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L'histoire de Carthage
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L'impérialisme carthaginois
Les guerres puniques
La culture carthaginoise*
L'impérialisme carthaginois

La ruine de Tyr, en 574 par Nabuchodonosor, permit à Carthage de se substituer à sa métropole dans la domination de la Méditerranée. Les colonies phéniciennes fondées par Tyr et Sidon en Sicile, en Espagne, en Afrique, se voyant compromises dans leur existence par les colons grecs, appellent les Carthaginois. Il était temps : les Turdétains de la Bétique menaçaient Gadès; les Grecs de la Sicile venaient de refouler les Phéniciens dans Ziz (Panorme), Motya et Solonte. Carthage vole à leur secours et se révèle comme puissance militaire; elle est amenée par la force des événements à hériter de l'empire colonial de Tyr et du monopole du commerce dans la Méditerranée occidentale; la domination punique (Paeni) se substitue à la domination phénicienne. Dès lors, la colonisation de la Sicile par les Grecs est subitement arrêtée; Rhodiens et Cnidiens sont chassés de Lilybée; les Phocéens qui, en 600, avaient fondé Marseille, sont expulsés de Cyrpos (la Corse). Les îles Aegates, la Sardaigne, Gaulos, Malte, Cossura et toute la partie occidentale de la Sicile passent aux mains des Carthaginois qui y fortifient leurs ports. Carthage qui a à sa disposition, outre ses vaisseaux, tous ceux des colonies phéniciennes, recrute ses soldats chez les Numides, les Libyens, les Liby-Phéniciens de l'Afrique. Elle s'installe en Espagne et aux îles Baléares, et la côte d'Afrique voit s'échelonner jusqu'aux colonnes d'Hercule des ports fortifiés, Callops, Pithécusa, Jol (Cherchell), Siga, etc., que les Grecs ont appelés les villes Métagonites.

Vers l'an 550, la lutte s'engagea en Sicile entre Grecs et Carthaginois. L'armée punique, commandée par Malchus, se rendit maîtresse de la plus grande partie de l'île, refoulant les Grecs dans le Nord et l'Est, mais, en même temps; les Carthaginois subissaient de graves échecs sur les côtes de la Gaule où les Massaliotes dominaient en maîtres. Il fallut que Carthage implorât le secours des Étrusques pour dompter la fière colonie phocéenne. En 536, la flotte combinée des Étrusques et des Carthaginois anéantit, devant Alalia, sur la côte de la Corse, la flotte des Massaliotes et des Phocéens; c'est la première bataille navale que l'histoire enregistre dans le bassin occidental de la Méditerranée. Les établissements grecs d'Espagne furent ruinés; seules, Rhoda et Emporia parvinrent à sauvegarder leur indépendance. Une peste terrible qui vint, à cette époque, décimer Carthage n'empêcha pas ses armées victorieuses en Sicile, d'entreprendre la conquête de la Sardaigne. Mais Malchus, vaincu, fut banni de Carthage avec les troupes qui avaient subi la honte de la défaite. Ici, apparaît l'un des vices essentiels de la constitution militaire de Carthage et qui devait causer sa ruine : c'est une première guerre des mercenaires. Malchus se souleva avec les débris de son armée, tua son propre fils Carthalo, rentra en maître dans Carthage et fit mettre à mort dix sénateurs en s'appuyant sur la faction populaire. Un peu plus tard , le sénat reprit sa revanche et condamna Malchus au dernier supplice.

Magon, fils de Hannon, succéda à Malchus dans le commandement de l'armée; il rétablit la discipline dans ces bataillons de Numides, de Libyens, d'archers Baléares, d'Ibères, de Gaulois, de Ligures, d'Italiotes et de mercenaires grecs. Il partit avec eux en Sardaigne, fit la conquête de l'île, puis il acheva celle des Baléares ou il fonda, dans l'île Minorque, le port de Magon, aujourd'hui Mahon. Carthage, à l'apogée de sa puissance, reine de la Méditerranée, envoie ses vaisseaux au delà des colonnes d'Hercule; la côte occidentale du Maroc, depuis le détroit de Gibraltar jusqu'au cap Noun, est colonisée et couverte de comptoirs; d'autres vaisseaux remontent vers le Nord sur les côtes de Portugal, puis de la Gaule et vont chercher l'étain dans les îles Britanniques. C'est à cette date qu'on doit placer les fameux voyages d'exploration maritime d'Hannon et d'Himilcon; la relation de celui d'Hannon, gravée sur une colonne du temple de Baal Hammon à Carthage, nous a été conservée en entier dans une traduction grecque sous le nom de Périple de Hannon. Toute la côte d'Afrique jusqu'au Gabon, semble-t-il, s'y trouve décrite : Sous le nom de Hannon (qui n'a peut-être fait qu'inspirer une partie de cette vaste entreprise), les Carthaginois fondent sur l'Atlantique trois cents stations, parmi lesquelles Tingis (Tanger) et l'établissement célèbre de Cerné dans l'île d'Arguin où, chaque année, une flotte se rendait pour faire le troc avec les indigènes. Il y eut un temple de Tanit, la grande déesse punique, aux îles Canaries. Il paraît même résulter d'un passage de Scylax , à aborder avec la plus extrême des précautions, que les Carthaginois poussèrent à l'Ouest dans la direction de l'Amérique et qu'ils parvinrent jusqu'à la mer des Sargasses (La découverte de l'Amérique). Les établissements des Carthaginois à Madère étaient en tout cas si prospères et le climat de l'île parut si heureux à ces marchands enrichis que ce groupe d'îles devint célèbre sous le nom d'îles Fortunées ou Iles Heureuses.

