| Identité (du latin idem, le même). - Le mot identité exprime la qualité d'être le même, ce qui peut s'entendre et s'entend en effet dans deux sens différents. Une chose est la même quand elle persiste dans son existence. On dit alors qu'elle a conservé son identité, qu'elle est demeurée identique. Les corps de la nature inorganique ne sont identiques qu'autant qu'ils n'éprouvent aucune espèce de changement; chez eux, l'identité est incompatible avec toute mutation, toute modification, soit dans sa composition, soit dans sa forme. Mais il en est autrement pour les êtres vivants : leur identité se concilie avec les changements matériels les plus apparents et, on peut presque dire, avec une transformation complète. En effet, les altérations que subissait ces êtres portent non seulement sur la forme, mais encore sur leur substance elle-même. Ainsi, par exemple, au bout d'un petit nombre d'années, le corps de l'humain, outre les modifications extérieures que présente habituellement sa forme, ne contient plus un atome des matières qui le composaient. Tous les éléments organiques qui le constituaient ont été éliminés et remplacés par des éléments de même nature. Ce flux est incessant, et dure autant que la vie, car s'il s'arrête ou même se ralentit, celle-ci ne tarde pas à s'éteindre. Ce qui fait que l'être vivant est identique, ce qui constitue son identité, c'est le principe de vie pour les êtres inférieurs; pour l'humain, c'est sa mémoire, qui lui confère la conscience de son existence continue. On dit encore que deux choses sont identiques, ou les mêmes, lorsqu'il n'existe aucune différence entre elles : ici donc identité désigne un rapport et signifie non différence. En logique, on dit qu'il y a identité entre deux propositions lorsqu'elles expriment absolument la même idée, bien qu'avec des termes différents, ou lorsque les deux termes d'une même proposition ont absolument la même valeur. Il y a alors identité totale; mais cette identité totale ne peut avoir lieu que dans certaines propositions de l'ordre purement rationnel, comme celle-ci: "les trois angles d'un triangle égalent deux angles droits". Le plus souvent l'identité n'est que partielle, comme dans ces propositions "L'humain est un animal", et "Tout rectangle est un parallélogramme". Toute la théorie de la proposition, aussi bien que le procédé syllogistique qui en dérive, repose donc sur le principe de l'identité, qui se nomme aussi principe de contradiction selon qu'il s'applique à démontrer l'identité là où elle est, ou bien à la nier là où elle n'est pas, c.-à-d. selon qu'il s'agit d'affirmer ou de nier. Ainsi, le principe d'identité signifie qu'on peut affirmer de chaque sujet ce qui lui est identique, et le principe de contradiction qui en découle signifie qu'en en doit nier tout ce qui lui est contradictoire. Ce principe n'est point nouveau : c'est celui qu'Aristote appelle le premier et le plus évident des principes, celui sur lequel il fonde toute la logique, car en effet tout raisonnement et toute pensée reposent sur lui. Aristote l'a formulé de diverses manières : "Une chose ne peut pas à la fois être et n'être pas en un même sujet et sous le même rapport"; ou "Le même sujet n'admet pas en même temps deux attributs contraires"; ou bien encore: "L'affirmation et la négation ne peuvent être vraies en même temps du même sujet. " Les principes d'identité et de contradiction, condition essentielle de toute vérité, paraissent à tout esprit sensé aussi inattaquables que la réalité objective et la réalité subjective. Mais on a bien douté de celles-ci, il n'est donc pas étonnant qu'on ait contesté ceux-là. Ces principes ont eu pour principaux adversaires, Héraclite, Protagoras et d'autres sophistes dans l'Antiquité, et Hegel dans les temps modernes. Hegel a reproduit contre eux les arguments des sophistes grecs en proclamant hautement l'identité des différences, des contraires, et des contradictoires. Ainsi, par exemple, l'Être et le Néant, sont assurément les deux termes les plus contradictoires que puisse atteindre la pensée. Or Hegel affirme, après Héraclite, leur identité absolue-: "L'Être et le Néant sont même chose. " De même il affirme l'identité du fini et de l'infini, de l'identique et du non identique, de la liberté et de la nécessité, du bien et du mal, de la lumière et les ténèbres. Un exemple suffira pour donner une idée du procédé de démonstrations employé par le philosophe allemand afin d'établir l'identité des contradictoires. " En premier lieu, quelque chose et autre chose existent l'un et l'autre; donc ils sont tous les deux quelque chose. En second lieu, chacun des deux est en même temps autre chose, peu importe celui des deux qu'on appellera d'abord quelque chose. Si nous appelons A un certain être, et B un autre être, B d'abord est par là déterminé comme autre. Mais A est eu même temps tout aussi bien l'autre de B. Tous les deux sont au même titre, autre chose. Donc tous les deux, soit en tant que quelque chose, soit un tant qu'autre chose, sont bien toujours même chose." En France, heureusement, il est inutile de réfuter une argumentation pareille qui, à la lettre, est fondée sur un jeu de mots. Au reste, cette logique prétendue nouvelle ainsi que le fait très bien observer Gratry, a déjà été critiquée par Aristote avec toute la supériorité du bon sens : "II est hors de doute, dit il, que le nom seul d'une chose signifie que telle chose est ou quelle n'est pas, de sorte que rien absolument ne saurait être et n'être pas de telle manière. Tout mot doit signifier un objet un. En effet, ne pas signifier un objet un, c'est ne rien signifier. Si la pensée ne porte sur un objet un, toute pensée est impossible... Quant à celui qui dit que telle chose est et n'est pas, il nie ce qu'il affirme, et, par conséquent, il affirme que le mot ne signifie pas ce qu'il il signifie... Celui qui soutient que la même chose peut être et n'être pas, est un homme qui détruit la possibilité de la parole, et qui persiste néanmoins à parler." Ainsi qu'il est facile de le voir d'après ce qui précède, toutes les doctrines panthéistes sont uniquement et entièrement fondées sur l'identification des contraires, des différences et des contradictoires, et principalement du fini et de l'infini, c.-à-d. de Dieu et du monde, du Créateur et de la création : de là le nom de système de l'identité absolue que le panthéisme a reçu en Allemagne depuis le commencement de ce siècle. On trouvera dans la Logique du P. Gratry une critique de cette philosophie considérée dans sa base dialectique. Ce que nous en avons dit a été emprunté à cet ouvrage. (DV.). | |