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Psara

38°34' N
25°35' E
Psara ou Ipsara, est une petite île de la Mer Egée, au Nord-Ouest de Chio. Population : 450 habitants.

Cette île est mentionnée dans Strabon, Pline et Étienne de Byzance sous le nom de Psyra; Homère, dans l'Odyssée, l'appelle Psyrié. D'anciennes cartes marines la nomment Ipsara ou Pisséra. Aujourd'hui on l'appelle indistinctement Psara ou Ipsara, qui n'est autre que le nom ancien légèrement altéré.

Il est à peine fait trois ou quatre fois mention de cette île dans l'Antiquité. Homère indique sa position.

« Les uns voulaient, dit Nestor racontant à Télémaque son retour de Troie, que nous prissions au-dessus de Chio, en côtoyant la petite île de Psyrié, que nous laisserions a gauche, et les autres proposaient de prendre entre Chio et le mont Mimas.  »
En effet, Psara est située à l'ouest de Chio, à vingt kilomètres environ du cap Melaena ou de Saint-Nicolas. Strabon ne lui donne que quarante stades de circonférence. Strabon nous apprend encore que Psyra avait une ville du même nom, et Suidas qu'elle était si stérile, qu'on n'y trouvait même pas la vigne, qui croît si facilement dans les îles de la mer Egée. C'est à peu près là tout ce que l'Antiquité nous a transmis sur cette île, aui dut toujours être une dependance de Chio et partager ses destins. 

Elle est escarpée et remplie de rochers au nord et à l'Est; elle a environ 8 km de long, du Nord au Sud, sur 5 à 5,5 km de large (de l'Est à l'Ouest). Elle a dans son voisinage, à l'ouest, quelques ilots inhabités, dont le plus considérable, à 2,5 km, s'appelle Adipsara, Antipsara ou Antipisséra. Au-dessous de cette île, dit Dapper , il y a une fort bonne rade du côté du midi, en cinglant vers la ville, qui est une grande baie située entre les îles d'lpsara et d'Antipsara, où les vaisseaux peuvent venir se mettre à l'ancre sur un fond sablonneux de dix à douze brasses d'eau, à l'abri de tous les vents d'Est, d'Ouest et du Nord-Ouest. et y entrer et sortir de deux côtés, au Nord et au Sud, sans peine et sans danger. Cette baie contient la petite île de Saint-Dimitri, qui ajoute encore à la sûreté du mouillage

Psara s'annonce au navigateur cinglant vers l'Anatolie par une montagne de 528 m d'altitude, appelée Saint-Elie. La coupe de cette île est abrupte, et formée par des masses rocheuses diver sement coloriées, contre lesquelles la mer se brise avec fravas. Inaccessible dans la plus grande partie de son littoral, il faut un pilote expérimenté pour en par courir la circonférence et arriver au port. Son massif, qui est partout décharné et hérissé de montagnes grisâtres frappées par les rayons du soleil, présente le tableau éblouissant de maisons, d'églises et de chapelles blanchies à la chaux, dont l'éclat étonne le voyageur.

Mais en pénétrant dans l'intérieur de île, il retrouve au fond des vallées quelques mûriers, des vignes, des figuiers, qui annoncent la force végétative partout où il y a de la terre. Elle est rare, et ce n'est à proprement parer qu'un détritus de roches entraîné par les pluies dans les endroits encaissés. Quand on parcourt sa surface où il n'existe aucun chemin, il faut traverser des coteaux calcaires, des espaces sablonneux et brûlants, des ravins desséchés et raboteux, entremêlés de quelques champs mal cultivés, qu'on rencontre à de grandes distances.

Avant l'époque de son illustration, Psara n'avait qu'environ mille habitants, tous Grecs, tous laboureurs, population pauvre et énergique. Ils se gouvernaient eux-mêmes, et payaient directement leur capitation au capitan-pacha, qui jouissait du revenu des îles. La ville était composée de petites maisons d'un seul étage et assez mal bâties. Elle avait un château fort, en ruines au temps de Pococke, qui visita l'île en XVIIe s. (Description de l'Orient); une cathédrale dédiée à saint Nicolas : toutes les églises de l'île avaient des cloches; il n'y avait que cinq prêtres dans l'île et quelques caloyers.

