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La
philosophie anglaise médiévale
La scolastique,
c.-Ã -d. la philosophie mise au service de l'Eglise,
a fleuri en Angleterre, et peut-être
plus tôt que partout ailleurs. Jean Scot Erigène, le premier scolastique
de grand renom, est un Ecossais né en Irlande (IXe
siècle). Mais on ne peut pas dire pour cela qu'il y ait une scolastique
anglaise d'un caractère original, ayant son unité et son indépendance.
Comme l'Eglise, dont ils font tous partie, comme les ordres religieux dont
ils sont, les scolastiques anglais, Ã proprement parler,
n'ont pas de nationalité. La question des ordres, au Moyen
âge, a plus d'importance.
La plupart, nés en Angleterre, étudient
ou enseignent sur le continent; tels sont : Alcuin appelé par Charlemagne,
Scot Erigène par Charles le Chauve, Jean
de Salisbury, qui fut évêque de Chartres,
Duns Scot, Roger Bacon, Guillaume d'Occam; d'autres comme Lanfranc et saint
Anselme, tous deux archevêques de Canterbury,
sont Italiens de naissance et Français autant qu'Anglais d'adoption. On
ne citera que pour mémoire, après ces grands noms, Adelard
de Bath, Robert Greathead (Grosseteste),
Michel
Scott, Thomas Bradwardine, Walther Burleigh,
Richard de Middletown, Robert Holcot, dont les
noms seuls disent assez l'origine.
Alcuin.
Alcuin
(735-804), disciple de Bède le vénérable,
est un moine érudit, curieux de l'Antiquité
classique, qui travaille de concert avec Charlemagne
à un renouveau de l'enseignement. Les cours dispensés concernent
les sept arts libéraux (quadrivium et trivium)
et la Bible.
A une époque où le savoir n'a jamais été aussi disloqué en Europe,
Alcuin fait de nombreux voyages à la recherches d'ouvrages à copier,
favorisant ainsi la propagation et la consolidation de ce qui reste des
oeuvres de l'Antiquité et des Pères de l'Église.
Scot
Érigène.
Scot
Erigène (IXe
s.) est un disciple plus enthousiaste qu'intelligent des Alexandrins.
On a de lui un traité de la Prédestination, qu'il composa
contre Gotescalc à la prière d'Hincmar, une
traduction latine de S. Denys l'Aréopagite, et quelques traités philosophiques,
un entre autres De divisione naturae, où il expose un système
voisin du néoplatonisme et du panthéisme.
Jean
de Salisbury.
Jean
de Salisbury est un élève d'Abélard un
esprit orné par les études classiques, qui manque également de profondeur
et d'originalité. Selon lui, Dieu est le principe et la fin de tout ce
qui existe. Toute perfection vient de Dieu. La nature est l'épanouissement
de la divinité; et toute créature doit retourner vers son principe.
Duns
Scot.
Duns
Scot (1274-1308), moine
franciscain, est un adversaire de saint Thomas,
et le chef d'une école qui se distingua surtout par son esprit de subtilité.
On constate, sans attacher à cette remarque plus d'importance qu'il
ne convient, le caractère dynamiste, par conséquent relativement positif
et concret, de sa doctrine. Déjà la philosophie
se séparait de la théologie. Duns Scot prit
entre les deux camps une position intermédiaire. Il admet avec les théologiens
la nécessité d'une révélation et il accorde aux philosophes que l'homme
est capable par l'usage de la raison de s'élever jusqu'à la connaissance
de Dieu. La raison est l'autorité suprême; les textes sacrés n'ont qu'une
autorité dérivée. Il est réaliste, sans aboutir au panthéisme. Il
accorde à Dieu une liberté illimitée. Il exalté aussi la liberté dans
l'individu, auquel il donne le libre arbitre
aux dépens de la grâce.
R.
Bacon.
Roger
Bacon (1214-1294), également de l'ordre
de Saint-François, est, au contraire, un esprit si hardi et original,
en plein XIIIe siècle, pour substituer
l'étude directe de la nature aux arguties de l'école, pour détourner
l'attention de ses contemporains de la métaphysique
sur les mathématiques, la mécanique,
l'astronomie, la physique,
la chimie, la linguistique,
en un mot, sur les sciences positives. On a pu dire qu'il devina
lessciences physiques
deux siècles avant leur naissance. Observateur de la nature
dans un siècle de subtiles controverses, c'était un érudit véritable
non moins que vrai savant, qui joignait à l'étude de la nature celle
des langues. On lui attribue plusieurs inventions,
entre autres la découverte de la poudre à canon. Mais son génie fut
arrêté dans ses recherches par les tracasseries et l'esprit jaloux de
son ordre.
Occam.
Guillaume
d'Occam (mort en 1347) est célèbre dans
la querelle du réalisme et du nominalisme.
Il se signale par son l'attitude indépendante vis-à -vis de l'Eglise,
son sentiment des droits de l'Etat dans l'ordre temporel : Defendas
me gladio, ego te defendam calamo, écrivait-il à Louis de Bavière.
Sa doctrine est contenue dans son Commentaire sur le Livre des sentences.
Il il opte pour le nominalisme, le système
qui, au Moyen âge, représente la forme de pensée la plus innovante.
Il lui donne une couleur nettement empiriste
et senualiste. Pour Occam, iln'existe que
des substances individuelles. L'universel ou l'idée générale n'a pas
d'existence substantielle. Il combat aussi l'explication de la perception
par l'intervention des espèces ou idées-images, qui ne sont que de vaines
entités.
La
philosophie anglaise pendant la Renaissance
Le passage du Moyen âge aux Temps modernes
(XVe et XVIe
siècles), est caractérisé avant tout par la renaissance
des lettres anciennes en général et, au point de vue qui nous occupe,
par la renaissance des anciennes doctrines philosophiques (platonisme
et néo-platonisme, aristotélisme,
scepticisme,
etc.). L'Angleterre ne prend aucune part appréciable à ce mouvement,
l'oeuvre à peu près exclusive de l'Italie
et de la France.
De même la Réforme
est essentiellement l'oeuvre de l'Allemagne, puis de la France; l'Angleterre
qui devait l'épouser si complètement n'y eut d'abord pas d'initiative.
Et quand, non contents de choisir l'autorité à laquelle ils entendent
se soumettre, les esprits secouent de plus en plus le joug de toute autorité,
quand éclate le grand mouvement de libre curiosité qui, se portant sur
toutes choses à la fois, produit la théosophie allemande, le naturalisme
italien, des découvertes décisives dans les sciences, des ouvrages immortels
de philosophie politique et de philosophie du droit, Ã peine l'Angleterre
a-t-elle un nom un peu considérable à mettre en ligne, Thomas More, son
seul penseur original en ce temps-là .
