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Les flexions
L'inflexion ou flexion est la propriété que possèdent les mots déclinables de s'infléchir, de se modifier selon les rapports qui modifient l'idée même exprimée par le mot. Cette propriété est d'autant plus commune dans une langue, que cette langue est plus apte à recevoir une grande variété de terminaisons : telles sont les deux langues anciennes grec et latin, et la langue allemande. Ainsi, dans ces trois langues, selon qu'un nom ou pronom est sujet, ou complément soit d'un nom, soit d'un adjectif, soit d'un verbe, soit d'une préposition, et selon qu'un verbe a rapport à un ou à plusieurs sujets, ou à l'une des trois personnes, la désinence ou terminaison de ce nom, pronom ou verbe, est modifiée d'une manière spéciale. Ainsi :  « Paulus amat Petrurn; Pauli frater a Petro amatur; Ego illos amo; tu me cum summo studio diigis; nos sumus illis carissimi, etc. ». Les langues néolatines et la langue anglaise sont beaucoup moins riches à cet égard que le grec et le latin; et l'allemand forme comme une sorte d'intermédiaire, se rapprochant plus, néanmoins, de la pauvreté des langues indo-européennes modernes. 

De façon plus générale, dans la grammaire des langues indo-européennes, le nom de flexion s'applique à deux sortes de phénomènes distincts. On le donne, en effet, soit aux modifications vocaliques que présente une même partie radicale (parfois aussi un suffixe) dans les différents dérivés où elle se retrouve, soit à l'ensemble des formes que revêtent les désinences casuelles des mots déclinables et les désinences personnelles des verbes dans la déclinaison et la conjugaison. Nous examinerons successivement ces deux manières de considérer la flexion.

La flexion vocalique.
On peut citer comme exemples de ce phénomène le rapport du vocalisme radical entre les mots grecs legw, logos, ou les mots latins tego, toga. Les différentes explications qu'on a essayé de donner de la flexion vocalique ont souvent eu le défaut commun de la considérer comme trop superficielle et de faire abstraction des modifications profondes qu'a subies le vocalisme primitif indo-européen avant de s'arrêter à l'aspect que nous lui connaissons dans les principaux idiomes de la famille. On ne saurait entreprendre d'exposer ici in extenso une quelconque théorie de la flexion; qu'il nous suffise de dire qu'elle ne peut résulter d'un changement pur et simple de l'e de legw (pour reprendre les exemples déjà cités) en l'o de logos, ou inversement celui de o en e. De tels changements ne sont justifiés par aucun exemple sûr ni en grec ni en latin. Il est infiniment plus vraisemblable que, dans tous les cas analogues, les formes primitives contenaient les deux voyelles côte à côte et que des modifications ultérieures ont amené l'élimination de l'une ou de l'autre dans des conditions déterminées sans doute par l'influence des autres éléments phonétiques des formes en question. 

Flexion désinentielle.
1° Dans la déclinaison. Le n  de l'accusatif singulier logo-n en grec et le m du même cas du latin hortu-m sont les formes de la flexion de ces cas dans les deux langues en ce qui concerne les mots de la seconde déclinaison.

En général, les flexions désinentielles peuvent être considérées comme les variantes simples ou complexes d'une même finale primitive entre lesquelles l'usage a réparti les différentes fonctions casuelles aux trois genres et aux trois nombres. Ici encore tout essai de démonstration nous entraînerait trop loin; bornons-nous à ajouter que la théorie de Bopp, d'après laquelle les flexions casuelles seraient d'anciens pronoms qui auraient été soudés à un moment donné de l'évolution de la langue dont dérivent les langues indo-européennes aux finales primitives des mots qu'elles ont rendus déclinables, est une hypothèse dont l'abandon est imposé aux linguistes par des considérations décisives, à ce qu'il semble.

