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Thasos

Thasos est une île grecque du Nord de la mer Egée. C'est peut-être la moins visitée de nos jours, mais celle aussi qui renferme le plus de vestiges de son ancienne splendeur. Cette île, appelée quelquefois Édonis, Aeria, Ethrià, Ogygia, Chrysé, est le plus communément désignée sous le nom de Thasos ou Thassos , qu'elle a gardé jusqu'à présent « avec quelque peu d'altération, dit Dapper, étant connue sous celui de Tasso parmi les Turcs, les Italiens et les Grecs d'aujourd'hui".

Thasos, d'une superficie de 294 km², est située en face des côtes de Thrace, dont elle n'est séparée que par un canal d'environ six kilomètres, tout près de l'embouchure du Nestus. A l'Ouest, elle a devant elle la côte de Macédoine et le golfe du Strymon. Pline la place à vingt-deux milles d'Abdère et à soixante-deux milles du mont Athos. Sa longueur d'orient en occident est de quinze milles d'Italie et son circuit de quarante.
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Thasos (carte).
Carte de Thasos.
(Altitudes en pieds; 1 pied =0,3048 m).

L'île de Thasos est peut-être la plus fertile de la mer Égée. Les anciens l'avaient surnommée le rivage de Déméter. Elle abondait en vin comme en blé. Pline place le vin de Thasos à côté de celui de Chio. On avait transporté en Italie des plants du muscat de Thasos, appelé aussi vigne apiane, parce que les abeilles en sont très friandes. La vigne a la propriété merveilleuse de contracter la saveur des plantes voisines; à Thasos, et c'est toujours à Pline que nous empruntons ces détails, on semait entre les vignes l'ellébore, ou le concombre sauvage, ou la scammonée. On disait aussi que Thasos produisait deux espèces de vins à propriétés contraires; l'une provoquant, l'autre chassant le sommeil.

Les Thasiens appelaient thériaque une vigne dont le vin et le raisin sont un remède contre les morsures de serpent. On faisait à Thasos un bon vinaigre, qui entrait dans la composition de l'hiéracium, sorte de collyre très employé pour les maladies des yeux. Thasos avait aussi des bois de construction et des arbres fruitiers. On cite surtout les amandes de cette île. Elle était riche en productions minérales. Son marbre servit pendant toute l'Antiquité, et était aussi recherché des sculpteurs que des architectes. On y trouvait des opales étincelantes, de l'espèce appelée paederos, qui est la plus belle, et des améthystes, qui du reste n'étaient ni bien pures ni bien estimées. Mais la plus grande richesse de Thasos consistait dans ses mines d'or, qui avec celle de Scapté-Hylé, sur la côte voisine, rapportaient au temps d'Hérodote de deux à trois cents talents par an.

" J'ai vu aussi ces mines, dit l'historien voyageur. Les plus admirables de beaucoup étaient celles que découvrirent les Phéniciens, qui, sous la conduite de Thasos, fondèrent la ville à laquelle il donna son nom. Les mines de cette île découverte par les Phéniciens sont entre Coenyres elle lieu nommé Aenyres. Vis-à-vis de Samothrace est une grande montagne que les fouilles précédentes ont détruites. Tel est l'état actuel des choses. "
D'après cette indication d'Hérodote, les géographes modernes placent les mines de Thasos du côté de Samothrace

Les habitants de cette île fortunée furent pendant longtemps puissants et libres. Les ruines encore subsistantes de leur cité montrent quelle fut son importance et sa splendeur. Thasos était située sur la côte septentrionale de l'île, sur des collines qui dominent une rade assez spacieuse, que couvre l'îlot de Thasopoula. Au pied des collines, au fond de la rade, était le port des Thasiens. Les ruines de la ville s'appellent aujourd'hui Palaeo-Castro, et le port Pyrgo, d'une tour vénitienne, construite avec d'antiques pierres de marbre. Outre ce débris du Moyen âge, on voit encore les restes de l'ancien môle du port, qui pouvait contenir cinquante grands bâtiments. Aujourd'hui il est presque comblé de sable, et le môle est à fleur d'eau. Çà et là sur le rivage on voit des tombeaux décorés de quelques ornements de sculpture.

