| Eylau. - Nom allemand de deux petites villes d'Allemagne et de Russie : Deutsch-Eylau est sur l'Eilenz, en Allemagne dans le district de Marienwerder, et compte environ 4 000 habitants; Preussisch-Eylau est sur le Pasmar, aujourd'hui en Russie (oblast de Kaliningrad) et autrefois en Prusse (dans le district de Koenigsberg); 3600 habitants. Fondée en 1336 par le chevalier teutonique Arnold d'Eilenstein, cette seconde ville est célèbre par la bataille qu'y livra l'armée de Napoléon Ier contre les troupes Russes (7 et 8 février 1807). Bataille d'Eylau. Les Russes, venus au secours des Prussiens, occupaient la Prusse proprement dite. L'armée française s'était établie, pour prendre ses quartiers d'hiver, en Pologne, au Nord de Varsovie où était le quartier général, entre l'Ornulev, la Narev et la Vkra. Bernadotte couvrait le siège de Dantzig (Gdansk), occupant les environs d'Elbing, et Ney, posté à Mlava, le reliait an gros de l'armée. Le général en chef russe, Bennigsen, qui couvrait Koenigsberg (Kaliningrad), résolut de débloquer les places de Dantzig, Graudenz et Colberg. Son avant-garde (sous Bagration) s'avança par Hulsberg et Guttstadt, mais fut battue par Bernadotte à Mohrungen. Elle avait rallié le corps prussien de Lestocq et le gros de l'armée russe suivait. Bernadotte en signala la marche à l'empereur et se replia sur Strasburg (sur la Drewenz). Napoléon résolut de laisser l'armée russe s'engager sur la basse Vistule et de la prendre par derrière pour l'anéantir. II chargea Lannes et Savary de garder la Pologne et Varsovie et se dirigea avec Soult, Augereau, Davout et Ney sur les derrières de Bennigsen. Le 1er février il était à Willensberg où Murat sabrait l'arrière-garde russe; le 3 février l'armée française occupait Allenstein, point de jonction des routes de la Prusse centrale. Bennigsen avait échappé et se repliait sur Koenigsberg; Lestocq resté en l'air fut battu par Ney à Waltersdorf où il perdit 16 canons et 1500 hommes, mais il se défendit vaillamment et, par une marche forcée se rapprocha de Bennigsen. Celui-ci était à Eylau où il attendait, décidé à combattre pour ne pas abandonner Koenigsberg. II avait 60 000 hommes établis entre Schloditten et Serpallen. Mackor et Barclay de Tolly occupaient la ville de Preussisch-Eylau; ils furent attaqués par Soult dans la soirée du 7 février. La lutte fut sanglante et acharnée; le 18e de ligne enleva le mamelon de Tenknitten; les trois régiments russes qui défendaient le cimetière d'Eylau, désormais fameux, furent débusqués par la division Legrand; trois fois la position fut prise et reprise; elle resta aux Français et, à dix heures du soir, Soult prit position au Nord d'Eylau. En même temps Napoléon manoeuvrait pour envelopper les Russes. Davout marchait sur Donmau à leur gauche; Ney sur Kreuzburg à leur droite, les coupant des Prussiens de Lestocq. - La Bataille d'Eylau, peinte par Gros (Musée du Louvre). La retraite sur Koenigsberg était tellement menacée qu'on croyait que Bennigsen la hâtait sans attendre. Murat fit partager cette idée à Napoléon qui, dans la neige et le brouillard, établit son bivouac sous le canon russe. Mais la neige retardait Davout et Ney; les troupes françaises étaient harassées par ces marches forcées en plein hiver sous un climat terrible. Bennigsen, qui disposait de forces égales, résolut de combattre en reprenant l'offensive. Chacun des deux adversaires attribue la supériorité numérique à l'autre : 60000 à 80000 hommes. L'aile droite des Russes était à Schloditten, le centre d'Eylau à Sausgarten et Serpallen, puis venait la gauche flanquée de la cavalerie. Dans l'armée française, Ney était en marche à gauche, Davout à droite; au centre, devant Eylau, Soult avec 18000 hommes à peine. La bataille commença par de grandes décharges de l'artillerie russe; Soult était vivement attaqué. Napoléon s'établit alors avec sa garde dans le cimetière d'Eylau qui dominait la ville. Des canons furent mis en batterie devant Eylau, infligeant de grandes pertes aux colonnes russes. La neige tombait en tourbillons épais; on ne se voyait pas à quelques pas. Augereau, qui était chargé d'appuyer le mouvement tournant de Davout pour