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Histoire de l'Europe > L'Espagne > Au Moyen âge > La Castille |
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Aperçu | Des origines au règne de Ferdinand III | D'Alphonse X aux Rois catholiques |
Le nom de Castille,
employé dès le temps d'Alphonse le Chaste, c.-à-d.
au milieu du IXe
siècle, désigna d'abord une bande de terrain longue et étroite,
faisant partie du royaume des Asturies ou
de Léon et comprise entre le Pisuerga
à l'Ouest et l'Alava et la Rioja à
l'Est. Elle fut longtemps un simple champ de bataille entre les chrétiens
du royaume de Pélage et les Musulmans;
les invasions et les razzias de part et d'autre en avaient fait presque
un désert; mais quand le califat commença à se désorganiser,
quand les Chrétiens commencèrent
à prendre le dessus, ils descendirent dans cette plaine et le roi
de Léon, Alphonse II, y fonda de nombreux châteaux-forts ou
castillos pour la défendre contre les Musulmans. De là,
à ce qu'il semble, le nom qui fut dès lors donné à
cette région. Les seigneurs du pays imitèrent l'exemple du
roi et pour attirer des habitants dans les nouvelles poblaciones, leur
accordèrent des chartes de privilège ou fueros.
La chronique de Sampiero mentionne la fondation de Anaya et Santillane
par le comte Rodrigo (vers 882), de Burgos
et Ovierna par le comte Diego (vers 890) sur l'ordre du roi, de Roa par
Nuño Munez (vers 895), d'Osma par Gonzalo
Tellez (vers 900), de Oca, de Coruña del Conde, de San Esteban de
Gormaz, par Gonzalo Fernandez (commencement du Xe
siècle) et enfin de Sepulveda par Fernan Gonzalez (milieu du Xe
siècle).
Les premiers comtes de Castille furent évidemment de simples délégués du pouvoir royal et, dans la chronique que nous avons citée ci-dessus, il est même difficile de distinguer une foule de petits seigneurs, commandants de villes ou de districts, d'avec les gouverneurs du comté; plusieurs conjointement sont appelés comtes de Castille. Les historiens n'ont pu qu'imparfaitement débrouiller ces origines, distinguer les faits réels de ceux qui sont légendaires, et les chartes authentiques de celles bien plus nombreuses que les moines ont fabriquées dans la suite et pro domo sua. La série des comtes, généralement admise, est loin d'être bien établie : Rodrigo (882), Diego Rodriguez (890), Gonzalo Tellez et Gonzalo Fernandez (910), Nuño Fernandez (923) sont à peine des personnages historiques, et la fameuse histoire d'un juge civil et d'un juge militaire, qui auraient ensuite gouverné le pays pendant quelques années, semble n'être qu'un roman. Selon d'autres sources, on a la séquence suivante : le premier de ces comtes a été don Rodrigue, qui vécut au temps du roi Alphonse le Chaste, 791-842, et eut pour successeur son fils, don Diego Porcellos, fondateur de Burgos. Du mariage de la fille de Porcellos avec un seigneur allemand venu en pèlerinage à Santiago de Compostelle, naquirent Nuño Rasura et Gustio Gonzalez. Le fils du premier, Nuño Fernandez, fut, suivant la tradition, père du célèbre comte Fernan Gonzalez; et de sa fille, mariée à Lain Calvo, descendait Diego Lainez, père du Cid. Le deuxième, Gustio Gonzalez, fut l'aïeul des sept infants de Lara. Le comte Nuño Fernandez eut pour gendre le roi d'Oviedo Garcia ler, qu'il aida à détrôner son père Alphonse le Grand. Mais Ordoño II, premier roi de Léon, frère et successeur de Garcia Ier, appela à sa cour les comtes de Castille, les fit arrêter, jeter en prison et étrangler. Avec Fernan Gonzalez (933), nous entrons dans le domaine des faits. Nous voyons ce comte de Castille ou de Burgos étendre son autorité sur les autres seigneurs du pays; en 940, il se crut assez fort pour se révolter contre le roi de Léon, Ramiro II, mais il fut pris et jeté en prison. Il en sortit bientôt; sa fille aînée, Urraca, épousa même le fils aîné du roi, Orduño. A l'avènement de celui-ci, Fernan Gonzalez excita encore un soulèvement; il fit de même à l'avènement de son frère Sancho, qu'il renversa, et régna en réalité sur le royaume de Léon, sous le nom de Orduño Ill ou le Mauvais, qu'il avait contribué à faire couronner. Nous