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L'histoire de la Prusse
La Prusse au XIXe siècle
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La Prusse et les guerres napoléoniennes

Frédéric-Guillaume III (1797-1840) ne fut pas d'abord capable d'enrayer la décadence de l'État prussien. Il diminua les abus, améliora la situation financière, mais ne réforma pas l'armée et n'adopta en politique étrangère aucun parti franchement. Sa neutralité bienveillante pour la France lui valut en échange des possessions de la rive gauche du Rhin un sérieux agrandissement territorial : Paderborn, Hildesheim, Munster, Erfurt et l'Eichsfeld, Nordhausen, Mulhausen, Goslar, etc., soit 9500 km² et 500 000 habitants (1803). Quand reprit la guerre, Napoléon fit occuper le Hanovre, et flatta la Prusse de l'espoir de l'acquérir; en effet, au cours de la campagne d'Autriche, elle demeura neutre et quelques jours après Austerlitz signa le traité de Schoenbrunn qui lui donnait le Hanovre en échange de Clèves (rive droite du Rhin), Anspach et Neuchâtel (15 décembre 1806). Le 15 février 1806 une alliance formelle fut conclue avec l'empereur des Français. Mais au lieu de s'y tenir et d'attendre des événements une prépondérance que la disparition du Saint-Empire, lui assurait dans l'Allemagne nouvelle, le roi de Prusse s'attaqua au vainqueur. Son armée était affaiblie, les officiers supérieurs vieillis et incapables, l'équipement et l'armement négligés; le peuple exclu de la vie politique s'en désintéressait; les employés eux-mêmes étaient démoralisés; enfin, le 1er juin 1806, pour la première fois dans son histoire, la Prusse avait dû émettre du papier-monnaie. La lutte fut courte. Napoléon rejeta l'ultimatum prussien, le mettant en demeure d'évacuer l'Allemagne du Sud, et sept jours après, écrasa l'armée ennemie à Iéna et Auerstaedt (14 octobre 1806). Le désastre fut complet, et seule l'histoire des conquérants mongols nous montre des victoires aussi rapidement décisives. Poursuivis sans répit, les débris des troupes du grand Frédéric semèrent partout la panique, capitulant en rase campagne, remettant des places fortes sans combat à des forces inférieures. Le 27 octobre, Napoléon entrait à Berlin, dont le gouverneur comte Schuleuburg avait ordonné aux bourgeois de ne pas bouger et où sept ministres vinrent prêter à l'empereur le serment de fidélité. Il n'y eut de véritable résistance que sur les rives de la Baltique, en Prusse proprement dite, où s'était réfugié le roi. Après l'indécise bataille d'Eylau, la prise de Dantzig (25 mai 1807) et l'écrasement de l'armée russe à Friedland (14 juin) terminèrent la guerre.

La paix de Tilsit (9 juillet 1807) ôtait à la Prusse la moitié de son territoire : de 314.000 km² et  9.750.000 habitants, elle était réduite à 158.000 km² et 4.940.000 habitants, perdant toutes ses possessions à l'Ouest de l'Elbe (y compris la Vieille Marche, berceau du Brandebourg) et la plus grande partie des dépouilles de la Pologne. Elle ne se fût probablement jamais relevée, si Napoléon avait restitué la Silésie à l'Autriche et créé entre les deux grandes monarchies allemandes une hostilité irréconciliable. La destinée ultérieure de l'État prussien semblait ne dépendre que d'un caprice de Napoléon; il lui avait ôté son rang de grande puissance; il aurait même pu rayer les Hohenzollern de la liste des dynasties européennes. La contribution de guerre imposée à la Prusse ne pouvant être payée, les Français continuèrent d'occuper les forteresses principales et de tenir le royaume en état de vassalité.

Le prompt relèvement de la Prusse après l'écroulement de la monarchie de Frédéric II n'est pas en lui-même extraordinaire, puisqu'elle bénéficia comme les autres puissances européennes de l'effondrement de l'empire napoléonien, conséquence inévitable de la mégalomanie de l'aventurier corse et de l'incohérence de sa politique extérieure. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'État prussien, qui prit une grande part à ces événements et y déploya une force bien supérieure à celle que l'on croyait lui avoir laissée, sortit de la terrible crise de 1806-1807 complètement régénéré. La monarchie militaire absolutiste et féodale du XVIIIe siècle se métamorphosa en un État moderne, puisant sa force dans le sentiment national. Les auteurs de ces réformes, qui ont assuré le salut et la grandeur de la Prusse, furent Stein et Hardenberg. A peine la paix fut-elle conclue, que Frédéric-Guillaume III, conseilié par la reine Louise, entreprit de donner satisfaction aux besoins de réformes et de libertés que la Révolution française avait propagés à travers l'Europe. Le 4 octobre 1807, il mit Stein à la tête de l'administration civile. 

