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Halévy

Jacques François Fromental Elie Halévy est un musicien dramatique français, né à Paris le 27 mai 1799, de parents juifs, mort à Nice le 17 mars 1862. Admis comme élève au Conservatoire le 30 janvier 1809, il y fut élève de Cazot, Charles Lambert, Berton et Chérubini. En 1819, il obtint le premier grand prix de composition, au concours de l'Institut, pour sa cantate Herminie. En 1820, il fut envoyé à Rome; dans cette ville, il écrivit un opéra et des compositions instrumentales dans le style classique. Après son retour (1822), il se voua complètement à la musique dramatique. Il avait en portefeuille une partition, les Bohémiennes, composée avant son voyage d'Italie, mais qui ne fut pas représentée; ayant ensuite écrit un grand opéra, Pygmalion, et un opéra-comique, les Deux Pavillons, il ne put réussir à les faire jouer; enfin, en 1827, au théâtre Feydeau, on donna de lui l'Artisan, qui eut peu de succès. En 1828, il fit la musique d'une pièce pour la fête de Charles X, le Roi et le Batelier, en collaboration avec Rifaut. En 1829, vinrent Clari, joué au Théâtre-Italien avec la Malibran dans le rôle principal, et le Dilettante d'Avignon, à l'Opéra-Comique. En 1830, il donna à l'Opéra un ballet en trois actes, Manon Lescaut, puis un opéra-comique, Yelta, qui ne fut pas représenté, et un petit acte, Attendre et courir (en société avec de Ruolz). En 1831, on joue la Langue musicale, pièce mêlée de morceaux de chant écrits par Halévy. En 1831, collaborant avec Casmir Gide, il fait jouer la Tentation, opéra-ballet en cinq actes, et, en 1834, les Souvenirs de Lafleur; cette même année, l'Opéra-Comique donne une oeuvre, commencée par Hérold, Ludovic, et achevée par Halévy.

1835 est l'année de la Juive. Le succès de ce grand opéra en cinq actes eut un retentissement européen. L'Éclair, opéra-comique en trois actes, apparut six mois après et fut très applaudi. En 1838, Guido et Ginevra ou la Peste de Florence n'obtint qu'un succès d'estime, malgré des pages intéressantes. L'année 1839 vit éclore les Treize et le Shériff, deux opéras-comiques de peu d'importance; le Drapier, en trois actes, fut joué en 1840 à l'Opéra, sans succès. La Reine de Chypre, en cinq actes, avait été écrite pour Mme Stolz; elle fut très favorablement accueillie (1841). La représentation du Guitarero est de la même année. Charles VI fut exécuté à l'Opéra en 1843; après ce grand ouvrage en cinq actes, il faut nommer : le Lazzarone, deux actes (1844); les Mousquetaires de la Reine, trois actes, à l'Opéra-Comique (1846); les Premiers Pas, prologue écrit en collaboration avec Carafa, Adam et Auber (1847); le Val d'Andorre, trois actes (1848); la Fée aux roses, trois actes (1849); la Dame de Pique, trois actes (1850); la Tempesta, opéra italien en trois actes, représenté à Londres (1850) et à Paris (1851); le Juif errant, cinq actes (1852); le Nabab, trois actes (1853); Jaguarita, trois actes (1855); Valentine d'Aubigné, trois actes (1856); la Magicienne, cinq actes, à l'Opéra (1857). 

On lui attribue aussi un petit opéra-comique, l'inconsolable, joué en 1855, sous le pseudonyme d'Alberti, et il a laissé deux partitions inachevées, Valentine d'Ornano et Noé ou le Déluge, terminé par Georges Bizet. A tous ces ouvrages, on doit ajouter le De Profundis qu'il fut chargé d'écrire sur le texte hébreu, avant son départ pour Rome, à l'occasion de la mort du duc de Berry; la musique de scène du Prométhée enchaîné d'Eschyle, traduit par son frère, Léon Halévy; une cantate, les Plages du Nil; des choeurs orphéoniques, France et Italie, la Nouvelle Alliance, le Chant du forgeron, des romances, un rondo, une sonate pour piano à quatre mains, des nocturnes, etc.

