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Louis Blanc

Jean-Joseph-Charles-Louis' Blanc est un célèbre journaliste et homme politique français, né à Madrid le 29 octobre 1811, mort à Cannes le 6 décembre 1882. Sa famille, originaire de l'Aveyron, avait quitté le pays natal après la condamnation à mort du grand-père de l'écrivain et s'était réfugiée en Espagne. Marié à une nièce de Pozzo di Borgo, le père de Louis Blanc occupa, jusqu'à la chute de l'Empire, les fonctions d'intendant général des finances de Joseph Bonaparte et de Murat, et rentra en France sous la Restauration. Après de brillantes études au collège de Rodez, son fils aîné se rendit à Paris dans l'espoir de se créer une situation, que réclamait impérieusement la pénurie de la famille. Froissé par l'accueil insultant que lui fit Pozzo di Borgo, devenu ambassadeur de Russie en France, il trouva plus de sympathie auprès d'un autre oncle de sa mère, Ferri Pisani, alors conseiller d'Etat, qui, en lui assurant une modique pension, allégea la misère que partageaient courageusement les deux frères dans un hôtel meublé de la rue Saint-Honoré. Louis Blanc étudiait pendant le jour le droit chez un avoué resté son ami (Collot), et donnait le soir des leçons de mathématiques ou même exécutait d'humbles travaux de copie que lui valait sa belle écriture. Il fréquentait un ancien président de la Chambre des députés, Flaugergues, compatriote et ami de sa famille qui lui inculquait le goût des questions politiques. En 1832, il devint précepteur des enfants de M. Halette, mécanicien à Arras, où il demeura deux ans. C'est alors qu'il prit part aux concours académiques de cette ville, par deux poèmes sur Mirabeau et sur l'Hôtel des Invalides et par un Eloge de Manuel. En même temps, il collaborait au Propagateur et au Progrès du Pas-de-Calais.

Revenu à Paris, il présenta au National une étude sur le XVIIIe siècle qui n'y fut pas insérée sans difficultés, parce qu'il proclamait la supériorité de Rousseau, précurseur des idées nouvelles, sur Voltaire, représentant du libéralisme bourgeois, collabora à la Revue républicaine, atteinte peu de temps après par les lois de septembre, à la Nouvelle Minerve et surtout au Bon Sens, dont les directeurs, Rodde et Cauchois-Lemaire, se firent bientôt suppléer par lui. Nommé rédacteur en chef le 1er janvier 1837, il se retira au bout de dix-huit mois, par suite d'une divergence d'opinion avec le conseil d'administration du Bon Sens, sur la création des chemins de fer; ils devaient être, selon lui, construits et exploités par l'Etat et non par des compagnies particulières. Fondateur de la Revue du progrès, il y publia entre autres articles, une remarquable étude sur les Idées napoléoniennes, qui venaient de paraître, où il prédisait qu'une restauration bonapartiste ne saurait être que « le despotisme moins la gloire, les courtisans sur nos têtes moins l'Europe à nos pieds, un grand nom moins un grand homme, l'Empire enfin moins l'empereur. » Quelque temps après il fut assailli le soir, rue Louis-le-Grand, par des agresseurs restés inconnus, dangereusement blessé et laissé pour mort. Il dut, à la suite de cet attentat, garder le lit pendant plusieurs semaines. La fameuse théorie de l'Organisation du travail parut pour la première fois dans la Revue du Progrès avant d'être réimprimée en brochure. Ennemi déclaré de l'individualisme et de la concurrence qu'il entraîne au détriment de la masse des producteurs, Louis Blanc résumait dans cette formule « A chacun selon ses besoins, de chacun selon ses facultés », l'état social qu'il rêvait et d'où découlait, comme première conséquence, l'égalité des salaires. Faisant table rase de l'intérêt personnel, de l'égoïsme aussi bien que de la supériorité intellectuelle et de l'émulation, il réclamait un dévouement unanime et pour ainsi dire anonyme à l'oeuvre de bien-être de tous. Exposée avec une correction de formes et une éloquence un peu apprêtée qui rappelle celle de Jean-Jacques Rousseau, dont il était un des disciples, la théorie de Louis Blanc eut un retentissement considérable, au moment même où l'apparition de son Histoire de dix ans (1830-1840) révélait en lui quelques-uns des talents les plus heureux de l'historien.