Th.
More.
Thomas More (1480-1535)
a le mérite d'avoir précédé de beaucoup Campanella.
Sous une forme humoristique, dans son écrit De optima reipublicae statu
deque nova insula Utopia,
1533, il émet des pensées d'une réelle valeur philosophique sur l'origine
et la fonction de l'Etat. Au premier abord il peut
sembler qu'un si célèbre utopiste représente
assez mal l'esprit d'un peuple qui ne passe pas pour utopiste; mais qui
pourrait méconnaître, sous le fantastique de la forme, des pensées d'une
hardiesse très positive et toute pratique, l'idée de l'égalité des
droits et celle de la tolérance religieuse? On ne peut dire encore cependant
qu'avec lui soit née la philosophie anglaise.
-
Thomas
More (1478-1535).
L'Utopie de
More, comme, plus tard, l'Oceana
d'Harrington, sont des réminiscences de la République
de Platon dans des esprits anglais; elles ont servi de type ou d'antécédent
aux théories socialistes écloses au XIXe
siècle.
La
philosophie anglaise des temps modernes
Le XVIIe
siècle.
F.
Bacon.
Ce n'est qu'avec Francis
Bacon (1561-1626) que la pensée anglaise prend conscience d'elle-même
et commence à jeter un véritable éclat. Par une idée de génie? non.
Par une découverte capitale? pas davantage. Bacon a lui-même caractérisé
son rôle à merveille en se donnant, non pour l'inventeur, mais pour l'apôtre,
le héraut « buccinator » de la méthode expérimentale. Bien qu'il ait
tenté quelques expériences, la science ne lui doit aucun progrès particulier;
elle lui doit quelque chose de mieux, ce qui fut la condition même de
son progrès ultérieur : la conscience claire des méthodes
par lesquelles elle pénètre les lois de la nature et de la puissance
toujours croissante qu'elle puisera dans la connaissance de ces lois. L'oeuvre
de Bacon, c'est l'annonce d'une révolution et d'une méthode nouvelle,
l'opposé de la méthode d'Aristote qui avait
régné au Moyen âge. Cette méthode substitue l'observation,
l'expérience au raisonnement
et à l'autorité, l'induction au syllogisme
et à la dialectique usités jusque-là dans les écoles.
Bacon est donc un
réformateur. Malgré les attaques dirigées contre lui par J.
De Maistre, Bacon est une haute et vaste intelligence; esprit à la
fois théorique et pratique, homme d'État, jurisconsulte, moraliste et
philosophe, il avait cette hauteur de vues et ce coup d'oeil si spécial
qui, sans posséder les détails des choses, embrasse et domine l'ensemble,
juge le passé, comprend le présent et devine l'avenir. On lui attribue
une part presque égale à celle de Descartes
dans la révolution intellectuelle qui a changé la face des sciences
et de la philosophie au XVIIe
siècle. II a, dit-on, fondé la méthode des sciences physiques et naturelles,
comme Descartes a fondé celle des sciences métaphysiques
et morales. Nous ne pouvons discuter ici cette
opinion
qui a été souvent reproduite à la légère; mais nous tâcherons de
fixer avec impartialité la place et le rôle de Bacon dans la philosophie
moderne.
Si déjà des expériences
et des découvertes importantes avaient été faites, si Copernic,
Galilée,
Kepler
avaient paru, si Campanella avait parlé d'une
direction nouvelle à imprimer aux esprits, il restait à formuler cette
méthode,
à rallier d'une voix puissante les intelligences égarées dans d'autres
routes, à les convier à cette grande oeuvre, à empêcher que l'esprit
moderne encore jeune ne s'éprit des
hypothèses
brillantes qui pullulaient de toutes parts ou ne se confiât trop à la
puissance du raisonnement qui avait perdu
la science des Anciens. Il fallait montrer que le succès de l'entreprise
dépendait de l'observation des phénomènes
du monde physique, que de là devaient sortir les merveilles des arts et
de l'industrie, qu'à cette seule condition l'humain pouvait établir sa
domination sur la nature.
Emerveillé des progrès
soudains de la physique, Bacon ainsi se donne pour tâche de décrire exactement
les procédés par lesquels l'esprit découvre, vérifie et démontre les
rapports des faits, la méthode à suivre pour
établir dans l'ordre expérimental des vérités générales susceptibles
d'applications pratiques. Un programme accompli avec une supériorité
telle, qu'il efface ses prédécesseurs ou ses contemporains. Sous ce rapport,
Bacon a tout vu et tout prévu avec une fermeté de coup d'oeil et une
foi dans la fécondité de la méthode nouvelle qui laissent bien loin
dans l'ombre les faibles et timides essais du même genre. Il a été la
grande voix, la voix éloquente qui a annoncé au monde moderne les conquêtes
de la science et de l'industrie dans leur indissoluble alliance. La philosophie
particulière de Bacon, distincte de sa méthode, mais qui y tient de près,
est conforme à son caractère, qui est l'empirisme.
Complétant pour ainsi dire l'Organon
d'Aristote, il écrit la Logique de l'instruction. Codifier les
règles de l'observation et de l'expérience,
démasquer les préjugés, dénoncer les causes d'erreur qui empêchent
l'homme d'avancer dans la connaissance de
la nature, voilà son but; et cette tâche il
l'a accomplie. A vrai dire, cette logique des sciences expérimentales
devait nécessairement être dépassée : quelque valeur qu'elle eût on
plusieurs de ses parties, comment eût-elle été définitive, quand les
sciences en question ne faisaient encore que bégayer, et quand l'auteur
n'avait pas lui-même la maniement des méthodes qu'il décrivait, spectateur
enthousiaste mais non acteur dans le mouvement scientifique de son temps.
Cet esprit, le moins naïf qui fût, a
des naïvetés singulières. Il n'est pas éloigné de croire encore Ã
la pierre philosophale; il semble ne concevoir aucune limite aux transmutations
possibles des corps, persuadé par exemple qu'en extrayant la couleur jaune,
la dureté, la pesanteur des corps qui offrent ces qualités et en les
unissant ensemble on fera de l'or (L'Alchimie).