Halévy a été professeur de solfège, puis d'harmonie et d'accompagnement, et enfin de contrepoint et de fugue, au Conservatoire de Paris; parmi ses élèves, on cite  : Victor Massé, Bazin, Mathias, Deldevez. Il a publié des Leçons de lecture musicale (Paris, 1857, grand in-8). Il fut maestro al cembalo au Théâtre-Italien, de 1817 à 1829, puis chef de chant à l'Opéra jusqu'en 1845, et, en 1836, il remplaça Reicha à l'Institut. Devenu secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts (1857), il a écrit des éloges d'académiciens, qui ont été fort goûtés et qu'on a réunis, avec quelques autres morceaux littéraires de sa composition, dans les recueils intitulés : Souvenirs et Portraits; Etudes sur les beaux-arts (Paris, 1861, in-16), et Derniers Souvenirs et Portraits (1863).

Fromental Halévy a donné à l'opéra historique une de ses formules les plus importantes; au-dessous de Meyerbeer pour l'habileté technique, le tempérament, le don musical, il a pu rivaliser avec lui néanmoins dans la Juive et la Reine de Chypre, et il demeure l'un des compositeurs qui personnifient le mieux l'art pompeux, conventionnel souvent, imposant parfois, qui a régné sur les scènes françaises pendant près d'un demi-siècle. Au point de vue purement musical, la mélodie d'Halévy est courte, laborieuse, souvent vulgaire malgré sa recherche. On ne peut nier pourtant l'importance de sa production, le dessin accentué, quoique lourd, des inspirations mélodiques qui ont fait sa réputation et que la France tout entière a chantées, comme l'air célèbre d'Eléazar dans la Juive, l'anathème du cardinal dans le même opéra, le duo de la Reine de Chypre, certaines mélodies de Charles VI, de l'Eclair et des Mousquetaires de la Reine. Une page dont tout le monde reconnaît la belle solennité et la grandeur est celle qui ouvre le deuxième acte de la Juive, la scène de la Pâque. Malgré un ensemble remarquable de solides mérites, les opéras d'Halévy ont  souffert du temps, sans pour cela diminuer la place considérable que l'artiste a occupée de son vivant et le très vif intérêt historique de son oeuvre. (Alfred Ernst).

Léon Halévy est un écrivain français, né à Paris le 14 janvier 1802, mort à Saint-Germain-en-Laye le 2 septembre 1883, frère du précédent. Après d'excellentes études au lycée Charlemagne ou il remporta en rhétorique, avec une traduction en vers, un premier prix de version grecque, il aborda l'enseignement, y renonça presque aussitôt pour le droit, devint un des disciples et collaborateurs de Saint-Simon, fut nommé, en 1834, professeur adjoint de littérature française à l'Ecole polytechnique, abandonna ce poste en 1834, et fut attaché enfin, de 1837 à 1853, au ministère de l'instruction publique comme chef du bureau des monuments historiques. Mis en disponibilité à cette époque, il se voua tout entier aux lettres qu'il n'avait jamais abandonnées, d'ailleurs. 