Dès le 25 juillet il avait chargé une commission où siégeaient Scharnhorst, Gneisenau, Grolmann, Boyen, de réorganiser l'armée; ce résultat fut obtenu par l'épuration du corps des officiers, une refonte des règlements et instructions, et la décision de former exclusivement l'armée de soldats nationaux. Cinq jours après son accès au ministère, Stein abolit le servage et facilita la libre transmission des biens fonciers; puis le roi donna en toute propriété à tous les paysans établis sur les domaines de la couronne la terre qu'ils cultivaient (27 juillet 1808); une grande partie des domaines furent vendus pour faire face aux dettes publiques, et l'étendue des petites propriétés très accrue. Aux villes, on concéda une certaine autonomie administrative (19 novembre 1808), on améliora le régime des corporations, on simplifia le système administratif; enfin on promit au pays une représentation élective.

L'effet de ces réformes fut considérable sur l'opinion; les Français paraissaient jusqu'alors les champions des principes de la Révolution, affranchissant les classes laborieuses de la tyrannie féodale; mais tandis que Napoléon faisait peser sur l'Allemagne la plus dure tyrannie, disposant des peuples comme de troupeaux de bétail, cette oppression étrangère dans les esprits auxquels on avait prêché l'égalité démocratique éveillait le sentiment national. L'humanitarisme cosmopolite du XVIIIe siècle recevait de la dictature militaire de Napoléon un si brutal démenti que les maîtres de la pensée allemande se firent les apôtres du nationalisme, déjà exalté par Fichte, Schleiermacher, Schiller. Le profond sentiment historique qui imprègnait toute la pensée germanique fournit à cette propagande une base excellente. Les hommes d'État prussiens, en s'orientant dans cette direction se présentèrent à toute l'Allemagne comme les champions de l'idée nationale. L'Université créée à Berlin devint le centre du mouvement intellectuel; le Tugendbund créé à Koenigsberg réunit les patriotes les plus ardents. Leur imprudente exaltation faillit tout compromettre. Le roi n'osa pas profiter de la guerre d'Espagne pour attaquer Napoléon, allié à la Russie; les lettres de Stein à Wittgenstein livrées à l'empereur lui révélèrent la conspiration; par le traité du 8 septembre 1808, il imposa à la Prusse une indemnité de 140 millions et la limitation de son armée à 42000 hommes. Stein révoqué fut remplacé par des ministres réactionnaires et francophiles; le Tugendbund fut dissous, le roi rentra à Berlin, où il était entouré de baïonnettes françaises. Mais son nouveau ministre Altenstein, incapable de résoudre les difficultés financières, fut congédié le 6 juin 1810. Il eut pour successeur Hardenberg, lequel reprit l'oeuvre réformatrice. Il abolit les privilèges en matière d'impôt (27 octobre 1810), proclama la liberté de l'industrie, sécularisa les biens ecclésiastiques, assura des garanties aux paysans vis-à-vis des grands propriétaires, leur donnant la faculté de racheter les corvées, et donna aux Juifs une quasi-égalité avec les chrétiens. Sans instituer encore d'assemblée représentative, il convoqua à plusieurs reprises les notables; mais ceux-ci étaient réactionnaires et s'opposèrent aux réformes et surtout à l'octroi d'une constitution libérale. Quant à l'armée, on tourna l'interdiction de l'accroître, en y faisant défiler successivement les recrues, qui, aussitôt instruite, regagnaient leurs foyers.

