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La colonisation
phénicienne semble remonter au XVIIe
siècle av. J.-C. Les Phéniciens,
acceptant la suprématie égyptienne,
développèrent alors leur commerce et l'étendirent sur toutes les côtes
de la Méditerranée.
Sidon
dirigeait cette navigation. Les Sidoniens établirent des comptoirs sur
les principaux points visités par eux et avec lesquels ils nouaient des
relations commerciales suivies. Dans ces comptoirs, les Phéniciens s'établissaient
à demeure, attendant le retour des vaisseaux de leurs compatriotes, écoulant
peu à peu les produits apportés et accumulant ceux du pays pour préparer
les cargaisons d'exportation. Beaucoup de ces comptoirs devinrent de véritables
colonies. Les premières fondées furent les villes de Cittium
dans l'île de Chypre,
d'Itanos dans l'île de Crète
et les stations des côtes de Cilicie.
On dit que les colons de celles-ci furent plus tard refoulés dans la montagne
et devinrent le noyau de la nation des Solymes. Sur les côtes de la mer
Egée,
en Grèce
et en Asie Mineure,
les Phéniciens ne fondèrent guère que des factoreries; dans les îles,
ils eurent des points de relâche et des établissements plus solides,
notamment à Rhodes,
à Théra,
à Cythère,
dans plusieurs autres des Cyclades (Antiparos, los,
Syros). Ils avaient dans l'île de Thasos une colonie qui fit, pour l'exploitation
des mines d'or, d'immenses travaux cités avec admiration par Hérodote;
cette colonie était le centre du commerce métallurgique du nord de la
mer Egée. Il ne semble pas qu'il y ait eu plus loin, vers le Bosphore
ou la mer Noire
que parcouraient les vaisseaux phéniciens, autre chose que des comptoirs.
En revanche, sur les rivages méridionaux de la Méditerranée, ceux de
l'Afrique,
quand ils eurent dépassé la zone d'influence égyptienne, les Phéniciens
fondèrent des entrepôts considérables : l'un devint la ville d'Hippone,
l'autre, Cambé, était sur l'emplacement de Carthage.
Dans les colonies dont nous venons de parler,
le caractère commercial dominait; la préoccupation de porter une partie
de ses nationaux sur une terre étrangère, de créer au delà des mers
un nouveau groupe dépendant de la Phénicie, est absente de ces entreprises.
Elle se retrouve, au contraire, dans deux autres dont il nous reste Ã
parler, la colonisation de Thèbes
et celle de la Tunisie
actuelle. La colonie de Thèbes fut fondée au centre de la riche plaine
de Béotie;
son fondateur mythologique fut Cadmus. Pausanias
nous raconte qu'à l'arrivée des gens de Sidon, les habitants de la Béotie,
Aones et Hyantes, se divisèrent; les premiers se soumirent, les autres
furent expulsés. Les traditions grecques nous racontent que les descendants
de Cadmus alternèrent au pouvoir avec ceux des Spartes, nés de la terre,
jusqu'à l'époque d'Oedipe, pendant trois siècles
environ. A ce moment, la dynastie phénicienne finit par succomber sous
les coups d'une confédération des Achéens; après un premier échec
(expédition des Sept), ceux-ci l'emportèrent ; la plupart des colons
se retirèrent, Thèbes redevint une cité grecque.
La seconde colonie agricole fondée par les Sidoniens, probablement aussi
avec le concours des Chananéens, fut celle de la Byzacène
ou d'Afrique. Movers a soutenu que des tribus chananéennes agricoles et
pastorales avaient déjà poussé jusque-là par terre, en s'avançant
le long du littoral africain, lors de l'invasion de l'Egypte
par les Hyksos. Les colons phéniciens venus par mer auraient retrouvé
en Afrique ces congénères. En tout cas, cette colonie fut très importante
par le nombre des immigrants; ceux-ci fusionnèrent avec les indigènes,
Libyens de souche berbère, semble-t-il, et
formèrent avec eux le peuple des Libyphéniciens qui fut plus tard le
point d'appui de Carthage.
Ce peuple, qui avait adopté la religion et la langue des Phéniciens,
prospéra sur ce sol fertile. On n'y comptait pas moins de trois cents
villes au moment des guerres puniques;
soixante-dix le long du fleuve Tusca. Enfin, ces colons colonisèrent Ã
leur tour les côtes de la Méditerranée occidentale, celles de l'Afrique,
bien au delà du détroit de Gibraltar, celles de l'Espagne
méridionale, les îles.
Quand Tyr
eut pris la direction du peuple phénicien, une nouvelle ère s'ouvrit
dans l'histoire de ses colonies. Celles de la mer Egée étaient en pleine
décadence. La lutte contre les marines dardanienne, carienne et autres
était difficile; au lieu de s'acharner à leur disputer la Méditerranée
occidentale, les Tyriens, peu belliqueux, cherchèrent plus loin, dans
la Méditerranée occidentale, un champ ouvert à leur activité commerciale.