Outre des poésies et traductions en vers d'un réel mérite : Emma ou la Nuit des noces (in-12), paru sous l'anagramme de Noël Hyeval; le Vieux Guerrier au tombeau de Napoléon (1821); la Peste de Barcelone (1822); les Cyprès, élégies modernes; Bessières et l'Empecinado (1825); Poésies européennes (1828); Saint-Simon, ode (1831); OEuvres lyriques d'Horace (1831, in-8 ; 2e éd., 1856); Luther, poème dramatique (1834); Recueils de fables couronnés par l'Académie française (1844 et 1856); la Grèce tragique (1846, in-8; 2e éd., 1849), ou choix de traductions en vers des chefs-d'oeuvre dramatiques, également couronnée par l'Académie française, on lui doit : Résumé de l'histoire des juifs anciens (1827); Résumé de l'histoire des juifs modernes (1828); une adaptation en vers du Macbeth de Shakespeare (1853); une Vie de François Halévy (1862), et différents ouvrages dramatiques parmi lesquels nous citerons : le Duel (1826), comédie en deux actes, représentée au Théâtre-Français; l'Espion (1828), drame en cinq actes, en collaboration avec Fontan et Drouineau, à l'Odéon; le Dilettante d'Avignon (1829), opéra-comique en un acte, imité d'Hoffmann, musique de son frère, à Feydeau; le Czar Démétrius (1829), tragédie en cinq actes, au Théâtre-Français; le Chevreuil (1831), comédie en un acte, avec Jaime, aux Variétés; Beaumarchais à Madrid (1831), drame en trois actes, à la Porte-Saint-Martin; Indiana (1833), drame en cinq actes, à la Gaîté; la Rose jaune (1839), comédie en un acte, au Vaudeville; Leone Leoni (1840), drame en trois actes, à l'Ambigu; Un Mari, s. v. p. (1843), au Vaudeville; le Balai d'or (1843), vaudeville en trois actes, avec Jaime; le Mari aux épingles (1856), aux Variétés; Ce que fille veut (1858), à l'Odéon; Un fait-Paris (1859), aux Variétés; Electre (1864), tragédie en quatre actes, à l'Odéon, etc. 

Léon Halévy a, de plus, collaboré à un grand nombre de livrets de vaudevilles et d'opéras-bouffes. Ecrivain facile, agréable, élégant à l'occasion, il a rencontré souvent le succès et l'a mérité. (Ch. Le Goffic).

Joseph Halévy est un orientaliste, né à Andrinople (Edirne) le 15 décembre 1827 et mort  le 21 janvier 1917 à Paris,, naturalisé Français. Il enseigna d'abord dans les écoles juives d'Andrinople et de Bucarest et se fit remarquer par des poèmes en langue hébraïque. L'Alliance israélite universelle le chargea, en 1868, d'étudier la condition des juifs Falachas d'Abyssinie. Il fut chargé, l'année suivante, par l'Académie des inscriptions, d'une mission au Yémen, d'où il rapporta les copies de 686 inscriptions himyaritiques, sabéennes et minéennes, insérées en 1872 dans son Rapport sur une mission archéologique dans le Yémen. J. Halévy devint en 1879 directeur adjoint pour l'éthiopien, à l'Ecole des hautes études, et bibliothécaire adjoint de la Société asiatique. 

En dehors de son Rapport, Joseph Halévy a publié entre autres : Voyage au Nedjrân (1873); Mélanges d'épigraphie et d'archéologie sémitiques (1874); Etudes sabéennes (1875); Etudes berbères, épigraphie lybique (1875); la Prétendue Langue d'Accad est-elle touranienne? (1875); Etudes sur le syllabaire cunéiforme (1876); Recherches critiques sur l'origine de la civilisation babylonienne (1876); la Nouvelle Evolution de l'accadisme (1876-1878); Prières des Falachas, texte éthiopien et traduction en hébreu (1877); Documents religieux de l'Assyrie et de la Babylone, texte, traduction et commentaire (1882); Essai sur les inscriptions de Safâd (1882); Mélanges de critique et d'histoire relatifs aux peuples sémitiques (1883); Aperçu grammatical sur l'allographie assyro-babylonienne (1885); Essai sur l'origine des écritures indiennes (1886); Recherches bibliques (1886 et suivantes). Cette dernière série dans la Revue des études juives, puis dans une revue nouvelle fondée par Halévy au commencement de 1893 et intitulée Revue sémitique d'épigraphie et d'histoire ancienne. Il a été un collaborateur actif du Journal asiatique et de la Revue critique. (Arthur Guy).