2° Dans la conjugaison. Les finales n, s, t des formes du singulier de l'aoriste second actif du verbe grec didwmi e-dw-n, e-dw-s, e-dw-(t) constituent respectivement les flexions ou désinences personnelles à la première, deuxième et troisième personne du temps en question. Ces désinences sont dites secondaires eu égard à celles du présent de l'indicatif, entre autres, qui sont appelées primaires. Au point de vue du rapport chronologique qui rattache celles-ci à celles-là, il conviendrait d'intervertir ces dénominations; en réalité, les flexions secondaires sont les plus anciennes et les flexions primaires en dérivent par voie d'élargissement.

Si l'on compare, au contraire, aux formes d'aoriste citées plus haut le thème primitif du participe correspondant dwnts (dous), il est difficile d'échapper à l'idée que ces formes sont autres, en ce qui regarde les finales ou les flexions personnelles, que des variantes de la finale du participe, réparties par l'usage, et à l'aide des sujets des verbes, entre les différentes personnes qu'elles désignent respectivement. Nous sommes amenés par là à rattacher à un même principe l'origine des deux sortes de flexions désinentielles, et nous trouvons dans cette conséquence même une nouvelle garantie de l'explication que l'examen des faits particuliers et des procédés généraux qui président à l'évolution des langues indo-européennes nous a conduit à admettre. (Paul Regnaud).

Le radical ou thème.
Lorsqu'on ajoute à la racine ou élément significatif d'un mot ou d'une famille de mots des éléments qui en précisent le sens vague et général, nommés suffixes, on obtient un groupement nouveau, susceptible de recevoir les suffixes spéciaux appelés désinences de déclinaison ou de conjugaison, et qui a reçu le nom de radical ou de thème; par exemple, logos , logikos; sont formés sur un état log de la racine leg par l'adjonction des suffixes o, iko. Il est donc de la plus grande importance de ne pas confondre les termes de racine et de radical, ce qui a été fait souvent; c'est pourquoi le mot thème est bien préférable, parce qu'il ne prête pas à confusion. Les radicaux ou thèmes sont divisés en deux grandes classes, selon qu'ils sont susceptibles de recevoir les désinences de déclinaison ou celles de conjugaison : logo est un thème nominal, formant le substantif, logos par l'adjonction du suffixe s, et lego un thème verbal, donnant, par exemple, la forme verbale legomen par l'adjonction du suffixe de première personne du pluriel men. Ces deux catégories s'enrichissent mutuellement par la suffixation, à un thème déjà formé, d'autres éléments qui en font des thèmes de l'une ou de l'autre classe; par exemple, d'un thème nominal timh formé à l'aide du suffixe mh (ma), on a tiré, grâce à un nouveau suffixe, le thème verbal timao, et de celui-ci le participe médio-passif par l'adjonction du suffixe meno. Les thèmes sont dits alors primaires, secondaires, tertiaires, etc., suivant qu'ils sont formés par l'adjonction à la racine de un, deux, trois, etc., suffixes. Il y a enfin des formations où la racine reçoit immédiatement la désinence verbale ou nominale sans l'intermédiaire d'un suffixe, par exemple eimi, aller (rac. ei), flox, flamme = flog-s (rac. fleg), rex, roi = rég-s (cf. regere); le radical est alors le même que la racine, et ces sortes de radicaux, assez rares d'ailleurs, et se rencontrant plus particulièrement dans les composés (su-xug-s, con jug-s), ont reçu le nom de thèmes-racines. 

