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Bouddha

Aperçu La vie Sâkyamouni Les Bouddhas Le Bouddhisme*
Bouddha ou Buddha est un mot sanscrit, dont le sens propre est éveillé, éclairé, devenu intelligent; mais pris dans une acception toute spéciale, il désigne l'être qui, non seulement a obtenu la suprême sagesse, l'intelligence parfaite, la toute science, et par suite la délivrance finale, mais qui de plus est en mesure d'y amener les autres, en un mot un libérateur. Le mot Bouddha n'est pas, comme on l'a cru jadis, et comme quelques-uns peut-être se le figurent encore, un nom propre; c'est un simple qualificatif, un titre. Il devrait donc s'employer avec l'article; il faut dire le bouddha, un bouddha. Il est bien vrai qu'il n'y a jamais eu qu'un seul Bouddha historique et que cette expression le Bouddha désigne un individu déterminé, le fondateur du bouddhisme, que l'on connaît sous divers noms et surnoms : Siddhârtha, Arda-Chidhi, Chakyamouni (Sâkyamouni), Gautama, etc. Mais le bouddhisme a créé une multitude de Bouddhas imaginaires conçus d'après le type du Bouddha réel. Le nom de Bouddha s'applique alors aux diverses incarnations de la raison suprême dont la principale est Sâkyamouni. Enfin on étend le nom de Bouddha à tous ceux qui professent la science parfaite, aux âmes parvenues à l'état de béatitude, se dégageant des liens de la matière, et habitant le monde immatériel. Ajoutons que l'Hindouisme voit dans Bouddha le neuvième avatar de Vishnu. Il s'agit là d'une incarnation introduite tardivement, avec visiblement pour objectif une forme de réconciliation de cette religion avec le Bouddhisme. Nous avons donc à envisager le mot Bouddha sous des aspects différents. Nous parlerons principalement du Bouddha, en retraçant la vie de Sâkyamouni, mais nous devrons aussi parler ensuite des Bouddhas, pour désigner ses diverses réincarnations.

La vie du Bouddha.
Le Bouddha fut conçu le quinzième jour du second mois d'été, et naquit le quinzième jour du dernier mois de printemps; mais on n'est pas d'accord sur l'année. Certains auteurs la fixent vers l'an 622 av J -C. (et il serait mort  vers 542). Il est également des auteurs qui placent sa naissance beaucoup plus haut, comme il en est d'autres qui la rapprochent, avec plus de probabilité, jusqu'au VIe siècle avant l'ère chrétienne.

Souddhodana, son père, était roi de Magadha; il épousa Maha-Maya (la grande illusion), qui, quoique vierge, conçut ce saint enfant par l'influence céleste, et le porta dix mois dans son sein; elle le mit au monde sans douleur, et le remit à un prince qui le baptisa avec l'eau divine et lui donna le nom de Siddhârtha (ou d'Arda-Chidhi, selon une autre version). Dans la famille de Chakya (Sâkya), à laquelle appartenait son père, on avait coutume de porter les enfants mâles nouveau-nés dans un lieu sacré entouré de rochers, pour les présenter à l'image d'une divinité. A cette occasion le peuple y célébra des mystères religieux. Le petit Siddhârtha / Arda-Chidhi arriva accompagné des grands du royaume; et pendant qu'il adorait l'image divine, cette image s'inclina devant lui. Alors les spectateurs furent convaincus que l'enfant était un être miraculeux, et prédirent qu'il surpasserait en sainteté toutes les incarnations précédentes. Tout le monde l'adora en le saluant du titre de Dieu des dieux. Ses gouverneurs et instituteurs avaient toujours pour lui cette vénération que l'on doit à une incarnation de la divinité. 
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Bouddha (temple de Bagan).
Une statue de Bouddha, dans l'un des nombreux temples de Bagan, en Birmanie.
Ci-dessous : le Grand Bouddha de Tian Tan, en Chine. C'est la plus grande statue 
de bronze en plein air dans le monde. Images : The World Factbook.-
Le grand Bouddha de Tian Tan, en Chine.

