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Marie-Félicité
Garcia, épouse Malibran, est une cantatrice dramatique,
née à Paris
le 24 mars 1808, morte à Manchester
le 23 septembre 1836. La renommée de la Malibran est restée
légendaire, et l'on n'a pas beaucoup d'exemples d'une gloire comparable
à celle de cette artiste étonnante, qui, morte à vingt-huit
ans, avait connu tous les honneurs et tous les triomphes, et dont la perte
fut comme une sorte de deuil pour l'Europe
entière. Cantatrice de premier ordre, douée d'une voix dont
le timbre et l'étendue étaient absolument exceptionnels,
actrice consommée, aussi remarquable dans le genre dramatique, où
sa puissance pathétique et ses élans de passion ardente faisaient
l'admiration de tous, que dans dans le genre bouffe, où sa gaieté
prodigieuse trouvait les effets les plus piquants et les plus inattendus,
pouvant chanter avec une égale facilité dans cinq langues
qu'elle parlait couramment (le français,
l'allemand, l'anglais,
l'italien et l'espagnol),
cette femme extraordinaire, qui était tout ensemble dessinatrice
habile, pianiste exercée, compositrice intéressante, écuyère
intrépide, adroite à tous les travaux alors dévolus
aux femmes, est restée un type unique dans l'histoire de l'art.
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La
Malibran, par François Bouchot.
Fille du célèbre
chanteur Manuel Garcia, et par conséquent Espagnole d'origine, elle
naquit à Paris à l'époque où son père
faisait partie du personnel du Théâtre-Italien. Elle devint
son élève, et le suivit en Italie et à Londres.
C'est en cette ville qu'à dix-sept ans, le 7 juin 1825, elle débuta
sans préparation, par suite d'une indisposition de Mme Pasta, dans
le Barbier de Séville.
Son succès fut tel qu'elle fut engagée pour le reste de la
sai son, environ six semaines, au prix de 12.500
F. C'est après ce premier essai qu'elle dut accompagner en Amérique
son père, qui allait fonder un théâtre italien à
New-York. Là
commencèrent ses triomphes, lorsqu'on l'entendit successivement
dans Othello, le Barbier, Don Juan,
Roméo et Juliette, Tancrède, Cenerentola. On put croire
pourtant qu'elle allait renoncer à une carrière si bien commencée,
par le fait du mariage qu'elle contracta alors avec un banquier français
nommé Malibran, établi à New-York et beaucoup plus
âgé qu'elle. La jeune Mme Malibran laissa son père
partir pour le Mexique, qu'il allait visiter
avec sa troupe, et demeura à New York, où d'ailleurs elle
n'allait pas rester longtemps.
Son mariage n'était
pas heureux, et bientôt elle s'embarquait seule pour revenir en Europe
et regagner Paris. Là, elle commença à se faire entendre
avec succès dans les salons, puis parut à l'Opéra
dans le rôle de Sémiramis, pour une représentation
an bénéfice de Galli. Elle fut aussitôt engagée
au Théâtre-Italien, où elle débuta le 8 avril
1828, et où commença pour elle cette série de succès
qui ne devaient être interrompus que par sa mort. On ne saurait se
faire une idée de ces triomphes, de l'enivrement qu'elle procurait
aux spectateurs, de l'enthousiasme qu'elle excitait de tous côtés.
Après Paris, ce fut Londres qu'elle enchanta, puis ensuite l'Italie,
ou elle mettait les populations en délire. Elle se fit acclamer
tour à tour à Milan, à
Rome, à Naples,
à Bologne, à Sinigaglia, à
Lucques, où la joie expansive des
Italiens allait jusqu'à lui donner des sérénades,
où les gens du peuple allaient jusqu'à dételer les
chevaux de sa voiture et à la traîner eux-mêmes, à
la lueur des torches, du théâtre à l'hôtel qu'elle
habitait.
Au cours de cette
carrière enivrante, faite de succès inouïs, d'ovations
sans fin, la Malibran, qui depuis-plusieurs années ne s'était
pas fait entendre à Paris, y revenait cependant toujours avec joie.
C'est à Paris qu'en 1835 elle fit casser, à la suite d'un
procès, son mariage avec Malibran. Presque aussitôt elle épousa
le célèbre violoniste
belge Charles de
Bériot, avec qui elle entreprit de nouveaux voyages. Mais ses jours
étaient comptés, et une imprudence de sa part lui fut fatale.
Elle s'était
rendue avec son mari à Bruxelles,
où elle se fit entendre avec lui dans deux concerts, puis tous deux
gagnèrent Londres ou elle était attendue. C'est là
qu'un jour, voulant monter, malgré les conseils qu'on lui donnait,
un cheval ombrageux, elle fut emportée par lui, désarçonnée,
jetée à terre et traînée jusqu'à ce qu'on
pût venir à son secours. On la releva dans un état
lamentable, et malgré tout elle ne prit pas les soins que réclamait
sa situation. Elle voulut retourner à Bruxelles avec son mari, et
de là sa rendre à Manchester,
où elle devait prendre part à un grand festival.
Elle chanta le premier jour sans accident; mais au concert du second, elle
s'évanouit après avoir dit, avec Mme Caradori-Allan, un duo
d'Andronico. Il fallut l'emporter et la ramener chez elle. Bientôt
la fièvre la prit, des convulsions la saisirent, et malgré
tous les soins qui lui furent prodigués, elle expira an bout de
peu de jours, après de cruelles souffrances. Ainsi se termina brusquement
une existence d'artiste si brillante et si glorieuse, et dont le caractère
fut absolument exceptionnel. (Arthur Pougin). |
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