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Aperçu | La religion de Déméter | Les visages de la fécondité | Déméter dans les mythes |
La
déesse de la terre productrice.
Les auteurs anciens et les exégètes modernes sont d'accord pour reconnaître que Déméter est avant tout la déesse de la terre productrice; les épithètes de Melaina et d'Europé font allusion à l'aspect de l'humus; Déméter reste entièrement distincte de Gé, déesse de la Terre dans le sens le plus large; elle personnifie seulement l'activité qui donne naissance à la végétation et spécialement aux fruits dont l'humain se nourrit. Elle est la déesse de l'agriculture. Une grande partie des noms qu'on lui donne, des fêtes qu'on célèbre en son honneur, se réfèrent à ce caractère fondamental. La nature de ces fêtes et de ces noms varie selon les saisons de l'année (L'année et les saisons), et même les fêtes plus générales de la déesse sont réglées d'après la même idée. Avant les labours on lui offre à Athènes la fête de Proerosia, la désignant sous cette épithète; on la prie lors des semailles, lors du hersage, où se place la fête rhodienne des Episkaphia. Au printemps, nous trouvons en Attique la fête des Chloeia (Chloé) pour protéger la végétation verdoyante; dans les cités d'Ionie on célèbre la fête des Kalamaia qui donne son nom à un mois; à Sparte celle des Prologia; un peu partout celles des vendanges et du battage des grains, Eurythinia, Thalysia, mentionnées dans l'Iliade et décrites par Théocrite; à Athènes la fête des Haloia. Un très grand nombre d'épithètes qualifient Déméter déesse de la terre nourricière : on l'appelle nourricière des humains; des vivants, celle qui donne la vie, mère universelle, celle qui fait pousser ses dons, la donatrice, plus spécialement celle qui produit, qui multiplie les fruits; les produits de la culture sont dits dons ou fruits de Déméter; les céréales, ainsi qu'en témoigne leur nom actuel, lui sont tout particulièrement rapportées; parmi ses épithètes, Sito rappelle le nom du froment, Eupyros, Pyrophoros celui de l'orge, Zerdoros celui de l'épeautre, etc. Le pavot lui était consacré. Elle est la déesse surveillant la végétation (Chloé, Euchloos, Auxithalès, Auxesia), la formation du gain (Spermeié), le préservant de la rouille (Erysibé), le faisant mûrir (Kaustis, Elégéris) pour former des blonds épis sa belle chevelure (Xanthé, Euplocamos), devenir la reine des gerbes (Amallophoros, Eleioulos), faire sécher le grain au soleil (Azésia), prendre pour trône l'aire ou le tas de blé (Haloas, Soritis). Une déesse de la végétation ne peut être exclusivement chtonienne, liée à la terre; elle a nécessairement quelque influence sur les saisons dont la périodicité domine les phénomènes de la végétation. Déméter devient donc céleste (Ourania), personnifiant dans toute son étendue le principe féminin de la fertilité universelle. Elle est ainsi rapprochée des divinités lunaires, en prend quelques traits; dans son principal mythe, les courses à la recherche de sa fille, elle est conçue comme telle; de même sous l'épithète d'Europé à Lébadée. Elle est comme déesse de la végétation en rapport nécessaire avec l'élément humide; associée fréquemment aux nymphes des sources, elle devient une divinité des eaux douces : la fête des Epikrénai en Laconie, l'épithète de Potenophoros en Achaïe sont significatives. Déméter ne se borne pas à faire croître les plantes; elle a enseigné aux humains la manière de les cultiver, elle a inventé le labourage, l'art d'atteler les boeufs à la charrue; elle porte à la main la faucille, préside à la moisson, au