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Carthage |
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Carthage, en langue phénicienne ou punique Karthad-Hadtha, c'est-à-dire, la ville nouvelle, en grec Kachedôn, et en latin Carthago, a été l'une des villes les plus grandes et les plus célèbres de l'Antiquité. Capitale d'un État qui défia la puissance de Rome, elle a été fondée sur la côte septentrionale de l'Afrique par une colonie de Phéniciens, originaires de Tyr, vers l'an 822 av. J.-C. (ou peut-être quelques décennies plus tard). Carthage a été renversée une première fois par les Romains en 146 avant notre ère et enfin définitivement détruite par les Arabes en 698 ap. J.-C. Elle était située par 37° de latitude Nord et 10° de longitude Est, au fond du grand golfe compris entre le Ras Sidi Ali et Mekki (promontorium Apollinis) et le Ras Adar ou cap Bon (promontorium Mercurii). Son emplacement formait lui-même, au fond de ce golfe, une presqu'île resserrée entre le lac de Tunis au Sud et la rade d'Utique au Nord. La ville, qui a pu compter jusqu'à 700 000 habitants, comprenait trois quartiers principaux, Megara, Byrsa ou la citadelle, et le quartier des deux ports (le port marchand, extérieur, et le port militaire, intérieur ou grand port, appelé Cothôn). -
Tour d'horizon Aujourd'hui, le littoral méditerranéen présente dans ces parages quelques modifications : la rade d'Utique appelée sebkha de Soukara ou sebkha er Rouân, comprise jadis dans le littoral de la mer, s'est changée en une plaine d'alluvions charriées par la Medjerda et en un lac salé peu profond, séparé de la Méditerranée par un cordon de dunes; de telle sorte que la pointe rocheuse de Sidi Ali bou Ktioua qui, fermant l'isthme au Nord, s'enfonçait comme un éperon dans la mer, est maintenant éloignée du littoral de 4 kilomètres. Toutefois, on reconnaît fort bien encore l'ancienne configuration de la côte et l'on peut constater l'exactitude des renseignements fournis par Polybe qui évalue approximativement la largeur de l'isthme à 25 stades (4625 m); c'est à peu près la longueur actuelle du djebel Ahmar, petite chaîne escarpée qui fermait complètement l'isthme dans l'Antiquité. Ainsi délimitée du côté de la terre ferme, la presqu'île carthaginoise formait une figure géométrique assez voisine du triangle scalène, dont les angles sont représentés par trois promontoires principaux : au Sud, une langue de terre (taenia, ligula), d'une largeur moyenne de 450 m, à l'extrémité de laquelle est situé le petit port de la Goulette ou Galabras dans l'Antiquité (Halk el Oued); c'est là que se trouve le chenal étroit, mais naturel, qui fait communiquer le lac de Tunis (El Boheira) avec la mer. A l'Est, s'élève le promontoire de Sidi bou Saïd ou cap Carthage dont l'altitude atteint 130 m. Au Nord, enfin, le cap Kamart ou djebel Kaoui dont les escarpements s'abaissent graduellement du côté de la sebkha de Soukara. Telle est la configuration générale de la presqu'île où fut Carthage et qui, suivant Strabon, avait un périmètre de 360 stades ou 66 600 m. Nous allons à présent en parcourir à vol d'oiseau l'intérieur qui est loin de répondre par le pittoresque et l'importance des ruines aux souvenirs grandioses que laisse dans l'imagination le nom de la ville de Didon et d'Hannibal. En partant de la Goulette et en suivant la langue de terre appelée taenia, on rencontre actuellement sur le bord de la mer, un ancien palais beylical, El Kram, transformé en hôpital militaire lors de l'occupation française; plus loin, une ancienne batterie, puis un autre palais du bey, bâti sur des soubassements antiques. Entre le dar el Bey et un monticule assez élevé appelé Koudiat et Hobsia, se trouve une lagune rectangulaire débouchant sur la mer par une étroite ouverture située près du Kram c'est le port marchand de Carthage; il communiquait autrefois avec le Cothon ou port militaire. A quelques centaines de mètres au Nord-Ouest du Cothon, est le village arabe de Douar-ech-Chatt; à la même distance du Cothon, dans la direction Nord-Ouest, un palais moderne, le dar Mustapha ben Ismaïl, qui appartenait au bey, bâti sur des ruines antiques. Au Nord du Cothon et non loin de ce palais, était le forum. A une courte distance, aux lieux dits Bir Zrig et Feddan et Behim situe la zone des fouilles qui furent entreprises au nom du gouvernement français en 1884, par Reinach et Babelon. En nous dirigeant toujours vers le Nord, nous atteignons le sommet d'une colline abrupte : c'est la fameuse colline et citadelle de Byrsa, dont les remparts rectangulaires existent encore en partie. Elle est