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L'histoire de l'Espagne
Les royaumes chrétiens 
de l'Espagne médiévale
La Reconquista
L'Espagne médiévale Le royaume
wisigothique
Al-Andalus
L'Espagne musulmane
Les royaumes chrétiens
La Reconquista
La lutte contre les Maures (L'Espagne musulmane) installés tout près d'eux a été dès le premier jour ( c'est-à-dire depuis le début du  VIIIe siècle) et pendant plusieurs siècles, la grande préoccupation des souverains chrétiens de l'Espagne médiévale; on s'en rendra compte en étudiant les lignes principales de l'histoire des royaumes indigènes, depuis le moment même où les Arabes ont été installés dans la Péninsule. Ainsi, comprendra-t-on comment ces États se sont formés, comment ils ont évolué depuis le premier jour, comment ils ont pu mener à bien la reconquête des différentes parties du territoire de la Péninsule sous le pouvoir des Musulmans, comment enfin, peu à peu, se sont développées chez eux des institutions qui devaient faciliter la grande oeuvre d'unification menée à bien, à la fin du XVe siècle, par les célèbres rois catholiques, qui s'appellent Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille (L'Espagne pendant la Renaissance).

La « Reconquista »

Les débuts des États Chrétiens.
Lors de l'avance arabe, de riches Hispano-Romains, de nobles Wisigoths, des évêques du sud et du centre de l'Espagne avaient fui dans les Pyrénées cantabriques. Sous la conduite du roi qu'ils avaient élu, Pélage (Pelayo), ils purent arrêter les envahisseurs dans la vallée de Covadonga (718). Les successeurs de Pélage, son fils Favila (737-739) et son gendre Alphonse Ier dit le Catholique (739-756), d'autres encore, organisèrent le royaume des Asturies et, peu à peu, l'étendirent vers le sud aux dépens des Maures. Alphonse Il le Chaste (791-842) s'avança jusqu'à Lisbonne, signa avec les émirs des traités de bon voisinage, et trouva un puissant allié dans le grand protecteur de la chrétienté, Charlemagne. Organisant l'administration de son royaume, il y remit en vigueur l'application des lois wisigothiques. C'est sous son règne que l'on prétendit avoir découvert près d'Iria le corps de l'apôtre saint Jacques, en l'honneur de qui Alphonse II fit construire une basilique, autour de laquelle s'éleva rapidement la ville de Compostelle, si fréquentée par les pèlerins pendant tout le Moyen âge.

Ramire Ier (842-850), le successeur d'Alphonse II, dut repousser une invasion des Vikings qui, en 844, firent leur apparition sur le littoral de la Galice et des Asturies. Son fils Ordoño Ier (850-866) vainquit à Clavijo le renégat Moûsâ, de la famille des Beni Casi, une famille qui descendait d'un certain Cassius, un colon romain, qui avait continué de prospérer sous les Wisigoths, et qui s'était désormais islamisée et avait même fondé un État en Aragon. Après lui, Alphonse III le Grand (866-910) battit les Musulmans à Zamora et les refoula jusqu'à la Sierra Morena il fit alliance avec le roi de Navarre, Garcia, dont il épousa la fille, Chimène. Mais la reine et ses fils conspirèrent contre lui et se partagèrent son royaume : Garcia prit le Leon, Ordoño la Galice et Fruela les Asturies.

Tandis que ces événements se déroulaient dans la région du Nord-Ouest de la Péninsule Ibérique, d'autres États chrétiens se constituaient plus à l'est. L'exemple de Pélage (Pelayo) avait, en effet, été suivi par d'autres chefs chrétiens. Quelques années après la bataille de Covadonga, des seigneurs basques et gascons avaient fondé dans le territoire de Sobrarbe des principautés chrétiennes qui, accrues peu à peu d'autres territoires, formèrent au IXe siècle le royaume de Navarre. Cependant, sur la frontière orientale des Asturies, un certain nombre de chefs militaires ou comtes se fortifiaient dans leurs castillos ou châteaux, au fur et à mesure que les Arabes perdaient du terrain. Ils finirent par former, avec Burgos pour centre, le comté de Castille, qui devint indépendant en 930. Auparavant déjà, sur les rivages de la Méditerranée, les Catalans avaient constitué comme le noyau de la résistance aux Musulmans. Ils appelèrent à leur aide les Francs qui s'emparèrent de Barcelone en 800, et bientôt on compta en Catalogne, dans la «-marche d'Espagne », jusqu'à neuf comtes, wisigoths ou francs. L'un d'eux, Guifré le Velu, comte de Barcelone (874-896), soumit ses voisins à sa suzeraineté et se rendit indépendant des Carolingiens de France. Ses successeurs continuèrent I'oeuvre de la reconquête, jusqu'au moment où l'un d'eux, Bérenger IV monta, au XIe siècle, sur le trône d'Aragon. Ainsi se constitua contre la puissance arabe, de la Corogne au cap Creus, une chaîne ininterrompue de petits États chrétiens.

La formation du royaume de Léon.
La division du royaume des Asturies entre les fils d'Alphonse III, survenant au moment où Abd-er-Râhman III montait sur le trône de Cordoue et donnait au califat une puissance jusqu'alors inconnue (L'Espagne musulmane), ne pouvait qu'entraver l'oeuvre de la reconquête; cependant, ce démembrement ne fut que passager. A la mort du roi de Leon, Garcia, son frère, Ordoño II, comte de Galice, reprit, en effet, la couronne de ce pays et, après son décès (924), son cadet Fruela (Froila) arrondit de tous ces États son propre royaume des Asturies. Ainsi se trouva reconstitué dans toute son intégrité l'ancien royaume d'Alphonse III, Leon en devint la capitale, au lieu d'Oviedo. 