Dans le soulèvement de l'Allemagne, consécutif à la destruction de la Grande armée en Russie, la Prusse eut le rôle directeur. Le général prussien Yorck, qui couvrait le flanc gauche des Français, fit défection et conclut avec le général russe Diebitch la convention de Tauroggen (30 décembre 1812), puis il s'installa en Prusse orientale, la fit s'insurger, d'accord avec la diète provinciale et y leva 33 000 hommes de landwehr. Le roi se déclara alors, et de Breslau stimula la formation de francs-chasseurs (3 février 1813) où les patriotes de tout âge affluèrent; Hardenberg conclut avec la Russie le traité de Kalisz (28 février); on fonda l'ordre de la « Croix de fer » (10 mars), le roi lança un appel « à son peuple » (17 mars), appela la landwehr et la landsturm (levée en masse) et déclara la guerre à la France (27 mars). Le tsar et lui déclaraient se proposer pour but l'affranchissement de l'Allemagne et invitaient tous les Allemands à y concourir, menaçant de dépossession les princes qui ne les suivraient pas. La Prusse mit en ligne 128 000 hommes de troupes régulières et 150 000 de landwehr. Blücher commanda en Silésie, Yorck, Bulow et Borstell en Brandebourg sous les ordres de Koutousov. Napoléon refoula les forces russoprussiennes à Lützen (2 mai) et Bautzen (20 mai), mais son outrecuidante prétention de conserver l'Illyrie, Varsovie, le Hanovre, décida l'Autriche à entrer dans la coalition qui triompha sur le champ de bataille de Leipzig (16-19 octobre). L'armée prussienne continua de se distinguer en 1814, comme plus tard dans la campagne de Waterloo (1815).

La reconstruction de l'État Prussien

Ces patriotiques efforts et les sacrifices imposés à la nation furent récompensés au Congrès de Vienne (1815) par la reconstruction territoriale de l'État prussien. Il ne recouvra de ses provinces polonaises que la Poznanie, mais il les remplaça avantageusement par des provinces allemandes, la moitié de la Saxe, la Poméranie antérieure au Nord de la Peene, la Westphalie et la Province Rhénane; il est vrai qu'il fallut céder Anspach et Bayreuthà la Bavière, Hildesheim, Goslar, la Frise orientale au Hanovre, mais, en définitive, l'État prussien, qui en 1803 se trouvait localisé dans l'Allemagne orientale avec près d'un tiers de sujets slaves et un simple chapelet de petites principautés dans l'Allemagne occidentale, redevint essentiellement germanique, arrondit son noyau primitif du Brandebourg et s'ajouta un domaine compact dans la région rhénane, l'une des plus riches d'Allemagne. Mais on peut avancer sans paradoxe que le plus grand profit que la Prusse ait tiré de ces remaniements résulte des obligations, des dangers et des devoirs qu'il lui créa. Ces deux grands morceaux séparés l'un de l'autre, elle s'efforcera de les souder en conquérant les provinces intermédiaires. Placée sur la frontière de la France comme de la Russie et de l'Autriche, seule en Europe elle a contact direct avec trois autres grandes puissances; elle sera astreinte à une vigilance plus grande dans chaque crise européenne et pour ainsi dire condamnée à la grande politique. Elle deviendra, par la force des choses, le représentant du nationalisme germanique, d'autant que les multiples périls de ses diverses frontières l'obligent à marcher d'accord avec l'opinion allemande, dont l'appui lui est indispensable. La Province Rhénane formée de pays hétérogènes et longtemps soumis à l'influence française, reconnaissants d'ailleurs à la France de les avoir affranchis du joug féodal, exigeait un effort considérable afin de l'unifier avec les autres provinces.

L'organisation administrative fut entreprise dès le 20 avril 1814, qui divisa le royaume en provinces (il y en eut définitivement huit), subdivisées en districts et en cercles; à la tête de chaque district fut placé un conseil, à la tête de chaque province un président; ceux-ci ressortissaient au conseil des ministres présidé par un chancelier d'État. Le 31 mars 1817, on y adjoignit un conseil d'État où siégèrent les princes de la famille royale, les plus hauts fonctionnaires et les hommes de confiance du roi. Le corps des fonctionnaires réorganisé par Stein et Hardenberg se mit à l'oeuvre pour appliquer le système d'administration prussienne aux territoires nouveaux; les impôts et les charges militaires excitèrent de vives résistances, notamment dans les pays rhénans; elles furent surmontées et dès 1820 les finances étaient bien réglées : le budget atteignait 50 millions de thalers, et l'on amortissait la dette réduite à 180 millions de thalers. L'aménagement des douanes conduisit à des ententes avec les États allemands enchevêtrés dans les territoires prussiens et l'on fut ainsi conduit au Zollverein (1er janvier 1834), union douanière sous la direction prussienne qui prépara l'unité politique.
Frédéric-Guillaume III fit davantage et, le 22 mai 1815, promit à la nation prussienne une constitution représentative ; on sait que la constitution de la Confédération germanique l'avait fait d'une manière générale. C'était avis des grands réorganisateurs, Stein, Hardenberg, Gneisenau, G. de Humboldt, mais ils ne purent s'entendre, et l'influence des réactionnaires de la Sainte-Alliance devint peu à peu prépondérante; le Tugendbund fut dissous, les associations universitaires (Bursehenschaft) persécutées; les ministres progressistes se retirèrent (1819), et des « États provinciaux » furent institués où l'influence des hobereaux (Junker) prévalut tout à fait (5 juin 1823). 