Trente-cinq vierges étaient chargées de le récréer par leur musique; sept le baignaient tous les jours, sept l'habillaient, sept le berçaient, sept le nettoyaient et sept l'amusaient. Siddhârtha / Ardha-Chidi fut sage et réservé de bonne heure. On ne le vit point pleurer et crier comme les autres enfants; il s'abstenait des jeux de son âge, et, à mesure qu'il grandissait, il résistait à tous les genres de tentation auxquels on peut être soumis. Inaccessible aux attraits des plaisirs, il paraissait privé de tous les sens. A l'âge de dix ans il apprit la poésie, le dessin, la musique, la médecine et les mathématiques; devenu bientôt plus habile que son précepteur, il enseigna à celui-ci cinquante langues étrangères avec leurs caractères particuliers. Sa beauté était si extraordinaire, que partout où il allait le peuple se réunissait en foule pour admirer ses trente-deux similitudes en perfection et ses quatre-vingts appas; chacun était ravi de pouvoir s'approcher de lui, de l'adorer et de lui présenter des fleurs magnifiques, des joyaux et des bijoux d'or et de pierreries.

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Vanité de la vie sensible d'après le Bouddha

« Les hommes sont brûlés par les douleurs de la vieillesse et de la maladie; ils sont dévorés par le feu de la mort et privés de guide. La vie d'une créature est pareille à l'éclair des cieux. Comme le torrent qui descend de la montagne, elle coule avec une irrésistible vitesse. Par le fait de l'existence, du désir et de l'ignorance, les créatures, dans le séjour des hommes et des dieux, sont dans la voie des trois maux. Les ignorants roulent en ce monde, de même que tourne la roue d'un potier. Les qualités du désir, toujours accompagnées de crainte et de misère, sont les racines des douleurs. Elles sont plus redoutables que le tranchant de l'épée ou la feuille de l'arbre vénéneux. Comme une image réfléchie, comme un écho, comme un éblouissement ou le vertige de la danse, comme un songe, comme un discours vain et futile, comme la magie et le mirage, elles sont remplies de faussetés; elles sont vides comme l'écume et la bulle d'eau. La maladie ravit aux êtres leur lustre et fait décliner les sens, le corps et les forces ; elle amène la fin des richesses et des 
biens. Elle amène le temps de la mort et de la transmigration. La créature la plus agréable et la plus aimée disparaît pour toujours; elle ne revient plus à nos yeux, pareille à la feuille et au fruit tombés de l'arbre dans le courant du fleuve. Tout composé est périssable; c'est le vase d'argile que brise le moindre choc. Tout composé est tour à tour effet et cause; nul être n'existe qui ne vienne d'un autre, et de là la perpétuité apparente des substances. Mais le sage ne s'y laisse point tromper. En y réfléchissant, il s'aperçoit que tout composé, toute agrégation n'est que le vide, qui seul est immuable. Les êtres que nos sens nous révèlent sont vides au dedans, vides au dehors.

Ah! malheur à la jeunesse que la vieillesse doit détruire! Ah! malheur à la santé que menacent tant de maladies! Ah! malheur à la vie où l'homme reste si peu de jours! La jeunesse, la santé et la vie sont comme le jeu d'un rêve. C'est à moi d'apporter aux hommes et aux dieux la loi qui doit les délivrer de tant de maux. Après avoir atteint l'intelligence suprême, je rassemblerai les êtres vivants, et, les retirant de l'océan de la création, je les établirai dans la terre de la patience. Hors des pensées nées du trouble des sens, je les établirai dans le repos. En faisant voir la clarté de la Loi aux créatures obscurcies par les ténèbres d'une ignorance profonde, je leur donnerai l'oeil qui voit clairement les choses ; je leur donnerai le beau rayon de la pure sagesse, l'oeil de la Loi, sans tache et sans corruption. »
 

(Le Bouddha, d'après E, Burnouf, Introduction à l'histoire
du bouddhisme).