II y a loin de là à la circonspection, à la rigueur des méthodes exposées
par un Claude Bernard dans son Introduction
à la médecine expérimentale.
mais ce qui ne peut être dépassé, c'est la foi de Bacon dans la science,
l'éloquence sincère et passionnée avec laquelle il en célèbre la dignité
et la puissance. Le titre même de la première partie de son oeuvre, De
dignitate et augmentis scientiarum, est caractéristique à cet égard,
et celui qu'il donne à l'ensemble, Instauratio magna,
montre qu'il avait compris la portée de la révolution qui venait de substituer
au règne du syllogisme celui de l'observation et de l'expérience. Dans
sa pensée, ces méthodes nouvelles convenaient également aux sciences
morales et politiques. Mais il n'a donné sur ce point que des indications
insuffisantes.
Sa méthode, qui
est l'observation des sens, engendre le sensualisme, en attendant que Locke
vienne la constituer sur sa base métaphysique. Dans ses écrits consacrés
à la morale ou à la philosophie pratique, au
droit civil, etc., Bacon a émis des pensées remarquables, des maximes
pleines de sens et de sagesse; mais il manque à ses conseils et à ses
préceptes d'être vivifiés et soutenus par des principes de haute théorie,
et d'être coordonnés en système. Il faut avouer que ses prescriptions
sont dépourvues d'élévation, et manquent de la véritable grandeur qui
caractérise toute morale désintéressée, fondée sur les idées de devoir,
non de l'utile et du bonheur. De toute façon, la médiocrité de
son caractère n'en eût d'ailleurs jamais fait qu'un médiocre moraliste.
Ses successeurs, au contraire, allaient de plus en plus s'attacher à l'étude
des phénomènes sociaux et de la vie mentale, faire de cette étude, en
quelque sorte, le domaine propre de la philosophie anglaise.
A l'école de Bacon
se rattachent Hobbes, plus tard Locke, puis les penseurs qui, dans diverses
directions de la science ou de la philosophie, appartiennent à l'école
sensualiste.
Hobbes.
Thomas Hobbes
(1588-1679) est surtout connu par la politique exposée dans son De
cive et dans son Leviathan, mais on a
de lui aussi une Philosophia prima, une Physique, une Anthropologie.
Hobbes est un esprit beaucoup moins élevé, mais plus positif que Bacon;
c'est un des penseurs les plus vigoureux de l'Angleterre; sa doctrine philosophique
a un caractère plus net et plus décidé. Cette doctrine, c'est le matérialisme
avec toutes ses conséquences appliquées sans restriction à la morale
et à la politique.
Sa situation est fort curieuse entre récole,
dont il procède encore, et les nouveautés baconiennes. II a de commun
toutefois avec Bacon le sentiment très vif des services à attendre de
la science. Tout ce qu'il donne de soins à la théorie pure est en vue
des applications. Sa politique même, si étrange en quelques points, n'est
que l'expression de ce qu'il regarde comme les nécessités pratiques d'un
état social régulier. Pour le comprendre il ne faut pas oublier que,
si l'Angleterre est devenue la terre classique de la liberté,
elle ne l'était pas encore. Les temps troublés qu'on traversait faisaient
sentir surtout le besoin de l'ordre, et un esprit plus ferme qu'étendu
a pu croire alors que la garantie de l'ordre était dans le pouvoir absolu
poussé à ses dernières limites. On ne comprit que plus tard qu'elle
est, tout au contraire, dans la liberté s'imposant à elle-même sa règle,
mais tempérant pour le moins et limitant le pouvoir traditionnel.
La métaphysique
de Hobbes, c'est l'atomisme de
Démocrite
et de Lucrèce; l'homme, c'est le corps,
et la science de l'homme est la science du corps; l'âme
est le résultat de l'organisation. La connaissance se réduit à la sensation;
celle-ci est produite par les images sensibles, et représentée par des
mots. Toute la science de l'esprit humain se réduit ainsi à la science
des mots, ou à une sorte de calcul; c'est le nominalisme. En morale, le
principe
de nos actions est l'intérêt personnel ou l'égoïsme.
Hobbes a surtout appliqué sa théorie au droit
et à la politique : c'est là la partie originale
de ses écrits et qui l'a rendu célèbre.
Le De Cive
et le Léviathan, traitent de la constitution du corps social. Rien
de plus simple et de plus clair que cette théorie : Hobbes admet un état
antérieur à la société, et qu'il appelle l'état de nature, état où
l'homme, essentiellement égoïste, est l'ennemi naturel de l'homme, homo
homini lupus. Cet état de guerre de tous contre tous ne peut durer.
La paix et l'ordre s'établissent par la création du pouvoir social ou
du gouvernement : c'est la force qui fonde ce pouvoir. Il ne faut chercher
aucun autre principe à sa légitimité que le fait lui-même; nulle idée
de droit ou d'équité. La force et le droit sont synonymes; la force
fonde et renverse le pouvoir; tout gouvernement fort est par la même légitime.
Tel est le fondement de la politique de Hobbes le fait ou la force faisant
équation avec le droit. Hobbes poursuit son principe dans toutes ses conséquences,
sans reculer devant aucune. C'est le mérite de son sytème en général,
oeuvre de logique, parfaitement liée, qui met à nu ses faiblesses, et
condamne le sensualisme qui lui a donné naissance.
Les contemporains (et contradicteurs) de
Hobbes, Herbert de Cherbury, Joseph Glanville, Cudworth,
Samuel Parker, Richard Cumberland, Wollaston, Henry More, Cudworth, Th.
Burnet, les deux Gale, Pordage, Bromley, offrent un spectacle bien
confus; on est forcé d'avouer que, s'il ne manque pas de philosophes en
Angleterre - à la vérité, ce sont plutôt des théologiens, des jurisconsultes
ou des érudits que des penseurs originaux, il n'existe pas encore vraiment
une philosophie anglaise.
Cumberland.
Richard Cumberland
(1632-1718) est un pasteur anglican, versé à la fois dans la théologie
et dans les lettres anciennes. Aux principes et aux conséquences du système
de Hobbes il oppose ceux du droit naturel et les antiques maximes de la
jurisprudence romaine puisées aux sources du stoïcisme
ou de la philosophie platonicienne. Il inaugure ainsi la morale du sentiment,
qui se développera pendant le XVIIIe siècle,
notamment dans l'école écossaise. Il chercha le fondement des lois morales
dans la nature humaine, et trouva dans la bienveillance la raison et la
forme de tous nos devoirs publics et privés. Son principal ouvrage est
un traité sur les Lois de la nature.
Wollaston.
William Wollaston
(1659-1724) est un pasteur presbytérien et un théologien philosophe.