n'insisterons pas sur cette obscure histoire des guerres civiles du royaume de Léon; ce qu'il faut seulement remarquer, c'est le rôle chaque jour plus grand que joue le comte de Castille; dans une guerre contre les Musulmans, il n'est pas soutenu par son suzerain, le roi de Léon, ce qui montre que les liens de vassalité sont déjà fort relâchés. Un historien veut même qu'un pacte ait été signé entre Fernan et Sancho, reconnaissant l'indépendance du comte. Du moins, le nom de ce dernier est devenu dans les siècles postérieurs singulièrement populaire; tandis que les moines chroniqueurs lui attribuaient toutes sortes de fondations pieuses, les poètes du Romancero célébraient ses merveilleuses prouesses contre les Musulmans et ses romanesques aventures. La Castille, à la fin du Xe siècle, était donc devenue de fait un état indépendant; elle s'était notablement étendue vers le Sud et sa situation géographique en faisait désormais comme le boulevard de l'Espagne chrétienne. Couverte à l'Est par les monts de Burgos, au Sud par les âpres sommets de la sierra de Guadarrama, avec la forteresse de Sépulveda qui défendait les approches de la vallée du Douro (Duero), elle avait un territoire ramassé, compact, adossé d'autre part aux Pyrénées; elle s'avançait vers la vallée du Tage comme une sorte de coin « toujours prêt à s'ouvrir pour l'attaque, toujours fermé pour la défense ». Elle était, sous tous ces rapports, bien mieux située que le royaume de Léon dont elle était issue; aussi devait-elle, dans un court laps de temps, supplanter, puis absorber ce dernier Etat. Ce qui retarda cet événement, ce fut les luttes intestines dont la Castille fut le théâtre sous le fils de Fernan Gonzalez, Garcia Fernandez (Fernandez, c.-à-d. fils de Fernand) de 970 à 995, et sous ses successeurs, Sancho Garcias (995-1021), et Garcia Sanchez (1021-1029). Ces querelles aussi affaiblirent le pays dans sa résistance aux Maures et pendant cette période il fut à plusieurs reprises envahi par Almansour (Mohammed al-Mansour), notamment en 978 et en 980; il perdit en 987 son importante forteresse avancée de Sépulveda, en 994, celles des bords du Douro, Clunia et Esteban de Gormaz. Le comte de Castille, Garcia Fernandez, fit alors un appel pressant aux Chrétiens de Galice et de Navarre et avec leur aide livra bataille à Almansour, entre Alcocer et Langa, 8 juillet 995 L'armée maure remporta une victoire complète, et emmena de nombreux prisonniers, parmi lesquels le comte de Castille, qui mourut quelques jours après des blessures qu'il avait reçues. Son fils, Sancho Garcias, montra le même courage et fut plus heureux; il défendit vaillamment ses frontières et prit une part notable à la grande victoire de Calat-Añazor ou Calatañazor (1102, ou suivant un autre auteur 999), qui ruina les espérances d'Almansour. Celui-ci en mourut de chagrin et la décadence du califat de Cordoue commença. Le comte Sancho eut ensuite à lutter contre les révoltes de Garcias Gomez et des Velas, et dut suspendre la croisade contre les Musulmans; il la reprit peu après, d'abord avec des alternatives de succès et de revers, plus tard avec un véritable bonheur. Il recouvra les fortes positions d'Esteban de Gormaz, de Peñafiel et d'Osma, reconquit le pays sur la rive gauche du Douro, et reporta la frontière de ses Etats à la sierra de Guadarrama. C'est probablement à cette époque qu'il donna aux villes de la Castille des fueros dont le texte ne nous est pas parvenu, mais dont le souvenir s'est conservé : dedit bonos foros et mores in tota Castella, dit Lucas de Tuy. Il mourut en 1021, laissant après lui une fabuleuse renommée de brave chevalier et de justicier sévère. Son fils Garcia lui succéda dans le comté, tandis qu'une de ses filles épousait le roi d'Aragon et une autre le roi de Léon, Bermudo lll. Garcia, d'autre part, épousa Sancha, soeur de Bermudo, et reçut de celui-ci le titre de roi de Castille, mais il fut assassiné le jour même du mariage (13 mars 1028), par les Velas, suivant la plupart des historiens, ou, selon d'autres, par Bermudo qui espérait ainsi recouvrer la Castille. La Castille sous
la dynastie navarraise.