Ludovic Halévy est un auteur dramatique et romancier français, fils de Léon Halévy et neveu du compositeur Fromental Halévy, né à Paris le 1er janvier 1834. Au sortir du lycée Louis-le-Grand, où il avait fait ses études, il entra dans l'administration et devint successivement rédacteur au secrétariat du ministère d'Etat (1852), chef de bureau au ministère de l'Algérie et des colonies (1858), et enfin secrétaire-rédacteur au Corps législatif (1864), fonction qu'il abandonna en 1865 pour se donner exclusivement aux lettres.

Sous le nom de Jules Servières, puis sous son vrai nom, il avait déjà fait jouer à cette époque un grand nombre de pièces parmi lesquelles nous citerons : Ba-ta-clan, chinoiserie en un acte, musique d'Offenbach (1855); Entrez, Mesdames, Messieurs, prologue d'ouverture du théâtre des Bouffes-Parisiens, en collaboration avec Méry (1855); l'impresario, opérette bouffe « adaptée à la musique de Mozart », en collaboration avec Battu (1856); le Docteur Miracle, opérette en un acte, en collaboration avec le même, musique de Bizet et Lecocq (1857); Rose et Rosette, drame-vaudeville en trois actes, musique de Oray (1858); le Mari sans le savoir, opérette en un acte, en collaboration avec son père, musique du duc de Morny (1860); la Chanson de Fortunio, opéra-comique en un acte, en collaboration avec Crémieux, musique d'Offenbach (1861); les Eaux d'Ems, opérette en un acte, en collaboration avec le même, musique de Léo Delibes (1861); le Pont des soupirs, opéra bouffon en deux actes et quatre tableaux, en collaboration avec le même, musique d'Offenbach (1861); le Menuet de Danaé, comédie-vaudeville en un acte, en collaboration avec Henri Meilhac (1864); les Moulins à vent, comédie en trois actes, en collaboration avec le même (1862); le Roman comique, opéra bouffe en trois actes, en collaboration avec Crémieux, musique d'Offenbach (1862); la Baronne de San-Francisco, opérette en deux actes, en collaboration avec le même, musique de Caspers (1862); Une Fin de bail, opérette en un acte, en collaboration avec le même, musique de A. Varney (1862); le Train de minuit, comédie en deux actes; les Brebis de Panurge, comédie en un acte; le Brésilien, comédie en un acte, mêlée de chant; la Clef de Métella, comédie en un acte, en collaboration avec Meilhac (1863); Néméa ou l'Amour vengé, ballet-pantomime en deux actes, en collaboration avec le même, musique de Minkous (1864). 

C'est à peu près vers ce moment que Ludovic Halévy renonça aux fonctions administratives qu'il occupait au Corps législatif, et, libre de toute attache, il multiplia, dès lors, les pièces de toute sorte, opérettes, opéras-comiques, ballets, vaudevilles, comédies. Il serait difficile de dresser la liste complète des pièces de théâtre dues à cette production infatigable et où la critique a signalé, depuis longtemps, à côté de fantaisies quelque peu irrévérencieuses pour la tradition, de véritables chefs-d'oeuvre de goût, d'observation et d'esprit. Le plus grand nombre de ces pièces, Halévy les a écrites en collaboration avec Meilhac : quelle part dans le succès commun devons-nous faire à chacun des collaborateurs? La réponse à cette insidieuse question, posée à l'Académie même par Pailleron, qui recevait  Halévy, nous la trouverions peut-être dans ces lignes de Sarcey, antérieures pourtant à la réception de celui qu'elles visaient : 