dépiquage des grains, a indiqué le moyen de les conserver dans des greniers, de les moudre pour en faire de la farine; puis de pétrir la pâte et de faire du pain avec cette farine. Dans ses processions on porte du pain fraîchement cuit; les esclaves meuniers la regardent comme leur patronne. Outre le mythe de Triptolème dont il est parlé ailleurs (Déméter dans les mythes), un grand nombre de villes grecques citaient des mortels qui avaient été les hôtes de la déesse et avaient appris d'elle les secrets de l'agriculture, Disaulès et Celeus à Eleusis, Phytalus en Attique, Prométhée et Aitnaius en Béotie, Pelasgus à Argos, Athéras et Mysius près de Mycènes, Trisaulès et Damithalès à Phénée, etc, Ces noms paraissent symboliques; Disaulès exprime la notion du double labour; Trisaulès et Triptolème celle du triple labour; Damithalès fait croître la végétation; Mysius vient d'un verbe qui signifie nourrir; Athéras, d'ather, la balle qui enveloppe le grain, etc. Il sera question plus bas du mythe de Triptolème, de celui de lasion et de Plutus, fils de Déméter, de celui d'Erysichton, etc. La confusion qui s'établit entre la religion de Déméter et celle de Dionysos est très explicable. L'une et l'autre étaient des divinités agricoles, souvent associées dans la vénération des campagnards et dans leurs fêtes; Déméter était la déesse des céréales et des légumes, des fruits de la terre labourée; Dionysos, le dieu de la vigne et des fruits des arbres : cette distinction capitale dans l'agriculture ancienne n'excluait pas des empiétements réciproques de Déméter sur Dionysos et du dieu sur le domaine de la déesse. On attribuera à Dionysos l'invention de la charrue, à Déméter celle du figuier, on lui attribuera même le raisin. Déméter fut encore la protectrice du bétail, des boeufs surtout qui labourent la terre, puis des moutons, des chevaux, mais rarement. En somme, c'est la grande divinité agraire. On lui offre les prémices de toutes les récoltes, épis, fruits, raisin, miel, laine, huile; des sacrifices non sanglants de préférence. La dévotion des paysans était réelle et dura longtemps; la population d'Enna accuse Verrès de ruiner ses champs quand il enlève la statue de Déméter; à l'époque de Théodose, lorsque les moines syriens détruisirent les temples, les paysans désespérés refusent de cultiver la terre. Le récit de Libanius est très curieux comme apologie du culte de Déméter. La Déesse
mère et la déesse du mariage.
En revanche Déméter est la divinité du mariage. L'épithète de Thesmophoros s'applique à ce rôle. C'est Déméter qui a institué le mariage, lui a donné son caractère sacré; à vrai dire, ceci n'est complètement exact que pour l'Attique, car en général la divinité du mariage est Héra, la Junon des Romains, et il n'y a pas de raison bien sérieuse pour admettre que Déméter ait été partout d'abord la déesse du mariage et ait été ultérieurement supplantée par Héra. En tout cas, à Athènes elle l'eut toujours: c'est à Déméter que les vierges athéniennes demandent un époux; c'est sa prêtresse qui donne aux nouveaux mariés enfermés dans la chambre conjugale le patrios thesmos; c'est à ce titre qu'on célèbre la fête des Thesmophories, fête essentiellement féminine et réservée aux femmes mariées : institutrice du mariage, Déméter est naturellement la protectrice de la famille et du foyer. C'est à elle que le mariage doit sa fécondité, et son caractère de Mère universelle se retrouve ici; on la qualifie de Calligeneia, celle qui donne de beaux enfants; ou bien on fait de Calligeneia une divinité subordonnée à Déméter. La déesse
de la vie civile.