Suffixe.
On appelle suffixes les terminaisons qui servent à former les mots dérivés. Ajoutées à la fin ou substituées à la partie finale d'un mot, elles ajoutent à l'idée fondamentale exprimée par ce mot ou par son radical quelque idée accessoire qui la modifie. Ainsi les suffixes ir dans grandir dérivé de grand, eur dans chanteur dérivé de chanter, signifient les idées abstraites d'action et d'agent de l'action. Mais non seulement les suffixes expriment des idées particulières spéciales à chacun d'eux, ils rangent les mots dont ils font partie dans telle ou telle partie du discours. Aussi les divise-t-on, d'après la manière de signifier des mots qu'ils servent à former, en suffixes de noms, d'adjectifs, de verbes, d'adverbes, etc.; et dans chacune de ces catégories, d'après la nuance significative qui caractérise chacun d'eux, les suffixes de noms par exemple, en suffixes de noms d'agents, de noms d'instruments, de noms de lieu, de noms abstraits, etc. Toutefois il faut remarquer qu'un même suffixe peut se trouver dans des mots appartenant à des catégories grammaticales différentes, comme les suffixes diminutifs et et ot qui forme à la fois des adjectifs et des substantifs ; et qu'il n'a pas nécessairement une signification unique, que non seulement certains suffixes (age, ier, erie, etc.) peuvent avoir plusieurs sens dérivés les uns des autres, mais qu'il y en a dont la signification dans les dérivés diffère suivant la catégorie grammaticale des mots primitifs. Et c'est facile à expliquer. Les suffixes ne peuvent que par abstraction être envisagés isolément des mots dont ils font partie; et les mots, suivant une loi générale du langage, sont soumis à une évolution significative qui peut les faire passer d'un sens premier ou primitif à des sens dérivés, et d'une partie du discours à une autre. Or un sufixe peut rester vivant, c.-à-d. ne pas cesser de présenter à l'esprit une idée distincte de celle du radical, et faire partie d'un mot que l'association naturelle des idées ou l'emploi particulier qui en est fait avec d'autres, amène à un changement de sens. On conçoit alors que si le rapport de ce mot avec celui dont il dérive ne vient pas à s'obscurcir, si l'idée du radical reste la même, c'est celle du suffixe qui doit se modifier, un suffixe d'adjectifs devenant suffixe de substantifs, un suffixe de noms de personnes devenant suffixe de noms de choses, etc.; que si au contraire c'est l'idée du suffixe qui reste la même, ce soit celle du radical qui se modifie, en sorte que tel suffixe employé jusqu'alors à former des dérivés tirés de substantifs, puisse ensuite former des dérivés tirés d'adjectifs.

Mais il y a plus. La signification du mot restant la même et le suffixe étant toujours vivant, le rapport du mot dérivé avec son primitif peut venir à se perdre, et le mot être rattaché par fausse analogie à un autre de la même famille, mais de radical différent. Le radical de ce dernier mot est alors considéré comme celui du mot dérivé, et le suffixe primitif se trouve remplacé par un autre de forme différente, susceptible à son tour, par le même procédé, de se transformer en un troisième, et ainsi de suite. C'est ainsi que bûcheron et forgeron, régulièrement formés à l'aide du suffixe on sur bûcher et forger, ont été rattachés directement à bûche et à forge, et le résultat a été la naissance du suffixe eron, qu'on retronve dans moucheron, puceron, etc. De même chevalerie de chevalier a été rattaché à cheval, et ainsi est né le suffixe erie issu de mots renfermant le suffixe ie. Il est évident que le rapport entre les deux mots considérés comme dérivant l'un de l'autre ayant varié, et par suite l'idée du radical s'étant modifiée, le sens du suffixe a dû souvent se modifier à son tour : eron dans moucheron n'a pas le même sens que dans bûcheron.