 

Il se maria à l'âge de vingt ans, pour complaire à ses parents, et donna naissance à un fils et à une fille; mais son esprit était toujours occupé de la contemplation des choses divines. Il renonça à toute occupation mondaine, et dirigea plus particulièrement ses observations sur la dépravation du genre humain. Ayant un jour, suivant sa coutume, parcouru le palais de son père, il se rendit aux quatre portes principales, orientées d'après les quatre points cardinaux; de là il observa les quatre parties du monde, et la vanité de toutes les choses qu'il contient. Il vit à une porte une femme dans les douleurs de l'enfantement; à la seconde, des vieillards dans l'état de la plus grande faiblesse; à la troisième, des malades réduits à la dernière extrémité par la douleur; à la quatrième, des mourants entourés de leurs amis attristés. Il demanda à son gouverneur ce que cela signifiait, et si ces personnes étaient les seules qui fussent assujetties à ces calamités; mais, ayant appris que tout le genre humain était soumis aux mêmes lois, il déclara que les quatre degrés de la misère humaine, savoir, les peines de la naissance, celles de la vieillesse, celles de la maladie et celles de la mort, détruisaient pour lui tous les plaisirs de la vie. Il demanda s'il n'y avait pas quelque moyen de se soustraire à ces malheurs; ou lui répondit qu'il n'y en avait qu'un seul, lequel consistait à renoncer totalement au monde et à dominer son esprit par la force et l'exercice de la foi
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Bas-relief du musée de Calcutta. Episodes de la vie
de Sâkyamouni, en remontant de bas en haut : 
naissance, méditation, enseignement, Nirvâna.
D'après une esquisse faite à Calcutta par Th. Pavie.

Depuis ce moment Siddhârtha / Arda-Chidhi prit la résolution de renoncer au trône, à son épouse, à sa famille et à toutes les vanités mondaines. En vain son père et toute sa famille mirent-ils tout en oeuvre pour le retenir, il s'enfuit sur un cheval que lui avait procuré Indra, son protecteur, et se rendit dans le royaume d'Oudipa, sur les bords de la rivière Naraudjara, où il fut suivi de quelques disciples. Là, il se rasa lui-même la barbe et les cheveux, et entra dans l'état ecclésiastique, dans lequel il fut son propre instituteur. II quitta le nom de Siddhârtha / Arda-Chidhi pour prendre celui de Gautama (= gardien des vaches) ou de Sâkyamouni (= solitaire Sâkya) , et demeura pendant six ans dans la solitude la plus profonde. Son lit était une place pavée de briques et couverte de l'herbe goucha. Il ne vécut que de grains, de chardons, de miel, de figues, et d'autres fruits que lui apportaient ses disciples; encore en usait-il le moins possible, pour n'être point interrompu dans ses méditations sur la nature divine. Cette vie austère l'affaiblit considérablement; mais l'usage du lait le rétablit ensuite. Il fut visité par plusieurs grands personnages, par des génies, et même par des animaux. II triompha de plusieurs pièges que lui tendirent ses ennemis, et de nombreuses tentations suscitées pour faire tomber sa vertu. 
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Injustice des castes 
et égalité religieuse des hommes d'après le Bouddha

« Celui-là est un sage qui ne voit pas la différence entre le corps d'un prince et celui d'un esclave [...]. L'essentiel en ce monde, c'est ce qui peut tout aussi bien se trouver dans un corps vil (la vertu), et que les sages doivent saluer et honorer.

Ma loi est une loi de grâce pour tous; et qu'est-ce qu'une loi de grâce pour tous? C'est la loi sous laquelle de misérables mendiants se font religieux.

[...]

Je veux me faire religieux et pratiquer la sainte doctrine mais il est difficile d'embrasser la vie religieuse, si l'on naît dans une race élevée et illustre; cela est facile, au contraire, quand on est d'une pauvre et basse extraction.

[...]

Il n'y a point entre un brahmane et un homme d'une autre caste la différence qui existe entre la pierre et l'or, entre les ténèbres et la lumière. Le brahmane, en effet, n'est sorti ni de l'éther, ni du vent : il n'a pas fendu la terre pour paraître au jour, comme le feu qui s'échappe du bois de l'Arani. Le brahmane est né d'une femme, tout comme le tchandala [ = le paria]. Où vois-tu donc la cause qui ferait que l'un doit être noble et l'autre vil? Le brahmane lui-même, quand il est mort, est abandonné comme un objet vil et impur; il en est de lui comme des autres castes : où est alors la différence?

Tu regardes la caste dans les religieux de Çakya, et tu ne vois pas les vertus qui sont en eux : c'est pourquoi, enflé par l'orgueil de la naissance, tu oublies, dans ton erreur, et toi-même et les autres. Si le vice atteint un homme d'une haute extraction, cet homme est blâmé dans le monde; comment donc les vertus qui honorent un homme d'une basse extraction ne seraient-elles
pas un objet de respect?