Ferdinand
Ier.
Dans les intervalles de ces luttes, Ferdinand s'occupa de rétablir l'ordre dans ses Etats; en 1039, il donna un fuero à la ville de Burgos; en 1050, il réunit un concile ou des cortès (les deux choses étaient alors identiques) à Cayanza (aujourd'hui Valencia de San-Juan) et en promulgua les actes. De 1054 à 1065, il consacra tout son temps à la guerre sainte contre les Musulmans; en 1057, il leur prit Ceà et Lamego, en 1058, Viseu et Coïmbra, et peupla toutes ces villes de Chrétiens. L'année suivante, en tournant la sierra de Guadarrama, il envahit les terres d'Almamoun, émir de Tolède, prit de nombreuses villes, menaça Alcala de Hénarès et imposa, dit-on, un tribut à l'émir. Dans les années 1060 et 1061, ayant réparé les places fortes du Douro, il poussa une pointe jusque sur les Etats de l'émir de Séville, ravagea tout sur son passage et obtint du prince maure les restes de saint Isidore, qu'il ramena en grande pompe à Léon (1063). En 1064, il dévasta le royaume de Valence, s'avança même jusque sous les murs de cette ville, mais sentant sa fin prochaine, il voulut revenir en terre chrétienne pour y rendre le dernier soupir (1065). On voit, par ces entreprises, combien était
déjà puissant le roi de Léon et de Castille. Malheureusement
Ferdinand Ier, un an auparavant, dans une
assemblée des grands du royaume, avait partagé ses Etats
entre ses fils; ni lui ni les nobles ne paraissent avoir compris combien
il était important de les maintenir sous une seule couronne et le
partage qu'il avait préparé eut lieu sans contestation après
sa mort. Sancho, l'aîné de ses fils, eut l'ancien domaine
de Castille, c.-à-d. jusqu'au Pisuerga; Alonzo (Alfonso, Alphonse)
eut les Asturies et le royaume de Léon, Garcia, le plus jeune, eut
la Galice et la partie du Portugal conquise sur les Maures.
Sanche
II.
Alphonse
VI.