C'était une idée neuve et hardie, que de retracer les annales d'un pouvoir encore debout malgré les assauts incessants d'une opposition recrutée dans tous les partis, et qui cachait avec un soin jaloux le secret de ses origines comme les ressorts de sa politique. A l'absence de certains documents dont il ne pouvait songer à obtenir la communication, Louis Blanc suppléa par des témoignages verbaux patiemment recueillis, par diverses communications bénévoles et par les propres souvenirs de son long stage de journaliste. L'Histoire de dix ans eut quatre éditions de 1841 à 1845, sans parler des réimpressions postérieures. Bientôt l'auteur eut l'ambition plus haute de raconter à son tour le drame d'où est sortie la société moderne et d'en rechercher les origines plus loin qu'on ne l'avait fait jusqu'alors. Les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution (1847) renferment une série d'études sur le fanatisme politique et religieux, Jean Huss, Luther, Calvin, etc., dont les luttes étaient, selon lui, le prodrome du bouleversement de 1789.

Ils avaient à peine paru que les événements arrachaient le penseur à ses spéculations philosophiques et le jetaient au plus fort de la mêlée. Sa popularité le désignait un des premiers pour faire partie du Gouvernement provisoire constitué le 24 février 1848. Il obtint sans peine de ses collègues un décret abolissant la peine de mort en matière politique, mais, sur leur refus de créer un ministère du Progrès, il offrit sa démission qu'il retira lorsqu'on eut décidé la réunion d'une commission destinée à examiner les améliorations possibles du sort des classes ouvrières. Installée au Luxembourg dans la salle même des délibérations de la chambre des Pairs, la « Commission du Gouvernement pour les travailleurs », - tel était son titre officiel, - dont faisaient partie les délégués des patrons et des ouvriers, ne donna pas les résultats qu'on en attendait, mais elle valut à son président des ovations réitérées; l'une d'elles (17 mars), à laquelle prirent part plus de 200,000 personnes, fut suivie d'une contre-manifestation (16 avril), dirigée autant contre sa personne que contre le communisme. Tandis que la mauvaise foi transformait en orgies les dépenses de la commission du Luxembourg qui, en réalité, n'excédaient pas 5 F par jour et par personne, elle attribuait à Louis Blanc la création des Ateliers nationaux ouverts par le Gouvernement provisoire pour occuper des milliers de bras oisifs et dont le licenciement fut l'origine des sanglantes journées de juin.

Elu à Paris et en Corse le 29e sur 34, Louis Blanc ne siégea que fort peu de temps à l'Assemblée constituante. Froidement accueilli par la majorité quand il rendit compte de son mandat, ainsi que ses collègues du Gouvernement provisoire, il courut les plus sérieux dangers lors de l'attentat du 15 mai. Tour à tour entraîné par les manifestants qui voulaient le placer à leur tête pour marcher sur l'Hôtel de Ville et molesté par les gardes nationaux, ce fut à grand-peine que deux de ses collègues, François Arago et le marquis de la Rochejacquelein, le tirèrent de la bagarre le visage en sang et les habits déchirés. Un premier vote (3 juin) de l'Assemblée écarta la demande en autorisation de poursuites déposées contre lui par deux de ses collègues, Portalis et Landrin, mais devant l'insistance du ministère public, elle se déjugea et accorda, par 504 voix contre 252, dans la nuit du 25 au 26 août, l'autorisation demandée. Recueilli par un membre de la droite, Ch. d'Aragon (ami de George Sand et de Mérimée), qui lui avait spontanément offert l'hospitalité, Louis Blanc, muni d'un faux passeport et accompagné par Duclerc et Félix Pyat, put sortir de Paris, puis gagner la Belgique et de là l'Angleterre.

Lorsque les accusés du 15 mai et des journées de juin furent traduits devant la cour de Bourges, Louis Blanc adressa de Londres à Bérenger, président de ce tribunal d'exception, une protestation (3 mars 1849), suivie, quelques jours plus tard, d'un Appel aux honnêtes gens (Paris, 1849, in-12), ou il exposait son rôle depuis le 24 février jusqu'au 15 mai, et notamment son irresponsabilité absolue dans la formation des Ateliers nationaux. Condamné par contumace à la déportation, il reprit et développa sa protestation dans ses Pages de l'Histoire de la révolution de Février 1848 (1850, gr. in-8), extraites du Nouveau Monde, revue qui se publiait à Paris sous sa direction. A cette période se rattachent aussi deux brochures polémiques : Plus de Girondins (1851, in-18) et la République une et indivisible (1851, in-18).