Psara et l'indépendance grecque.
Au commencement du XIXe siècle, la petite ville de Psara, jusque là si obscure, acquiert une importance inattendue, et devient l'une des cités les plus florissantes de la mer Egée et de toute la Grèce. La population de Psara, auparavant si restreinte, augmentée par des émigrations d'Albanais, s'était adonnée au commerce, avait acquis de grandes richesses, et possédait une marine imposante. La ville de Psara prit alors un aspect tout nouveau; elle s'embellit de vastes et élégantes demeures, construites dans le goût européen.

« Son enceinte embrassait le versant d'une colline et une surface littorale qui avoisinait le port et les chantiers. Une métropole ornée des dons des habitants, où la prière continuelle réunissait les fidèles à toutes les heures du jour suivant leurs occupa. tions, des rues propres, des maisons annuellement recrépies avaient fait de Psara, dont la création improvisée datait de 1806, la première échelle de l'Orient. Ses insulaires, attentifs au développement de leur industrie maritime, avaient agrandi ou plutôt creusé un port spacieux en élevant des dignes, et en pratiquant des constructions sous-marines; ils touchaient au moment de posséder un arsenal, lorsque l'insurrection de la Grèce éclata. Riches de vaisseaux qui faisaient le désespoir des ingénieurs européens par la supériorité de leur construction, les Psariens parurent les premiers au champ d'honneur contre les infidèles [...] Infortunés! ils ont vécu! et quelques écueils de la mer Égée possèdent maintenant les débris d'une population de vingt et un mille habitants et de huit mille matelots. » (Pouqueville, Voyage de la Grèce, t. VI).
Ce fut au mois d'avril 1821 que la guerre de l'indépendance hellénique commença, à la fois en Moldavie par la prise d'armes du prince Hypsilantis, et dans le Péloponnèse par l'insurrection de Patras. Les îles de la mer Egée se laissèrent bientôt entraîner dans le mouvement général. Psara leur donna l'exemple.
« Le péril est imminent, écrivaient les tétrarques de l'île aux sénateurs d'Hydra! Il n'y a plus de temps à perdre. Le divan a résolu le désarmement général des Grecs; et la marine n'étant pas exempte de cette disposition  vous ne souffrirez pas sans doute qu'on arrache de nos mains quatre mille canons et plus de soixante mille fusils, fruit de tant d'épargnes et de travaux, que nous ne devons céder qu'avec la vie, puisqu'en les livrant nous la perdrons avec eux. » (Pouqueville).
Aussitôt Hydra, Spetzia armèrent en guerre, et leurs navires, réunis à ceux de Psara, parcoururent toute la mer Egée, sous le commandement de l'Hydriote Jacques Tombasis, pour entraîner les autres îles dans la cause de l'indépendance.
Pendant trois ans les bricks, les sacolèves, les brûlots de Psara, conduits par d'intrépides marins, Jéanitsis, Jéanaris, Hadji-Anguélis, Anagnotis-Apostolos, Canaris, le terrible brûlotier, furent constamment aux prises avec l'ennemi, auquel ils firent éprouver les plus grands dommages. Lorsque l'île de Chio, que les Samiens étaient parvenus à compromettre avec les Turcs, fut attaquée par la flotte de Kara-Ali, ce fut à Psara que les Grecs se rassemblèrent pour la défendre. Là les navarques grecs tinrent un conseil de guerre, dans lequel ils résolurent de lancer à la faveur de la nuit deux brûlots contre les navires ottomans.