occupée aujourd'hui par la chapelle française érigée en 1840, sur les lieux mêmes où l'on croit que mourut saint Louis; là aussi fut bâti le couvent des PP. missionnaires d'Alger et la cathédrale de Saint-Louis de Carthage, construite au XIXe siècle par le cardinal Lavigerie. Nous aurons achevé la description à vol d'oiseau, lorsque nous aurons mentionné à l'Ouest de la Marsa le village insignifiant de Sidi Daoud, et enfin la vaste nécropole qui couvre la plus grande partie du djebel Kaoui (Kamart). On reconnaît les talus des fortifications et des restes des remparts autour de Byrsa, autour de la colline de Juno Caelestis, enfin le long d'une ligne brisée qui commence à la mer, au Sud-Ouest du Kram, passe à l'Ouest de Douar ech Chatt et de la Malga, et se prolonge à travers champs jusqu'au golfe d'Utique en contournant le djebel Kaoui. Quiconque est allé visiter les ruines de Carthage a reconnu au premier coup d'oeil que la position est superbe et bien choisie pour une grande capitale. Des hauteurs de Sidi bou Saïd ou de Byrsa, le panorama est unique au monde. A l'horizon, de l'autre côté du golfe de Tunis, se découpe sur le ciel la crête des montagnes qui se déroulent en un long ruban jusqu'au cap Bon; nous reconnaissons les pics principaux de cette chaîne, aux pieds desquels se sont accomplis tant d'épisodes sanglants de la lutte de Carthage avec Rome, le Bou Karnaïn, le djebel Ressas, le Hammam-Lif, le Zaghouan, puis, loin au Sud-Ouest Tunis et les collines de l'Ariana. Comme port de la Méditerranée et comme centre du commerce de l'Afrique avec l'Europe et l'Asie, Carthage n'était pas moins admirablement située. Ainsi que l'a remarqué Charles Tissot, c'est par la contrée dont Carthage occupe le centre que les civilisations asiatiques et européennes sont successivement entrées en contact avec l'Afrique du Nord. « Située au centre de la Méditerranée, à égale distance de l'Égypte et de l'Espagne, en face de la Sicile, de la Sardaigne et de l'Italie et en même temps au point de la côte qui donne le plus facile accès au Soudan, cette contrée privilégiée était destinée à servir de lien entre l'Europe et l'Afrique, à devenir le grand entrepôt de la région méditerranéenne. Carthage dut sa prospérité à cette situation incomparable, qui lui donnait un royaume libyen en même temps que l'empire de la mer et en faisait le seul centre politique que l'Afrique septentrionale ait jamais possédé. Carthage détruite, ce centre devait, par la force des choses, renaître au profit des dynasties indigènes. Rome l'occupa et la province d'Afrique, dans ses frontières primitives, représenta, à peu de choses près, le territoire de la puissance vaincue. »Après la conquête romaine, en 146 av. J.-C, Carthage cessa définitivement d'être une puissance souveraine. La ville n'en continua pas moins d'exister. Les Romains constituèrent sans retard la province romaine d'Afrique, comprenant tout le territoire que la ville conquise possédait encore au début de la troisième guerre punique; ce territoire fut séparé des royaumes numides par un fossé que fit creuser Scipion et qui décrivait une courbe plus ou moins régulière depuis la Tusca (Oued-el-Kébir) en face de l'île de Tabarca, jusqu'à Thenae (Renschir-Tina), à 12 kilomètres au Sud de Sfax. Rome sentit dès lors la nécessité de créer sur la côte d'Afrique une colonie qui fût le centre de ses possessions et de son commerce, et aucun site n'était plus merveilleusement apte à ce rôle que l'emplacement de Carthage. Aussi, vingt-deux ans seulement après la destruction de la ville punique, en l'an de Rome 632 (122 av. J.-C.), le sénat vota, sur la proposition de Rubrius et malgré de vives résistances, une loi qui ordonnait l'établissement d'une colonie latine à Carthage. Caius Gracchus et Fulvius Flaccus furent chargés de l'y installer suivant le rite habituel, et leur mission dura soixante-dix jours. On appela la nouvelle ville Colonia Junonia et elle fut placée sous la protection de Juno Caelestis identifiée à Tanit. De sinistres présages signalèrent cette résurrection de Carthage et l'on dit que les loups arrachèrent les jalons qui délimitaient l'enceinte. Néanmoins, au bout de peu d'années, quand Marius vint y chercher un refuge, on comptait déjà dans la nouvelle colonie six mille citoyens sans les indigènes et les esclaves. Des esprits timorés s'inquiétèrent à Rome de ce développement rapide et une loi votée sur la proposition de M. Minucius Rufus abrogea celle de 632 : la colonia Junonia fut abolie, au moins en principe, car, en réalité, il n'était pas facile de déposséder six mille citoyens romains. Chose remarquable, l'élément punique se retrouva prépondérant dès les premiers temps de la Carthage romaine : on continua à y parler le punique, et à élever des stèles à Tanit et à Baal Hammon. Les monnaies nous apprennent que la colonie fut administrée par des magistrats qui portaient le nom de suffètes. Le second fondateur de Carthage fut Jules César, qui favorisa particulièrement le développement de la colonie Junonia. Tertullien nous informe même qu'elle ne fut définitivement reconstituée que sous Auguste qui y envoya trois mille nouveaux citoyens romains. Enfin, vers 740 de Rome (14 av. J.