Cependant, autant pour chercher un apaisement à ses cruels mécomptes que pour tenir d'anciens engagements, il s'était remis au travail. Si l'exil l'éloignait des sources manuscrites, alors si abondantes et si peu exploitées, de l'histoire révolutionnaire de la France, le British Museum lui offrait, dès lors, en revanche, ce que la Bibliothèque nationale n'aurait pu à cette époque même lui fournir, c-à-d. la série presque complète des brochures et pamphlets imprimés de 1789 à 1802 et recueillie par divers amateurs, entre autres par M. Croker, rival souvent heureux de La Bédoyère et d'Hennequin dont les collections ne furent acquises que plus tard par la Bibliothèque. Louis Blanc eut encore à sa disposition, lorsqu'il eut à traiter des guerres de la Vendée, l'immense fonds des « papiers » de Puisaye, conservés par le même établissement et ceux du conventionnel Goupilleau (de Montaigu), appartenant à Dugast-Matifeux et B. Fillon. C'est donc fort injustement que Michelet a parlé avec dédain des « jolies collections » que Louis Blanc avait consultées, tandis que lui, Michelet, avait pu dépouiller à loisir les documents des assemblées et des comités, ainsi que ceux de la Commune et des sections de Paris. Si Louis Blanc n'a pas, comme son rival, la puissance d'évocation et l'art de vivifier tout ce qu'il touche, il a d'autres qualités et d'autres défauts aussi, que le meilleur juge en pareille matière a nettement caractérisés :

« Il n'a pas de génie, a dit Aulard, mais d'ordinaire il est exact et toujours il cite ses sources [...]. Le premier, il a donné l'exemple de composer son écrit de citations juxtaposées  [...]. Son récit est complet, sagement conduit, intéressant. Sauf quand son culte pour la religion rêvée par Robespierre l'entraîne à des sophismes contre Danton, ses jugements sont impartiaux et mesurés. Il manque de profondeur et d'originalité  [...] mais sa sincérité et son abondance les recommandent aux personnes qui veulent aborder l'étude de la Révolution : il n'y a pas encore de guide mieux muni et plus sûr. » 
L'Histoire de la Révolution, terminée en 1862, comporte douze volumes et s'arrête à la séparation de la Convention nationale. Elle a depuis reparu en divers formats et notamment dans une édition populaire illustrée par La Charlerie et d'autres artistes. En réimprimant sa propre Histoire et tout en protestant qu'il lui déplaisait de « rompre l'unité de la grande Eglise » Michelet, dans la Préface de 1868, répondit avec vivacité aux critiques de Louis Blanc et l'attaqua sur le rôle qu'il avait attribué à Robespierre. E. Hamel, qu'il avait également pris à partie, répliqua, tant en son nom qu'en celui de Louis Blanc, dans un article intitulé M. Michelet historien, qui a été tiré à part de la Revue moderne (1869).

La préparation et la rédaction de son livre n'avaient pas seules occupé la main et la pensée de Louis Blanc. Dès 1858 il avait, en employant la langue même de son adversaire, réfuté les calomnies dont lord Normanby, ancien ambassadeur de la reine Victoria près de la République de 1848, s'était fait l'écho dans Une année de Révolution à Paris (1858, 2 vol. in-8, trad. fr., même année); ses Historical revelations inscribed to lord Normanby (Londres, 1858, in-8), traduites aussitôt par lui-même, sont devenues plus tard une Histoire de la Révolution de 1848 (1870, 2 vol. in-18). En 1857, sous le pseudonyme de Weller, il avait commencé au Courrier de Paris une correspondance hebdomadaire qu'il reprit au Temps, d'abord sous la signature de gérant (Lefrançois), puis sous son nom et qu'il a continuée jusqu'en 1870, faisant ainsi pour la vie politique et parlementaire de la Grande Bretagne ce qu'un autre proscrit, Alphonse Esquiros, faisait à la même époque, dans la Revue des Deux Mondes, pour la vie rurale, agricole, financière, industrielle et sociale de l'Angleterre. Les lettres de Louis Blanc sont plus et mieux que de simples articles de journaux et leur auteur, en les rassemblant, a pu légitimement les intituler Dix années de l'histoire d'Angleterre (1879-1881, 10 vol. in-18).