refouler la gauche russe vers le centre, se perdit dans la plaine, tandis que le général Doctorov marchaït à sa rencontre. Quand il se fit une éclaircie, Augereau était entre Doctorov et la cavalerie russe, sous la feu de 48 canons. La division Desjardins et les escadrons russes se touchaient. On ne put former les carrés; il y eut une horrible mêlée corps à corps, où les Français perdirent beaucoup de monde. Les généraux Augereau, Desjardins, Heudelet furent blessés. Napoléon, afin de les dégager, fit charger toute sa cavalerie sous Murat et Bessières; longeant la division Saint-Hilaire, postée à gauche d'Eylau, les cavaliers français tombèrent entre Rothenen et Serpallen, sur le flanc droit des forces russes d'Ostermann et de Docterov; deux lignes d'infanterie furent culbutées; la troisième tint bon; soutenue par les réserves et l'artillerie, elle reprit l'offensive; les lignes traversées par la charge s'étaient reformées; il fallut que la cavalerie française se frayât une route; d'Ahlmann fut tué et d'Hautpoul blessé. Murat et Bessières reformèrent leurs escadrons près de Rothenen. D'autre part, une colonne russe de 6000 hommes s'était dans l'obscurité engagée entre la droite de Legrand et la gauche d'Augereau, allant droit au cimetière; Napoléon la fit prendre en tête par ses grenadiers, en flanc par l'escadron de service; Murat la prit en queue et elle fut exterminée. A ce moment, l'issue demeurait douteuse. Les infanteries russes et françaises, très éprouvées, s'étaient reformées au centre sous Saint-Hilaire et Augereau d'une part, Doctorov, Sacken et Ostermann de l'autre; il restait à Bennigsen des réserves, à Napoléon une partie de sa garde. Ney et Davout n'étaient pas encore engagés. Vers une heure de l'après-midi, Davout arriva enfin. Refoulant les brigades de Barclay et Bagawouth, il enleva Serpallen et le plateau de Sausgarten, rejetant la gauche ennemie sur le centre. Bennigsen fit donner ses réserves; trois attaques furent repoussées par Davout qui reprit sa marche, tandis que Saint-Hilaire attaquait énergiquement Ostermann, assisté par la cavalerie de Milhaud. Le centre russe pliait; les collines de Kreege furent occupées et on y plaça 30 pièces de canon; l'ennemi fut chassé d'Auklappen, du bois de bouleaux voisin et de Kutschitten. La ligne de retraite était menacée. Si Ney fût arrivé alors, l'armée russe eût été écrasée et peut-être faite prisonnière; mais il avait perdu du temps et laissé échapper une partie du corps prussien de Lestocq. Celui-ci parut vers trois heures amenant 5500 hommes de troupes fraîches; il déboucha par la route d'Althoff et Schmoditten derrière le centre russe et revint à la charge contre Devant avec les réserves. Davout dut évacuer Kutschitten et se retirer sur Auklappen, mais les Prussiens et les Russes échouèrent dans leurs efforts pour reprendre les collines de Kreege et le bois de bouleaux. A ce moment le soir tombait. Ney, qui avait d'abord poursuivi la fraction des Prussiens rejetés sur Kreutzburg, survint à son tour, prit Schmoditten et la route de Koenigsberg; il n'était plus qu'à 3 kilomètres de Davout; l'armée russe ne disposait que de ce petit espace pour se replier. Bennigsen fit donner Sacken contre Ney pour reprendre la route; le 1er régiment d'infanterie légère le repoussa. Il était huit heures du soir. Ce qui sauva les Russes ce fut le froid; la terre était gelée, nivelée par la neige; ils purent se retirer à travers champs pendant la nuit, abandonnant aux Français le champ de bataille, 16 drapeaux, 63 canons. Ainsi prit fin cette effroyable boucherie; le spectacle de ces plaines ensanglantées effraya ceux qui le virent. Les pertes étaient énormes des deux côtés, près de 20000 hommes dans chaque armée. Un dégel rendit les routes impraticables et arrêta les Français; le 16 février, Napoléon se retira derrière la Passarge. La bataille fut donc tout à fait inutile : Bennigsen avait échoué dans son projet de débloquer les places assiégées de la Vistule; Napoléon n'avait pas réussi à détruire l'armée russe. Trois mois plus tard, la campagne reprit sur le même terrain. Un monument, inauguré le 20 novembre 1856, commémore la bataille d'Eylau. | |