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L'éthique du care

L'éthique du care  (en anglais : to care = se soucier) est un courant philosophique et éthique qui met l'accent sur l'importance des relations interpersonnelles, du soin mutuel et de l'attention aux besoins des autres, ainsi que sur le rôle central des émotions et des sentiments dans la moralité et l'éthique. Car, contrairement à certaines approches éthiques qui privilégient la rationalité et la logique, l'éthique du care que les  émotions et les sentiments  sont des éléments cruciaux dans le processus de prise de décision éthique. Les émotions sont considérées comme des signaux importants pour identifier les besoins des autres et y répondre de manière appropriée. 

L'éthique du care est aussi une éthique de la responsabilité envers les autres, en particulier envers les individus vulnérables ou nécessitant de l'attention et des soins. Elle encourage une sollicitude active envers les autres et la société dans son ensemble.

Cette éthique trouve ses racines dans les mouvements féministes et dans la critique de la vision traditionnelle de l'éthique, souvent centrée sur des principes universels et abstraits. Elle remet en question ces approches et souligne l'importance de prendre en compte les contextes concrets, les différences individuelles et les rapports de pouvoir. 

Plusieurs philosophes ont contribué de manière significative à la formulation et à l'expansion de l'éthique du care en tant que champ philosophique distinct. Citons :

• Carol Gilligan est considérée comme l'une des pionnières de l'éthique du care.  Ses travaux ont mis en évidence les différences entre les approches éthiques basées sur le care et celles basées sur la justice. Elle a introduit l'idée que les femmes tendent à voir les dilemmes moraux différemment des hommes. Dans son livre In a Different Voice (Une voix différente : Pour une éthique du care,1982), elle dit que les femmes sont plus enclines à valoriser les relations interpersonnelles et la responsabilité envers les autres, par opposition à une vision plus abstraite de la justice. Elle critique les théories morales traditionnelles, comme celles de Kohlberg, pour leur biais androcentrique, c'est-à-dire leur tendance à valoriser des points de vue masculins sur la moralité et l'éthique. Carol Gilligan souligne l'importance de l'empathie, de la compassion et des relations humaines dans la prise de décisions morales, mettant en avant une éthique fondée sur le care comme complément nécessaire aux approches de la justice.

• Nel Noddings (1929-2022) est une philosophe de l'éducation. Elle développe le concept d'éthique de la sollicitude dans ses travaux, et souligne l'importance des relations et de la sollicitude mutuelle comme fondements de l'éthique. Dans Caring: A Feminine Approach to Ethics and Moral Education (1984), elle développe une vision de l'éthique qui se concentre sur la réciprocité et la responsabilité envers les autres. Elle met en avant l'idée que l'éducation doit être centrée sur le développement de la capacité à prendre soin des autres, et que les enseignants ont un rôle crucial à jouer en tant que modèles de caring. Nel Noddings critique les approches morales traditionnelles pour leur insistance sur l'objectivité et l'universalité, arguant que les situations morales sont contextuelles et que l'éthique du care nécessite une compréhension nuancée des circonstances et des relations.

 â€¢ Eva Feder Kittay (née en 1946) est une philosophe et militante qui s'est intéressée aux problématiques en relation avec les personnes ayant des besoins spéciaux et les personnes en situation de handicap et à la manière dont l'éthique du care peut informer et transformer notre compréhension de la justice sociale. Elle a aussi promu l'idée de la sollicitude maternelle comme modèle d'éthique du care. Dans son livre Love's Labor: Essays on Women, Equality and Dependency (1999), elle défend l'idée que la société doit reconnaître et valoriser le travail de care, souvent invisibilisé et dévalué. Elle met l'accent sur la dépendance humaine comme une condition universelle, soulignant que tous les êtres humains, à différents moments de leur vie, sont dépendants des soins des autres. Cette perspective appelle à une réévaluation des structures sociales pour mieux soutenir ceux qui fournissent et reçoivent des soins. Kittay propose que l'égalité doit inclure la reconnaissance de la dépendance et du travail de care, et que les politiques sociales devraient être conçues pour soutenir ces dimensions cruciales de la vie humaine.

• Virginia Held (née en 1929) est une philosophe qui a a travaillé à formaliser l'éthique du care en tant que théorie philosophique cohérente. Elle a souligné l'importance de la relation et de la confiance mutuelle dans la prise de décisions éthiques. Dans The Ethics of Care: Personal, Political, and Global (2006), elle montre comment les principes de l'éthique du care peuvent s'appliquer à divers niveaux de la vie sociale, des relations personnelles, aux structures politiques et aux questions globales. Elle affirme que l'éthique du care et l'éthique de la justice ne sont pas nécessairement en opposition mais peuvent être complémentaires. Elle soutient que le care est essentiel pour une compréhension complète de la justice. Virginia Held critique les approches éthiques traditionnelles qui mettent l'accent sur la rationalité et l'impartialité et plaide pour une reconnaissance de l'importance des émotions et des relations interpersonnelles dans les jugements moraux.

  • Joan Tronto (née en 1952) est une philosophe politique. Elle a développé une théorie élargie de la citoyenneté qui intègre les principes de sollicitude et d'attention dans le domaine politique.  Elle a proposé une définition étendue du care qui comprend quatre phases : caring about, taking care of, care-giving, et care-receiving. Cette définition met en lumière les différents aspects du care, allant de la reconnaissance des besoins à la réponse active et l'évaluation des soins fournis. Dans Moral Boundaries: A Political Argument for an Ethic of Care (1993), elle étudie comment les pratiques de care peuvent informer et transformer les pratiques démocratiques. Elle soutient que le care doit être intégré dans les institutions politiques et économiques pour une société plus juste et équitable. JoanTronto critique la façon dont le travail de care est genré et  segmenté en fonctiond es couleurs de peau, appelant à une réévaluation des structures sociales pour reconnaître et valoriser le travail de care.

• Annette Baier (1929-2012) a analysé les notions de confiance et de dépendance dans les relations éthiques. Elle a étudié la façon dont ces éléments influencent nos obligations morales. Dans ses travaux, elle soutient que les relations morales doivent être basées sur la confiance mutuelle plutôt que sur des principes abstraits de justice. Elle critique les approches éthiques traditionnelles pour leur focalisation sur l'individualisme et l'autonomie, arguant que l'interdépendance humaine et les relations sociales doivent être au coeur de la théorie morale. Baier propose une éthique relationnelle où les obligations morales émergent des relations concrètes et des contextes particuliers. Elle soutient que la moralité est enracinée dans les pratiques sociales et les relations interpersonnelles plutôt que dans des règles universelles.

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