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Emmanuel Lévinas

Emmanuel Lévinas est un philosophe né le 30 décembre 1905 à Kaunas (Lituanie) et mort le 25 décembre 1995 à Clichy (Hauts-de-Seine). Il a profondément transformé la philosophie contemporaine en plaçant l'éthique au centre de la réflexion philosophique. Son insistance sur la responsabilité envers l'autre, sa critique de l'ontologie et sa réévaluation de la phénoménologie ont ouvert de nouvelles voies pour penser l'éthique et la subjectivité. 

Lévinas naît à Kaunas, alors dans l'Empire russe et dans une région lituanienne marquée par une forte présence juive et des influences culturelles multiples. Pendant la Première Guerre mondiale, sa famille fuit en Ukraine, à Kharkov, pour échapper aux combats. De retour à Kaunas après la guerre, Lévinas étudie au lycée juif de la ville. En 1923, il part pour la France pour poursuivre ses études. Il s'inscrit à l'université de Strasbourg, où il étudie la philosophie. Il part en 1928 pour Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, pour étudier auprès de Edmund Husserl, fondateur de la phénoménologie. Il rencontre également Martin Heidegger, dont les idées l'influencent profondément. En 1930, il soutient sa thèse de doctorat, La Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl. Lévinas obtient la nationalité française l'année suivante.: Il commence alors à enseigner la philosophie à l'École normale israélite orientale de Paris. Il se marie en 1932 avec Raïssa Levi.

Mobilisé dans l'armée française en 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, il sert comme interprète de russe. Capturé l'année suivante par les Allemands lors de l'invasion de la France, il est interné dans un camp de prisonniers de guerre près de Hanovre, réservé aux prisonniers de guerre juifs. Durant son internement, il rédige des notes et réfléchit sur la condition humaine, la responsabilité et l'éthique, des thèmes qui deviendront centraux dans son oeuvre postérieure. Sa famille, restée en France, survit en se cachant grâce à l'aide de l'École normale israélite orientale.

Après la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel Lévinas, revenu en France, poursuit une carrière prolifique et influente en tant que philosophe, enseignant et écrivain. Il  reprend sa carrière académique et enseigne à l'École normale israélite orientale de Paris, dont il devient le directeur. En 1947, il fait paraître De l'existence à l'existant, un ouvrage où il commence à développer ses idées sur l'ontologie et l'éthique, inspirées par ses expériences de guerre. Deux ans plus tard, il publie Le temps et l'autre, basé sur une série de conférences données à la Sorbonne, où il aborde les notions de temporalité et d'altérité. Enfin, en 1961, c'est le tour de Totalité et infini : essai sur l'extériorité, son oeuvre la plus importante et qui est  une critique de la philosophie de Heidegger et une proposition d'une éthique de l'altérité où le visage de l'autre joue un rôle central. Cette oeuvre marque une rupture décisive avec l'ontologie traditionnelle.

Emmanuel Lévinas part en 1961 enseigner à l'université de Poitiers. Il ira ensuite à l'université de Paris-Nanterre. En 1967, il publie En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, où il approfondit ses analyses de la phénoménologie tout en les critiquant. En 1972, il devient professeur à l'université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Dans Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, paru en 1974, il approfondit son projet éthique en mettant l'accent sur la responsabilité pour autrui qui précède l'essence. Il prend sa retraite en 1981 mais continue d'écrire et de donner des conférences.

Parmi ses dernières oeuvres, mentionnons : Ethique et infini, une série d'entretiens avec Philippe Nemo parue en 1982, qui rend plus accessibles ses idées philosophiques à un plus large public; De Dieu qui vient à l'idée (1987), qui est une étude de la dimension théologique de sa pensée éthique; Entre Nous : essais sur le penser-à-l'autre (1991), qui est un un recueil d'essais sur l'altérité et l'éthique; et enfin, deux ans avant son décès, Dieu, la mort et le temps, qui est un recueil de conférences sur la temporalité, la mortalité et la religion.

Aspects de la pensée d'Emmanuel Lévinas

Éthique de l'altérité.
Lévinas est surtout reconnu pour son développement de l'éthique de l'altérité, qui constitue le coeur de sa philosophie. Il soutient que l'éthique commence par la rencontre avec l'autre, dont le visage impose une obligation éthique inconditionnelle. Cette rencontre est asymétrique, car elle ne dépend pas d'une réciprocité mais d'une responsabilité unilatérale envers l'autre. Le concept de visage chez Lévinas est central. Le visage de l'autre est une expression de vulnérabilité et d'humanité qui appelle à la responsabilité et interdit le meurtre. Lévinas affirme que la responsabilité envers l'autre est infinie et précède toute connaissance ou catégorisation. Cette responsabilité est inconditionnelle et ne peut être échappée.