Au pied de substructions en belles pierres de marbre, comme celles du môle, s'étendaient l'arsenal et le chantier de construction, sur une superficie de cinq à six cents toises. La ville proprement dite occupait trois collines, que séparent de profonds ravins. Toutes ces trois hauteurs sont couvertes de ruines. Celle du nord était l'acropole de la ville; elle a été habitée jusqu'au XIXe siècle, comme le prouvent des restes d'église et de maisons qu'on voit dans son enceinte. Cette citadelle servit aux Vénitiens, qui y firent des réparations, et qui y ouvrirent une porte nouvelle, que l'on reconnaît à sa construction grossière et au lion de Saint-Marc sculpté dessus. En descendant de la troisième de ces hauteurs vers le sud, par un escalier taillé dans le marbre du rocher, on aperçoit les carrières d'où furent tirées toutes les pierres qui servirent à la construction de l'acropole et de l'enceinte de la cité. En continuant à descendre cet escalier, qui suit le mur d'enceinte, on rencontre une porte antique, d'un aspect imposant, une des plus belles ruines de ce genre qui nous soient conservées, et que l'on peut comparer à la porte de Mycènes, ou à celles de Salonique, d'Éphèse ou de Nicée.

Toute la longueur des murs encore débout est de deux mille six cents pas. Au sud-ouest se trouve la nécropole de l'ancienne Thasos, qui occupe une vallée verdoyante, de quinze cents pas de longueur sur trois cents à six cents de largeur. On y voit une centaine de sarcophages, placés sur de grands degrés, superposés les uns aux autres. Tous ces sépulcres ont été ouverts et dévastés, et ils servent souvent de réfuge aux pâtres de l'île. Aucune autre nécropole grecque n'est aussi bien conservée, si ce n'est celle de la ville d'Assos, sur le golfe d'Edremit.

Les hauteurs situées à l'est de l'acropole offrent encore des ruines imposantes, au milieu desquelles croissent le lierre et la vigne sauvage. De toutes ces éminences on domine l'île presque tout entière, qui vous apparaît, ainsi que le disait le poète Archiloque, comme un dos d'âne couvert de forêts sauvages, et l'on découvre au loin la Samothrace, et les plaines de Philippes, où périrent Brutus et Cassius, et le mont Pangée et l'Athos et la vaste mer.

Aujourd'hui la population de Thasos est dispersée dans plusieurs villages, parmi lesquels on mentionnera, en partant de Pyrgos, Panagia ou Leinan au sud; il est situé au milieu de hauteurs boisées et est arrosé par des eaux limpides et abondantes. A cinq kilomètres environ au Sud est Potamia, au pied des montagnes. A cinq heures de marche de Leinan se trouve Theologos, le plus gros bourg de l'intérieur de l'île. A deux kilomètres au Nord-Ouest de Theologos est Kastro, placé comme un nid d'aigle sur des rochers. A deux kilomètres à l'Ouest de Kastro on rencontre Maries, dans une vallée plantée de pins. A une quinzaine de kilomètres au Sud est Kaisaraki. Puis, à une dizaine de kilomètres de distance, Kassarvith, où l'on voit des ruines antiques. Au Nord-Ouest, après deux heures de marche, on arrive à Volgaro, qui est situé au milieu d'une prairie couverte de beaux platanes. Enfin, de la, en une demi-heure de marche, on retourne, par une route vénitienne, à Pyrgo, qui complète le nombre des villages de l'île.

Résumé de l'histoire de Thasos.
L'île de Thasos avait reçu sou nom et ses premiers habitants d'une colonie phénicienne, qui s'y était établie vers le temps de Cadmus, au XVIe siècle avant l'ère comune. Le nom d'Édonis, qu'elle porta dans les anciens temps, donne à penser qu'elle fut aussi occupée par des Édoniens de la Thrace. Elle reçut une colonie de Pariens, que conduisit Télésiclès, père du poète Archiloque. Cet établissement dut avoir lieu dans la 15e olympiade, vers l'an 720 avant l'ère commune. Déjà depuis longtemps, ceux de Paros avaient des relations intimes avec les Thasieus, puisqu'on voit dans Pausanias qu'une prêtresse de Paros, nommée Cléobée, porta la première à Thasos le culte de Déméter, et que cette prêtresse était contemporaine de Tellis, de qui descendait Archiloque à la troisième génération. De même, les Phéniciens avaient établi dans cette île le culte de Melqarth ou l'Héraclès Tyrien, dont Hérodote visita le temple.