« En dehors même de l'enchaînement d'idées qui avait développé la conception spéciale de la déesse Thesrnophoros, un trait particulier des usages les plus antiques de la population de la Grèce avait conduit naturellement de très bonne heure à faire de Déméter la protectrice des plus grands actes de la vie civile, la déesse qui présidait aux assemblées populaires. C'était, dit Aristote, l'habitude des anciens de tenir les assemblées fédérales et de célébrer les grands sacrifices nationaux au sortir de la moisson; car c'était le moment où les populations agricoles avaient leur temps libre. Les assemblées tenues à ce moment s'ouvraient naturellement par un sacrifice d'actions de grâces à Déméter, dont on venait d'éprouver les bienfaits, et se mettaient ainsi sous son patronage. C'est de cette façon que la réunion d'automne de l'amphictionie du nord de la Grèce se tenait aux Thermopyles, à côté du temple et sous l'invocation de Déméter Pylaia ou Amphyctionis. A la même saison, les diètes fédérales des Achéens avaient lieu à Oegion sous les auspices de Déméter Panachais et de Zeus Homagyrios, et la même déesse présidait aussi avec Zeus Homoloios aux Homoloia de la Béotie. A Athènes, avant l'ouverture de l'assemblée populaire, les Peristiarchoi en purifiaient le local, arrosant les bancs, en l'honneur de Déméter, du sang d'un porc immolé, victime habituelle des sacrifices de la déesse. Les Héliastes athéniens, en entrant en charge, prêtaient serment par Zeus, Athéna et Déméter, réunion de divinités où Zeus était le dieu Boulaios, conseiller, Athéna la Poliade (déesse de la cité) et Déméter la patronne de l'assemblée du peuple. » (Lenormant).Divinité législatrice, protectrice des assemblées populaires et fédérales, Déméter est souvent invoquée dans les serments solennels; souvent aussi on la regarde comme fondatrice des villes, et elle prend le caractère de déesse poliade à Thèbes, à Mégare, à Corinthe, à Phlionte. Les attributions que nous venons de passer en revue concordent pour donner à Déméter un caractère de sereine gravité qui la distingue des autres dieux helléniques; elle est plus qu'aucun autre la déesse sainte. Cette épithète lui est commune avec sa fille Perséphone ou Coré et elle est encore justifiée par la vénération craintive qu'inspirent les grandes déesses chtoniennes. Jusqu'à présent nous avons eu peu d'occasion de parler de la fille de Déméter, n'ayant décrit que le rôle terrestre de la déesse; mais elle en est inséparable dans la partie la plus originale de la religion de Déméter, celle qui l'envisage comme déesse souterraine, comme personnifiant une grande force de la nature, celle à laquelle se rapporte tout le culte mystique, avec ses conceptions philosophiques et ses cérémonies secrètes. Les cycles de
l'existence et le couple Déméter / Coré.
A Déméter, la déesse Mère, on associe Coré la Fille. Déméter est la terre féconde, Coré le grain qui germe dans le sol. Coré, sous son nom particulier de Perséphone, devient par excellence la divinité chtonienne, la reine du monde souterrain, la souveraine des morts, épouse d'Hadès. Dans la religion d'Eleusis, les deux déesses forment un couple inséparable, qualifié par les mêmes épithètes; une foule de monuments archéologiques les présentent côte à côte, et tellement semblables qu'on ne saurait les distinguer. Elles constituent ce qu'on appelle la dyade des déesses d'Eleusis. On peut en juger par la reproduction ci-dessous d'une terre cuite de Préneste où les deux déesses, Déméter et Coré, sont assises sur le même trône. Entre elles est le petit lacchos. Déméter et Coré. La similitude est souvent parfaite. Quelquefois, pourtant, on donne à la fille un caractère un peu plus juvénile, comme c'est ici le cas. Ailleurs, on affirme la supériorité de la mère; on la place sur un trône, tandis que Perséphone-Coré est debout; ou bien Déméter tient un sceptre, sa fille seulement un flambeau et porte une coiffure plus simple. En revanche, il y eut des villes où le culte de Perséphone absorbe celui de sa mère; ainsi à Locres, à Catane, à Cyzique. La tradition mythologique classique fait de Perséphone une fille de Zeus; en Arcadie on la dit fille de Poseidon; de même à Trézène, les Orphiques appellent le père Zeus Chtonios; on l'identifia aussi avec Dionysos. La version ordinaire réserve à Perséphone le rôle d'épouse du dieu infernal. Mais on a contesté que ce fût là l'idée primitive. On rencontre sur des points très divers de la zone hellénique le culte d'une triade où figurent Déméter, Coré et Hadès; ainsi à Pylos, au Triopion de Cnide, d'où il passa à Géla (Sicile); tout près de Pylos nous trouvons seulement l'association de Déméter et d'Hadès sans la déesse fille; de même à Argos, Déméter Pelasgis et Zeus Mechaneus. Quoi qu'il en soit, l'autre conception prévalut, et dans la mythologie classique Déméter est généralement isolée, tandis que sa fille Perséphone est l'épouse du dieu des morts. Nous avons placé en dernier lieu l'analyse de cette forme de la religion de Déméter, associée à Coré; en réalité; c'est de beaucoup la plus importante et c'est à elle que se réfère le mythe qui fait le fond de la religion d'Eleusis. (A.-M. B.). |
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