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De Marx à Bakounine Marx Ce qui est propre à Marx, c'est d'avoir combiné ces diverses thèses et d'avoir abouti ainsi à une théorie personnelle, d'après laquelle l'évolution économique du régime capitaliste amènera fatalement sa propre ruine et la réalisation du collectivisme, en concentrant de plus en plus les capitaux, en donnant de plus en plus à la production la forme collective et en accroissant sans cesse le nombre, l'organisation et la force des prolétaires qui finiront par détruire un régime contraire à leurs intérêts ; c'est là la partie vraiment nouvelle du marxisme, par où celui-ci se distingue de toutes les théories antérieures qui avaient essayé de combiner la notion de socialisme et celle d'évolution. Quant au matérialisme historique, c.-à-d. à la thèse d'après laquelle toute l'évolution sociale, politique, juridique, morale, intellectuelle, est déterminée par l'évolution de l'outillage économique, thèse par laquelle Marx s'oppose à tous ceux des socialistes antérieurs pour qui la transformation sociale devait être surtout l'oeuvre de causes intellectuelles et morales, Marx paraît l'avoir conçue entre 1843 et 1845; il a donné seulement dans le matérialisme historique une expression nette et tranchante à des idées dont on rencontre avant lui une expression plus ou moins confuse avant lui chez des économistes anglais, chez des historiens libéraux comme Thierry, Miguet ou Guizot, et chez plusieurs socialistes; à ces idées, List avait déjà donné une forme précise. En somme, ce qui frappe chez Marx, c'est moins l'originalité que la vigueur logique avec laquelle il a coordonné des idées de provenances diverses, le sens de la réalité avec lequel il a éliminé des théories dont il s'inspirait ce qui n'était que fantaisie de l'imagination ou du sentiment, l'esprit pratique enfin, avec lequel, dans la seconde moitié de sa vie, il a travaillé à organiser le prolétariat pour la lutte (Pour un exposé détaillé du marxisme, se reporter à l'art. collectivisme). Rodbertus L'histoire, pour Rodbertus comme pour Hegel, est la réalisation progressive du droit, et, en accroissant par degrés le rôle de l'État, elle accroît du même coup la liberté de l'individu ; le droit idéal que nous pouvons opposer au droit positif d'aujourd'hui se réalisera certainement, et il assurera à la fois un accroissement du rôle de l'État et un accroissement de la liberté réelle des individus. Mais pour déterminer en quel sens doit se faire le progrès juridique, il faut analyser ce qu'est aujourd'hui la vie économique et définir ce qu'elle devrait être pour devenir conforme au droit idéal. Rodbertus s'est ainsi trouvé conduit vers les études économiques, et il s'est beaucoup plus occupé des problèmes économiques que des problèmes juridiques. Mais le fondement de sa doctrine n'en est pas moins une théorie juridique. Marx, au contraire, considérant, en raison de son matérialisme historique, les changements juridiques comme de simples reflets des changements économiques, s'est proposé seulement de connaître la direction de l'évolution économique qui nous entraîne, et n'a entrepris de construire aucune théorie juridique. C'est là une première différence très importante entre Rodbertus et lui. En revanche, la théorie de la valeur, chez Rodbertus comme chez Marx, c'est la théorie des économistes anglais, qui mesure la valeur des produits à la quantité de travail qu'ils contiennent; avec cette différence cependant que cette théorie de la valeur, pour Marx, est vraie seulement du régime actuel, tandis que pour Rodbertus elle est vraie de tous les régimes, et elle n'est pas seulement un principe économique d'explication, mais un principe juridique de répartition, qui se confond avec le principe de répartition énoncé par les saint-simoniens. L'analyse de la plus-value, que Rodbertus appelle rente, est présentée chez lui de la même manière que chez Marx et chez Sismondi ; elle est considérée comme un prélèvement sur le salaire, les produits étant échangés à leur valeur et par conséquent conformément à la justice ; Rodbertus accepte ici, comme Marx, les thèses des économistes classiques sur le commerce, dont toute leur théorie était l'apologie; et il passe comme lui à côté de cette critique socialiste de l'échange que Godwin avait entrevue et dont ou trouve déjà les éléments chez Fourier et chez Owen. La plus-value capitaliste résulte exclusivement de la spoliation de l'ouvrier comme producteur, nullement de l'exploitation de l'acheteur par le vendeur. Cette conception est liée avec celle qui fonde la valeur exclusivement sur le travail, nullement sur l'utilité. L'analyse du régime capitaliste, du machinisme, des crises de surproduction, de la part sans cesse décroissante des salariés dans le produit total du travail est également chez lui ce qu'elle est chez Sismondi et chez Marx, avec deux différences cependant, l'une dans la théorie du salaire, l'autre dans la théorie de la rente foncière : Rodbertus accepte la loi des salaires de Ricardo, au lieu que Marx, en apercevant l'insuffisance, lui substitue la théorie de l'armée de réserve industrielle ; d'autre part, Rodbertus essaie d'expliquer la rente foncière aussi bien que le profit capitaliste comme résultant d'une plus-value du travail ; il est ici plus rigoureux