Dans son Esquisse d'une religion naturelle, il essaye de rétablir
la morale sur la base immuable de la raison et du devoir contre Épicure
et Hobbes. Toute l'originalité de sa doctrine consiste à vouloir ramener
l'idée du bien à celle du vrai, ce qui ne peut
être admis qu'en partie et avec réserve, sans quoi, en effaçant la distinction,
on compromet l'obligation morale.
Cherbury.
Herbert
de Cherbury (1581-1648) est en politique du côté de l'opposition
parlementaire; il en appelle, en religion, Ã passer du fanatisme
au sens commun et prélude en quelque sorte
dans ses traités De veritate prout distinguitur a revelatione,
1624, De religione gentilium, De religione laïci, à ce
que Locke appellera le «-christianisme raisonnable
».
Glanville.
Joseph Glanville
(1636-1680), chapelain de Charles Il,
dans un écrit en anglais dont le titre même dit la portée, professe
une sorte de scepticisme, qu'on peut regarder à la fois comme un acheminement
à celui de Hume et comme une suite de l'empirisme de Bacon : Scepsis
scientifaca or confest ignorance, the way to science, an Essay of the Vanity
of dogmatizing and confident opinion; Londres, 1655.
Beaucoup plus réservé,
moins absolu dans sa doctrine que Hume, Glanville ne veut que rabaisser
la raison, non la détruire, la rendre défiante et modeste. Il démontre
sa faiblesse par rapport aux objets principaux qu'elle veut connaître;
il soumet a une critique ingénieuse et intelligente les principaux systèmes
dont il relève les contradictions. Théologien, il emprunte à la révélation
un argument tiré du péché originel, qui a dû,
selon lui, obscurcir et affaiblir la raison.
Philosophe, et c'est
ici que se dévoile l'origine véritable de ce scepticisme, il attaque,
avant Hume, l'idée de cause comme base de nos connaissances, soutenant
que nous ne connaissons en réalité aucune cause d'une manière immédiate,
ni l'enchaînement des causes et des effets dans la nature; ce qui rend
toutes nos connaissances incertaines. Mais, n'osant aller jusqu'au bout,
il s'arrête ou recule, il tombe même dans la plus extrême crédulité
comme beaucoup de sceptiques.
C'est un bel esprit,
un sceptique érudit, religieux, surtout inconséquent; en lui se révèle
l'affinité du scepticisme avec le sensualisme, qui lui fournit ses arguments
sérieux. Ailleurs il ne fait que répéter ce qu'avaient dit ses maîtres,
Montaigne
et Charron.
Cudworth.
Ralph Cudworth
(1617-1688), un des esprits les plus éminents du
XVIIe siècle, est encore plutôt un érudit
formé par l'étude et à la comparaison des doctrines de l'Antiquité
que par la réflexion et la méditation personnelle. Platonicien,
il se montre grand partisan en physique de ces mêmes causes
finales que Bacon avait bannies du domaine de la science, où elles
sont, disait-il, stériles, « comme les vierges consacrées au
Seigneur ». La nature plastique, par laquelle Cudworth explique la formation
et la vie des organismes, tient à la fois de l'idée platonicienne, de
l'entéléchie d'Aristote et du logos spermatikos
des Stoïciens. Dans son grand ouvrage intititulé : The true intellectual
system of the universe, wherein all the reason and the philosophy of Atheism
is confuted, Londres, 1678, il prétend concilier les deux points de
vue sans cesse opposés de la philosophie, l'empirisme et l'idéalisme,
la matière et l'esprit, le monde de l'esprit et celui du corps. II établit
la communication au moyen d'une nature intermédiaire, qu'il appelle nature
plustique, force instinctive et vivante, mais inférieure à l'âme, et
qui sert de lien entre l'âme et le corps. Cet un essai, qui trouve une
sorte d'écho dans les Tentamina physico-theologica de Samuel Parker,
devance aussi le système des monades de
Leibniz.
H.
More.
Un esprit plus profond
et plus élevé, véritable métaphysicien, dont les conceptions frappent
d'abord par une certaine originalité, est Henry
More (1614-1687); mais on reconnaît bientôt en lui un disciple de
la philosophie antique, un platonicien formé par la controverse religieuse
et le contact du néoplatonisme du la Renaissance. Dans son Système
intellectuel de l'univers, il développe des idées qui ont de l'analogie
avec celles de Cudworth, autre penseur formé à la même école. Mais
H. More est si peu un vrai mystique, qu'il
a écrit un livre (Conjectura cabbalistica ) où il décrit les
causes, les formes et les remèdes de l'enthousiasme comme une véritable
maladie de l'esprit, les visions, l'extase et même l'amour divin comme
des effets d'une imagination en délire.
Gale
& Gale.
Théophile Gale
(1628-1677), auteur d'une Philosophia universalis, et son homonyme
Thomas sont des théologiens autant que des philosophes. Le premier est
auteur d'un ouvrage singulier intitulé : la Cour des païens (the
Court of the Gentiles), où il veut prouver que les sages du paganisme
ont emprunté des Ecritures saintes
non seulement leur théologie, mais même
leur philosophie.
Pordage.
John Pordage
(1625-1698) est un véritable théosophe.
Il tenta de rédiger en système les idées de Boehme, et composa dans
ce but la Métaphysique divine et la Théologie mystique,
1698. Il prétendit avoir des révélations et eut des disciples - tels
Thomas Bromley, mort en 1691 -, qui se dirent inspirés.
Glisson.
Mais l'homme qui donne peut-être l'idée
la plus nette de l'atude la philosophie en Angleterre au XVIIe
siècle, entre Hobbes et Locke, c'est Francis Glisson
(1596-1677), auteur d'un Tractatus de Natura substanciae energetica,
seu vita naturae, etc., Londres, 1672. Médecin, anatomiste de grande
valeur (on lui doit la découverte de la capsule de Glisson), c'est, en
philosophie, un disciple de Suarez; sous la forme
la plus horriblement scolastique, au milieu d'arguties sans nombre, il
expose une métaphysique étrange, mélange d'idéalisme
et de naturalisme, qui d'un côté rappelle
les Italiens du XVIe siècle et de l'autre
fait pressentir Leibniz. Rien de moins anglais
que ce traité, ou du moins il est clair à qui le lit que la philosophie
est encore alors en Angleterre dans une phase bizarrement indécise entre
l'autorité et la liberté, la tradition et l'expérience.
Locke.
John
Locke (1632-1704) est un disciple de Descartes,
mais un disciple qui n'a guère pris de lui que la distinction radicale
de l'objet étendu et du sujet pensant, au demeurant, le plus indépendant
des disciples. L'idéalisme des Méditations forme, il est vrai,
un singulier contraste avec le « sensualisme » de l'Essai sur l'entendement.