Le Cid (Charlton Heston) force le roi à jurer de son innocence. (Le Cid d'Anthony Mann,1961). Alonzo VI ou Alphonse VI, fut un des souverains les plus remarquables de ce temps; il combla de richesses les églises et les monastères, rendit une exacte justice et assura la sécurité des pèlerins et des marchands dans ses vastes Etats; il concéda aussi aux villes un grand nombre de fueros, celui de Sépulveda en 1076 (qui fut étendu ensuite à beaucoup de cités des frontières), celui de Sahagun en 1085, le triple fuero aux habitants mozarabes, castillans et français de Tolède (il y avait nombre de prêtres et de croisés français dans cette ville), la même année, enfin, en 1095, celui de Logroño qui fut étendu plus tard à douze cités et servit même de modèle pour les chartes concédées à des villes par plusieurs souverains d'Aragon et de Navarre. Mais la gloire la plus grande vint à Alphonse VI, de ses heureuses campagnes contre les Maures. Tant qu'Al-Mamoun, émir de Tolède,
son ancien protecteur, avait été vivant, il n'avait pu porter
de ce côté son active ambition; il avait même, en 1074,
aidé AI-Mamoun à faire la conquête de Séville;
mais quand celui-ci fut mort, il profita des désordres dont le royaume
de Tolède était le théâtre pour franchir avec
une armée la sierra de Guadarrama. Suivant quelques auteurs, il
était appelé par les Tolédans eux-mêmes. De
1078 à 1082, il dévasta toute la campagne, mais dut se retirer
devant l'émir de Badajoz, Yahia ben
Aftas, qui venait au secours de ses coreligionnaires; il reprit la campagne
deux ans après, il mit le siège devant Tolède et força
cette ville à capituler (1085). Ce boulevard de l'Espagne
musulmane, ancienne capitale des rois Wisigoths,
devint la capitale d'Alphonse; de là, il se rendit maître
des places fortes de Madrid, Guadalajara,
Maguedo, Calatrava, et de tout le cours
du Tage, de Cuenca à Alcantara,
et plus tard jusqu'à Lisbonne. Il
avait ajouté à ses domaines un pays fort étendu, occupant
le centre de la Péninsule, forteresse d'où ses successeurs
pourront étendre tout alentour leur action, pays que, en souvenir
de celui d'où ils venaient, les conquérants castillans appelèrent
Nouvelle-Castille.
Urraca
et Alphonse d'Aragon.
Alphonse VI semblait avoir ainsi assuré l'avenir, mais Urraca, princesse ambitieuse et dissolue, ne put s'entendre avec le roi d'Aragon, ni même avec son fils; elle excita des troubles qui durèrent de 1109 à 1126 et ensanglantèrent les Asturies, Léon et la Castille. La Castille sous
la dynastie bourguignone (jusqu'à Ferdinand III).
Alphonse
VIII.
« Et tout réussissait grâce à elles, dit le chroniqueur, à ce roi selon le coeur de Dieu, protecteur des orphelins et des pauvres et grand édificateur de couvents et d'églises. »Alphonse VIII, jaloux de la gloire de son homonyme d'Aragon, tourna ensuite ses armes contre les Maures, leur reprit Aurelia et Coria (dans la vallée du Tage) et battit Tachfin près de Lucena (1130). Trois ans plus tard, ayant réuni ses vassaux à Tolède, il leur proposa de faire une expédition « pour aller manger du poisson de la mer d'Afrique », s'avança à leur tête dans la vallée du Guadalquivir, passa le fleuve entre Cordoue et Séville et poussa jusqu'à Cadix. En 1134, son vassal rentré en grâce, Gonzalez de Lara fit une pointe semblable jusqu'aux portes de Séville, tandis que les habitants de Salamanque opérèrent une razzia sur le territoire musulman de Badajoz. Dans ces algarades les Castillans s'aguerrissaient, remportaient de riches dépouilles et préparaient l'expulsion prochaine des Maures; parfois pourtant ils éprouvaient des revers; ainsi en 1138, les Musulmans s'emparèrent de Mora, et en 1144 ils firent éprouver au comte Muño une sanglante défaite. Le rôle d'Alphonse VIII dans ces guerres saintes lui avait acquis les sympathies de toute l'Espagne chrétienne; il était d'ailleurs, depuis la mort d'Alonzo Ier, la seul des monarques