Union de la Castille avec le Léon.
Alphonse IV le Moine, fils d'Ordoño II, succéda bientôt à Fruela (925 -930). Après qu'il se fut retiré au monastère de Sahagùn, Ramire II (930-950) se signala dans les guerres contre les Arabes; il vengea la défaite subie naguère par les troupes d'Ordoño II et de son allié le roi de Navarre à Valdejunquera, en remportant les sanglantes victoires de Simancas et d'Alhandega et en s'emparant de Madrid, qu'il démantela. Ordoño III (950-955) poursuivit ses succès et porta ses étendards jusqu'à Lisbonne. Mais à sa mort, commencent de mauvais jours pour le Leon. Sanche Ier le Gros (955-967) d'abord détrôné par Ordoño IV, dit le Mauvais, qu'appuie Fernan Gonzalez, comte de Castille, remonte ensuite sur le trône avec l'aide des troupes du calife de Cordoue (L'Espagne musulmane). Après lui, son tout jeune fils, Ramire III, règne sous la tutelle de sa mère Thérèse et de sa tante Elvire, soeur du couvent de San Salvador de Leon; mais les barons de son royaume, révoltés, le détrônent et mettent à sa place son cousin Bermude II (982-994), sous le règne duquel le royaume de Leon est envahi par les troupes d'Almanzor.

C'est seulement au début du XIe siècle que finit cette période, avec le fils et successeur de Bermude, Alphonse V le Noble, qui fit contre les Maures, au Portugal, une campagne victorieuse marquée par la bataille de Calatañazor ( = la Montagne de l'Aigle) [1002]. Tué devant Vizeu, qu'il assiégeait, Alphonse V eut pour successeur son fils Bermude III (1027-1037). Celui-ci, au lieu de poursuivre la lutte contre les Musulmans, voulut agrandir ses États au détriment de son beau-frère Ferdinand de Navarre, un fils cadet de Sanche le Grand, qui avait épousé la veuve du comte de Castille Garcia, et avait pris le titre de roi de Castille. Bermude fut battu et tué, en 1037, à Tamaron et Ferdinand se fit alors proclamer roi de Castille et de Leon, réunissant ces deux royaumes sous un même sceptre.

Ferdinand Ier  le Grand et Alphonse VI.
Avec Ferdinand Ier le Grand (1037-1065), roi de Castille et de Leon, des Asturies et de Galice, commencent les grandes conquêtes chrétiennes. Pour affirmer sa puissance et unifier la législation de ses États, ce roi réunit le concile de Coyanza (Valencia de Don Juan [1050] et, pour s'attirer la sympathie des Léonais, ratifia tous les fueros que leur avait accordés Alphonse V. Son frère Garcia, roi de Navarre, prétendit lui disputer une partie de ses États, mais fut vaincu et tué à Atapuerca (1054). 

Fueros. - On désigne ainsi en Espagne les droits et privilèges particuliers de certaines provinces du Nord, ainsi que les chartes qui les consacrent. L'origine de ces privilèges remonte aux commencements de la monarchie espagnole; ils existaient déjà au temps de la lutte des petits rois de l'Espagne septentrionale contre les Maures, et paraissent modelés sur les lois des Wisigoths. Le premier des fueros écrits qui soit connu est celui de Léon qui date de 1020. C'est à Alphonse VI qu'on doit la plupart des fueros les plus populaires : en 1076, ce prince rédigea le fuero de Sepulveda, qui, destiné d'abord à l'Estramadure, fut ensuite étendu à la plupart des villes de la Castille. Les provinces basques (Guipuzcoa, Alava, Biscaye et Navarre) se montreront, à partir du XIXe siècle, fort attachées à leurs fueros: excitées par don Carlos, elles prendront les armes en 1833, pour les défendre et obtiendront de les conserver.
Laissant la Navarre à son neveu, Ferdinand concentra toute son activité guerrière contre les Maures et porta les limites de son royaume jusqu'aux abords de Séville. La seule erreur politique de ce prince intelligent fut de diviser son royaume entre ses enfants et de donner la Castille à l'aîné d'entre eux, Sanche II, le royaume de Leon au cadet Alphonse, la Galice au cadet Garcia et les seigneuries de Zamora et de Toro à ses filles Urraca et Elvire. De là, lorsque mourut sa veuve, doña Sanche, qui avait su maintenir la paix entre ses enfants, une guerre fratricide à laquelle prit part le célèbre chevalier castillan Ruy (Rodrigo) Diaz de Vivar ou Cid Campeador, et qui se termina par la mort de Sanche II, assassiné au cours du siège de Zamora (1072).
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Portraits d'Urraca et d'Alphonse le Batailleur.
Doña Urraca, fille d'Alphonse VI, 
et son époux Alphonse I le Batailleur
roi d'Aragon (gravure du XVIIe siècle).

Son frère Alphonse VI, qui avait fui à la cour du roi maure de Tolède, se fit alors proclamer roi de Leon et de Castille, puis enleva la Galice à Garcia. Ayant ainsi à peu près reconstitué l'empire de son père, il reprit l'oeuvre de reconquête sur les Musulmans (1073) et s'empara notamment de Tolède, en mai 1085. Ce succès considérable amena la soumission de nombreux chefs arabes, mais les troupes
almoravides se vengèrent en infligeant de sanglantes défaites faites aux troupes chrétiennes, à Roda, à Zalaca (1086) et à Ucles (1108), où périt l'infant Sanche, héritier du trône.