Toutefois, qu'est-ce que cette méthode qui consiste à tout expliquer
de l'âme par la sensation, si ce n'est celle-là même qui, dans les Principes
de la philosophie, s'efforçait de tout expliquer du monde par l'étendue
et le mouvement? Locke est cartésien, mais bien plus selon la méthode
que selon la doctrine. Et encore! On pourrait aussi bien dire que c'est
de Bacon pluôt que de Descartes que Locke procède pour la méthode.
Quoi qu'il en soit,
il applique à l'étude de l'esprit l'observation
et l'expérience, et professe un franc empirisme.
Niant l'existence des idées innées, des principes
a
priori, il ne voit dans l'esprit, Ã l'origine, qu'une table rase sur
laquelle rien n'est écrit que par la sensation
ou la réflexion, l'expérience extérieure ou l'expérience interne. Sans
être un métaphysicien de haut vol, Locke est sans contredit un des principaux
philosophes des temps modernes, le père de l'idéologie
et de la psychologie analytique. Sur la question de l'origine des idées,
sur celle des rapports des idées avec les mots, il fut le grand initiateur.
Le premier peut-être, il s'efforça de distinguer rigoureusement les vérités
certaines et démontrables des choses qui peuvent être objet de foi et
de celles qu'on ne saurait croire sans absurdité. L'existence
de Dieu lui paraît certaine, nécessaire; la spiritualité de l'âme et
la vie future seulement vraisemblables. En morale son principe est la recherche
du bonheur; et sa politique est tout inspirée
de ce principe à la fois élevé et utilitaire. II fut un des promoteurs,
un des acteurs et le grand théoricien de la révolution de 1688. Son Essai
sur le gouvernement, 1689, en est l'apologie et l'éclatante justification
: là est contenue toute la philosophie de ce gouvernement représentatif
qui a fait la grandeur de l'Angleterre, et par lequel elle a initié l'Europe
à la liberté.
Locke est encore
de son temps, à la vérité, autoritaire jusque dans sa théorie des libertés
publiques. On ne le voit pas sans surprise, dans un petit Projet de
constitution pour la Caroline, déclarer que la croyance en Dieu est
politiquement exigible, et que sans elle on devrait être mis hors la loi,
parce que rien ne répond plus que l'on sera un bon citoyen. Qu'on ne lui
demande pas, après cela, de préconiser dans ses Essais sur la tolérance,
qui lui font d'ailleurs tant d'honneur, un libéralisme
sans réserve. Il ne demande la tolérance que pour ceux de qui on peut
l'attendre; il est d'avis par exemple qu'on doit la refuser absolument
aux « papistes », qui n'en admettent pas le principe et la demandent
pour eux sans l'accorder aux autres.
Si l'on songe avec
cela que Locke était médecin, économiste, toujours soucieux de l'intérêt
public, et que dans ses Pensées sur l'éducation, écrites pour
un gentilhomme, il a jeté à pleines mains des idées universellement
applicables, dont beaucoup ont fait fortune dans son pays, on avouera qu'en
lui l'esprit anglais a trouvé son incarnation la plus parfaite et par
lui son expression excellente. A la modération près, et à la finesse,
que ses compatriotes n'ont pas toujours au même litre, à la puissance
près, qu'ils ont souvent plus remarquable et qui lui manqua avec la santé,
on peut dire qu'il réfléta dans ses ouvrages toutes les meilleures tendances
de la philosophie anglaise.
Newton.
Isaac
Newton (1643-1727), comme philosophe,
n'a pas une originalité de premier ordre. On exagère, en général, le
caractère théologique de la philosophie de Newton, il a fort bien séparé
la physique de la métaphysique. S'il donne des preuves médiocres de l'existence
de Dieu, il recommande expressément de rechercher toujours l'explication
mathématique et mécanique des phénomènes, de les réduire à des mouvements
dont on cherchera les causes naturelles, causes qui, une fois trouvées,
rendront compte de bien d'autres phénomènes. Point de « formes substantielles
», ni de qualités occultes; il ne veut pas même d'hypothèses.
La méthode qu'il préconise est d'un esprit supérieur, qui a compris
également Bacon et Descartes, contemporain et ami de Locke. II faut aussi
rattacher plus ou moins directement à Locke, sans parler du mouvement
philosophique français (qu'il inspira en grande partie, rendant à la
philosophie française par Voltaire, Condillac
et Rousseau, autant au moins qu'il avait reçu
d'elle par Descartes), toute la philosophie anglaise du XVIIIe
siècle.
Clarke.
Samuel
Clarke (1675-1729), théologien anglican,
fut amené à la philosophie par la théologie. Il combattit les conclusions
matérialistes de l'école de Locke, attaqua l'athéisme
de Hobbes et le panthéisme de Spinoza. Il est
surtout connu par sa théorie de l'espace et du temps, dont il fait des
attributs de Dieu. Le temps et l'espace ne sont pas des substances;
ce sont des propriétés qui ne sauraient exister sans un sujet.
Il existe donc un être réel, sans limites comme l'espace, infini en durée
comme le temps, dont l'espace et le temps
ne sont que les attributs. Dieu est le substratum
de l'espace. et du temps.
Le XVIIIe
siècle.
Directement, on
rattacherait à Locke : Cumberland, Butler, Shaftesbury, Hutcheson,
Howe, Ferguson, Adam Smith, Paley, comme moralistes soucieux surtout de
la pratique, et Peter Brown, Toland, Collins, Tindal, Hartley, Priestley,
Price, comme psychologues et théoriciens rationalistes; moins directement,
Berkeley et Hume d'une part, de l'autre l'Ecole écossaise, relèvent de
lui sans aucun doute.
Shaftesbury.
Anthony Cooper, 3e
comte de Shaftesbury (1671-1743) a réuni
lui-même ses oeuvres, sous ce titre Characteristics of men, manners,
opinions and times (1711). Toland publia en
1721 ses Lettres à lord Molesworth. Shaftesbury développe dans
ses écrits une philosophie du sens commun; il professe l'optimisme,
place le fondement de la morale dans une intuition du bien et du mal, oppose
le déisme à l'athéisme.
Berkeley.