que Marx qui n'est pas parvenu à accorder sa théorie de la rente foncière avec les principes généraux de son système. Non seulement Rodbertus condamne comme les saint-simoniens la plus-value, la rente, au nom de la justice, mais il admet avec eux que la propriété privée a été établie par la force, et que'le salariat moderne est un reste de l'esclavage antique et du servage féodal; avec les saint-simoniens encore, il admet que cette injustice ne pourrait disparaitre que dans un régime collectiviste où la propriété du sol et des instruments de production appartiendra à l'État et où l'Etat dirigera la production et la répartition. Lasalle La transformation se fera nécessairement, soit légalement, soit par la force révolutionnaire, soit par le gouvernement monarchique existant, soit par la démocratie; aussi Lassalle s'adresse-t-il à la fois à la monarchie prussienne (comme Rodbertus) et aux masses ouvrières qu'il tente d'organiser en parti politique distinct (comme Marx) pour la conquête du suffrage universel et du pouvoir politique (comme Louis Blanc). Si Lassalle n'a apporté que peu d'idées nouvelles à la théorie socialiste, l'importance pratique de son oeuvre en revanche est capitale : il a ressuscité en Allemagne le socialisme qui semblait mort depuis 1818, et il lui a donné la forme qu'il a prise depuis presque partout, celle d'un parti politique démocratique national. Il engageait, en 1863, les travailleurs allemands à constituer un parti purement ouvrier pour réclamer le suffrage universel et conquérir le pouvoir politique, condition de leur affranchissement économique. Et un an plus tard, lors de sa mort, il était arrivé à organiser un parti ouvrier socialiste allemand qui lui survécut. A la même époque, Marx essayait d'organiser un parti ouvrier socialiste international. Après avoir pris part en 1848 à l'agitation politique révolutionnaire en Allemagne, il s'était consacré à l'étude et à la propagande des idées. La réunion des délégués ouvriers anglais, français. et belges à Londres, en 1862, à l'occasion de l'Exposition universelle, leur ayant donné l'idée de se fédérer, Marx leur proposa un plan, conformément auquel l'association internationale des travailleurs fut fondée en 1861. Marx, qui s'était borné en 1818 à participer à l'action révolutionnaire démocratique et nationale des petits groupes républicains socialistes d'Allemagne, essaya d'appliquer sa conception personnelle de la tactique socialiste : organisation d'un parti de classe international. Il échoua. L'Internationale, association d'abord purement professionnelle, entraînée graduellement par Marx vers le socialisme politique, périt à la fois par ses divisions internes et par la lutte que tous les gouvernements furent amenés à engager contre elle. La direction en fut disputée entre les marxistes et les proudhoniens d'abord, puis entre les marxistes et les bakounistes. Elle laissa après elle, d'une part, des groupes socialistes politiques en Allemagne, en France, en Belgique, en Suisse et dans les pays du Midi; d'autre part, des groupes anarchistes s'inspirant des idées de Bakounine. Ses seuls résultats effectifs furent donc : 1° la propagande doctrinale du socialisme et en particulier du marxisme parmi les ouvriers et les démocrates;
Le Communisme anarchique a survécu à Bakounine. Et les anarchistes, considérant l'action politique légale comme inefficace, n'ont pas cessé de combattre les socialistes organisés en partis politiques. Leurs principaux théoriciens sont Kropotkine et Élisée Reclus. Les partis conservateurs les confondent souvent avec les socialistes politiques, et souvent aussi l'anarchisme est considéré comme le contraire du socialisme. Ce sont là des affirmations qui ne sont exactes ni l'une ni l'autre. En réalité, l'anarchisme est simplement autre chose que le socialisme et il peut, soit être combiné avec certaines formes de socialisme, soit en être séparé. La caractéristique de l'anarchisme, c'est de rejeter l'État, c.-à-d. toute centralisation et toute organisation politique et judiciaire. Quelques anarchistes croient pouvoir atteindre cet idéal de liberté absolue en maintenant la propriété privée; la plupart considèrent l'anarchisme comme inséparable du Communisme. Ils sont divisés d'ailleurs sur la manière de réaliser leur idéal; ils ne sont d'accord entre eux que sur une négation : c'est que toute action politique légale est inutile ou nuisible; les uns préconisent les attentats individuels; d'autres, les émeutes; d'autres, l'organisation économique (coopératives et syndicats); d'autres, la grève générale; d'autres, la formation de petites associations communiste ; d'autres, la propagande pacifique, intellectuelle et morale; d'autres, tous ces moyens ou plusieurs d'entre eux à la fois. On voit donc reparaître chez eux diverses idées des premiers socialistes, de Godwin, d'Owen, des fouriéristes, de Cabot. Quant à la méthode de Bakounine, l'organisation d'un mouvement révolutionnaire international éclatant simultanément dans tous les pays, elle est, en fait, universellement abandonnée par les anarchistes contemporains. Les anarchistes d'ailleurs n'ont ni contribué à l'élaboration scientifique des idées socialistes, ni exercé une action pratique importante. (René Berthelot, 1900). |
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