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Le
Dodécanése est un groupe d'îles grecques
de la mer Egée,
proche des côtes sud-occidentales de l'Anatolie
ou Asie Mineure (Turquie d'Asie) et dont
le nom, qui vient du grec dôdeka, douze, et nésos,
île, indique le nombre des principales terres insulaires. En comptant
les îles plus petites, ce nombre dépasse les 160. La superficie
du Dodécanèse est de 2715 km² et sa population est de
l'ordre de 200 000 habitants (2014).
Les « douze » : Rhodes, Kos, Patmos, Astipalea, Kalimnos, Karpathos, Kasos, Léros, Nisyros, Symi, Tilos, Kastellorizo. Patmos, l'une des îles du Dodécanèse. La géographie du DodécanèseUn simple coup d'oeil jeté sur la carte de l'antique mer Egée, suffit pour montrer les caractères particuliers de cette étendue marine. Cette « mer par excellence » ou « mer principale » des anciens Grecs (c'est le sens du terme d'Archipel) est bordée par des rivages étonnamment découpés, et elle est semée d'une multitude d'îles, grandes et petites. Entre le littoral de la péninsule attique et les côtes de l'Anatolie, se développe tout un monde insulaire, dont, comme les piles d'un pont écroulé, les différentes terres se succèdent, toutes proches les unes des autres.Les géographes
y distinguent, non sans quelque artifice, deux groupes : celui des Cyclades
et celui des Sporades.
Les premières égrènent vers le sud-est, depuis la
pointe méridionale de la longue Négrepont et le cap Colonnes
jusqu'à Amorgos et Anaphi, leur chapelet de petites terres, aux
noms évocateurs de souvenirs historiques et artistiques : Délos,
Paros, Naxos, Mélos ou Milo,
etc. Plus à l'est, depuis l'extré
Le Dodécanèse se compose des îles les plus méridionales des Sporades, celles qui, au sud-est de l'Anatolie, défendent, loin en Méditerranée, jusque vers la Crète et vers les Cyclades, l'entrée des, grands et beaux golfes de Kos et de Mendélia. Elles forment un ensemble, dont les différentes terres sont d'ordinaire, très rapprochées les unes des autres et se succèdent immédiatement à l'ouest des côtes de l'Anatolie. Tel est bien le cas pour Rhodes, pour Kharki ou Chalki, Symi, Tilos, Nisyros et Chos, pour Kalymnos et Leros et, enfin, Patmos. Quant aux trois autres îles du Dodécanèse, elles se détachent un peu des autres et poussent assez avant dans la mer : celles-ci (Karpathos et Kassos), vers le sud-ouest, dans la direction du cap Sidero de l'île de Crète, celle-là (Astropalia ou Astypalaea) vers l'ouest, entre Anaphi et Amorgos des Cyclades. Telles sont les îles principales, dont l'ensemble constitue actuellement le Dodécanèse. La composition du groupe a varié avec le temps et, autrefois, alors que Rhodes demeurait rattachée à l'empire ottoman, on englobait dans le Dodécanèse Nikaria ou lcaria, située à l'ouest de Samos, et même Meïs ou Castellorizo, une petite terre isolée, perdue en Méditerranée à 130 kilomètres dans l'est de Rhodes, au sud de la côte lycienne. Aujourd'hui, au contraire, le Dodécanèse est groupé tout entier dans la même partie de la mer Egée; il forme, à lui seul, la totalité ou la presque totalité des Sporades du Sud. Ce n'est pas de cette unique manière qu'en est affirmée l'homogénéité. Comme les eaux marines qui les relient les unes aux autres ont même température et même salinité, les terres du Dodécanèse ont même composition géologique le plus souvent, même climat, même végétation et même population de culture grecque. Ces îles calcaires,
très découpées, très accidentées, aux
terres blanchâtres et parfois peu productives, sont vraiment soeurs
des Cyclades; elles le sont par la nature de leur sol et par la mer commune
qui les baigne, par leur climat marin et par leur végétation
essentiellement méditerranéenne (olivier, vigne), enfin,
par leurs habitants, presque exclusivement grecs, de religion et de langue.
Où que l'on aille, que l'on visite la grande terre de Rhodes, la
principale du Dodécanèse comme superficie (1460 km²
) et comme population (120.000
habitants), la seule possédant une véritable ville (Rhodes,
55.000 habitants) ou les petites îles du groupe, la même constatation
s'impose partout : grecques, et de toutes les manières, sont les
plus méridionales des Sporades, celles qui constituent le Dodécanèse.
Effectivement, deux seules d'entre elles ne sont pas exclusivement peuplées
de Grecs; Kos et Rhodes.