Constantin Canaris et Georges Pipinos furent chargés d'exécuter cette hasardeuse entreprise. Elle réussit au delà de toute espérance; mais Chio ne fut pas sauvée (juin 1822 ). Quant aux marins de Psara, ils continuèrent leurs courses dans toute la Méditerranée, poussant l'audace au point de donner la chasse aux vaisseaux turcs jusque sous les canons des Dardanelles, répandant la terreur, par leurs incursions soudaines, sur tout le littoral de l'Asie Mineure; et, non contents de dévaster les villages musulmans de l'Ionie, les Psariotes se transformant facilement en corsaires, inquiétaient tous les navires qui négociaient dans le Levant, et mirent les consul européens qui résidaient à Smyrne dans la nécessité de leur adresser une lettre par laquelle ils les conjuraient d'épargner le commerce de cette ville.

Enfin, écrit A. Soutzo, « le sultan, dit-on, fatigué des plaintes continuelles qui lui venaient des côtes de l'Ionie, ravagées sans cesse par les Ipsariotes, s'était fait présenter une mappemonde pour voir ce que c'était qu'Ipsara; il fut si frappé de l'exiguïté de cette île, qu'il dit avec mépris :
« Otez-moi de la carte cette petite tache; dites à mon capitan-pacha d'attacher cette roche à son vauseau et de me l'amener. »
La montagne de Saint-Nicolas, garnie de batteries, une mer hérissée de récfs et presque toujours orageuse, rendaient le port d'Ipsara d'un accès difficile aux ennemis, tandis qu'une chaîne de rochers, qui traverse l'île du Nord au Sud, offrait aux Ipsariotes d'excellentes positions. A la nouvelle des préparatifs de Topal-Pacha, les sénateurs d'lpsara, poussés par un mauvais génie, firent les dispositions les plus imprudentes. Tandis qu'ils devaient se servir d'une partie des bâtiments pour écarter l'ennemi et tenir l'autre en ré serve, ils les dégarnirent de tout leur gréement; et voulant par là s'ôter tout moyen de retraite, ils se privèrent de leur principale force. De plus, au lieu de se borner à la défense de la ville, ils disséminèrent maladroitement jusque sur les points les plus inabordables le peuple et les nombreux étrangers qui se trouvaient dans l'île. Enfin, ils confièrent le poste le plus important à un capitaine albanais, nommé Kotas, et à son lieutenant, Karabélias, tous deux vendus à l'amiral turc.

Le 27 juin 1824 , au lever de l'au rore, Topal-Pacha, suivi de douze frégates, vînt reconnaître les différents points de l'île où le débarquement pour rait s'opérer, et s'en alla vers le coucher du soleil , après avoir essuyé quelques inutiles canonnades des Grecs. Le 2 juillet, il revint avec un si grand nombre de bâtiments de guerre et de transport, qu'au dire de Kanaris cet espace de mer qui sépare Ipsara de Mytilène n'offrait qu'un pont immense. Il resta pendant toute nuit en repos, avec des fanaux allumés à tous les mâts pour éviter une surprise. Le lendemain, sa flotte fut divisée en deux colonnes; la plus nombreuse se porta sur la pointe plus fortifiée de port, et l'autre s'avança vers l'anse que défendaient Kotas et Karabelias. Tandis que la première frisait une fausse attaque, la seconde, à la faveur d'une épaisse fumée produite par une décharge générale de son artillerie, mit à terre quatorze mille hommes, la plupart Albanais d'élite de la tribu des Guègues, et commandés par un chef habile, Ismael Pliassa.

Les ennemis entrent dans un défilé; ils griment sur les rochers, et s'emparent d'une batterie. Kotas et Karabélias se trouvaient sur un poste qui la dominait; ils désertent, ils sont bientôt massacrés par les Turcs, qui ont coutume de profiter de la trahison et de punir le traître. Au bout de quelques heures toutes les positions sont forcées, cinq cent vingt-trois Ipsariotes, huit cents Rouméliotes, cent vingt-cinq Samiens succombent, après avoir fait mordre la poussière à quatre mille Albanais. Ismael Pliassa marche en avant, et pénètre dans la ville; chaque rue, chaque maison est disputée, enlevée et reprise; les femmes, leurs nourrissons dans les bras, se jettent dans les flots; ceux-ci cherchent un asile à bord de leurs vaisseaux, ceux-là courent s'enfermer dans le château de Paléocastron, situé sur la montagne de Saint-Jean; ils s'entassent dans les galeries, construites sur une vaste poudrière. Les Turcs viennent les assiéger; la mitraille que vomit le fort balaye leur armée. Leur rage redouble; ils escaladent les murs, mais, repoussés avec une perte considérable, ils offrent une capitulation. Un pavillon paraît sur les tours, c'est celui d'Ipsara; les portes s'ouvrent, les Albanais s'y précipitent. On entend ces cris :

