'entourer de luxe et de coquetterie et, si elle n'était guère solide, la rendre du moins agréable à habiter pendant toute une existence, et juste assez durable pour qu'elle pût se maintenir jusqu'à la mort de son propriétaire.

L'Architecture militaire

Les spécimens de constructions militaires de l'ancienne Égypte ne sont pas très nombreux. Nous savons par les monuments que, dès l'Ancien Empire, les pharaons firent construire vers l'isthme de Suez des tours de garde destinées à protéger le pays contre les incursions des nomades arabes, mais nulle trace de ces ouvrages n'est parvenue jusqu'à nous. Plus tard, Amen-em-hâ Ier, fortifia cette ligne de défense par une solide muraille dont aucun reste ne nous marque aujourd'hui l'emplacement ou la direction exacte. Un de ses successeurs fit bâtir une forteresse à Pselchis, en Nubie, afin de tenir en respect les populations nubiennes, toujours prêtes à se révolter. Enfin, Sésostris III édifia, à la seconde cataracte, qui était alors la limite méridionale des possessions égyptiennes, deux forts importants qui, heureusement, existent encore. Ce sont certainement les plus anciens travaux militaires que l'on connaisse, car ils remontent à une antiquité d'au moins quatre mille ans.

L'un de ces forts est bâti à Semneh, sur la rive gauche du fleuve, l'autre à Kummeh, de l'autre côté de l'eau. L'emplacement en avait été admirablement choisi. Une colline assez haute barrait le Nil à cet endroit. Les eaux se frayèrent un passage à travers la pierre et une ligne étroite de rochers, formant cataracte, se trouva étranglée entre deux promontoires élevés. Ce furent ces deux promontoires qui reçurent les forts de Sésostris, lesquels commandaient ainsi le fleuve et la vallée. Ces édifices sont construits en briques crues, soutenues à diverses hauteurs par des madriers de dattier disposés horizontalement, et les murailles en ont 8 m d'épaisseur à la base et 4 au sommet, sur une hauteur de 25 m environ. Un certain nombre de tours, surmontées de créneaux, les encerclent. Ces tours ont 2 ou 3 m de saillie et sont défendues par des mâchicoulis d'où les assiégés pouvaient laisser tomber sur leurs ennemis de lourds projectiles. Autour des forteresses s'étend un fossé de 30 à 40 m de largeur. Escarpe, contrescarpe, rien n'y manque. Un glacis, régnant autour de l'ouvrage, constituait la ligne avancée de défense. En somme, ces monuments prouvent que les Égyptiens étaient déjà très avancés sur l'art de la fortification.

On a retrouvé également, à Abydos, un édifice, nommé aujourd'hui la Chounet ez-zébib, que l'on croit avoir été une forteresse. C'est une sorte de bâtiment élevé, quadrangulaire, entouré d'un mur moins haut, très épais, laissant tout autour du fort un chemin de ronde. Les entrées, très étroites, sont disposées de telle sorte que les assaillants ne pouvaient s'y engager que fort peu à la fois et devaient passer par des coudes nombreux et faciles à défendre. Cet édifice, qui se trouvait compris dans l'enceinte de la ville, n'était pas d'ailleurs construit de façon à subir des assauts sérieux; c'était plutôt un poste d'observation de la terrasse duquel on pouvait surveiller les gorges communiquant du désert en Égypte, et prévenir toute attaque de la part des Bédouins nomades. 

La plupart des villes égyptiennes étaient environnées de larges et solides murailles. L'enceinte d'Héliopolis se distingue encore, quoique à moitié recouverte par suite de l'exhaussement du sol, Nous savons, par les documents hiéroglyphiques, que Thèbes, Memphis, Napata, étaient des places fortes. A El-Kab, sur l'emplacement de l'ancienne Éilithyia, les remparts sont admirablement conservés. Ils forment un grand quadrilatère autour de la ville, sont construits en briques crues de fort grandes dimensions, et ont une épaisseur de 20 m environ. Aucune tour, aucune porte; on n'avait probablement accès dans la ville que par des voûtes basses percées au bas du mur. Des escaliers, disposés intérieurement aux quatre angles, permettaient aux défenseurs d'Elithyia d'atteindre le sommet des remparts et de tirer sur l'ennemi, abrités derrière les créneaux. Le changement de niveau du sol ne peut permettre de savoir si les enceintes des places fortes étaient ou non protégées par des fossés. Tels sont les seuls renseignements, peu considérables, on le voit, que les monuments nous permettent de réunir au sujet de l'architecture militaire.

L'esthétique

Il nous reste, comme conclusion, à parler de l'esthétique. Les Égyptiens, avant tout, recherchent l'effet dans l'immense et dans le massif. Les Pyramides, le Sphinx, les statues de Memnon, et bien d'autres monuments admirés de toute antiquité, frappent l'imagination bien plus par leurs dimensions colossales que par leurs formes ou leurs grâces. Multiplier, augmenter, agrandir le plus possible, sans concevoir de limites, tel est le but de tout constructeur égyptien. La patience, la ténacité, le mépris du nombre d'années et de la main-d'oeuvre nécessaire, telles étaient les qualités qui permettaient aux Égyptiens d'atteindre le résultat voulu. Khéops attacha, pendant trente ans, des foules colossales aux travaux de son monument funèbre; le temple de Karnak, commencé - sous la XIIe dynastie, n'était pas encore considéré comme assez grand, vingt siècles après, sous les Ptolémées, et il est probable que si les pharaons existaient encore, l'oeuvre d'agrandissement continuerait de plus belle. 

Et pourtant, malgré la recherche du grand, les effets de détail ne sont pas méprisés, bien au contraire; mais, à dessein ou non, ils disparaissent ordinairement dans la masse. Un pylône, dont tout l'effet réside seulement dans la hauteur, dans la forme et dans la simplicité grandiose, n'en est pas moins couvert, du bas jusqu'en haut, sans qu'un seul pouce de pierre soit négligé, de mille représentations et de mille inscriptions, si haut placées parfois qu'on peut à peine les distinguer aujourd'hui aux jumelles ou au téléobjectif. Les hypogées, murés pour toujours aussitôt après les funérailles, les sanctuaires des temples, qui, n'étant jamais éclairés, n'ont jamais pu être admirés, sont couverts de peintures et de sculptures patiemment et minutieusement exécutées. Néanmoins, si les Égyptiens voulaient, avant tout, le grand et le massif, ils n'en savaient pas moins, lorsqu'un monument devait être petit, lui donner du charme et de la légèreté. Le petit temple de Philae, le sanctuaire d'Éléphantine, aujourd'hui détruit, et d'autres monuments encore, en sont des preuves frappantes. Mais, il faut l'avouer, ce ne sont là que des exceptions. 

Le beau, tel que, par exemple, le concevaient les Grecs, était inconnu des Égyptiens; étonner l'esprit était leur seul orgueil, bien plus que le séduire. Sous ce rapport, on peut dire que les Égyptiens ont admirablement atteint le but qu'ils se proposaient, car, depuis Homère, qui célébra les cent pylônes de Thèbes, jusqu'au plus moderne touriste, qui publie ses notes de voyages, jamais les monuments égyptiens n'ont cessé de forcer l'étonnement et l'admiration enthousiastes de ceux qui les ont vus. (Victor Loret).



Collectif, La construction pharaonique du Moyen empire à l'époque gréco-romaine, Picard, 2004.
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