Le Kudumbura et le Panara (noms d'arbres) produisent des fruits qui naissent des branches, de la tige, des articulations et des racines; et cependant ces fruits ne sont pas distincts les uns des autres, et l'on ne peut pas dire : ceci est le fruit brahmane, cela est le fruit kshattriya, celui-là le vâicya, celui-là le çudrâ; car tous sont du même arbre. Il n'y a donc pas quatre classes, mais une seule. »
 

(Ibid).

Après avoir vécu pendant six ans dans cette retraite, il termina ses exercices religieux le quinzième jour du dernier mois du printemps, pendant le crépuscule du soir, et annonça à ses disciples qu'il avait vaincu toutes les tentations mondaines et triomphé de la séduction de la naissance. À minuit il obtint le plus haut degré de sainteté, appelé dhyana , et, au soleil levant, il avait atteint la nature d'un Bouddha véritablement accompli, existant par lui-même dans la spiritualité suprême. Il déclara alors qu'il était temps de répandre sa doctrine dans l'univers; mais auparavant il réunit ses cinq disciples, et leur dit : 

« Le trésor précieux de ma sainteté et de ma nouvelle loi ne peut faire une impression subite sur l'esprit des mortels; modérez donc encore votre zèle de prosélytisme; il faut avant tout accomplir un jeûne spirituel.-»
Il se retira donc dans un autre désert, et il passa quarante-neuf jours constamment occupé de prières nocturnes et de jeûnes continuels.

A la fin de cette expiation, Esroun-Tégri (Brahmâ) se présenta à lui, et, lui remettant une roue d'or à mille rayons, symbole de la domination spirituelle , il lui dit : 

«  Tu n'es vraisemblablement pas devenu Bouddha pour ton propre bonheur, mais pour celui de toutes les créatures; daigne donc poursuivre l'oeuvre de répandre la doctrine.-»
Mais le saint personnage ne jugea pas encore à propos de répondre à cette invitation. Les gardiens des quatre régions du monde vinrent à leur tour, et, lui présentant les huit attributs ou joyaux symboliques, lui dirent :
«  Maître des dix pouvoirs, grand héros qui as vaincu toutes les séductions, nous le prions de vouloir, par tes instructions salutaires, faire avancer le bonheur de l'humanité.-»
Cette prière ne le persuada pas encore, jusqu'à ce que Khourmousda-Tégri (Indra) vînt lui-même, accompagné de trente-trois autres princes des génies célestes, et lui dit, en lui présentant un doung (grande coquille marine) :
«  Ô toi, créateur de la liqueur spirituelle du salut, qui purges et guéris la créature du malheur inné dans lequel elle sommeille, daigne faire entendre ta voix majestueuse et salutaire.-»
En ce moment étaient présents les cinq disciples de Sâkyamouni / Gautama, qui jusqu'alors n'avaient pu encore fixer leur jugement sur leur maître; ces instances des dieux fournissaient matière à leurs réflexions et à leurs conjectures; enfin l'un d'eux, jetant les yeux sur lui, vit que son corps brillait d'un éclat d'or et qu'il était entouré d'une auréole brillante. Il tomba à genoux et adora son maître, en lui rendant les honneurs divins et en faisant neuf fois le tour de sa tente. Son exemple entraîna les quatre autres disciples, ils adorèrent tous Sâkyamouni / Gautama et lui dirent :
«  Puisque tu es devenu le Bouddha du monde, daigne t'asseoir sur le trône des mille Bouddhas des temps passés, qui est établi à Bénarès (Vanarasi); c'est là que tu dois t'occuper à tourner la roue de la doctrine. Bouddha céda alors à leurs instances; il se leva et se rendit à Bénarès, y adora les mille Bouddhas précédents, et s'assit sur leur trône.-»
Afin de faire connaître sa doctrine, nous allons présenter l'analyse de la première leçon qu'il donna à Bénarès en présence de ses cinq disciples : 
« L'état universel de misère, leur dit-il,-c'est-à-dire le monde humain, est la première vérité; le chemin du salut est la seconde; la tentation et la séduction qu'on y rencontre; la troisième; et la manière de les combattre et de les vaincre, la quatrième.-»
Toutes les leçons du Bouddha furent recueillies par ses disciples et réunies dans un grand ouvrage appelé en tibétain le Ka-Gyour, et qui ne contient pas moins de cent huit gros volumes, dont chacun est accompagné d'un volume de commentaires. Après son système sur la nature de l'homme, le Bouddha développa les principes moraux qui font la base de toutes les religions. Il déclara à ses disciples que son âme avait déjà pénétré les dix premières lois fondamentales de l'humanité; et se glorifia d'être le premier des brahmanes, et le sage royal par excellence, qui avait passé par d'innombrables incarnations mondaines, et qui par sa propre force était parvenu à approfondir les principes de la foi véritable. La première victoire qu'il remporta sur l'erreur fut la conversion de tous les Parsis, ou adorateurs du feu, qui demeuraient à Bénarès; après quinze jours entiers de discussion, le chef des Parsis se prosterna devant lui et l'adora; tous les autres suivirent son exemple.