Himilcon franchit, comme Hannon, les colonnes d'Hercule, puis se dirigea dans le sens opposé, et après un voyage de quatre mois, il atteignit les îles Britanniques. C'était un voyage hydrographique et commercial plutôt qu'une exploration. Nous ne possédons maintenant que quelques fragments de la relation d'Himilcon, insérés dans le poème latin de Festus Avienus. Nous y apprenons toutefois que depuis Gadès (Cadix) jusqu'au Promontoire sacré (cap Saint-Vincent), Himilcon rencontra un grand nombre d'anciennes stations phéniciennes; il relâcha chez les Namnètes, à l'embouchure de la Loire, puis chez les Vénètes (Vannes), puis dans l'île de Sein, enfin dans les îles Oestrymides ou Cassitérides (Sorlingues ou Scilly), voisines de la côte de Cornouailles. Il reconnut aussi l'île Sainte (Irlande), et l'île d'Albion (Angleterre). Magon mourut vers l'an 500, et l'aîné de ses fils, Hasdrubal, lui succéda comme chef de l'armée. Hasdrubal prit en 489 la Sardaigne et l'île de Lipara (Lipari). Il se préparait à résister à Cambyse, roi de Perse, qui maître de l'Égypte voulait ajouter Carthage à ses États; mais la flotte perse composée de matelots phéniciens, refusa de prendre part à une expédition dirigée contre la fille de Tyr, et Cambyse dut renoncer à son dessein.

Hasdrubal fut tué en Sardaigne, vers 485. Son frère Hamilcar, qui avait épousé une Syracusaine, lui succéda, reconnut la suzeraineté nominale du roi de Perse; puis, sûr de n'être pas inquiété de ce côté, il prépara une immense expédition destinée à expulser tous les Grecs de la Sicile. La colonie grecque de Selinonte, jalouse de Syracuse et d'Agrigente, se déclara pour les Carthaginois, ainsi que les chefs grecs Terillos, expulsé d'Himera en 482, et Anaxilos. Les forces réunies par Hamilcar témoignent du degré de puissance auquel était parvenue la grande république africaine. Sa flotte se composait de deux cents galères, sans compter un nombre énorme de vaisseaux de transport; l'armée de débarquement montait, dit-on, à trois cent mille hommes, Hamilcar vint mettre le siège devant Himéra, défendue par Théron. Mais Gélon, roi de Syracuse, amena une armée qui, soudain, prit à revers le camp des Carthaginois. Ces derniers furent battus, et Hamilcar fut tué le jour même où Xerxès livrait la bataille des Thermopyles. C'est cette brillante victoire des Grecs que célèbre Pindare dans sa première Pythique composée en 474. Le nombre des prisonniers fut si grand qu'on disait que toute la Libye était prisonnière en Sicile.

Pendant la paix de soixante-dix ans qui suivit ce désastre, Carthage répare ses forces et développe de plus en plus son commerce, multipliant ses vaisseaux, concluant des traités avec les Étrusques, les Latins, les Grecs d'Italie, essayant, sans y réussir, de mettre quelque part le pied sur cette terre d'Italie, où elle n'eut jamais un comptoir. Le premier traité conclu entre les Carthaginois et les Romains est de l'an 509 av. J.-C., un an après l'expulsion des Tarquins, sous le consulat de Junius Brutus et de Marcus Horatius. Polybe nous en a conservé le texte : 