A Thasos, comme dans l'île de Chypre et tant d'autres de la Méditerranée, les Phéniciens, qui avaient devancé les Grecs, se trouvèrent dépossédés par eux, lorsque l'activité de la civilisation hellénique eut pris son essor. Les ressources qu'ils trouvaient dans les produits de leurs mines d'or permirent aux Thasiens de se donner une puissante marine et de se livrer à un commerce étendu, qui augmenta leurs richesses. Thasos était renommée pour son opulence, et on lui donna le surnom de Chrysé. Elle s'était entourée de fortes murailles, et c'est dans ses chantiers que l'on construisit les premiers vaisseaux longs pontés. C'est avant les guerres Médiques qu'il faut placer l'époque de la plus grande prospérité des Thasiens, qui formaient alors une répu blique indépendante, gouvernée par des Prytanes. Ce fut alors aussi qu'ils fondèrent, sur les côtes voisines, de nombreuses colonies, à savoir : Parium en Troade, ville déjà fondée, selon la légende, par Parius , neveu de Dardanus; Datum, au pied du mont Pangée; toutes les cités du rivage de Thrace opposé à leur île, qu'Hérodote désigne sans les nommer : Galepsus, près du Strymon , dont la première fondation remonterait à l'époque phénicienne, puisqu'on l'attribue à Galepsus, fils de Thasos; Oesyme, voisine de la précédente, et également fort ancienne, puisque Homère en fait mention; enfin Lissus et Strymé, dans le voisinage de Mésambrie. Au delà, la côte appartenait aux habitants de Samothrace.

La première attaque contre l'indépendance des Thasiens fut dirigée par Histiée de Milet, qui après la répression de la révolte d'Ionie s'était fait chef de bande, et cherchait partout du butin. Thasos était une riche proie : il vint l'assiéger; mais il leva le siège, par crainte de la flotte phénicienne (497). Les Thasiens, qui avaient repousse Histiée, ne purent échapper à la domination des Perses. Ils se soumirent à Mardonius, sans essayer de résister (493). Darius leur ordonna d'abattre leurs murailles et de lui livrer tous leurs vaisseaux, qui furent conduits à Abdère. L'expédition de Xerxès acheva d'épuiser les ressources des Thasiens, qui trouvèrent ainsi le terme de leur prospérité.

Bientôt la puissance maritime d'Athènes délivra la mer Égée de la domination des Perses, par laquelle les Phéniciens espéraient se relever et reprendre leur ancienne supériorité commerciale. Thasos entra à titre d'alliée dans la confédération dont les Athéniens se firent les chefs. Mais bientôt un différend s'éleva entre Thasos, qui voulait conserver son indépendance, et Athènes, qui empiétait tous les jours. La querelle commença au sujet des ruines et des comptoirs des Thasiens sur les côtes de Thrace. Les Athéniens envoyèrent une flotte contre Thasos, furent victorieux dans un combat naval, et firent une descente dans l'île (466). Alors les Thasiens implorèrent le secours de Lacédémone, qui s'apprêtait à faire une diversion en Attique, lorsqu'un tremblement de terre et la révolte des Messéniens retinrent ses guerriers dans le Péloponnèse. Abandonnés à eux-mêmes, les Thasiens résistèrent encore pendant trois ans; mais enfin il fallut se rendre. Les Athéniens les contraignirent à détruire leurs murailles, à livrer leurs vaisseaux, à céder leurs mines et leurs établissements du continent, et à payer un tribut (463 av. J.-C. ). Ce fut le dernier coup porté à l'indépendance et à la prospérité de Thasos, que les Perses ett les Athéniens avaient accablée tour à tour.

Pendant la guerre du Péloponnèse, Thasos servit de poste militaire aux Athéniens pour défendre leurs possessions de Thrace et de Macédoine. C'est là que Thucydide, l'historien, trouva l'escadre avec laquelle il arrêta les progrès de Brasidas dans la Chalcidique. Cependant les Thasiens supportaient impatiemment le joug; ils le secouèrent après l'expédition de Sicile, et entrèrent dansle parti des Lacédémoniens (411).