Cependant le Bouddha, continuant à se spiritualiser de plus en plus, remonta dans le passé, et, parcourant en esprit les incarnations précédentes, reconnut que la masse des ossements des corps qu'il avait animés en état de péché dépassait en grandeur le royaume des planètes; que la quantité du sang répandu par les innombrables décapitations qu'il avait subies en punition de ses crimes égalait celle des eaux de l'univers. Confus à la vue de ses fautes passées, il se prit lui-même en horreur. Alors un esprit qui s'était constitué son maître vint lui-même l'instruire d'une manière miraculeuse, et avec des peines infinies. C'était déjà d'après ses conseils que le Bouddha avait renoncé à l'empire et au trône; mais lorsqu'il fut arrivé au point de perfection que nous avons déjà signalé, le maître lui dit : 

« Le disciple doit avoir assez de fermeté pour se sacrifier lui-même. Sans pénitences corporelles, aucune instruction ne peut prendre racine.-».
Sa première pénitence consiste en ce que mille bougies doivent être appliquées à son corps. Le Bouddha se soumit à cette rude et cruelle épreuve. Son maître lui communiqua alors les quatre thèses suivantes :
Les trésors peuvent être épuisés.
Ce qui est élevé est exposé à la chute. 
Ce qui est réuni peut être dispersé. 
Ce qui vit est assujetti à la mort.
Dans un instant le Bouddha fut guéri de ses plaies; mais, voulant connaître encore d'autres maximes salutaires, il se soumit à une nouvelle pénitence qui consista en ce qu'il se fit enfoncer un millier de clous dans le dos, pendant qu'il reçut l'instruction suivante :
Tout ce qui est visible doit périr.
Ce qui est créé est assujetti à une fin déplorable.
Toute croyance appartient au royaume du néant.
L'univers n'existe que dans l'imagination.
Il ne recula pas devant une troisième épreuve, et entra dans un four ardent, suivant le conseil de son maître. La flamme s'élevait à neuf toises de hauteur; mais une
troupe de mille anges l'abattit sous une pluie de fleurs; il reçut alors cette troisième instruction :
Les guides sur le chemin de la sainteté sont :
La force de la miséricorde établie sur des bases inébranlables,
L'éloignement total de la cruauté,
Une compassion sans bornes envers toutes les créatures,
Une constance imperturbable dans la foi.
La quatrième et dernière épreuve à laquelle le disciple se soumit, était l'offre de faire le sacrifice de son propre corps : le maître lui dit : 
«  Pour que mes doctrines ne soient jamais oubliées, elles doivent être écrites sur ta peau avec un poinçon fait de tes os et trempé dans ton sang.-»
Il sortit glorieux de cette épreuve, comme des autres, et pendant qu'il souffrait il reçut les maximes fondamentales de toute morale, dans les dix commandements suivants, qui sont le principe fondamental du bouddhisme :
1° Ne pas tuer; 2° ne pas voler; 3° être chaste; 4° ne pas porter un faux témoignage; 5° ne pas mentir; 6° ne pas jurer; 7° éviter toutes paroles impures; 8° être désintéressé; 9° ne pas se venger; 10° n'être pas superstitieux.
Le Bouddha, ayant répandu sa doctrine dans l'Hindoustan, disait, peu de temps avant sa mort, qui arriva lorsqu'il fut âgé de 80 ans, que cette doctrine existerait pendant 5000 ans; qu'alors il viendrait un autre Homme-Dieu, nommé Maïdari, pour être le précepteur du genre humain. Pendant cette période, sa religion aurait à souffrir des persécutions considérables, et ses sectateurs seraient obligés de quitter l'Inde pour se réfugier dans les plus hautes montagnes du Tibet, qui deviendrait le pays et la résidence de la véritable croyance. De là elle devait se disperser dans le monde entier et parmi tous les peuples. La persécution prédite par lui arriva effectivement dans l'Hindoustan, quelques siècles après le début de notre ère et les sectateurs du Bouddha, poursuivis à outrance, se sauvèrent dans les montagnes du Nord.