« Doué d'un sens exquis de la réalité, disait Sarcey, M. Ludovic Halévy a maintenu ce qu'il y a de trop fantasque et d'un peu bizarre dans le tour d'imagination de M. Meilhac. De ce travail en commun sont sorties des oeuvres qu'on n'estime pas assez à mon gré. »
L'opinion, sur ce dernier point, a donné, depuis longtemps, un heureux démenti à Sarcey. Cependant, l'année même où il renonçait à ses fonctions administratives, Halévy remportait au théâtre un des succès les plus bruyants de sa carrière, avec cette Belle Hélène (1864), écrite en collaboration avec Meilhac, musique d'Offenbach, Iliade bouffonne qui arrachait les hauts cris à Paul de Saint-Victor, atteint pour la deuxième fois, depuis Orphée aux Enfers (auquel Halévy avait collaboré secrètement), dans son culte sévère de l'Antiquité. La même année encore, Halévy donna au théâtre le Singe de Nicolet, comédie en un acte, en collaboration avec Meilhac (1865); puis, toujours avec le même et désormais presque invariable collaborateur : les Méprises de Lambinet, comédie en un acte avec couplets (1865); Barbe-Bleue, opéra bouffe en trois actes, musique d'Offenbach (1866); la Vie parisienne, opéra bouffe en trois actes, musique du même (1866); la Grande-Duchesse de Gérolstein, opéra bouffe en trois actes, musique d'Offenbach (1867), piquante satire de la société cosmopolite de l'époque; la Périchole, opéra bouffe en deux actes, musique du même (1868); le Château à Toto, opéra-bouffe en trois actes, musique du même (1868); Tout pour les dames, comédie-vaudeville en un acte (1868); Fanny Lear, comédie en cinq actes, la première tentative des deux auteurs dans le genre sérieux (1868); la Diva, opéra bouffe en trois actes, musique d'Offenbach (1869); les Brigands, opéra bouffe en trois actes, musique du même (1869); le Bouquet, comédie en un acte (1869); l'Homme à la clef, comédie en un acte (1869); Froufrou, enfin, comédie en cinq actes, qui est, peut-être, la création la plus personnelle, la plus fine et la plus émouvante, sous sa légèreté, qu'on doive à Halévy et Meilhac (1869). Triomphe de la grande Desclée, au Gymnase, objet de différentes interprétations intéressantes, dont celle de Sarah Bernhardt à la Porte-Saint-Martin, Froufrou est entré en 1892 au répertoire de la Comédie-Française. 

La guerre de 1870 n'arrêta pas une collaboration si heureuse; elle la suspendit seulement, et c'est à cette époque que Ludovic Halévy, qui avait publié, dès 1860, Un Scandale (in-18), donna au Temps ses « tableaux de guerre » réunis plus tard en volume sous le titre de l'Invasion (1872, in-18). Dès 1874, pourtant, les deux auteurs étaient revenus au théâtre avec Tricoche et Cacolet, comédie-bouffe en cinq actes qui eut le plus grand succès. La série se poursuivit l'année suivante avec Madame attend, comédie en un acte; les Sonnettes, comédie en un acte, et le Réveillon, comédie en trois actes. Ensuite furent joués : Toto chez Tata, comédie en un acte (1873); l'Eté de la Saint-Martin, comédie en un acte (1873); Pomme d'Api, opérette en un acte, musique d'Offenbach (1873); le Roi Candaule, comédie en un acte (1873); la Petite Marquise, comédie en trois actes (1874); la Mi-Carême, vaudeville en un acte (1874) ; l'Ingénue, comédie en un acte (1874); le Passage de Vénus, « leçon d'astronomie en un acte » (1875); la Boule, comédie en quatre actes (1875); la Boulangère a des écus, opéra bouffe en trois actes, musique d'Offenbach (1875); Carmen, opéra-comique en quatre actes, tiré de la nouvelle de Mérimée, musique de Bizet (1875); la Veuve, comédie en trois actes (1875); Loulou, vaudeville en un acte (1876); la Cigale, comédie en trois actes (1877); le Prince, comédie en quatre actes (1877); le Fandango, ballet-pantomime en un acte, musique de G. Salvayre (1877); le Petit Duc, opéra-comique en trois actes, musique de Lecocq (1878); Janot, opéra-comique en trois actes, musique du même (1878); la Petite Mademoiselle, opéra-comique en trois actes, musique du même (1879); le Petit Hôtel, comédie en un acte (1879); le Mari de la débutante, comédie en quatre actes (1879); Lolotte, comédie en un acte (1879); la Petite Mère, comédie en trois actes (1880); la Roussotte, comédie-vaudeville en trois actes et un prologue (1881). C'est la dernière des pièces dues à la collaboration des deux auteurs. 