Plus ils s'éloignaient de leur cité, plus l'importance des stations maritimes
augmentait. Il était indispensable d'avoir quelques colonies pour servir
de points de refuge et de ravitaillement, d'entrepôts commerciaux. La
fondation d'Utique
est du XIIe siècle;
vint ensuite celle de Gadès (Cadix),
forte place où l'on centralisa le commerce de l'Espagne. Le pays de Tharsis
(nom d'abord appliqué à l'Italie)
devint un des grands marchés du commerce tyrien et les colonies s'y multiplièrent
: Malaca, la ville des salaisons ; Abdère (Almeria);
Carteia (Algésiras).
Les gens de la fertile vallée du Guadalquivir
(Turdules et Turdetans), acceptèrent la suzeraineté des Tyriens; on implanta
au milieu d'elles des colons phéniciens
et lybiphéniciens; au temps même de Strabon,
ces populations étaient encore de langue
sémitique; celles de la côte s'appelaient à l'époque romaine Bastulo-phéniciens;
sur les monnaies de Gadès, de Malaca, d'Abdère, on retrouve des légendes
phéniciennes. A la fin du XIIe
siècle avaient été colonisées l'île de Malte
et celle de Gozzo ou Gaulos, celle de Cossura (Pantellaria),
dont les habitants primitifs furent bientôt absorbés. La belle île de
Sicile
fournit aux Tyriens un champ d'exploitation très riche; des comptoirs
furent établis sur ses côtes, Camarina, Aia (Himère), Kepher (Solonte),
Makhanat (Palerme), Motya furent les principaux.
Dans la Sardaigne furent fondées Caralis (Cagliari) et Nora. Au IXe
siècle les aristocrates tyriens, résolus à s'expatrier, prennent
la direction d'un grand mouvement d'émigration qui aboutit à la fondation
de Carthage.
On sait quelle fut la fortune de cette colonie où deux cent cinquante
ans plus tard une grande partie de la population tyrienne vint chercher
un refuge.
La décadence de la colonisation phénicienne
fut le résultat de la concurrence des Hellènes.
Au VIIIe siècle,
ces derniers les chassèrent définitivement de la mer Egée ou Thasos
fut conquis par les gens de Paros qui expulsèrent les colons sémites;
ils les poursuivirent à l'Occident et leur enlevèrent presque toute la
Sicile; les Tyriens conservèrent cependant leurs
colonies du nord-ouest de l'île, Kepher (Solonte), Makhanat (Palerme)
et Motya. Après la déchéance de Tyr, les Carthaginois
héritèrent de ces colonies comme des autres de la Méditerranée occidentale.
Renforcés par les fugitifs de Tyr, ils furent appelés par les colons
phéniciens de Sicile
et d'Espagne
que menaçaient les Grecs et les indigènes. Leurs armées levées parmi
les Libyphéniciens furent victorieuses et leur flotte domina dans ces
mers. Les communications furent assurées le long de la côte africaine,
par la fortification d'un chapelet de villes que les Grecs appelèrent
Métagonites, depuis Carthage jusqu'au détroit de Gibraltar. La possession
des îles fut conservée; aux colonies citées il faut ajouter Alalia en
Corse,
Aibus (Ebusus) dans les Baléares,
Ruscino au pied des Pyrénées. Les Grecs ne purent chasser leurs rivaux
de Sicile, pas plus que les Phocéens établis
à Marseille ne purent leur enlever le
commerce de l'Espagne; les Massaliotes furent même presque bloqués dans
leur ville; la conquête de la Sardaigne
et des Baléares compléta l'empire colonial des Carthaginois; on sait
comment celle de la Sicile, vainement tentée, provoqua leur ruine. Sur
ces côtes, les Carthaginois eurent de nombreux comptoirs, peu de vraies
colonies; nous citerons cependant Tingis (Tanger), Kerné
(îles d'Arguin ?) et Madère
où ils se préparaient, dit-on, un refuge éventuel. Les colonies carthaginoises
suivirent la destinée de Carthage et passèrent successivement sous la
domination de Rome;
celles de l'Atlantique furent abandonnées.
Sur deux points les Phéniciens
tentèrent de créer des colonies proprement dites s'étendant sur un territoire
continental assez vaste, cultivé par des immigrants ou sous leur direction
et soumis à leur pouvoir politique. De ces deux colonies, la première,
celle de Béotie
fut détruite par les Grecs; la seconde,
celle d'Afrique,
fut détruite par les Romains; malgré sa longue persistance le peuple
des Libyphéniciens n'est plus qu'un souvenir. L'empire colonial de Carthage
fut, comme celui de Tyr,
le résultat d'une colonisation surtout commerciale; toutefois, les visées
politiques y tinrent plus de place. Envisagée dans son ensemble, la colonisation
phénicienne n'en conserve pas moins un caractère à part. Elle eut sur
la civilisation générale de l'Europe
une influence qu'on ne saurait exagérer. (A.-M. B.). |
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