Berkeley,
1685-1753 (Theory of vision, 1709, Treatise on the principles
of human Knowledge, 1710, etc.), professe que les esprits seuls existent,
avec leurs idées et leurs volitions : il inaugure
ainsi un idéalisme ou phénoménisme fort différent de tout ce que Locke
avait pu concevoir, tel cependant qu'il n'était possible qu'après Locke
: idéalisme bien anglais, tout psychologique et tout positif, fort distinct,
comme tel, de celui d'un Malebranche. Locke
déjà (après d'autres, notamment après saint
Augustin) avait regardé la réalité d'un monde physique existant
en soi comme n'étant ni certaine a priori, ni susceptible de preuves rigoureuses.
Berkeley la nie absolument. Au contraire, l'existence de notre pensée
nous est immédiatement évidente. Ce qui ne pense pas n'existe que dans
la perception d'un sujet pensant, n'a d'autre esse que le percipi.
Seulement nos représentations s'offrent
dans un ordre établi par Dieu, qui nous les donne;
cet ordre est ce que nous appelons les lois de la nature.
Collier.
Arthur
Collier, 1680-1732 (Clavis universalis or a new inquiry after truth,
being a demonstration of the non-existence or impossibility of an external
World, 1713), arrive de son côté à la même conclusion, mais par
une autre voie et sous l'influence de Malebranche. John Norris (Theory
of the ideal or intelligible world, 1701) avait déjà combattu ce
qu'il trouvait trop terre à terre dans Locke, et indiqué un développement
possible de sa doctrine dans le sens de l'immatérialisme.
Hume.
Avec David
Hume (1711-1776) (Treatise on human nature, 1739; Enquiry
concerning human understanding, 1748), l'idéalisme anglais, ramené
d'abord à l'empirisme de Locke, aboutit à un scepticisme analogue en
partie à celui qui règne alors en France,
mais beaucoup plus profond. Considérant comme fondamentale la notion de
cause, Hume se demande quelle en est l'origine. Pour lui, cette origine
est uniquement dans l'habitude ou association
des idées, qui nous fait, en présence d'un certain événement, en attendre
un certain autre que nous avons souvent trouvé lié au premier. L'idée
de causalité n'est donc légitimement applicable qu'autant que nous concluons
des faits donnés à d'autres faits selon les analogies
de l'expérience antérieure. Nous ne pouvons rien savoir de l'enchaînement
objectif des causes et des effets en-dehors de nous; et nous pouvons encore
moins, à l'aide du principe de causalité, nous élever au-dessus du champ
total de l'expérience, prouver l'existence de Dieu et l'immortalité de
l'âme. Berkeley avait établi que rien ne prouve qu'il y ait des corps:
rien ne prouve non plus, dit Hume, qu'il y ait des esprits.
Burke.
Edmond Burke (1730-1797),
l'orateur anglais ennemi de la Révolution
française, est l'auteur de recherches sur le beau et le sublime, dont
les observations de détail très justes et pleines de sagacité, se placent
au point de vue de la philosophie sensualiste, parfaitement conforme Ã
l'esprit général de la philosophie anglaise. Il a été effacé ou dépassé
par les théories autrement profondes de Kant et
de l'école allemande, et par les
remarques judicieuses de l'école écossaise.
L'école
écossaise.
Les conséquences
métaphysiques et pratiques de la théorie de Hume provoquèrent une vive
réaction de la part de l'Ecole écossaise,
ayant à sa tête Thomas Reid. Les philosophes de
cette école font surtout appel au sens commun, ce qui paraît une attitude
modeste vis-à -vis de la subtilité et de la puissance dialectique de Hume,
mais leur sincère amour de la vérité les guida dans les analyses d'une
grande finesse et d'une valeur durable; la psychologie de l'observation
et la morale fondée sur l'expérience leur doivent des recherches importantes.
Citons surtout après
Thomas Reid, 1710-1796 (Inquiry into the human mind, 1763; on the
active powers of man, 1788); James Beattie, 1735-1803
(Essay on the nature and immutability of truth in opposition to sophistry
and scepticism, 1770); James Oswald (Appeal
to common sense in behalf of religion, 1766-1772); Dugald
Stewart 1753-1828 (Elements of the philosophy of human mind,
1792-1827; Outlines of the moral philosophy, 1793); Thomas
Brown, 1778-1820 (Lectures on the philosophy of human mind,
1820); James Mackintosh, 1764-1832 (Dissertation
on the progress of ethical philosophy, chiefly during the 17 and 18 centuries,
1830).
La philosophie
anglaise au XIXe siècle.
Au XIXe
siècle, la philosophie est en Angleterre plus vivante que jamais si l'on
considère le nombre et la diversité des écrits, aussi florissante que
jamais à ne regarder que la puissance des esprits et la qualité des ouvrages.
Il est vrai aussi que l'Angleterre, n'a jamais eu plus de rayonnement au
dehors. La philosophie anglaise a-t-elle changé de caractère? Non. Elle
est restée au XIXe siècle ce qu'elle
a toujours été : positive et pratique, amie de l'expérience et des faits,
dominée par le sentiment du relatif. Seulement, l'influence de la critique
allemande, celle d'Auguste Comte, puis l'immense
développement des sciences, des arts utiles, des communications, ont assoupli,
élargi, stimulé diversement les esprits, de sorte que, si l'on a peut-être
pensé avec plus de subtilité à telle autre époque en Angleterre, on
n'a jamais pensé plus, ni avec plus de vigueur et d'ampleur.
Bentham.
Jeremy
Bentham (1748-1832) n'est pas un métaphysicien,
mais un moraliste et un publiciste. Il a fait école, surtout parmi les
jurisconsultes, et exercé une grande influence. Dans ce cercle, Bentham
est un représentant de la philosophie anglaise, dont il continue l'esprit
et la tradition dans toute sa pureté. Son système est celui de l'intérêt
en morale et de l'utilité en législation et en politique. On ne pouvait,
depuis Hobbes, formuler plus nettement le principe. Mais Bentham prétend
en tirer d'autres conséquences; il est libéral et grand partisan de la
tolérance et des réformes sociales qu'appelle l'esprit moderne. Un grand
nombre de ses vues et des réformes qu'il indique ont une incontestable
valeur, et ont passé dans la législation anglaise.
Sa doctrine c'est
le sensualisme en morale et en politique
avec toutes ses conséquences; c'est l'intérêt substitué à l'équité
ou à la justice, bases de systèmes différents que Bentham qualifie dédaigneusement
d'ascétiques. Le calcul de l'intérêt, voilà la vraie morale, la règle
unique des actions humaines; en fait et en droit, aucune action n'est désintéressée.