Au temps d'Alphonse VII, d'Alphonse VIII et de Ferdinand III.
Quand Alphonse mourut et que sa fille Urraca lui succéda, on put croire que, grâce à l'union de cette dernière avec le roi d'Aragon, Alphonse Ier le Batailleur, une grande partie de l'Espagne allait se trouver réunie en un seul État. Il n'en fut rien : le mariage fut, en effet, annulé en cour de Rome et la guerre civile s'ensuivit entre Castillans et Aragonais. Bien plus, dès 1110, le fils d'Urraca et de son premier mari Raymond de Bourgogne, Alphonse, fut couronné roi de Galice, si bien que le morcellement de la péninsule Ibérique redevint à peu près aussi complet que par le passé. Mais Alphonse VIII s'efforça de le diminuer par la suite, quand il eut succédé à sa mère en Leon (1126). Il ne réussit pas au Portugal, car il dut, finalement, reconnaître l'indépendance de ce pays sous le sceptre de son cousin Alphonse Henriquez (1143). Il ne réussit pas davantage en Aragon, où force lui fut, à la mort d'Alphonse Ier, de se contenter de quelques augmentations territoriales. Les guerres civiles et les questions de politique intérieure n'empêchèrent pas Alphonse VIII de profiter de la désunion des chefs arabes pour étendre sa domination sur la presque totalité de la péninsule, notamment en Andalousie et en Estramadure(L'Espagne musulmane)

En 1135, osant davantage, Alphonse VIII se fit proclamer empereur d'Espagne en présence du roi de Navarre, du comte de Barcelone, du comte de Toulouse et de rois maures alliés, ses vassaux. Aussi s'étonne-t-on qu'il ait, en mourant commis l'erreur de diviser son royaume entre ses fils Sanche et Ferdinand, qui héritèrent respectivement de la Castille et du Leon. Le règne éphémère de Sanche III le Désiré (1157-1158) ne s'impose à l'attention que par une irruption des Almohades en Castille et, en souvenir de la défense de Calatrava contre les Arabes, par la fondation de l'ordre qui porta désormais le nom de cette ville. Alphonse IX (1158-1214) était encore mineur quand il succéda à son père, et sept années d'effroyables luttes civiles marquèrent d'abord son règne. Une fois majeur, Alphonse VIII, qui avait épousé Éléonore, fille de Henri II, roi d'Angleterre, s'efforça de mettre fin aux troubles qui désolaient son royaume; il s'allia au roi d'Aragon, put ainsi s'imposer non seulement en Castille, mais encore en Alava et en Guipuzcoa et même lancer un défi au souverain des Almohades, Yoûsouf (1194), qui le mit en déroute complète à Alarcos (1195) et, en souvenir de cette victoire, édifia la Giralda de Séville. Toutefois, Alphonse VIII ne tarda pas à prendre sa revanche; lorsque 500000 Musulmans s'avancèrent vers le Nord sous la conduite de Mohammed Ibn Yoûsouf, il fit appel aux rois de Leon, de Navarre et d'Aragon, ainsi qu'à de nombreux princes étrangers, obtint des troupes des communes et groupa l'Espagne entière contre les Musulmans, tandis qu'une guerre qui fut présentée comme une croisade était prêchée par le pape-Innocent III. Une sanglante bataille se livra, le 16 juillet 1212, à Las Navas de Tolosa (province de Jaén), où les Musulmans furent complètement défaits (L'Espagne musulmane).

Cette victoire donna beaucoup de prestige dans la chrétienté à la figure d'Alphonse IX, dont le continuateur fut, non pas le fils, Henri Ier (1214-1217), mais le neveu, Ferdinand III. Après avoir uni à sa couronne le royaume de Leon, celui-ci s'empara de Cordoue (1236) et conquit tout le Nord de l'Andalousie (1248), ne laissant plus aux Maures, réduits à la défensive, que le royaume de Grenade et quelques territoires en Huelva. Il se disposait à passer en Afrique quand il mourut (1252). Roi clairvoyant, intelligent et cultivé, Ferdinand III eut le mérite de ne pas se consacrer uniquement aux entreprises militaires et d'organiser l'administration de ses États, tâche d'autant plus difficile qu'il les accroissait sans cesse. Il donna à son royaume les forces maritimes et militaires nécessaires pour continuer avec succès la lutte contre les Maures et pour les expulser complètement de la péninsule Ibérique.
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Ferdinand III (Fernando III), roi de Castille.
Ferdinand III, roi de Castille.
(gravure du XVIIe siècle).

Le rôle des ordres religieux militaires.
Au moment de la mort de Ferdinand III, on pouvait croire que les étendards des sectateurs du Prophète allaient bientôt cesser de flotter sur la terre d'Espagne; plus de deux siècles encore furent cependant nécessaires pour les en chasser et pour détruire le petit royaume de Grenade. C'est que les rois chrétiens avaient dû, pour mener à bien l'oeuvre de la reconquête, acheter à cher prix le concours des nobles et des villes et leur accorder aux uns et aux autres des privilèges qui mettaient en péril l'autorité du monarque. Alphonse X le Sage le constata à ses dépens quand il brigua la couronne de l'Allemagne impériale. Mécontents, les barons castillans se liguèrent avec l'héritier du trône, Sanche, pour chasser leur roi de ses États, et les Maures profitèrent de cette révolte pour se soulever en Andalousie. Sur le point de perdre tout le fruit des conquêtes de ses prédécesseurs, Alphonse X fit appel aux armées du roi d'Aragon. Ses succès furent continués par son fils Alphonse XI, sur le nom duquel la victoire du rio Salado, gagnée sur les Maures, et la prise d'Algésiras (1340) jetèrent un vif éclat.