Les Bouddhas.
Telle est en substance, d'après les écrivains bouddhistes, la vie de cet illustre législateur, de l'existence duquel il n'est pas permis de douter; et cependant nous n'avons pas encore rendu compte du nom de Bouddha, qui est moins un nom propre qu'un titre applicable à plusieurs personnages; en effet, comme on l'a dit, il signifie sage, intelligent. C'est pourquoi la  théogonie bouddhique admet plusieurs Bouddhas. Ainsi la durée de l'univers se partage en différentes périodes, subdivisées chacune en vingt kalpas ou périodes secondaires. Dans chaque période, la vie des hommes, fixée d'abord à 84.000 ans, subit une décroissance successive d'un an chaque siècle, jusqu'à être réduite à 10 ans; après un siècle d'état stationnaire, la vie augmente graduellement d'un an par cent ans, jusqu'à ce qu'elle ait atteint de nouveau le chiffre de 84.000 ans. Or, dans l'âge actuel, lorsque la vie des hommes fut réduite à 50.000 ans, c'est-à-dire au neuvième kalpa de la période, parut le premier Bouddha; lorsque les hommes ne vécurent plus que 40.000 ans, vint alors le second Bouddha; le troisième se montra quand la vie ne fut plus que de 20.000 ans; le quatrième Bouddha, Gautâma, ou le Bouddha de l'âge actuel, apparut lorsque la durée de la vie n'était plus que de cent ans. Le cinquième (Maïdari), viendra au dixième kalpa. Il y aura ensuite neuf cent quatre-vingt-quinze Bouddhas, qui se succéderont les uns aux autres, prêcheront la doctrine et sauveront les hommes. Enfin, au vingtième kalpa, le nombre de mille Bouddhas étant accompli la période actuelle de stabilité sera fermée; mais cette époque fatale n'est pas encore près d'arriver; car sur 336 millions d'années, il nous en reste environ 185 millions à parcourir; or, comme, d'après les bouddhistes, le monde roule dans un cercle perpétuel d'existence et de destruction, il a dû paraître déjà des Bouddhas en nombre incalculable ; et voilà comment le Bouddha , arrivé à Bénarès, salue les mille Bouddhas ses prédécesseurs. Au reste, le nombre des Bouddhas est encore infiniment plus grand, si l'on réfléchit que tous les hommes, les génies, les dieux, les êtres en un mot, quels qu'ils soient, peuvent devenir Bouddhas, et doivent même tendre de tous leurs efforts à parvenir à cet état supérieur, jusqu'à ce qu'enfin ils soient tous comme perdus, engloutis , annihilés pour ainsi dire dans le Bouddha suprême et primitif. 
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Chemin des Bouddhas, au Japon.
Le chemin des Bouddhas, à Nikkô (Japon).

Critique
Dans la biographie traditionnelle de Sâkyamouni / Gautama, la fiction côtoie sans cesse la réalité. Sa vie est remplie de prodiges : prodiges à sa naissance, prodiges à sa mort, prodiges dans l'intervalle. Nous en avons cité quelques-uns, nous aurions pu en citer bien davantage. Il n'est presque pas d'événement ou le Bouddha intervient, qui soit présenté comme rentrant dans le cours ordinaire des choses; l'élément mythique est constamment associé à l'élément historique. Aussi peut-on poser, à propos de ce personnage, les quatre questions suivantes :