Cet intérêt se calcule comme tout intérêt; le grand point est de bien
calculer. La morale, à ce titre, est une science. Bentham établit une
sorte d'arithmétique du bonheur, pour laquelle il crée même des mots,
comme le maximum du bonheur, la maximisation des jouissances. Dans la science
sociale, son principe unique est l'utile; il a fondé ce qu'on a appelé
l'utilitarisme. Sur ce principe repose tout
son système de législation civile et pénale et toute sa politique.
Bentham est le chef
de toute une école, l'école utilitaire (ou utilitariste), opposée Ã
celle du droit naturel fondé sur l'équité ou la justice. Ses écrits
ont eu beaucoup de retentissement et exercé une grande influence; il a
eu sa part dans les réformes du siècle. Il fut l'âme du groupe d'écrivains
et de polémistes qui préparèrent la réforme politique, fondèrent la
Westminster
Review et l'université de Londres. A
lui se rattachent les économistes, Malthus,
Ricardo.
etc., et, par un côté, les deux Mill.
J.
Mill.
En philosophie pure, l'Analysis of
human mind de James Mill, 1829, tout en continuant
la série des travaux de l'Ecole écossaise, inaugura la psychologie dite
associationniste,
exclusivement fondée sur le phénomène de l'association des idées, dont
Locke déjà , Hartley et Hume surtout avaient
senti l'importance. Cet ouvrage fut suivi presque aussitôt de ceux d'Abercromby,
de John Young, de Douglas, qui n'en eurent pas d'ailleurs le hardi parti
pris et n'exercèrent pas une influence comparable.
Hamilton.
Pendant que la psychologie anglaise cherchait
encore sa voie, William Hamilton (1788-1856)
renoua la tradition de Berkeley et de Hume et en même temps familiarisa
l'Angleterre avec le point de vue kantien. Ses Discussions on philosophy
etc., on Truth and error, ses Lectures on the Logic, contiennent
une philosophie générale souvent profonde, que ses disciples Mansel,
Weitch, Mac Cosh, ont développée et qui a gardé le nom de « philosophie
du conditionnel ».
L'influence de ce « relativisme » systématique
s'est fait sentir indirectement sur toute la spéculation ultérieure,
mais surtout sur ses contemporains qui ont recueilli l'héritage de l'idéalisme
anglais du XVIIIe siècle et de la philosophie
rationnelle : Collyns Simon, Ferrier, Fraser, l'éditeur de Berkeley.
John
Stuart Mill et l'école expérimentale anglaise.
Mais à côté de ce courant métaphysique
et critique se forma, surtout par l'initiative de John
Stuart Mill (le fils de James Mill), ce qu'on peut, semble-t-il, regarder
comme le courant principal de la philosophie anglaise au XIXe
siècle. C'est ce qu'on a appelé, d'une expression impropre, le positivisme
anglais. Sans nier qu'il pût devoir quelque chose à Auguste Comte, Stuart
Mill, s'est défendu à bon droit d'être son disciple. D'abord, en fait,
les positivistes anglais, dont le nombre a été considérable du jour
où Harriet Martineau (1802-1876) eut traduit en anglais le Cours de
philosophie positive, forment un groupe entièrement distinct de l'école
de Mill : leur représentant le plus connu est Congreve;
ils semblent se rattacher à la seconde philosophie de Comte beaucoup plus
qu'à la première.
Mais il y a d'ailleurs des différences
radicales entre le positivisme français
et l'Ecole expérimentale anglaise. La principale est que les positivistes
français refusent de reconnaître dans la psychologie une science à part,
ayant son objet propre et ses modes d'investigation, et ne veulent voir
en elle qu'une branche de la biologie, la physiologie cérébrale, tandis
que Mill et ses disciples, initiés dès l'abord, formés notamment par
Mill le père aux études que désignent si bien les noms si anglais de
« philosophy of mind », « Analysis of mind », sont essentiellement
une école de logiciens et de psychologues.
Loin de regarder comme contraire à l'esprit
scientifique la tentative de constituer sur ses bases propres la science
de l'esprit, ils ont compris d'emblée, grâce à leur éducation critique
et philosophique, que les phénomènes de l'esprit, les faits de conscience,
quels qu'en puissent être d'ailleurs les rapports avec le reste de la
nature, sont en un sens un monde à part, la première réalité qui nous
soit donnée, l'objet le plus certain de l'observation et de l'expérience.
William Whewell,
l'auteur d'une excellente Histoire des sciences
inductives (1837) qui eut tant d'influence sur Stuart Mill,
est un kantien; l'archevêque Whately (1787-1863), avec lequel il eut Ã
compter, est un logicien classique fortement nourri d'Aristote. Mill lui-même
avait reçu de son père une forte culture philosophique, avait été rompu
dès l'enfance à la dialectique la plus serrée. Cette éducation, ce
milieu, joints à la nature de son esprit et aux traditions culturelles
anglaises, rendent compte de sa doctrine bien mieux que l'influence de
Comte, problématique, ou du moins très bornée. Il est déjà tout entier
dans son System of Logic (1843), où il faut surtout remarquer les
chapitres consacrés à la logique des sciences morales. Cependant son
Examen
de la philosophie de sir William Hamilton contient peut-être les pages
les plus fortes qu'il ait écrites.
Sur l'économie politique, sur les questions
de droit public et de morale sociale, sur la religion, sur tout ce qui
passionne son pays en général et notre temps en particulier, Surart Mill
a pensé avec une vigueur et une personnalité, écrit avec une sincérité
d'accent qui en font sans contredit un des plus grands esprits, comme un
des caractères les plus respectés de son siècle.
Samuel Bailey, Alexandre
Bain, les philosophes qui ont fondé en 1876 et qui alimentèrent de
leurs travaux la revue The Mind, se rattachent plus ou moins Ã
Stuart Mill. Bain parmi eux mérite une attention particulière pour la
variété et l'ampleur de ses écrits, qui portent sur la pédagogie et
l'histoire aussi bien que sur la logique et la psychologie. Il a porté
au plus haut point la conscience minutieuse dons la description et l'analyse
des faits psychiques (The Senses and the intellect, 1855; The
Emotions and the will, 1859).
Herbert
Spencer.
Il faut enfin donner une place à part
à Herbert Spencer (1820-1903), un des esprits
les plus compréhensifs qui furent jamais, auteur de la plus vaste synthèse
philosophique du XIXe siècle : métaphysicien,
physiologiste, psychologue, moraliste, non moins remarquable par sa puissance
d'organisation systématique que par l'immensité et la variété de ses
informations.