La politique religieuse fut plus habile; on profita du troisième centenaire de la Réforme pour fusionner les églises luthérienne et réformée en « église évangélique » placée sous l'autorité du pouvoir temporel. La résistance fut vive du côté des luthériens, surtout quand on voulut imposer aux pasteurs un serment politique et l'apologie de l'absolutisme. Le clergé catholique résista de même sur la question des mariages mixtes, et les archevêques de Cologne et de Poznan se laissèrent emprisonner. Les poursuites intentées aux démocrates et le régime de suspicion générale excitèrent de vifs mécontentements. A l'extérieur, la politique fut celle de la Sainte-Alliance, docile aux suggestions de la Russie et de l'Autriche.

Frédéric-Guillaume IV (1840-1461) afficha des intentions libérales, relaxa les démocrates et les archevêques, proclama une amnistie générale (10 août 1846), mais sans vouloir promulguer de constitution. Il poursuivit l'idéal romantique de la restauration du saint-empire féodal, mais en plaçant la Prusse à la tête; en religion, il tenait pour une orthodoxie rigoureuse. La pression de l'opinion lui fit concéder le 3 février 1847 un semblant de chambre représentative. La révolution de 1848 prit la Prusse au dépourvu. Le roi était disposé à en profiter pour se placer à la tête de l'Allemagne fédérale qu'il rêvait de constituer, mais il fut débordé à Berlin par l'insurrection du 18 mars qui l'obligea à convoquer une Assemblée constituante (avril 1848). Celle-ci voulut s'emparer du pouvoir, mais, incapable de l'exercer, fut ajournée par le ministère Brandebourg et finalement dissoute (5 décembre). Le roi promulgua une constitution libérale et convoqua deux chambres (26 février 1849). Cependant la grande politique allemande se déroulait au parlement de Francfort , et la Prusse, en partie à cause de la timidité de son roi, échouait dans son projet de prendre l'hégémonie d'une Allemagne dont serait exclue l'Autriche. « L'alliance des trois rois » (Prusse, Hanovre, Saxe, 26 mai 1849) demeura stérile; la Saxe et le Hanovre abandonnant la Prusse concluent avec la Bavière et le Württemberg « l'alliance des quatre rois » (fév 1850); ceux - ci s'entendirent avec l'Autriche pour rétablir l'ancien ordre de choses. Le parlement « d'Union » réuni à Erfurt (mars-avril 1850) de se retirer, et la diète fédérale se reforma à Francfort (10 mai). Les conférences de Varsovie (15 octobre) et d'Olmutz (29 novembre) sanctionnèrent la reculade de la Prusse qui n'osait pas affronter une guerre. 

A l'intérieur, une nouvelle loi électorale avait produit des élections conservatrices. La direction passa aux cléricaux protestants du ministère Manteuffel (6 novembre 1850), qui rétablit les États provinciaux et superposa une Chambre des seigneurs à la Chambre élective (12 octobre 1854). A l'extérieur, la Prusse, demeura neutre durant la guerre de Crimée et faillit pour Neuchâtel engager la guerre contre la Suisse. Le roi étant devenu fou, son frère et l'entier Guillaume prit la régence (27 octobre 1857). De ce jour date une nouvelle période de l'histoire de Prusse. Il ne faut pas, dans l'appréciation des quarante années qui suivirent le Congrès de Vienne, s'en tenir à la première impression qui est celle d'un gouvernement dénué de prestige; ce fut une époque de préparation et de gestation les éléments hétérogènes, dont se composait la Prusse de 1815, furent amalgamés, façonnés en nation unitaire et centralisée; l'union douanière progressivement généralisée, l'instruction développée et mise au service de l'idéal patriotique. L'échec des tentatives faites en 1849 pour constituer l'unité allemande n'en découragea pas les promoteurs; ils continuèrent de tourner leurs regards vers la Prusse et se trouvèrent plus disposés à sacrifier leurs préjugés libéraux et à admettre l'union sous un maître.