de la Péninsule qui eût un territoire étendu et une autorité réelle. Aussi le faible Ramiro d'Aragon dut le reconnaître pour suzerain et lui livrer Saragosse, qui reçut une garnison castillane; le roi de Navarre, Garcia, et le comte du Portugal, Alonzo Enriquez, furent obligés de faire de même et d'être « ses soldats ». Enfin son alliance de famille avec les comtes de Barcelone lui permettait de compter au besoin sur ceux-ci. Dès 1135, Alphonse VIII tint à Léon une assemblée solennelle, où vinrent ses grands vassaux et le clergé de ses Etats. « Là, dit la chronique de Tuy, on décida que le roi de Castille prendrait le nom d'empereur, puisque le roi de Navarre (il faut y ajouter le comte du Portugal et le roi d'Aragon) et le roi sarrazin Saïf-ed-Daoula, les comtes de Toulouse et de Provence, et une foule de comtes de Gascogne et de France le reconnaissaient pour leur suzerain. »Cette suzeraineté ne semble pourtant pas avoir été très effective. Les Aragonais ne voulaient nullement être sous le joug des Castillans, et au traité de Barbastro, il n'est parlé des droits de l'empereur que sur Saragosse. Quant à Garcia de Navarre et au comte ou roi du Portugal, ils se révoltèrent contre Alphonse VIII en 1137. L'armée de l'empereur fut même battue par les Portugais et, contre le roi de Navarre, il dut guerroyer jusqu'en 1144, pour l'amener à reconnaître sa suzeraineté; enfin, en 1148, Raymond, régent d'Aragon, et dont la soeur mariée à Alphonse Vlll venait de mourir, se considéra moins comme un vassal de l'empereur que comme un souverain indépendant. L'empereur de Castille n'en est pas moins le représentant le plus marquant de l'Espagne chrétienne à cette époque : il administra habilement ses Etats et fit contracter à ses filles des mariages avec le roi de Navarre et avec le roi de France, Louis le Jeune. Mais il commit une erreur en suivant l'usage établi en ce qui concerne la succession royale. Dès 1150, nous le voyons associer à son autorité ses deux fils, Fernando et Sancho, avec le titre de rois, l'un de Galice, Léon et Estrémadure, l'autre de Castille et Biscaye, et préparer ainsi le partage prochain de ses Etats. Ce partage, en brisant l'unité, factice peut-être, créée par Alphonse, et qui lui avait valu le titre d'empereur, allait retarder de plusieurs siècles la chute des royaumes musulmans. -
Sanche
III et Ferdinand II.
Alphonse
IX.
De ce mariage naquit l'année suivante
l'infante Bérenguela, que, son père se hâta de faire
reconnaître comme héritière de la couronne, pour le
cas où il n'aurait pas d'enfant mâle. Parvenu à l'âge
d'homme, Alphonse IX s'efforça de reprendre à la Navarre
la Rioja, que Sancho lui avait enlevée, pendant les troubles de
sa minorité; il battit son voisin, grâce à l'aide du
roi d'Aragon et la querelle fut bientôt terminée, par l'arbitrage
du roi d'Angleterre (1178). Alphonse IX voulait surtout tourner son activité
contre les Musulmans; il leur enlevait après neuf mois de siège
la forte place de Cuenca, située au milieu de l'âpre sierra
qui servait alors de limite à la Castille; en 1179, à Cazora,
il s'entendit avec le roi d'Aragon pour le partage des conquêtes
à venir sur les Musulmans; le royaume de Valence avec Jativa (Xativa)
et Denia devaient appartenir à l'Aragon,
tandis que les pays plus à l'Ouest reviendraient à la Castille.
Des guerres sans cesse renaissantes avec la Navarre et Léon empêchèrent
le valeureux roi d'accomplir ses grands projets; la croisade toutefois
ne chôma jamais; on se battait chaque printemps au Sud de Cuenca
et les ordres militaires défendaient vaillamment la frontière;
en 1181, Alphonse IX poussa une algarade jusqu'à Séville;
en 1184, il prit la forteresse d'Alarcon; en 1191, l'archevêque de
Tolède, Martin de Pisuerga, ravagea
la riche vallée du Guadalquivir; enfin en 1194, le roi lui-même
à la tête de son armée ne s'arrêta qu'au bord
de la mer, en face de l'Afrique.