Nous n'avons pas à rechercher ici les causes de la rupture, d'ailleurs toute momentanée, qui suivit. Halévy abandonna presque complètement le théâtre pour le roman. Il avait déjà recueilli en volume, dès 1873, sous le titre général de Monsieur et Madame Cardinal, les plus mordantes et les plus finement observées des petites études relatives au monde des théâtres, publiées par lui dans la Vie parisienne sous les initiales A. B. C. Ce recueil avait été suivi de la publication de : Marcel (1876), oeuvre de jeunesse qui avait paru en 1864 dans la Revue de Paris; les Petites Cardinal (1880); Un Mariage d'amour (1881); l'Abbé Constantin (1882), l'un des grands succès du roman de son époque, et qui retrouva ce succès au théâtre; la Famille Cardinal (1883); Criquette (1883); Deux Mariages (1883); Princesse (1886); Notes et Souvenirs (1888); Récits de guerre, réimpressions (1891); Karikari (1892). Le 4 décembre 1884,  Ludovic Halévy fut nommé membre de l'Académie française. Il avait épousé, en 1868, Louise Bréguet. (Ch. Le Goffic).

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La classe des petites
à l'Opéra

« Une grande salle carrée, le plancher légèrement incliné, un poêle de faïence, des banquettes pour les mères, une chaise de paille pour le professeur, voilà le décor. Des barres d'appui courent le long des murs. Le jour tombe d'en haut, brutal et cru.

La leçon n'est pas commencée; tapage infernal... quinze petites gamines riant, criant, gambadant, piaillant, hurlant, absolument déchaînées; galopades, glissades, bourrades et bousculades, le tout entremêlé d'entrechats et de pirouettes.

Calmes et sereines au milieu de ce brouhaha, les mères. Elles sont là une douzaine, installées sur leurs banquettes, sommeillant, tricotant, tapissant, lisant le Petit Journal.

Les gamines sont en costume de danse... Décolletées, bras nus, robes de mousseline blanche, ceintures de soie bleue, rouge, rose, chaussons de coutil gris vingt fois piqués et repiqués... Presque toutes maigres, efflanquées, mal peignées, mal débarbouillées, mais un air de hardiesse, de courage et de bonne humeur.

Elles aiment leur état, elles aiment l'Opéra, elles aiment la danse. Leur métier est rude, mais elles l'adorent. C'est la grande vertu de ce petit monde.

Il faut se lever avant le jour en hiver pour venir à huit heures à la leçon, et le soir, après le spectacle, regagner à pied, sous la pluie, dans la neige, Montmartre ou les Batignolles. L'omnibus coûte six sous et les appointements sont minces... Pour les petites, vingt sous quand elles figurent le soir à l'Opéra... Devenues grandes, elles entrent dans le second quadrille et gagnent de sept à neuf cents francs par an.

Après quoi, elles avancent lentement, méthodiquement, car la hiérarchie de la danse est aussi étroite, aussi rigoureuse que la hiérarchie de l'armée, aussi hérissée d'examens, de concours et d'inspections. Du second quadrille, on passe dans le premier, de mille à onze cents francs; du premier quadrille dans les secondes coryphées, de treize à quatorze cents francs; des secondes coryphées dans les premières, quinze cents francs.

Enfin, après des années et des années, petit sujet!... On devient petit sujet!... de seize cents francs à deux mille francs. C'est la fortune! c'est la gloire! Voilà le rêve de ces bambines!