-C.), tous les rouages administratifs fonctionnèrent régulièrement, et Sentius Saturninus, le proconsul de la province d'Afrique, installé jusque-là à Utique, transféra sa résidence à Carthage qui reçut le nom définitif de colonia Julia Carthago : c'est le nom que donnent à la capitale de l'Afrique proconsulaire quelques inscriptions, ainsi que les monnaies qui y furent frappées sous Auguste et sous Tibère. Strabon cite la colonie comme une des villes les plus peuplées de l'Afrique. Des routes nombreuses dont Ch. Tissot a reconnu les principales stations, la reliaient à toutes les parties du continent. Un incendie détruisit les constructions du forum de Carthage sous Antonin le Pieux; Commode ayant octroyé à la colonie certains privilèges, elle prit le nom temporaire de colonia Alexandria Commoda Togata; pour des motifs analogues elle s'appela sous Caracalla colonia Aurelia Antoniniana Carthago. Septime Sévère lui conféra le droit italique et elle eut un atelier monétaire qui fonctionna jusqu'à l'arrivée des Arabes. Carthage, devenue métropole de l'Afrique chrétienne; son siège épiscopal fut illustré par saint Cyprien, et ce fut dans son sein que se réunirent les conciles si nombreux où s'agitèrent les plus graves questions de dogme et de discipline. On y cultivait les lettres latines, et de son école sont sortis : Apulée, Arnobe, Tertullien et Saint Augustin, etc. La ville comptait alors de quatre à cinq cent mille habitants. Malgré tous ces avantages et cette prépondérance, les empereurs s'opposèrent toujours à ce que les murailles de Carthage fussent rétablies. Ce fut seulement en 424 de notre ère que Théodose Il, à l'approche des Vandales, autorisa Carthage à s'entourer d'une enceinte et à relever les remparts de Byrsa démolis depuis cinq siècles. Ces précautions tardives n'empêchèrent pas Genséric de s'emparer de Carthage le 19 octobre 439 ap. J.-C.. L'Afrique du Nord ne fut reconquise que sous le règne de Justinien, en 534, par Bélisaire, qui reçut la soumission de Gelimer dans le faubourg de Carthage appelé Aelas. Tout le pays occupé par les Vandales forma dès lors la préfecture d'Afrique, avec Carthage pour capitale, et cette ville prit le nouveau nom de colonia Justiniana Carthago. L'invasion musulmane mit fin à l'existence de Carthage qui, bien que défendue héroïquement par le patrice Jean, fut prise et saccagée par Hassan le Gassanide, en 698. Depuis cette date, aucun centre important et auquel mérite d'être appliqué le nom de ville, ne s'est établi sur ces ruines accumulées, même si les kalifes fatimides en repeuplèrent quelque temps un quartier. Les débris antiques de Carthage en ont été sans cesse presque jusqu'à nos jours exploités comme carrière de pierres par les habitants de Tunis et des villages environnants. Au Moyen âge, des vaisseaux des républiques italiennes, puis des Espagnols, vinrent y chercher des colonnes, des chapiteaux, des sculptures; d'après une tradition, la cathédrale de Pise aurait été bâtie avec dès marbres extraits des ruines de Carthage. Edrisi rapporte que quelques chefs arabes de la tribu des Beni-Ziâd avaient entouré d'un mur la colline appelée El-Moâllaka (La Malga); enfin, à l'époque de la Croisade de saint Louis, en 1270, on ne signale plus sur l'emplacement de Carthage qu'une bourgade sans importance. Enfin le XVIe siècle vit cette ville si maltraitée tomber pour ne plus reparaître; cette oeuvre de destruction fut laissée aux Espagnols que Charles-Quint avait placés dans le fort de la Goulette. Il ne restait plus de Carthage que le nom et de grands souvenirs, quand Beulé, dans des fouilles faites en 1859-1860, a découvert dans Cathon les anciens murs carthaginois, et a déterminé l'emplacement de Byrsa et de la Nécropole, ressuscitant ainsi une partie de l'histoire ensevelie. Les fouilles conduites entre 1973 et 1989 sous l'égide de l'Unesco ont, quant à elles, permis de retrouver enfin des vestiges de l'époque punique. (E. Babelon). |
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