Ses successeurs ne purent ou ne voulurent pas continuer la lutte contre les Maures du royaume de Grenade; aussi, l'abandon de la Péninsule ibérique par les Maures ne fut-il effectué qu'un siècle et demi plus tard, sous le règne de Ferdinand et d'Isabelle. Il ne faudrait cependant pas croire que personne alors ne s'intéressa plus, en Castille, à l'entreprise de la reconquête. Les membres des trois ordres religieux et militaires, fondés au XIIe siècle, à l'imitation des célèbres ordres des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et des Templiers, ne cessèrent, comme par le passé, de batailler contre les Arabes et de protéger contre eux la frontière de la Castille. Convertir, ou plus exactement combattre l'Infidèle, défendre la foi contre lui, telles étaient les obligations des chevaliers des trois grands ordres castillans d'Alcantara, de Calatrava et de Saint-Jacques de Compostelle, ainsi que de l'ordre portugais d'Evora, qui fusionna, en 1213, avec l'ordre de Calatrava.

La formation du royaume d'Aragon.
Le royaume de Castille n'est pas le seul d'où soit sortie l'Espagne moderne; à côté de lui et avec lui, l'Aragon a contribué à sa formation. Ce royaume, dont les origines semblent communes avec celui de Navarre, se sépara de ce pays à la mort de l'ambitieux Sanche III le Grand. Ses premiers souverains ne cessèrent de lutter contre les Maures. Tel fut le cas, en particulier, pour Alphonse Ier le Batailleur, qui, profitant de l'union de l'Aragon et de la Navarre sous son autorité, dévasta toute l'Espagne arabe et prit Saragosse en 1118. C'est un quart de siècle plus tôt, sous le second roi d'Aragon, Sancho Ramirez (1063-1094), que la Navarre avait ainsi fait corps avec le nouveau royaume et reculé ses frontières, au nord depuis Saint-Sébastien jusqu'à la Noguera Ribagorzana, et à l'Ouest jusqu'à l'Èbre. Pierre Ier (1094-1104) y avait encore ajouté Huesca et les territoires environnants en 1096.

Le fils et successeur de celui-ci, Alphonse Ier (1104-1134), gendre d'Alphonse VI de Castille, se trouvant sans héritier, laissa son royaume aux deux ordres des Templiers et des Hospitaliers (1134). Les nobles d'Aragon, se refusant à sanctionner cette disposition, élirent roi son frère, Ramire II, qui était moine dans un monastère de Narbonne. Relevé de ses voeux par le pape, Ramire épousa Agnès d'Aquitaine, dont il eut une fille, Pétronille, puis maria celle-ci au comte de Barcelone, Bérenger IV, et lui laissa aussitôt la couronne pour se retirer dans son couvent (1137). Ainsi se trouvèrent réunis sous un même sceptre l'Aragon et la Catalogne, auxquels ne tardèrent pas à s'ajouter au temps de Raymond Bérenger, qui régna sous le nom d'Alphonse II, le duché de Provence et le comté de Roussillon, puis, sous Pierre II, le comté de Montpellier.

Ce souverain se fit couronner roi par le pape, à Rome, en 1204, et prit le premier le titre de « catholique ». Mais ce roi catholique, dont les vassaux hérétiques du sud de la France étaient vaincus par les croisés de Simon de Montfort, ne sut pendant longtemps quel part prendre pour concilier sa foi et ses intérêts. Enfin, comme Simon de Montfort, devenu vicomte de Béziers et de Carcassonne, ne voulait pas lui rendre les hommages féodaux, Pierre Il se déclara ouvertement pour les Albigeois; mais il ne tarda pas à se laisser battre et tuer à Muret (13 septembre 1213), et Simon de Montfort prit comme otage l'héritier même d'Aragon, Jaime, à qui d'ailleurs il rendit bientôt la liberté (1214) sur l'intervention énergique du pape Innocent III.

Alors commence une longue époque d'intrigues et de rivalités entre les nobles, tous révoltés contre le pouvoir royal, qu'ils convoitent. Elle s'étend sur la minorité de Jaime, qui a pour tuteur le maître de l'ordre des Templiers, Guillem de Monredo, choisi comme régent par les barons d'Aragon et de Catalogne réunis à Lérida, et elle se continue pendant tout le règne de ce souverain. Néanmoins, Jaime put effectuer sur les Musulmans la conquête des Baléares, qui devinrent une terre catalane, conquérir Valence en 1238, envoyer une expédition de croisés en Palestine (1269-1270) et s'emparer de Ceuta (1273). L'Aragon doit sa prépondérance politique dans la Péninsule à ce souverain, qui utilisa ses loisirs à écrire l'histoire de son règne, dicta des lois sages et fonda des écoles. On doit lui reprocher, toutefois, d'avoir, comme tant d'autres monarques du temps, partagé son royaume entre ses deux fils et donné l'Aragon (avec la Catalogne et Valence) à son aîné, Pierre, et les Baléares à Jaime. Du moins, en mariant Pierre avec la fille aînée du roi de Sicile, Manfred, créa-t-il à l'Aragon l'origine de ses droits sur ce pays et contre-balança-t-il l'effet produit par le mariage de la duchesse de Provence, à la même époque, avec Charles d'Anjou.

Le Royaume de Navarre.
A la mort d'Alphonse Ier  d'Aragon (1134), la Navarre avait repris son individualité propre et s'était déclarée indépendante sous le sceptre de Garcia Ramon. Dès lors, ce petit État, enclavé presque entièrement dans les vallées des Pyrénées occidentales et isolé des «-mécréants-» par les royaumes plus méridionaux, devient, pendant un siècle entier, un objet de convoitise pour l'Aragon et pour la Castille; mais les nobles navarrais ayant, à la mort de Sanche VII, dit le Fort, élu roi son neveu Thibaut, comte de Champagne et vassal du roi de France (1234), ce pays montagneux cessa pour un temps d'appartenir à l'histoire espagnole. Il ne devait y rentrer qu'au début du XVe siècle, par le mariage de la fille et héritière de son souverain d'alors, l'infante Blanche, avec Jean d'Aragon (1419).