Voilà ce qui leur aura coûté tant de larmes et tant de calottes, car on ne sait pas de combien de travail et de misère est faite une pirouette de danseuse.

Le professeur arrive... Il paraît, son violon à la main. Aussitôt, du fond de la salle, avec des cris aigus, les petites s'élancent comme une trombe. Elles se jettent sur le maître de danse, l'entourent, le prennent d'assaut.

- Bonjour, m 'sieu... Ça va bien, m'sieu?... Bonjour m'sieu... V'là un petit bouquet pour vous, m'sieu...

Lui les embrasse, mais dans cette bagarre, tremblant pour son violon, il le tient en l'air, le plus en l'air possible... Il essaie de les calmer...

- Bonjour, mes enfants, bonjour... Allons... allons... c'est bien... c'est bien... A vos places, mes enfants, et commençons.

Mais baste... Cette nuée de petits pierrots reprend son vol. La même course folle qui les a apportées les remporte. Le tapage redouble. Le maître de danse répète comme un refrain : 

- Allons, mes enfants, à vos places... à vos places...

Il dit cela sans conviction, c'est ainsi tous les matins. Il en a pris son parti; il sait qu'il faut laisser passer cette petite rage de bruit et de mouvement. Il tire cependant quelques accords de son violon, des accords plaintifs, timides, suppliants.

Les petites enragées n'entendent rien, ni la voix, ni le violon. Elles ont imaginé une espèce de farandole, et serpentent avec une rapidité fantastique autour du maître de danse, tout en évitant de tomber dans les griffes de leurs respectables mères. Le professeur élève la voix :

- Allons, mesdemoiselles, en voilà assez. A vos places... à vos places.

Le ton devient sévère. Il y a de la résolution, de la colère, de la menace dans les coups d'archet; la crise est, à ce qu'il paraît, ce matin, plus aiguë qu'à l'ordinaire.

- Qu'est-ce qu'elles ont donc aujourd'hui, les petites mâtines? s'écrie le maître de danse.

Les appels de la voix et du violon sont désespérés, furieux. 

- A vos places... et tout de suite... à vos places...

Le pauvre homme ne parle plus, il crie. Rien n'y fait. La farandole continue. C'est une révolte. Le professeur alors se tourne vers les mères, et complètement découragé :

- Voyez, mesdames, voyez...

Les mères se lèvent, terribles, redoutables. Elles s'élancent. C'est une charge, une véritable charge de grosse, de très grosse cavalerie. Elles attrapent celle-ci par le bras, celle-là par l'oreille, cette autre par le cou... et v'li, et v'lan, les torgnolles pleuvent serré. Les petites, écrasées, domptées, se réunissent en tas au milieu de la salle et restent là, essoufflées, haletantes, maintenues par un cordon maternel. Les voilà prises, cernées, bloquées. Plus de résistance possible, il faut se résigner. Les mères retournent à leur tricot et à leur lecture.

Les gamines, gentiment, en deux coups de main, font bouffer leurs jupes de mousseline, rajustent leurs ceintures, relèvent les boucles folles qui leur tombent suries yeux. Elles se remettent, respirent, soufflent un peu.

Le maître de danse se pose, met son violon à l'épaule. Il lève son archet, il attaque, et toutes, dès la première note, courent se ranger autour de la salle, le long des murs, par rang de taille. Le professeur n'a pas une parole à dire pour faire manoeuvrer son petit escadron. Le violon a son langage pour les danseuses, tout comme le clairon pour les hussards.

Les quinze petites mains droites des quinze petites danseuses empoignent la barre d'en bas, pendant que les quinze petites jambes gauches vont se camper carrément, d'un seul jet, sur la barre d'en haut... Trémolo prolongé du violon. Et sur ce trémolo elles restent accrochées à la barre, les têtes renversées, les reins cambrés, les poitrines bombées, les veines tendues... Fin du trémolo. Les petits pieds retombent par terre, les petites mains lâchent la barre. Repos.