On dit souvent que plusieurs suffixes à la fois peuvent se trouver dans un même mot : cela n'est vrai qu'au point de vue de l'analyse scientifique décomposant les suffixes vivants en leurs éléments formateurs. Au point de vue de la dérivation, tout mot apparemment composé de plusieurs suffixes se ramène toujours à deux éléments combinés lors de sa formation, un radical emprunté à un mot préexistant, et un suffixe dégagé d'un autre mot préexistant. C'est ainsi que roitelet, que l'on pourrait être tenté de décomposer en roi-t-el-et, dérive du mot roitel à l'aide du suffixe et. Il est vrai que ce mot roitel ou roietel dérive lui-même, à l'aide du suffixe el, d'un mot royet, lui-même dérivé à l'aide d'un autre suffixe et du mot roi. Mais on ne peut dire que roitelet soit formé de roi à l'aide des trois suffixes t-el-et. De même gantelet, maigrelet, formés directement de gant et de maigre, doivent se décomposer en gant-elet, maigr-elet, et non en gantelet, maigr-el-et: ils sont formés au moyen d'un suffixe elet issu par fausse analogie de roitelet ou d'un mot analogue, et non au moyen de deux suffixes el et et.

Le nombre des suffixes est souvent considérable. Diez, dans sa Grammaire des langues romanes, en a compté 163 pour l'espagnol, 158 pour l'italien, 114 pour le français; et les langues anciennes n'étaient pas moins riches, en particulier le grec. Cette multiplication des suffixes provient en grande partie, comme nous venons de le voir, de la fausse analogie. Mais en dehors des suffixes ainsi formés, il en reste beaucoup d'autres, et c'est une question des plus controversées que celle de leur origine. Faut-il admettre un système d'agglutination primitive ayant soudé entre eux et unis sous un seul accent deux mots préexistants? L'histoire du langage présente quelques exemples certains de formations de ce genre : les adverbes français en ment, les substantifs anglais en dom, les futurs comme j'aimerai. Mais ces diverses formes supposent déjà un système de dérivation préexistant et des suffixes en activité; et la théorie qui voyait dans les suffixes primitifs d'anciennes formes pronominales n'est plus admise aujourd'hui que pour les désinences personnelles, et par une partie des linguistes seulement. On incline plutôt à croire que les suffixes représentent les parties terminales de mots primitifs diversement modifiées par l'altération phonétique, et auxquelles se sont attachées des nuances significatives particulières, quand les doublets produits par leurs changements de forme ont acquis, par suite de l'emploi qu'on en faisait, des significations différentes.

Une classe particulière de suffixes dont il n'a pas été question jusqu'ici comprend les désinences casuelles ou personnelles et les diverses lettres ou syllabes qui, dans les langues où la déclinaison n'existe pas ou n'existe plus, ont pour fonction d'exprimer les rapports grammaticaux de genre et de nombre. Leur origine paraît être la même que celle des autres suffixes, leurs modifications par altération phonétique ou par voie de fausse analogie, leurs changements de sens ne sont pas moins fréquents. 

Préfixe.
Dans son sens propre, ce mot, doit s'entendre de certaines particules qui n'existent pas comme mots indépendants, comme grec a, dus, latinre, se, et qui se placent, soit devant un mat simple modifié ou non dans son vocalisme (a-gnwstos, re-cipio de capio), soit devant des formes dérivées qui ne se rencontrent pas au simple, comme dus-tuchs, in-formis, dont le second composant n'existe pas et se rapporte à la racine de tuch; forma. C'est là un des plus importants procédés de la composition des mots, tandis que la dérivation s'obtient à l'aide de suffixes. Par extension, on a donné le nom de préfixes aux prépositions et adverbes qui se combinent de la même façon avec des mots simples, bien que ces mots aient une existence propre; toutes les prépositions sont dans ce cas. Les préfixes proprement dits sont toujours inséparables; les prépositions et adverbes employés comme préfixes ne sont pas tellement soudés au mot qu'ils ne puissent parfois en être détachés. On le voit aussi clairement que possible en allemand, où, non seulement le préfixe ge du participe passé s'intercale entre la préposition composante et le verbe simple (aufgeschrieben), mais encore cette préposition est rejetée après le simple, aux formes personnelles, dans la construction directe (ich schreibe auf); au contraire, avec un préfixe proprement dit, ich verschreibe. Les listes des préfixes sont données dans les grammaires. (Mondry Beaudouin / Paul Giqueaux).

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