«  Feu ! feu ! vive la patrie ! »
Le sol s'ébranle avec un fracas horrible; trois mille lpsariotes, quatre mille mahométans périssent engloutis par l'explosion. Les restes de la population d'Ipsara, naviguant sur des bâtiments sans gouvernail, se font jour à travers les ennemis, et se sauvent à Syra.

La chute d'Ipsara ébranla toute la Grèce; un cri de vengeance retentit dans tout l'Archipel; le danger commun rapprocha tous les partis, et le feu, de la discorde s'assoupit pour quelque temps. Théodore Colocotronis écrivit à Condouriotis que le péril de la patrie le faisait passer par-dessus toute autre considération, et qu'il mettait bas les armes. Le gouvernement fit son entrée à Nauplie, et de là prit les plus sages mesures pour repousser l'ennemi. Le peuple d'Hydra se précipita dans le monastère ou se tenaient les séances du sénat; un marin s'avança vers les sénateurs, et leur cria :

« Que faites-vous? L'île d'Ipsara n'est plus qu'un amas de cendres. Quelles précautions avez-vous prises? Est-ce à nous autres matelots à vous donner des conseils? Nous savons pendant la paix savourer le vin dans les cabarets, et dans la guerre nous jeter au milieu des flammes. Que notre escadre s'apprête à l'instant; vous verserez votre or, nous notre sang, et la patrie sera sauvée. »
En moins de deux heures cinquante bricks furent équipés; les uns y apportèrent des vivres, d'autres des munitions; tous se disputèrent à qui s'embarquerait le premier : on leva l'ancre, et l'on mit à la voile au son religieux des cloches.

La même impulsion fut imprimée à Spetzia et aux autres îles de l'Archipel. Toutes les chaloupes se convertirent en bâtiments de guerre; la mer Égée fut en tous sens sillonnée par deux cents bâtiments de toutes grandeurs; des feux allumés sur tous les rochers, en guise de télégraphes, éclairèrent les moindres mouvements des ennemis.

Le 15 juillet la flotte grecque, forte de quatre-vingts voiles, parut devant Ipsara; à son aspect trente-cinq bâtiments turcs, qui se trouvaient dans le port, coupèrent leurs amarres, et gagnèrent haute mer :

« Opprobre, s'écria Miaoulis du haut de la poupe! opprobre à toi, Mehemed-Gazi-Topal-Pacha! »
Il se met à la poursuite des barbares; il les atteint, et leur détruit neuf galiottes; puis il revient, s'approche d'lpsara, et, s'adressant avec le porte-voix aux capitaines des vaisseaux qui le suivent : 
« Au rivage, camarades ! " leur crie-t-il. 
Onze-cents marins, les tromblons à la main, se jettent dans les canots , débarquent précipitamment, égorgent les Turcs délaissés dans l'île, et se rendent maltres de la ville et de Paléocastron. » (A. Soutzo, Histoire de la révolution grecque). 
Psara reprise, les Grecs allèrent combattre pour le salut de Samos, dont ils éloignèrent la flotte turque et l'escadre égyptienne, qui l'avait rejointe. Samos fut préservée des désastres qu'elle avait attirée sur Chio, et qui venaient de fondre sur Psara. Mais ni Psara, ni Chio, ni Samos, ne devaient jouir de cette indépendance pour laquelle elles avaient tant combattu et tant souffert. Toutes trois retournèrent à leurs anciens maîtres, et Psara,  qui ne revint à la Grèce qu'en 1912, après un moment de malheur et de gloire, retomba dans l'obscurité où elle avait été de tout temps ensevelie, et d'où il lui a coûté si cher de sortir. (L. Lacroix).
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