La Prusse conquiert l'hégémonie en Allemagne

Ce programme fut réalisé par Guillaume Ier (régent de 1858 à 1861, puis roi de 1861 à 1888) et son génial ministre, le prince de Bismarck. L'instrument en fut l'armée prussienne redevenue la première d'Europe.  Nous nous bornerons à énumérer ici les faits principaux. Le prince Guillaume, d'abord administrateur, puis régent (9 octobre 1858), s'appuya sur le parti libéral qui était aussi le parti unitaire allemand ou national; le ministère Hohenzollern-Sigmaringen donna une certaine liberté de presse et de réunion, présenta des projets d'impôt foncier et de mariage civil. Dans la guerre d'Italie, la Prusse demeura neutre, mais mobilisa son armée et s'opposa à tout empiètement sur le territoire fédéral allemand. L'idée maîtresse de Guillaume était de fortifier son armée; en 1860, le ministre de la guerre Roon présenta ses réformes : service militaire obligatoire universel de trois ans, extension du service de réserve, diminution de celui de la landwehr, accroissement des cadres et du budget de la guerre porté à 32 800 000 thalers. Les députés n'accordèrent qu'un consentement provisoire, et lorsque Guillaume, devenu roi, accentua ses principes, les électeurs lui envoyèrent une majorité de progressistes qui repoussa les réformes militaires. Le landtag fut dissous, et le ministère Hohenlohe-Ingelfingen (1862), formé de fonctionnaires, tenta de gagner le peuple par des concessions. La majorité progressiste revint très accrue, et le conflit constitutionnel prit une forme aiguë, le roi ayant placé Bismarck à la tête du ministère. Il se passa du vote du budget, sévit contre la presse, fit juger que les députés pouvaient être poursuivis à raison de leurs discours à la Chambre. Il suivit sa politique extérieure sans souci des critiques de l'opposition qui refusa les dépenses militaires et navales, même celles de la guerre des duchés, et déclara inconstitutionnelle l'annexion du Lauenbourg (1865). 

Après avoir essayé sa force en arrachant, de concert avec l'Autriche et le reste de l'Allemagne, le Slesvig-Holstein au Danemark, Bismarck s'engagea dans la lutte décisive contre l'Autriche. Cette fois, malgré l'acharnement de Schulze-Delitzsch, les élections, qui eurent lieu le jour même de la bataille de Sadowa, lui furent favorables (3 juillet 1866). L'entente se fit par un bill d'indemnité pour les dépenses faites illégalement jusqu'à ce jour (3 septembre). La Prusse s'agrandit du Hanovre, de la Hesse électorale, de Nassau, de Francfort-sur-Main, du Slesvig-Holstein (7 septembre 1866), 67 300 km². et 4 300 000 habitants. La fraction occidentale de la monarchie était rejointe au bloc oriental; elle prenait possession des bouches de l'Elbe et du Weser. La Confédération de l'Allemagne du Nord  plaçait sous son hégémonie les petits États secondaires au Nord du Main. L'organisation des trois nouvelles provinces se fit rapidement. La guerre franco-allemande  fournit bientôt l'occasion de réaliser au profit de la Prusse l'unité allemande et de transformer la Confédération de l'Allemagne du Nord en empire allemand (18 janvier 1871), dont le roi de Prusse fut le chef héréditaire.

A partir de 1871, la Prusse entre donc dans l'empire allemand, dont elle conserve, au point de vue militaire et diplomatique, la direction générale. Son histoire, à ce point de vue, se confond avec celle de l'empire lui-même, bien qu'il soit intéressant de noter, dans le détail, un certain nombre de divergences, que toute la diplomatie des empereurs-rois n'a pu complètement atténuer. La plus importante  a rapport au régime économique de l'empire et de la Prusse. Pays agricole et de grande propriété, plus encore que d'industrie, la Prusse avait besoin de tarifs protecteurs élevés; d'autre part, le reste de l'empire, où l'industrie était plus intense et exigeait des débouchés permanents à l'étranger, était au contraire assez nettement libre-échangiste. De là une série de conflits périodiques entre le Reichstag et le Landtag prussien, les chanceliers devant servir d'arbitres impartiaux entre le parti agrarien de Prusse et les éléments libéraux de l'empire, auxquels les empereurs, notamment Guillaume II, préoccupés, avec une remarquable clairvoyance, de l'essor économique du pays, ont prêté leur appui moral. Presque toutes les grandes créations économiques effectuées au profit de l'empire : réseaux de chemins de fer, de canaux, développement de la marine marchande, ont été payées de concessions douanières, parfois graves, au parti agrarien. (A.-M. B. ).

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