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Sceau de Fontarabie.
Sceau de Fontarabie (Guipuzcoa), 1297.

Les origines du Royaume du Portugal (1093-1431).
Tandis que ces événements se déroulaient dans les pays du Nord et du centre de la Péninsule, un autre royaume s'était, peu à peu, constitué dans les parties occidentales de la contrée, dans les plaines qu'arrosent les fleuves tributaires de l'Atlantique, à leur sortie des défilés par lesquels ils se frayent, depuis les plateaux, leur chemin vers la mer. Là, les Maures s'étaient installés exactement comme dans les pays plus orientaux de la Péninsule, là, face aux Musulmans, les rois chrétiens de Leon avaient établi plusieurs seigneurs à qui ils avaient confié la défense des terres demeurées ou retombées en leur pouvoir, en particulier celle des pays situés entre le Douro et le Mondego. Vers le temps où les Normands conquéraient l'Angleterre et s'établissaient en Sicile, ils trouvèrent un allié inattendu dans le Capétien-Henri de Bourgogne, arrière-petit-fils du roi de France-Robert Ier, à qui Alphonse VI accorda, en 1095, la main de sa fille Teresa et laissa la faculté d'étendre ses conquêtes, aux dépens des Musulmans, vers le pays d'Algarve. Henri profita de cette faculté, combattit victorieusement les Arabes, leur enleva la ville de Sintra et prit, après la mort de son beau-père, les titres de comte et seigneur de tout le Portugal par la grâce de Dieu, que son fils Henri changea, quelques décennies plus tard, contre celui de roi. Force fut alors au roi Alphonse VII de Castille de reconnaître le fait accompli par le traité de Zamora.

Dès ce moment, le royaume de Portugal commença de mener une vie indépendante, au cours de laquelle s'affirma l'originalité de ses institutions, tandis que ses frontières empiétaient sur les pays musulmans du Sud. La victoire d'Ourique (1139), la conquête du royaume des Algarves, au temps d'Alphonse III (1248-1279) constituent les principaux épisodes de cette lutte; les rois chrétiens, que domina le Saint-Siège jusqu'à la Convention d'Elvaes (1351), y eurent pour collaborateurs les Templiers qui, après la suppression de leur ordre par le pape Clément V, constituèrent au Portugal, au temps du roi Denis, le « Père du peuple », le « Roi travailleur » (1282-1325), la « Milice de Notre Seigneur Jésus-Christ », c'est-à-dire le célèbre Ordre du Christ.

Les souverains successeurs du « Mestre d'Aviz », de Jean Ier, agirent à cet égard exactement comme les descendants de Henri de Bourgogne. A peine l'indépendance de leur pays assurée par la victoire d'Aljubarotta (1385), et avant même que cette indépendance  eût été définitivement reconnue par les Castillans au traité de Médina Sidonia (1431), ils poussaient jusqu'en terre d'Afrique et prenaient Ceuta sur les côtes du Maghreb (1415), consolidant ainsi leur long effort pour rejeter les Musulmans hors du Portugal.

Les royaumes chrétiens aux XIVe et XVe siècles

Si les rois de Castille durent, malgré eux, à leur corps défendant, reconnaître l'indépendance des souverains du Portugal et renoncer pendant un temps à combattre les Musulmans (L'Espagne musulmane); si, d'autre part, leur histoire, comme aussi celle des rois de Navarre et d'Aragon, fut pleine d'épisodes tragiques au cours des XIVe et XVe siècles, il convient d'en chercher l'explication dans les difficultés suscitées à ces souverains par leurs propres sujets. Pour assurer le concours constant de ces derniers contre les Maures, au cours de la Reconquista, tous avaient dû leur consentir de nombreux et importants privilèges, les mettant ainsi en état de braver leur propre autorité et d'en entraver l'exercice.

Les « fueros » de la Navarre et de l'Aragon.
Dans les vallées des Pyrénées occidentales, les Basques constituaient l'élément principal de la population navarraise. Fiers de l'antiquité de leur culture, de la supériorité qu'ils s'attribuaient sur les autres peuples de la Péninsule, des privilèges dont ne jouissaient pas les habitants des royaumes voisins, ces rudes montagnards demeuraient indéfectiblement attachés à leurs libertés locales ou fueros, et se montraient toujours prêts à prendre les armes dès qu'ils se croyaient atteints dans leur indépendance. Il en était de même en Aragon et en Catalogne, c'est-à-dire dans les deux parties septentrionales de ce royaume d'Aragon, qui comprenait encore la région de Valence au sud de la Catalogne. Mais alors que les tendances des Catalans étaient plutôt démocratiques, celles des Aragonais étaient nettement féodales. En Aragon, en effet, jusqu'en 1348, les nobles conservèrent le droit de se soulever contre le souverain, lorsqu'ils estimaient compromis le libre exercice de leurs coutumes et de leurs privilèges. Alors, ils formaient une union qui avait et son étendard de guerre et son sceau. Le jour où fut supprimé ce véritable abus, que sanctionnait la coutume à défaut de la loi, le roi d'Aragon se trouva en présence d'un autre obstacle. Le Justicia, que les Cortès lui avaient imposé en 1265, était un véritable arbitre entre le monarque et les puissants barons du royaume; devant lui, dès qu'un conflit venait à surgir entre eux, le souverain plaidait sa cause exactement comme ses sujets. On connaît, par ailleurs, la fière formule dont on a cru à tort, pendant longtemps, que se servait le Justicia parlant au nom des nobles, pour répondre au roi quand celui-ci avait, lors de son avènement, prêté serment entre ses mains de conserver les fueros : 

Nous qui, séparés, valons autant que vous, qui, réunis, pouvons plus que vous, nous vous faisons notre roi, à la condition que vous respecterez nos fueros; sinon, non.
Mais, ce qui demeure acquis, c'est que l'obéissance des Aragonais à leurs
rois n'allait pas sans conditions. Enfin, c'était encore une garantie pour maintien des libertés locales, que cette réunion périodique Cortès où les délégués des trois ordres du royaume d'Aragon votaient, sous l'influence des grands barons ou ricos hombres, tous les impôts nouveaux demandés par le monarque.