Signataire de la protestation contre l'amnistie du 15 août 1859, Louis Blanc ne rentra en France qu'après le 4 septembre 1870. Le gouvernement de la Défense voulut lui confier la mission de tenter auprès du cabinet Gladstone une suprême démarche en faveur d'une intervention officieuse; l'investissement de Paris et le refus d'un sauf-conduit par l'état-major général prussien empéchèrent Louis Blanc d'obtempérer à ce voeu. Simple soldat dans un bataillon de garde nationale, il critiqua dans divers articles du Temps et du Rappel les lenteurs et les atermoiements du gouverneur militaire de Paris et ne cessa de recommander l'union et la résistance à outrance. Il refusa d'associer son nom au mouvement insurrectionnel du 31 octobre et déclina toute candidature aux élections municipales du 5 novembre. Elu le 8 février 1871 représentant de la Seine, le premier sur quarante-trois, il déclara ne reconnaître à l'Assemblée que le droit de faire la paix ou la guerre, soutint, quand Thiers reçut le titre de chef du pouvoir exécutif, que la République était « la forme nécessaire de la souveraineté nationale » et vota la continuation des hostilités. Partisan en principe des revendications municipales, il blâma ouvertement la formation de la Commune de Paris et sa prétention à se substituer au pouvoir central et réitéra d'inutiles appels à la concorde et à la conciliation. Lors de l'entrée des troupes dans Paris, l'incendie de l'entrepôt de la Villette détruisit son mobilier, sa bibliothèque, ses correspondances, ses papiers et notamment le manuscrit d'un livre sur les salons et la société au XVIIIe siècle dont il ne subsiste qu'un ou deux fragments.

Membre de l'extrême gauche de l'Assemblée nationale, il prit la parole dans les discussions les plus importantes sans exercer sur les votes mêmes du parti une influence prépondérante. C'est ainsi qu'il réclama le retour de l'Assemblée à Paris, se prononça contre l'organisation du Sénat et contesta l'opportunité de l'amendement Wallon, parce que, disait-il, la République ne peut pas être mise aux voix, mais il adopta néanmoins cet amendement par respect de la discipline parlementaire. Candidat malgré lui aux élections sénatoriales dans le département de la Seine, il réunit quatre-vingt-sept voix sur deux cent vingt-sept électeurs (janvier 1876); le 20 février suivant, il fut simultanément élu député dans le cinquième et le treizième arrondissement et dans la première circonscription de Saint-Denis; il opta pour le cinquième qui le réélut en 1881. Pendant la crise provoquée par le coup d'Etat parlementaire du 16 mai 1877, il fit partie, bien entendu, des 363 députés protestataires; au mois de janvier 1879, il présenta et soutint le projet d'amnistie plénière que Victor Hugo portait en même temps devant le Sénat. En 1876, il fonda et dirigea pendant quelque temps un journal quotidien, l'Homme libre, qu'il abandonna par suite de dissentiments avec l'un de ses rédacteurs. Sous le titre de Question d'aujourd'hui et de demain (1873-1884, 5 volumes in-18), il avait recueilli ses articles du Rappel et de l'Homme libre. Entouré d'une considération unanime que justifiaient pleinement la dignité de sa vie politique à privée, ainsi qu'un désintéressement commun, d'ailleurs, et tous les hommes de la génération politique à laquelle il appartenait, Louis Blanc ne pouvait se dissimuler cependant que ses doctrines et son éloquence n'étaient plus au goût du jour, et que les réformes dont il avait préconisé l'urgence et la nécessité n'étaient pas en passe de s'accomplir. Le délabrement progressif de sa santé, en 1876, la mort de sa femme, Christina Groh, qu'il avait épousée à Brighton en 1865, en 1882 celle de son frère Charles, à qui l'unissait une constante et réciproque affection, rendirent ses dernières années singulièrement pénibles. Lorsqu'il se fut éteint à Cannes, son corps fut ramené à Paris et ses obsèques célébrées aux frais de l'Etat an milieu d'un immense concours de population.

En mourant, il avait légué à la ville de Paris son portrait en pied par P. Dupuis; il a été placé au musée Carnavalet. Une statue en bronze par Delhomme, conseiller municipal, lui a été érigée dans un des squares du cinquième arrondissement. L'exiguïté de sa taille et l'aspect juvénile qu'il garda jusque dans l'âge mur ont défrayé longtemps la verve des caricaturistes qui firent une si rude guerre aux hommes et aux choses de la révolution de Février 1848. (Maurice Tourneux).

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