| On désigne sous le nom de collectivisme un plan de réforme de la société par voie législative, conçu par opposition à la société individualiste et libérale, comme le triomphe exclusif du principe social, plus exactement du principe du bonheur matériel du plus grand nombre. Le collectivisme est encore le socialisme extrême. Historiquement, le collectivisme a donc son point d'attache et sa condition préalable dans ce développement particulièrement intense de l'activité législative, qui n'est pas le trait le moins saillant et le moins caractéristique de l'État moderne et implique en même temps la croyance à l'efficacité toute-puissante de l'action du gouvernement sur la société. Le collectivisme s'est dès le départ posé comme un idéal qui se donne pour pratiquement réalisable, une conception de la vie et surtout de la société tendant à se traduire en projets de lois définis et découlant de principes communs qui forment sa philosophie. Juridiquement , et c'est de là que lui vient proprement son nom, le collectivisme est la négation du droit de propriété individuel sur les moyens de production. Le collectivisme n'est pas la négation pure et simple du droit de propriété individuel. Par cela même que l'individu doit, sous peine de disparaître, satisfaire certains besoins, il ne saurait lui être dénié par aucun système un certain droit exclusif, individuel, sur les objets destinés à sa consommation. La négation du collectivisme porte seulement sur le capital proprement dit, les richesses quelles qu'elles soient consacrées à produire d'autres richesses. Ce qu'il veut, c'est que toute richesse, tout capital engagé dans la production appartienne non plus à l'individu, mais à la communauté, à la « collectivité », de manière à exclure tout exercice isolé, privé de son droit de copropriété par l'individu. Il ne s'agit pas d'un droit propre de chacun des membres de la communauté sur sa quote-part du capital social, mais d'un droit de la communauté en tant que communauté excluant toute possibilité pour l'individu de sortir de l'indivision. Qu'est cette communauté, cette collectivité propriétaire? Juridiquement elle pourrait aussi bien être la corporation, la commune ou l'État. La question se décide sur le terrain seul de la pratique, de l'économie. Aussi bien, si le caractère législatif sous lequel se présente le collectivisme met tout d'abord au premier plan son aspect juridique, c'est de la pratique, de l'aspect économique que le système tire son importance et sa véritable signification. Là seulement peut être résolue la double question relative au véritable nom de la collectivité possédante et à la nature précise du droit excluant de la communauté. D'un point de vue économique, la pierre d'achoppement du collectivisme serait, de l'aveu de tous, sa théorie de la valeur. Il n'est pas vrai, dit-on, que l'essence de la valeur soit le temps de travail social. Le travail seul ne fait pas la valeur. Adam Smith et Ricardo enseignaient cela. Karl Marx et les autres n'ont guère fait que tirer les conséquences de ce principe posé par Smith et Ricardo, que la grandeur du travail incorporé dans l'objet fait seule la valeur de l'objet. Si Leroy-Beaulieu trouve facile de trancher, Schäffle hésite, et Wagner, non sans avoir pris ses précautions, rend les armes : «A la longue, ce sont les frais de revient qui finiront toujours par jouer le rôle de régulateur décisif et servir de base lorsqu'il s'agira d'établir la valeur d'échange ou la valeur sociale réclamée par l'intérêt de la société.» Or, ces frais de revient se résolvent en la valeur de tout le travail nécessaire à la production, ou en d'autres termes : « du quantum de travail social nécessaire à la production, du temps de travail». (K. Marx, Lehrbuch der politischen Oekonomie, I, § 47.). Une critique plus fondée, irréfutable, semble-t-il, c'est qu'avec la production collectiviste, la direction de la production dépendant exclusivement de l'existence et de la direction des besoins collectifs, une certaine gêne, l'impossibilité de satisfaire leurs besoins particuliers, pèse sur les individualités originales et excentriques; et que de ce chef se trouve complètement éliminé et rendu impossible le rôle bienfaisant des hautes individualités par lequel le nouveau, le progrès arrive toujours aux hommes. Le collectivisme condamne la société à un degré plutôt moyen et inférieur de développement. Partant de là le socialisme allemand de la chaire ou socialisme d'État lui pose victorieusement ces questions-: Est-il vrai que rien n'importe tant que le bonheur de l'individu ? Est-ce là ce qui donne à la vie son prix et sa beauté? La vie sociale, la vie de la société, envisagée non pas comme un être de raison, comme la somme des individus, mais comme un vivant ayant sa vie propre, distincte de la somme des vies individuelles, n'est-elle pas supérieure à la vie et au bonheur de l'individu? Ne veut-elle pas la subordination des fins de celui-ci à ses propres fins? Mais ici la question s'élève. Que nous le voulions ou non, il semble qu'il nous faille quitter le terrain de l'économie et du droit politique pour la région plus haute des principes d'où nous jugeons l'économie et le droit. Pourquoi la vie sociale est-elle supérieure à la vie individuelle? Pourquoi devons-nous faire passer sa grandeur, l'intérêt de son développement avant le bonheur des individus qui la composent? Qu'importe à l'individu malheureux la vie de la société? Un principe supérieur pourrait seul justifier ce sacrifice de l'individu à la vie de l'ensemble. Pour rompre le cercle fatal dans lequel nous enserre le collectivisme, donner contre lui tous les avantages au socialisme de la chaire, il ne nous faut rien moins, semble-t-il, qu'un principe transcendant. A ce prix seul, on pourrait se flatter de dominer le collectivisme. Invinciblement l'idée s'impose que ce n'est pas en opposant simplement économie à économie qu'on peut lui résister, que c'est une philosophie, une conception de la vie qu'il faut opposer à sa philosophie, à sa conception de la vie. (G. Platon).
| En bibliothèque - V. Cousin, Cours de l'histoire de la philosophie, VIIe leçon, et Nouveaux fragments philosophiques, article Zénon. | | |