Nobles et villes en Castille; les Cortès.
La noblesse était très puissante en Castille comme en Aragon. Grâce à l'étendue et à la valeur de leurs propriétés foncières, les principaux seigneurs jouissaient de revenus égaux, et, parfois même supérieurs à ceux du souverain. Mais ils n'étaient pas les seuls maîtres du sol : à côté d'eux les villes étaient riches et puissantes. Dans les premiers siècles, les agglomérations urbaines dépendaient des représentants directs du roi (comites, condes) ou du seigneur sur les terres desquels elles se trouvaient; d'aucunes, dites behetrias, jouissaient déjà d'une certaine indépendance sous la protection (benefactoria) d'un seigneur librement choisi par l'assemblée des habitants. Quand, au Xesiècle et plus encore au XIe, les rois eurent reconquis sur les Maures des territoires importants, il fallut cultiver, mettre en valeur, défendre et par conséquent peupler les régions annexées. Afin d'attirer dans ces zones, de sécurité incertaine, une population plus dense, les souverains de Castille et de Leon donnèrent aux habitants (vecinos) des cités nouvellement créées des privilèges spéciaux (cartas de poblacion, fueros). Ainsi se constituèrent des communes autonomes leurs assemblées élirent un conseil (concilium, concejo ayuntamiento), - analogue à l'ancienne curia des cités  romaines, - dont peu à peu les membres (jurados, prebostes) et les chefs (alcaldes) obtinrent des pouvoirs de plus en plus étendus d'administration, de police et de justice, non seulement sur la ville, mais sur les faubourgs, sur les villages (aldeas) environnants et les territoires souvent très étendus qui les entouraient. Ces villes demeurèrent un temps sous l'autorité royale, qui y eut souvent un représentant (merino, corregidor), puis se rendirent complètement indépendantes, s'associèrent en confréries (hermandades) pour augmenter leur puissance et souvent prêtèrent l'appui de leurs milices ou, sur les côtes, de leur flotte, au roi, aux nobles, voire à des princes étrangers.
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Sceau d'Alphonse X.
Sceau équestre d'Alphonse X.

Les fueros s'étendirent peu à peu à toutes les villes, leur donnant, en termes plus ou moins différents, une législation de même origine, que les souverains de Castille s'efforcèrent d'unifier. Alphonse X, le premier, fit rédiger, dès 1254, le code municipal de Castille (Fuero castellano ou Libro de los Concejos). Les seigneurs eux-mêmes, laïques ou ecclésiastiques, accordèrent ces mêmes fueros aux bourgs placés sous leur dépendance ou sous leur protection. Les communes constituèrent donc, de bonne heure, une force sociale, comme la noblesse et le clergé.

Cette situation explique la composition des Cortès, autrement dit des États généraux du royaume de Castille. On y distinguait trois ordres ou brazos : le clergé, la noblesse, qui comprenait les nobles de première catégorie (ricos hombres) et de deuxième catégorie (milites, infanzones ou hidalgos), et enfin les députés des villes (personeros, procuradores); ces derniers pouvaient formuler leurs doléances, leurs cahiers (cuadernos) avant de voter l'impôt, mais ne possédaient pas les moyens de faire obstacle à la royauté, comme en Aragon et surtout en Navarre.

Le pouvoir royal en Castille entre 1252 et 1474.
De cette situation les rois profitèrent de bonne heure, dès le temps d'Alphonse X le Sage. Non content de déclarer de droit divin la puissance royale dans le code des Siete Partidas, ce souverain pratiqua le premier une politique de centralisation administrative; il se réserva le droit de nommer les magistrats municipaux des grandes villes, et réduisit le nombre de leurs représentants aux Cortès. Après les troubles qui suivirent la mort d'Alphonse X, Alphonse XI, devenu majeur en 1325, reprit son oeuvre et rétablit l'ordre dans le royaume par une répression terrible des révoltes, dont les nobles avaient pris l'habitude à la faveur des guerres civiles qui remplirent les règnes de Sanche IV, de Ferdinand IV et la minorité d'Alphonse XI lui-même (1284-1312).

La mort d'Alphonse XI marque pour la Castille le début de jours très sombres (1350-1474). L'intervention de la France et de l'Angleterre durant la rivalité de Pierre le Cruel et de son frère naturel et successeur Henri de Trastamare, les échecs subis par Jean Ier dans ses tentatives imprudentes pour annexer le Portugal à ses États héréditaires (bataille d'Aljubarotta, 1385) ont, en effet, porté des coups funestes à la monarchie castillane; la noblesse s'empressa d'en tirer avantage. De là, au temps de Jean II, prince faible et indécis, à qui son père, Henri III, avait laissé un État en pleine anarchie, la sentence de mort imposée à ce monarque contre son favori Alvaro de Luna; de là, en 1465, la déposition de l'indigne Henri IV à Avila et le coup de pied symbolique donné par un seigneur au mannequin qui figurait ce souverain; de là, enfin, le refus d'obéir à la fille de ce roi, de cette Jeanne qu'ils appelaient la Beltraneja (du nom du favori Beltran de la Cueva, qu'ils prétendaient être son père) et la proclamation de la jeune soeur de Henri IV, Isabelle, comme héritière de celui-ci (traité de Guisando, 1468). Peu après (1469), et avant même la mort de son frère - car Henri IV ne décéda qu'en 1474 - Isabelle épousait, à Valladolid, Ferdinand d'Aragon, prince un peu plus jeune qu'elle, mais déjà réputé pour l'intelligence et pour l'habileté qu'il montrait au milieu des difficultés que traversait le royaume, dont lui-même était l'héritier présomptif.