Le château d'Alarcon. Photo : Emeritense, Madrid. Yaqoub ben Youssef, chef des Almohades, voulut tirer vengeance de cette provocation-: il passa la mer avec une armée formidable, recrutée en Afrique. Alphonse, à son approche, demanda le concours des autres rois chrétiens d'Espagne; nul ne répondit à son appel, et le roi de Castille, malgré sa bravoure et celle des siens, fut complètement défait à la bataille d'Alarcos (1195). L'année suivante la Castille même fut envahie par Yaqoub, qui enleva nombre de places fortes, prit d'assaut Salamanque, mais ne put se rendre maître de Tolède. Tant et de si cruels revers obligèrent Alphonse à demander à Yaqoub une trêve de quelques années (1197). Il avait d'ailleurs d'autres ennemis à repousser, les rois de Navarre et de Léon, qui avaient profité de son désarroi pour envahir ses Etats. Après les avoir vaincus, il traita avec eux d'une manière généreuse et fit les plus louables efforts pour maintenir la concorde parmi les princes chrétiens; il maria sa fille Bérenguela au roi de Léon, sa fille Urraca au prince de Portugal, sa fille Blanche au fils du roi de France (le futur Louis VIII). Tranquille désormais du côté
de ses voisins, il tourna tous ses efforts contre les Maures et en 1209
poussa une algarade jusqu'à Baéza.
C'est alors que les Musulmans menacés firent appel à toutes
les tribus africaines, et qu'un demi-million d'hommes, disent les chroniqueurs,
traversa le détroit de Gibraltar
et menaça la Castille. Une petite forteresse, Salvatierra, les arrêta
neuf mois par une résistance désespérée; cependant
l'Europe entière s'émouvait au bruit de cette invasion, le
pape et le clergé prêchaient partout la croisade et Alphonse,
bien que douloureusement frappé par la mort de son fils Fernando,
montrait une activité incroyable à réunir une armée
et des vivres. La Castille entière se leva; l'Aragon,
la Navarre, Léon,
le Portugal, le midi de la France,
l'Allemagne même envoyèrent
des soldats en grand nombre (plus de 60,000);
les ordres militaires, des prélats même et des moines, prirent
part à la guerre sainte. La brillante victoire de las Navas
de Tolosa (1212) fut le résultat de ce suprême effort;
les Musulmans perdirent, dit-on, cent mille hommes, et furent poursuivis
jusqu'à Baéza et Ubeda.
La bataille de Las Navas de Tolosa, par F. de Paula van Halen (1863). Après cette bataille, l'Espagne chrétienne n'aura plus guère à redouter les invasions maures; elle a eu, ce jour là, conscience de la force que peut lui donner l'unité d'efforts et la guerre sainte, au lieu de se borner à de simples algarades comme par le passé, aura désormais pour but la conquête progressive des derniers Etats musulmans. Alphonse IX mourut peu après ce triomphe. Il avait fait de grandes choses dans l'administration de son royaume. Il embellit Cuenca enlevée aux Maures, fonda Palencia en 1186, peupla d'habitants le bassin du Tage, dévasté par la guerre, fonda des couvents, créa à Palencia la première université qu'ait eue l'Espagne, et y fit venir des savants de France et d'Italie. Enfin, désireux de trouver dans les communes libres un appui contre les prétentions et la turbulence des ricos homes, il a attaché son nom à la plupart des fueros municipaux, pour les confirmer ou les étendre; de plus, il octroya ceux de Cuenca, Palencia, Madrid, Navarete, etc. Enfin, en 1212, il confirma les fueros de Alphonse VI, et demanda à tous les hommes libres de ses Etats, ricos homes ou hijos d'algo (hidalgos), de recueillir par écrit tous les bons fueros, coutumes et sentences judiciaires, pour en tirer un code : « Le malheur des temps, dit l'historien des fueros, empêcha l'exécution de ce projet et maintint en usage le fuero viejo. »On voit que, par les actes de son règne, Alphonse IX a bien mérité le surnom de Noble que les historiens lui ont donné; on voit aussi que la Castille, même réduite à ses anciennes limites et à ses conquêtes sur les Musulmans, était l'Etat le plus étendu et le plus puissant de la Péninsule. Henri
Ier.