« Entre les Romains et leurs alliés, d'une part, et les Carthaginois et leurs alliés, d'autre part, il y aura amitié aux conditions suivantes : Ni les Romains ni leurs alliés ne navigueront au delà du Beau promontoire (cap Bon), s'ils n'y sont poussés par la tempête ou contraints par leurs ennemis. S'ils y sont poussés malgré eux, ils n'y pourront rien acheter ni rien prendre, sinon ce qui sera strictement nécessaire pour le radoub de leurs vaisseaux ou pour leurs sacrifices aux dieux; ils en partiront au bout de cinq jours. Ceux qui y viendront faire le commerce ne pourront conclure aucune négociation, si ce n'est en présence d'un crieur public et d'un greffier. Il en sera de même pour tout ce qui se vendra en Afrique ou en Sardaigne. Si quelques Romains abordent dans la partie de la Sicile qui est soumise aux Carthaginois, ils y jouiront des mêmes droits que les Carthaginois euxmêmes. Les Carthaginois, de leur côté, n'inquièteront en aucune manière les Antiates, les Ardéates, les Laurentins, les Circéens, les Terraciniens, ni aucun des peuples latins qui obéissent aux Romains. Même pour ceux qui ne sont pas sous la domination romaine, les Carthaginois n'attaqueront pas leurs villes. S'ils en prennent quelqu'une, ils la rendront intacte aux Romains. Ils ne bâtiront aucune forteresse dans le pays des Latins. S'ils y entrent à main armée, ils n'y passeront pas la nuit. »
Dès cette époque, les Romains, on le voit, veulent fermer l'Italie aux Carthaginois. Au reste, le principal objectif des Carthaginois était alors la Sicile, où ils n'étaient les maîtres qu'à demi. En 414, les Athéniens, lors de leur expédition de Sicile, se trouvant dans la plus grande détresse, ne rougirent pas d'implorer le secours de Carthage; celle-ci ne sut pas profiter de cette lourde erreur, ou plutôt elle n'était pas prête encore. Ce fut seulement en 410 qu'elle recommença en Sicile une guerre qui devait durer un siècle. Hannibal, le petit-fils d'Hamilcar, débarque en Sicile pour venger la défaite d'Himéra, et bientôt les villes grecques les plus florissantes, Selinonte, Himéra, Agrigente, ne sont plus qu'un monceau de ruines. Les tyrans grecs de Syracuse, Denys l'Ancien, Denys le Jeune, Timoléon, Agathocle, luttent tour à tour contre les envahisseurs avec des alternatives de succès et de revers. Le Corinthien Timoléon les refoule dans leurs anciennes possessions en 339; et en 332, Carthage est contrainte de refuser des secours à Tyr, assiégée par Alexandre. Une fois même, au moment où les Carthaginois tenaient la Sicile entière, sauf Syracuse, Agathocle, par un audacieux coup de main, débarque en Afrique, près des Latomies, aux carrières antiques d'El-Houria, dans la presqu'île du cap Bon. Il s'empare de Neapolis (aujourd'hui Nebeul), d'Adrumète, de Thapsus, de Tunis, et de près de deux cents villes ou bourgs de cette zone du littoral. Il assiège sans succès Utique, mais il s'empare d'Hippo Diarhytus et isole Carthage du continent. Rappelé en Sicile par une sédition à Syracuse, il laisse le commandement de l'armée à son fils Archagathe et à son lieutenant Eumarque qui ne réussissent pas à se maintenir : l'armée sicilienne est expulsée d'Afrique après y être restée trois ans, d'août 310 à octobre 307 (Diodore de Sicile).

Après la mort d'Agathocleen 288, les Carthaginois, grâce aux divisions intestines des Grecs, relevèrent leur prépondérance en Sicile; en 280, lorsqu'ils virent le fameux roi d'Epire, Pyrrhus, envahir l'Italie méridionale et menacer la Sicile, ils envoyèrent le général Magon devant Ostie avec cent vingt vaisseaux, pour offrir à Rome, contre l'ennemi commun, des secours qui furent alors dédaignés. Mais deux ans plus tard, le danger devenant plus pressant, une alliance fut conclue entre Rome et Carthage. Pyrrhus, aidé des Syracusains, envahit la Sicile, dépouille successivement les Carthaginois de toutes leurs possessions, à l'exception de Lilybée. Alors, en 277, Carthage offre la paix à Pyrrhus, proposant de le reconnaître seul maître de toute l'île, à l'exception du port de Lilybée : ces propositions sont rejetées et Pyrrhus impitoyable s'apprête à passer en Afrique et à renouveler l'expédition d'Agathocle. C'est alors que le roi d'Epire reçut des députés du Samnium et de Tarente le suppliant de revenir en Italie pour résister aux Romains. On dit que Pyrrhus en s'éloignant de la Sicile s'écria : 

« Quel beau champ de bataille je laisse là aux Romains et aux Carthaginois! » 
Cette prophétie ne devait pas tarder à s'accomplir au pied de la lettre : la première guerre punique commence en 268 av. J.-C.
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