Le royaume d'Aragon entre 1276 et 1478.
Depuis le moment où Jaime Ier avait fait de son fils Pierre III le roi de l'Aragon (1276), ce pays avait passé par de très grandes vicissitudes. Il avait, au dehors, brillé d'un très vif éclat; les conquêtes de Pierre III, qui étendit le protectorat de l'Aragon sur la Tunisie et soumit la Sicile, tragiquement libérée par les Vêpres siciliennes de la domination angevine; celles de son frère et successeur Jaime II (1291-1327), qui porta ses armes jusqu'en Méditerranée orientale et fit pour un temps du duché d'Athènes une province du royaume d'Aragon; l'intervention des successeurs de ces souverains dans les affaires des pays riverains de la Méditerranée occidentale (en Sardaigne, à Naples et jusque dans le duché de Milan) donnèrent un très grand prestige aux souverains aragonais. Mais lorsqu'on étudie les rapports de ces princes avec leurs sujets, quel contraste!

Pour apaiser les révoltes des nobles et des villes de l'Aragon, Pierre III doit, malgré ses tendances absolutistes, accorder de nombreux privilèges aux unes et aux autres. Après lui, son fils aîné, Alphonse III, doit consentir aux conditions que lui impose l'Union des nobles et renoncer à agir contre aucun membre de cette même union, sans le consentement des Cortès et du Justicia. Seul, Pierre IV le Cérémonieux (1336-1387) sut réagir avec succès contre les empiétements des seigneurs; après bien des vicissitudes, il parvint à supprimer définitivement l'Union des nobles, abusivement constituée dès le temps de Pierre III, mais n'hésita, pas, en échange de cet abandon, à étendre les fueros en tant qu'ils n'étaient pas contraires aux prérogatives royales. Aussi, un peu plus tard, pour reconquérir une partie du pouvoir, dont les avait dépouillées Pierre IV, les Cortès imposèrent-elles leurs conditions à l'infant de Castille, Ferdinand, le vainqueur d'Antequerra, sur lequel elles portèrent leur choix à Caspe, en juin 1412, après la mort de Martin Ier, décédé deux ans auparavant. Ce souverain ne fit guère que passer sur le trône et ne put pas, par conséquent, regagner le terrain perdu par la royauté depuis la mort de Pierre IV. Son fils, Alphonse V le Magnanime ou le Sage (1416-1458), ne le tenta même pas. Laissant l'Aragon en proie aux guerres civiles, il ne se montra soucieux que d'agrandissements territoriaux en Italie, à Naples et à Milan, et de l'essor des lettres et des arts. Aussi son nom figure-t-il parmi ceux des princes protecteurs des choses de l'esprit. En mourant, Alphonse V laissa les États de Naples à son fils bâtard Ferdinand, et ceux d'Espagne, de Sicile et de Sardaigne à son frère Jean, alors souverain de la Navarre par suite de son mariage, dès 1419, avec Blanche, héritière présomptive de la couronne de ce pays.

Démêlés de Jean II avec Don Carlos de Viane.
On sait quel esprit individualiste survit aujourd'hui encore dans les vallées pyrénéennes de la Navarre, et combien leurs habitants sont fidèles à leurs vieilles coutumes. A la fin du Moyen âge, ils y étaient attachés davantage encore, et se montraient profondément jaloux de leur indépendance. Aussi le jour où, après la mort de Blanche et contrairement à ses volontés testamentaires (1441), son époux Jean d'Aragon prit le titre de roi de Navarre, le mécontentement fut-il profond dans le pays. Il ne se manifesta pas toutefois tant que don Carlos, prince de Viane, né en 1421 du mariage de Jean et de Blanche, demeura lieutenant général du royaume de Navarre; mais, le jour où (1450) Jean rendit le gouvernement de l'Aragon à son frère Alphonse V revenu d'Italie, et reprit lui-même le pouvoir dans ses propres États, don Carlos contesta à son père le titre de roi de la contrée. Battu à Eibar, en 1451, avec ses montagnards qu'assistaient les Catalans, il fut jeté en prison par le vainqueur. Carlos de Viane, libéré un peu plus tard, se révolta encore par deux fois; il venait de se réconcilier avec son père, tout au moins en apparence, et d'en obtenir quelques concessions, quand il mourut mystérieusement en 1461.

Cette mort amena une révolte de la Catalogne, qui se déclara indépendante, mais qui finit par rentrer dans l'obédience de l'Aragon (1472), grâce à l'intervention du roi de France-Louis XI, à qui fut cédé le Roussillon pour prix de ses bons offices. Quant à la Navarre, toujours frémissante sinon absolument soulevée contre l'autorité du roi d'Aragon, elle revint à Éléonore, l'épouse du comte de Foix et la fille cadette de Jean II, qui avait, pour obtenir cette couronne, fait empoisonner sa soeur aînée Blanche, femme du roi Henri IV de Castille.

Ces sombres drames de famille montrent bien quelle violence persistait encore en Navarre, comme, d'ailleurs, dans les autres contrées pyrénéennes, au milieu du XVe siècle; ils expliquent pour leur part les difficultés que Jean II rencontra dans l'exercice du pouvoir royal dans ses vastes États. Ils permettent aussi de comprendre certains traits du caractère de son fils Ferdinand V, qui proclamé dès 1468, par les trois États réunis à Saragosse, roi de Sicile et héritier d'Aragon. monta sur ce dernier trône en 1479, cinq ans après avoir commencé de collaborer, avec sa femme Isabelle, au gouvernement des royaumes de Castille et de Leon.