Critique de la phénoménologie et de l'ontologie.
Le philosophe développe une critique de la phénoménologie, en particulier celle de Heidegger, en insistant sur la primauté de l'éthique sur l'ontologie. Dans Totalité et Infini, Lévinas critique la tendance de la philosophie occidentale à réduire l'autre à des concepts totalisants. Il propose une éthique de l'extériorité où l'autre n'est jamais réductible à la totalité. Dans Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, il approfondit son éthique de la responsabilité, en insistant sur la signification éthique qui transcende l'essence et l'existence.

• Totalité et infini : essai sur l'extériorité (1961). - Cet ouvrage est une critique profonde de la philosophie occidentale traditionnelle, notamment de l'ontologie, et propose une éthique de la relation à autrui fondée sur l'altérité et la responsabilité. Lévinas critique la tendance de la philosophie occidentale à concevoir le monde comme une totalité, un ensemble fini de concepts et d'objets que l'esprit peut comprendre et maîtriser. Il argue que cette approche totalisante ignore et écrase la singularité et l'altérité des autres personnes. Contrairement à la totalité, l'infini représente ce qui dépasse toute compréhension et assimilation. L'infini est incarné par l'altérité radicale d'autrui. L'extériorité signifie que l'autre existe indépendamment de moi et de mes catégories de pensée. Le visage d'autrui est une expression directe de l'infini. Il ne peut être pleinement saisi ou réduit à un objet de connaissance. La rencontre avec le visage de l'autre est une expérience éthique fondamentale. Elle appelle à la responsabilité et interdit la violence. Lévinas propose que la relation éthique avec autrui précède toute autre forme de relation. La responsabilité envers autrui est inconditionnelle et asymétrique : je suis toujours responsable de l'autre, indépendamment de sa réciprocité. Bien que la relation éthique soit fondamentalement dyadique (moi et l'autre), Lévinas reconnaît que nous vivons dans une société où la justice doit prendre en compte la multiplicité des autres. La justice sociale émerge de la responsabilité éthique initiale mais doit être médiée par des institutions et des lois. Lévinas critique l'ontologie, ou la philosophie de l'être, qui privilégie la compréhension de l'existence plutôt que la relation éthique. Il propose une éthique première qui place la responsabilité pour autrui avant la question de l'être.

• Autrement qu'être ou au-delà de l'essence (1974). - Dans ce livre, Lévinas approfondit et radicalise les thèmes abordés dans Totalité et infini, en développant une éthique de la responsabilité qui transcende l'ontologie traditionnelle. Il poursuit sa réflexion sur l'altérité, mettant en avant l'idée que la rencontre avec autrui est une expérience qui va au-delà de l'essence et de l'être. Il insiste sur la radicalité de l'altérité, qui ne peut jamais être totalement appréhendée ou assimilée. Contrairement à la tradition philosophique qui place l'ontologie (l'étude de l'être) au fondement de la philosophie, Lévinas propose que l'éthique précède l'ontologie. L'éthique est primordiale et se manifeste dans la responsabilité infinie envers autrui. Le philosophe développe l'idée que la responsabilité envers autrui est illimitée et inconditionnelle. Cette responsabilité est une réponse à l'appel d'autrui, qui dépasse les structures rationnelles et ontologiques de la pensée. Il propose une conception de la subjectivité comme étant fondamentalement éthique, où le sujet est défini par sa responsabilité pour l'autre.La subjectivité est donc une substitution, où le moi se substitue à autrui et porte son fardeau. Lévinas examine le rôle du langage dans la relation éthique, soulignant que la parole est un moyen de rencontrer et de répondre à autrui. Le langage n'est pas seulement un outil de communication, mais un lieu de l'éthique où se manifeste l'altérité.

Contribution à la phénoménologie.
Lévinas a également contribué au développement de la phénoménologie en introduisant des concepts et des méthodes qui vont au-delà de la simple description des phénomènes pour inclure une dimension éthique. Dans sa thèse de doctorat (La théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl ), il examine déjà la phénoménologie de Husserl et critique son approche, proposant une orientation plus éthique.

Influence de la philosophie juive.
La pensée de Lévinas est profondément influencée par la philosophie juive et les textes talmudiques. Il a donné de nombreuses conférences sur le Talmud, montrant comment les textes juifs traditionnels peuvent enrichir la réflexion philosophique contemporaine sur l'éthique. Dans  Éthique et Infini, il explique comment ses racines juives et ses études talmudiques ont influencé sa philosophie éthique.

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Dictionnaire biographique
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