Carte du Dodécanèse et de la mer Egée. Ainsi, au total, identiques, ou à peu près, sont les traits géographiques des différentes îles du Dodécanèse. On peut les caractériser en les représentant comme autant de plateaux rocheux, de grandeurs variées, mais tous parsemés de collines ou même de petites montagnes; par des côtes âpres et souvent abruptes, pourvus de beaux ports naturels, ces plateaux plongent dans des mers dangereuses, où les courants sont rares. Exception faite pour quelquesunes d'entre elles, pour Rhodes et Cos, surtout, les conditions de la vie sont assez difficiles dans les Douze îles : peu de terres arables; pour entretenir les cultures, un travail continue s'impose à leurs habitants, aux Dodécanésiens. Aucune sérieuse ressource maritime, sauf la pêche des éponges. Pas d'industrie importante. (La chance offerte par le tourisme ne remonte qu'à la seconde moitié des années 1950, et a d'ailleurs eu pour contrepartie le bétonnage des îles et la réduction des surfaces de terres cultivables). On comprend, dans de telles conditions, que les populations du Dodécanèse aient, en choisissant le site de leurs établissements, obéi à deux sortes de préoccupations : elles se sont laissé guider tantôt par des considérations d'ordre climatique et économique (en se plaçant sur les rivages), tantôt par le souci de leur sécurité (en se groupant sur des éminences). Ces préoccupations ont influé sur le déplacement des agglomérations humaines depuis les bords de la mer jusque sur le sommet des rochers, et inversement, suivant les moment de l'histoire. Dans tous les cas, les principales agglomérations urbaines se trouvent à proximité des plus beaux ports, et l'importance économique de ceux-ci (et leur importance militaire, autrefois) est considérable; ils permettent, en effet, de faire le commerce avec les côtes sud-occidentales de l'Anatolie et de contrôler les communications de la mer Egée avec le Levant et avec l'Egypte. L'histoire du Dodécanèsela période grecque ancienne et médiévale.Comme elles sont grecques géographiquement et ethnographiquement, les îles du Dodécanèse sont grecques historiquement. Sans doute, y peut-on relever bien des épisodes étrangers à l'histoire de l'hellénisme (à Patmos, le séjour de saint Jean l'Evangéliste, qui, dans la retraite, y composa l'Apocalypse; à Rhodes, le souvenir des multiples faits d'armes des Chevaliers hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem); mais combien plus nombreux et combien continus sont les faits par lesquels l'histoire du Dodécanèse se rattache à celle de la Grèce. Les poèmes homériques montrent déjà les habitants des Sporades méridionales envoyant leurs vaisseaux de guerre se placer sous les ordres d'Agamemnon, pour venger le rapt d'Hélène par le Troyen Pâris; ils les montrent vénérant les mêmes dieux que les Hellènes de la Grèce d'Europe; ils montrent un fils d'Asclépios accueilli, après son naufrage, sur les rivages hospitaliers de Kos. Si l'on quitte les
mythes pour l'histoire, on sait que les habitants de Kos édifient
un temple en l'honneur d'Asclépios, le dieu guérisseur, et
fondent autour de ce célèbre Asclépieion
la première école de médecine
de l'Antiquité, celle que domine le grand nom d'Hippocrate
de Kos. Que d'autres maîtres illustres ont enseigné la médecine
dans cette île! Et, d'autre part, quelle belle école artistique
s'est épanouie à Rhodes! A défaut du fameux colosse,
le célèbre groupe du Laocoon est là pour l'attester,
comme les Argonautiques
d'Apollonios de Rhodes
attestent qu'aux temps alexandrins,
la littérature a été en honneur dans ce Dodécanèse,
d'où était déjà sorti un des premiers logographes,
Phérécyde de Léros, et
en face duquel était né (à Halicarnasse)
Hérodote, le « Père de l'Histoire
».
La domination
ottomane.
Du moins, ne furent-elles
pas abandonnées par ces mêmes puissances, c'est-à-dire
par la France, l'Angleterre
et la Russie. Celles-ci obtinrent de la
Sublime-Porte, dès 1835, pour les habitants du Dodécanèse,
le renouvellement des précieux privilèges dont ils jouissaient
naguère; dès lors, moyennant le paiement de ce vieux et minime
tribut qu'était le mektou, ils jouirent de leur indépendance
administrative et de leur autonomie complète; ils vécurent
donc en sécurité, sous la direction de démogérontes
annuellement élus par le peuple des Douze Iles, chacun sur sa terre
natale. Aussi, au lieu d'émigrer dans le nouveau royaume de Grèce,
les Dodécanésiens suivirent-ils le conseil que leur donnait
Capo d'Istria : ils demeurèrent dans leur pays, pour y maintenir
la vieille tradition hellénique.
Habiants du Dodécanèse, vers 1900. Le XXe
siècle.