Les Rois catholiques

Ferdinand d'Aragon, petit-fils du roi de ce pays et lui-même roi de Sicile, avait épousé, en 1469, Isabelle, soeur du roi Henri IV de Castille et héritière de la couronne. A la mort de Henri IV, la princesse et son mari furent déclarés conjointement souverains de Castille, los Reyes, comme on les appelle (1474); une courte guerre avec le roi du Portugal qui soutenait les droits de la Beltraneja, fille de Henri IV, supposée bâtarde, se termina à l'avantage d'Isabelle et de Ferdinand, et en 1474 ce dernier hérita de la couronne d'Aragon. Ils avaient alors sous leur autorité la plus grande partie de l'Espagne; une guerre de dix ans contre les Maures du royaume de Grenade (1482 à 1492) leur donna ensuite toute l'Andalousie et acheva l'oeuvre de la reconquête du pays sur les Musulmans (L'Espagne musulmane); cette même année, Christophe Colomb ouvrait à leur ambition les immenses contrées du Nouveau-Monde, et les deux souverains catholiques, tout à leur fanatisme, s'enorgueillissaient d'avoir chassé près, de 200 000 Juifs de la Péninsule. L'Espagne avait ainsi à peine ébauché son unité qu'elle intervint dans la politique européenne dont jusqu'alors elle s'était tenue à l'écart; ce fut à propos des guerres d'Italie, à propos des droits de la couronne d'Aragon sur Naples et les Deux-Siciles. Ferdinand, qui, au traité de Narbonne en 1493, s'était allié, moyennant la cession du Roussillon, à Charles VIII, organisa contre celui-ci la Sainte Ligue et envoya le fameux Gonzalve de Cordoue rétablir sur le trône de Naples son parent, Ferdinand II (1496). Un partage qui eut lieu peu après la mort de ce dernier entre la France et l'Aragon ne pouvait durer; une longue guerre s'ensuivit.

En même temps que l'Espagne se mêlait ainsi à la politique européenne par la guerre, elle s'y immisçait par une alliance entre Philippe le Beau, fils de l'empereur Maximilien, et Jeanne, la fille de Ferdinandet d'Isabelle. Ce mariage causa bien des chagrins à la reine de Castille; elle avait perdu son fils Jean qui donnait de belles espérances, une fille mariée au roi du Portugal, et cet autre enfant donnait déjà des signes de cette aliénation d'esprit qui lui a valu dans l'histoire le nom de Jeanne la Folle. La reine, qui avait montré une énergie sans faille au siège de Grenade, qui avait compris et soutenu Colomb, qui, par une habile administration, avait réprimé la turbulente noblesse de ses États, mourut  en 1504. Par testament, elle laissait la couronne de Castille à sa fille Jeanne, et, dans le cas où elle ne pourrait gouverner, la régence à son mari Ferdinand jusqu'au jour de la majorité du prince Charles, le fils de Jeanne et de Philippe le Beau. Ferdinand se saisit aussitôt de la régence, mais il était mal vu des Castillans qui appelèrent Philippe le Beau; celui-ci accourut et Ferdinand, dépouillé de la régence, partit pour l'Italie, ne conservant l'autorité que sur les États de la couronne d'Aragon. Philippe, cependant, mourut subitement en 1506 et les grands confièrent la régence au cardinal Ximenez de Cisneros. Celui-ci réprima les séditions et les révoltes des grands, et, quand Ferdinand revint de Naples exercer une seconde fois la régence de son petit-fils, il n'eut que peu d'efforts à faire pour pacifier le pays et laissa le pouvoir à Ximenez. Cet habile ministre, de 1508 à 1517, commença les expéditions en Afrique avec l'espoir de convertir par la force les Maures, tandis que Ferdinand guerroyait et intriguait en Italie contre Louis XII. En 1515, un an avant de mourir, ce monarque heureux et perfide eut encore la bonne fortune de conquérir la Navarre, et c'est ainsi qu'il laissa à son petit-fils Charles les domaines d'Aragon et de Castille, soit toute l'Espagne, plus les conquêtes récentes en Italie, en Afrique et au Nouveau-Monde (1516).

Le règne de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille, los reyes catolicos, n'a pas été marqué seulement par les conquêtes qui ont doublé l'étendue de l'Espagne et ouvert à ce pays de brillantes destinées; il a vu aussi s'accomplir des événements intérieurs qui ont donné à la nation son caractère moderne et qui ont notablement influé sur son histoire. L'indépendance des grands a été réduite par des mesures législatives, et le pouvoir leur a été enlevé par la création des conseils : Consejo de Indias, Consejo supremo de la guerra, Consejo de Aragon. Les grands ordres militaires de Santiago, Calatrava, furent désormais sous la dépendance du roi et incorporés avec leurs vastes domaines à la couronne. Les assemblées nationales ou Cortès se virent à peu près réduites au rôle de législateurs; les lois furent refondues et la justice réorganisée. Une institution particulière, la Sainte-Hermandad, eut pour objet d'assurer la sécurité des personnes et devint entre les mains du roi une arme puissante. Tout tendait, en un mot, à l'établissement du pouvoir absolu. Dès lors commença à fonctionner avec une rigueur incroyable le tribunal de l'Inquisition qui devait couvrir l'Espagne de bûchers. Le développement de l'esprit monarchique et de l'intolérance religieuse, du goût des aventures et du mépris du travail régulier, apparaissent déjà nettement. (HGP).

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