Ferdinand
III.
Le jeune roi, inspiré par sa mère (soeur de Blanche de Castille et qui joue un rôle semblable) et montrant aussi une valeur et une sagesse précoces, triompha assez facilement de ses ennemis, puis tourna ses efforts contre les Maures d'Andalousie. Il profita des guerres intestines qui divisaient alors cette malheureuse province, s'allia à Al-Mamoun contre Yahia et obtint de son allié dix places fortes sur la frontière, ainsi que le libre exercice du culte chrétien au Maroc. Cette alliance au surplus dura peu, et quand Fernando ravagea le royaume de Grenade, Al-Mamoun, dont le pouvoir s'était affermi, se jeta sur ses alliés chrétiens et les força de quitter l'Andalousie (1228). Sur ces entrefaites, Alphonse de Léon, père de Fernando, mourut; son fils accourut de Castille pour recueillir sa succession, mais Alphonse avait désigné ses deux filles, les infantes Bérenguela et Constancia, comme devant régner après lui, et beaucoup de Léonais, surtout les nobles, soutenaient les droits de celles-ci. Ils étaient trop orgueilleux pour accepter que le royaume de Léon fût réduit à n'être qu'une province de la Castille. Le clergé en cette occurrence se prononça en faveur de Fernando, puis la mère de celui-ci amena habilement les infantes à se désister de leurs droits moyennant un riche revenu : Fernando put entrer ainsi sans effusion de sang dans la ville de Léon et y être proclamé (1230). Il donna à la cité de nouvelles franchises et prit le titre de roi de Castille et de Léon. Cette union des deux royaumes devait être cette fois définitive; elle allait donner à l'actif et sage souverain la disposition de forces importantes. Son long règne sera désormais
rempli par la croisade contre les Maures. En 1233, il envoya son frère
Alonzo pousser une algarade vers le Sud, semer la terreur aux portes de
Cordoue et de Séville
et remporter la victoire de Xèrez; l'année suivante, lui-même,
laissant l'administration de ses Etats à sa mère, prit Ubeda
et quelques autres villes; en 1236, après un siège de neuf
mois, il força la grande cité de Cordoue à capituler,
et consacra sa merveilleuse mosquée
au culte chrétien. En 1243, son frère força l'émir
de Murcie à se reconnaître vassal de la Castille; lui-même
planta deux fois ses tentes sous les murs de Grenade et ravagea le territoire
de Jaen et le bassin du Xenil. En 1246, il força
l'émir de Grenade, Ben el-Ahmar, à lui demander la paix moyennant
la cession de Jaen; de plus, le souverain musulman se reconnaissait vassal
du roi de Castille, lui payait un tribut annuel, devait assister à
son couronnement et lui fournir un contingent dans toutes les guerres qu'il
pourrait avoir, soit avec les Musulmans, soit avec les Chrétiens.
Ce roi qui avait fort avancé l'unité espagnole par la réunion définitive de la Castille et de Léon, par ses conquêtes sur les Maures, et aussi par ses bonnes relations avec les autres souverains chrétiens de la Péninsule, s'était montré en même temps sage et habile administrateur : il avait étendu à de nombreuses poblaciones certains fueros existants et préparé ainsi l'unité de législation. Les Espagnols admirant tant de mérites, le proclamèrent saint, et le Saint-siège, après une longue résistance, le canonisa en 1677; il y avait déjà, dans cette heureuse maison de Castille, un autre petit-fils d'Alphonse IX, qui avait obtenu cet honneur, saint Louis. (E. Cat). |
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