Au mois d'avril précédent, l'Italie, en guerre avec la Turquie au sujet de la Tripolitaine, voulut hâter la conclusion d'une guerre dont il lui tardait de voir la fin; elle envoya dans la Méditerranée orientale une flotte qui s'empara du Dodécanèse et dont le commandant proclama aussitôt que les Douze Iles étaient affranchies du joug ottoman. De là, le jour où le général Ameglio débarqua à Rhodes, un accueil très chaleureux fait par la population des Sporades du Sud; partout, dans le Dodécanèse, les troupes italiennes furent accueillies en libératrices. Mais la cordialité
de cet accueil ne pouvait être qu'éphémère.
En vain, en effet, le général Ameglio avait-il parlé
d'une occupation « provisoire » des Douze Iles par l'Italie;
en vain avait-il promis à leurs habitants un gouvernement autonome
après la conclusion de la paix avec la Turquie... Tôt après,
l'amiral Presbytero avait expliqué que cette autonomie s'exercerait
sous le contrôle du gouvernement italien; et cette explication avait
suffi pour modifier du tout au tout l'attitude des Dodécanésiens
à l'égard de leurs prétendus libérateurs.
« Dans le cas où leurs voeux séculaires ne seraient pas satisfaits, ils déclarent être prêts à supporter tout pour éviter le retour à la tyrannie turque, repoussant aussi toute autre occupation.»Les Italiens se vengèrent de leur déconvenue : le premier traité de Lausanne du 15 octobre 1912 replaça le Dodécanèse sous la domination ottomane, mais autorisa les troupes italiennes à en occuper les différentes îles jusqu'à la complète évacuation de la Tripolitaine par les réguliers turcs. Voilà pourquoi les Dodécanésiens assistèrent inactifs aux guerres balkaniques consécutives à la guerre italo-turque; voilà aussi pourquoi, pendant la Grande Guerre, ils conservèrent, à l'égard des Italiens, une attitude hostile. Leurs voeux demeuraient invariables, tels que les avaient formulés, à la fin de 1912, les habitants de Patmos : « Nous avons manifesté (avaient-ils dit) de différentes manières notre inaltérable et unique désir, à savoir d'achever l'union de notre île avec la mère patrie à laquelle nous unissent les liens du sang, de la religion et de la langue, et dont rien, pas même une conquête prolongée, ne pourra diminuer l'influence. »Or, naguère, certains journaux italiens avaient déclaré n'éprouver aucune hâte de voir leurs soldats évacuer le Dodécanèse; de là, pour les habitants de ces îles, une tendance naturelle à voir dans les nouveaux venus un obstacle à la réalisation de leurs aspirations nationales; de là, chez eux, la crainte que, « pour s'ouvrir les marchés de la côte méditerranéenne entre Rhodes et Adana », les Italiens ne demeurassent indéfiniment dans leurs îles. Ainsi s'expliquent les difficultés qu'ont rencontrées parfois les chefs italiens dans telle ou telle des Sporades du Sud, comme, aussi, l'absence complète d'entente entre ces étrangers et les Dodécanésiens que révèle cette phrase très brève : « Il n'y a rien de commun entre l'Italie et le Dodécanèse. »C'est dans un mémoire adressé au Sénat français, le 16 juin 1919, par la délégation venue plaider la cause du Dodécanèse devant la Conférence de la Paix que se trouve cette phrase; on pourrait en relever beaucoup d'autres analogues dans les différents documents remis par cette même délégation aux représentants des Alliés. On pourrait aussi montrer facilement quel exode l'occupation des Douze Iles par les Italiens a déterminé dans chacune des terres du groupe. L'Italie finit par assouplir sa position et sembla accepter d'échanger les îles contre des positions dans le Sud-Ouest de l'Anatolie. Mais l'accord ne put se faire et le second Traité de Lausanne consacra le rattachement du Dodécanèse à l'Italie qui en fit les Possedimenti Italiani dell'Egeo. Malgré une résitance deplus en plus marquée des habitants, un programme d'italianisation des îles, et particulièrement de Rhodes, fut entrepris pendant l'époque mussolinienne. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, d'abord alliée de l'Allemagne, l'Italie occupa aussi une partie de la Grèce continentale. Après la chute du régime fasciste, en 1943, et le changement d'alliances du pays, le Dodécanèse fut le théâtre d'affrontements entre les Italiens (renforcés par des résistants insulaires) et troupes allemandes. En 1944, ces dernières finirent par prendre le contrôle du Dodécanèse (bataille de Léros). Presque toute la population juive des îles, soit environ 6000 personnes, fut déportée ou tuée. Passées sous administration britannique après 1945, les îles, qui eurent jusqu'en 1947 le statut de protectorat, furent finalement - et après 740 ans de domination étrangère - rattachées à la Grèce, comme elle n'avaient cesser de le réclamer (traité de Paris). (Henri Froidevaux). |
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