Le violon reprend sa chanson. Cette fois c'est la position contraire : la main gauche à la barre d'en bas, le pied droit à la barre d'en haut. Sur le trémolo obstiné de son violon, le professeur parle :

- Allons... les genoux en dehors. Les talons en avant. Forcez sur le plié, mademoiselle Paroisse. Forcez... encore... encore...

Les pauvres petites s'étirent, s'allongent, forcent sur le plié. Les positions changent chaque fois que change la mélopée jouée par le violon. Les voilà toutes tenant la barre de la main gauche et comme fichées en terre sur la pointe du pied gauche. Les jambes droites se mettent à battre les jambes gauches. Le violon va plus vite et les petites jambes, elles aussi, vont plus vite, plus vite, marquant la mesure. Les corps sont légèrement renversés en arrière, et toutes ces chevelures brunes et blondes pendent au hasard, à tort et à travers.

La main droite tient la barre... Le corps est droit, et tous les pieds gauches vont se nicher dans toutes les mains gauches... Trémolo du violon. Elles restent ainsi, roides, immobiles, contractées, en l'air sur la pointe du pied droit... Puis, tout d'un coup, brusque renversement, et les pieds droits vont à leur tour se camper dans les mains droites, pendant que la main gauche tient la barre.

Ces exercices de la barre sont les gammes de la danse. C'est la première partie de la leçon, la plus maussade et la plus dure. Les gammes terminées, toutes viennent se ranger sur trois rangs, cinq par cinq, au milieu de la salle. Le professeur parle cette fois, et toutes à sa voix docilement obéissent :

- Allons... sur les pointes... Ballonné... Fondu... Assemblez, soutenez... La jambe droite en arrière... Grand rond de jambe fouetté... Mademoiselle Mitaine... il a été très mauvais votre rond de jambe fouetté... Assemblez... Fondu... Assemblez... Fondu... Soutenez sur les pointes... Avancez l'épaule droite... la tête légèrement inclinée vers l'épaule gauche... Levez le bras droit... Regardez par-dessous le bras... Souriez... Souriez... Ce n'est pas un sourire ce que tu fais là... toi... oui... toi Joséphine... C'est une grimace... Souriez... Souriez... Souriez-moi un peu mieux que ça...

Voici maintenant le tour des variations... Toutes viennent se ranger en cercle autour du professeur et là, sérieuses, attentives, elles écoutent une dictée d'une espèce toute particulière... Ce n'est pas seulement de l'oreille qu'on l'écoute, mais aussi du regard... Le professeur est assis... Un doigt de chacune de ses mains représente les deux jambes de la danseuse, et tout en dictant son programme : attitude, pas de bourrée, glissade, entrechat, temps de cuisse, etc., il danse la variation avec deux doigts... Les petites également avec les deux doigts répètent la variation, et, des pieds à la tête, sur place, oscillent, ondulent et se balancent...

- Est-ce bien compris? demande le professeur. 

- Oui, m'sieu... oui, m'sieu...

- En position alors.

Elles courent lestement à leurs places... Le professeur râcle son violon, et les jambes, à leur tour, se mettent à danser ce petit pas d'abord dansé par les doigts.

Les variations succèdent aux variations sans la moindre trace de lassitude ou d'ennui. Ces petits corps, d'apparence si grêle, sont assouplis et endurcis par ce rude travail... Lorsque, après une heure et demie d'attitudes et d'entrechats, le professeur lève la séance et déclare la leçon terminée, les cris et les galopades recommencent de plus belle, mais les mères sont là qui veillent. Elles font une nouvelle charge et, vrais chiens de berger, poussent, bon gré mal gré, le petit troupeau récalcitrant vers le vestiaire où pendent, accrochées à des patères de bois blanc, de méchantes robes de laine usées et rapiécées. »
 

(L. Halévy, A l'Opéra).
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Dictionnaire biographique
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