Dans ses Premiers principes, il
procède à la fois de Kant et de William
Hamilton; son effort sincère pour séparer exactement le domaine du
connaissable de celui de l'inconnaissable ne l'empêche pas, toutefois,
d'user largement de l'hypothèse et d'étendre le champ du connaissable
singulièrement au delà du connu. On s'en aperçoit dans ses Principes
de biologie. Ses Principes de psychologie portent l'associationnisme
au plus haut degré de rigueur et de hardiesse qu'il ait atteint. Tous
ses autres ouvrages ne sont que l'application desdits principes à la politique,
à la morale, à l'éducation.
Une des parties les plus neuves de son
oeuvre est sa tentative pour constituer la sociologie à l'état de science.
L'idée maîtresse de la doctrine entière est l'idée de l'évolution,
non pas empruntée à Darwin (car Spencer
y est arrivé de son côté et l'a conçue d'une manière qui lui est propre),
mais commune à lui, qui a cru pouvoir en tirer toute une rénovation philosophique,
et à Darwin, qui en a régénéré entièrement les sciences naturelles.
Ce n'est que justice de ne pas terminer sans faire une place au nom de
cet incomparable naturaliste dans une revue générale de l'histoire de
la philosophie anglaise.
Tels savants, ses disciples, à la tête
desquels est Huxley (auteur d'un excellent travail
sur Descartes, et d'une étude profonde sur Hume), auraient droit aussi
à une mention à la fin de cette rapide esquisse, pour avoir réalisé
avec éclat le rêve du XIXe siècle, qui
fut dès l'origine celui de l'esprit anglais, l'union de la science la
plus authentique et la plus pratique, avec la philosophie la plus libre
et la plus large. (Henri Marion / B-D.).
La philosophie
anglaise depuis 1900
Philosophie analytique
et philosophie du langage.
La philosophie
analytique est le courant dominant de la philosophie anglaise depuis
le début du XXe siècle. G.E. Moore (1873-1958),qui
a contribué à l'éthique et à l'épistémologie, a plaidé pour une
clarté et une précision linguistique dans les débats philosophiques.
Son ouvrage Principia Ethica a eu une influence durable sur la philosophie
morale. Bertrand Russell (1872-1970),
figure centrale de la philosophie analytique, a travaillé sur la logique,
la philosophie des mathématiques et la philosophie du langage. Son ouvrage,
co-écrit avec Alfred North Whitehead, Principia Mathematica, est
un texte fondamental. Michael Dummett (1925-2011) a eu lui aussi une influence
durable sur la philosophie du langage et la logique, particulièrement
par son interprétation de Gottlob
Frege et ses travaux sur l'antiréalisme.
La philosophie du
langage en Angleterre est surtour redevable à J.L. Austin et à G. Ryle.
J.L. Austin (1911-1960) est l'auteur d'une théorie des actes de langage
. Il s'est intéressé à la manière dont les phrases peuvent être utilisées
pour accomplir des actions plutôt que simplement pour décrire des états
de choses. Gilbert Ryle (1900-1976), connu pour son ouvrage The Concept
of Mind, Ryle a critiqué le dualisme cartésien et introduit des concepts
clés dans la philosophie de l'esprit.
Plus récemment,
Timothy Williamson (né en 1955) a réfléchi sur des sujets tels que l'épistémologie,
la logique philosophique, et la métaphysique. Son ouvrage Knowledge
and its Limits est particulièrement notable. Simon Blackburn (né
en 1944) a, lui, engagé une réflexion en méta-éthique et en philosophie
du langage. il a défendu une forme de quasi-réalisme dans des livres
comme Think et Truth: A Guide.
Philosophie des
sciences.
La philosophie des
sciences a bénéficié en Angleterre de l'influence de Karl
Popper et d'Imre Lakatos. Karl Popper (1902-1994), philosophe des sciences
d'origine autrichienne, mais qui a passé qui a passé une grande partie
de sa carrière en Angleterre et est connu pour sa théorie de la falsifiabilité
comme critère de démarcation entre science et non-science. Imre Lakatos
(1922-1974), d'origine hongroise mais installé en Angleterre, a, pour
sa part développé la méthodologie des programmes de recherche
scientifiques, qui est une extension et une critique des idées de Popper.
De nos jours, Nancy
Cartwright (née en 1944) a travaillé sur la nature des lois scientifiques
et les modèles de causalité. Parmi ses libres, on remarque : How the
Laws of Physics Lie et Nature's Capacities and Their Measurement.
De son côté, Timothy Gowers (né en 1963), mathématicien et philosophe,
a contribué à la philosophie des mathématiques et à la logique, en
proposant une analyse de la nature des objets mathématiques et des fondements
de la vérité mathématique.
Philosophie politique
et morale.
La philosophie politique
anglaise a été fortement marquée par la pensée du philosophe américain
John
Rawls. Isaiah Berlin (1909-1997)a écrit sur la liberté et le pluralisme,
et a contribué de manière significative à la philosophie politique et
sociale. On peut aussi citer le nom de John Gray (né en 1948), connu pour
ses critiques du libéralisme et du progrès. Il a écrit des oeuvres influentes
comme Straw Dogs et Black Mass, consacrées à étudier les
limites de la pensée utopique et les défis de la modernité. Philip Pettit
(né en 1945) est un autre philosophe politique contemporain important.
Il s'est signalé par son travail sur le républicanisme et la théorie
de la liberté comme non-domination. Parmi ses livres, on retiendra Republicanism:
A Theory of Freedom and Government.
Derek Parfit (1942-2017)
a laissé une empreinte durable sur l'éthique et la méta-éthique. Il
a abordé des thèmes de liés à l'identité personnelle et à la
rationalité. Son ouvrage Reasons and Persons est considéré comme
l'un des plus importants travaux en philosophie morale du XXe
siècle. Jonathan Dancy (né en 1946) est un défenseur du particularisme
moral. Il a contribué de manière significative à la théorie éthique
contemporaine avec des ouvrages comme Ethics Without Principles.
Quassim Cassam (né en 1961) travaille sur la perception, la connaissance
de soi et la philosophie politique. Son livre Self-Knowledge for Humans
explore les défis de la connaissance de soi dans le contexte humain.
R.M. Hare (1919-2002)
a travaillé en éthique et en philosophie morale, et a développé une
théorie de la moralité basée sur la logique des prescription. Galen
Strawson (né en 1952) est un philosophe de l'esprit et un métaphysicien.
Il a réfléchi sur des questions de conscience, de libre
arbitre et d'identité personnelle. Parmi ses oeuvres : Selves:
An Essay in Revisionary Metaphysics.
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