Mais la domination de Lacédémone fit regretter celle d'Athènes. D'ailleurs, Thasos était une île ionienne, et c'était toujours aux Athéniens que revenaient ces cités maritimes, ces îles de la mer Égée, quand elles avaient reconnu leur impuissance à se conserver libres. En 393 les partisans d'Athènes reprirent le dessus, et Thasos fut livrée à Thrasybule. Philippe, père d'Alexandre, l'enleva aux Athéniens, et elle resta à la Macédoine jusqu'au moment où les Romains, vainqueurs à Cynoscéphale , forcèrent Philippe III à rendre la liberté aux cités grecques qu'il possédait. Thasos fut affranchie par ce décret, et resta libre, sous le patronage des Romains, jusqu'au temps où les îles furent réduites en province. Dès lors il n'est plus question de Thasos dans l'histoire. Cependant il en est fait mention dans l'histoire des guerres civiles qui suivirent la mort de César; elle servit de quartier général à la flotte de Brutus et de Cassius; et après la première bataille de Philippes, où Cassius périt, Brutus fit porter son corps dans l'île de Thasos, où l'on célébra ses funérailles, loin de la vue des soldats, que cette lugubre cérémonie aurait découragés.

Thasos avait joué un certain rôle dans le temps que la Grèce était libre. Assujettie par les Romains, elle disparaît tout à fait dans l'immensité de leur domination. Même silence sur Thasos pendant la plus grande partie des siècles du Bas-Empire. Reléguée, dans un coin reculé de la mer Egée, elle doit sans doute à cette position l'avantage d'échapper à tant de dévastations qui affligèrent les autres îles. Cependant les Vénitiens s'en emparèrent en 1204; elle fut donnée à la famille Dandolo, et l'on y voit encore des vestiges de son occupation. Elle retourna aux Grecs, quand leur empire fut restauré par Vatace et Michel Paléologue. Occupée ensuite par les princes Gateluzi de Lesbos, elle leur fut enlevée par le conquérant de Constantinople, en 1462.

A partir de ce temps et jusqu'en 1912, Thasos est restée paisiblement soumise aux Turcs, qui ont assez doucement traité sa population. Comme ses habitants n'inspiraient aucune défiance, ils n'ont rien eu à souffrir pendant la guerre de l'indépendance.

Culture.
Thasos est le lieu de naissance de Polygnote, l'un des plus grands peintres de l'Antiquité. Son père, Aglaophon, était peintre lui-même, et il fut le premier maître de son fils. Polygnote, dit Pline, fut le premier qui peignit les femmes avec des vêtements brillants, leur mit sur la tête des mitres de différentes couleurs; il contribua beaucoup aux progrès de la peinture , car le premier il ouvrit la bouche des figures, il fit voir les dents, et introduisit l'expression dans les visages, à la place de l'ancienne raideur. Il y a de lui dans le portique de Pompée un tableau placé jadis devant la curie de Pompée. Il a peint le temple de Delphes, à Athènes le portique appelé Poecile; et
il a travaillé gratuitement à ce dernier ouvrage avec Micon, qui se fit payer. Aussi Polygnote eut-il plus de considération; et les Amphictyons , qui formaient le conseil général de la Grèce, décrétèrent qu'il aurait des logements gratuits.  Polygnote florissait vers la 90e olympiade (420 ans avant J.-C. ). Un autre peintre de Thasos, Nesée, fut, dit-on, maître de Zeuxis.

C'est à Thasos aussi que naquit le fameux athlète Théagène, qui remporta quatorze cents couronnes dans tous les jeux publics de la Grèce. Aussi avait-il une immense réputation; on le disait fils d'Hercaclès Thasien. On lui dressait partout des statues. Après sa mort, un de ses rivaux s'étant mis à injurier une de ses statues à Thasos, celle-ci se détacha de sa base, tomba sur cet homme, et l'écrasa. Les fils du mort poursuivirent la statue juridiquement, et, conformément à une loi de Dracon, les Thasiens reconnurent la statue coupable d'homicide, et la firent jeter à la mer. Mais quelque temps après étant affligés d'une grande famine, et ayant consulté l'oracle de Delphes, ils la firent retirer de la mer, et lui rendirent de nouveaux honneurs.

La richesse de Thasos est attestée par les nombreuses médailles d'or et d'argent qui nous en restent. Ces médailles représentent tantôt Dionysos, tantôt Heraclès, ou bien Déméter; elles portent la légende THASION ou THASIÔN. (L. Lacroix).

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Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
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