1° A-t-il véritablement existé?
Si, quand les livres bouddhiques étaient encore inconnus ou incompris, on a pu, avec quelque apparence de raison, révoquer en doute ou même nier l'existence du Bouddha, cette existence n'est plus douteuse depuis que ces livres ont été lus et étudiés en grande partie. Il a resté des critiques qui s'expriment parfois comme s'ils n'admettaient pas la réalité de cette existence. Des théories comme celles qui voient dans la « légende du Bouddha » le développement d'un mythe solaire, semblent méconnaître sa personnalité, et, par conséquent, son existence, sans cependant nier formellement l'une et l'autre. Mais si loin que l'on pousse le scepticisme, à propos d'une foule de traits de la vie ou du caractère du Bouddha, il nous semble impossible de ne pas admettre qu'il a existé, et nous tenons son existence pour un fait bien établi.

2° Quels sont les événements de sa vie?
Cependant, ce fait étant reconnu, il faut bien avouer qu'il est presque impossible de séparer les éléments mythiques et les événements historiques dont nous avons constaté l'enchevêtrement. Car, d'un côté, il ne suffit pas d'écarter tous les détails merveilleux pour retenir ce qui est vraisemblable (on serait amené par là à comprendre dans la biographie de Sâkyamouni / Gautama des faits possibles, mais imaginaires, comme le voyage au Sri Lanka, qu'on lui attribue ); et, d'un autre côté, les inventions les plus extravagantes peuvent avoir pour base un fait réel dont il est difficile de déterminer la nature. Ainsi, une vie de Sâkyamouni, qui aurait la prétention d'être historique, serait inévitablement inexacte où incomplète.

3° Quand a-t-il vécu?
Les bouddhistes ne sont pas d'accord sur le temps où vécut leur Bouddha. Les dates 622-542 (av. J.-C.), que nous avons données, appartiennent à la supputation des bouddhistes du Sud; ceux du Nord les reculent de plusieurs siècles dans le passé. Ainsi, le Bouddha serait né, selon les Tibétains, en 969, av. J.-C. Ces divergences ont donné lieu à l'hypothèse de l'existence de deux Bouddhas; l'un fondateur, l'autre réformateur de la religion. Cette hypothèse est depuis longtemps abandonnée, et les différences de calcul dont il s'agit ne méritent pas qu'on y attache tant d'importance. La critique moderne, tout en adoptant pour bases les données du bouddhisme méridional, les rectifie par des renseignements puisés tant dans les assertions des bouddhistes eux-mêmes qu'à d'autres sources et fixe à l'an 478 av. J.-C le Nirvâna de Sâkyamouni : ce qui rapporte sa naissance à l'an 558. Ces deux dates 558-478 ne sont pas certaines, mais sont généralement admises comme probables ou très voisines de la vérité.

4° Quelle oeuvre a-t-il accomplie? 
Tout dans le bouddhisme, - écrits, doctrines, institutions, - est attribué au Bouddha. Qu'y a-t-il dans cette masse de faits, de documents, qui émane directement de lui? Disons d'abord qu'il n'a rien écrit; on doute même si l'écriture était connue en Inde, de son temps. Il est bien établi d'ailleurs que son enseignement, donné oralement, s'est perpétué oralement bien des années après lui. Or, parmi tous les discours qu'il a prononcés, tous les arrêts qu'il a rendus et dont plusieurs, sans aucun doute, ont été répétés plusieurs fois, il en est qu'on a du retenir; mais lesquels? Comment en faire le triage? Ils sont noyés dans une foule de commentaires et de discours de ses successeurs, considérés superstitieusement comme sortis de sa bouche. Nous nous trouvons ici en présence de la même difficulté que pour les éléments de la biographie, Si l'on essaie d'en former un recueil, on risque d'y faire entrer des paroles qui ne sont pas authentiques et d'en exclure qui le sont. Parmi les doctrines dont le Bouddha serait l'auteur, on place en premier lieu les «quatre vérités», puis (ce qui est déjà moins sûr), les « douze Nidâna » ou le Pratîtya-Samoutpâda, c.-à-d. l'enchaînement des douze causes et effets connexes. Il est probable que plus d'une théorie bouddhique n'est que le développement d'un germe contenu dans quelque sentence émanée du maître; mais il est à peu près impossible de déterminer, dans tous les cas, cette filiation.

Quant aux institutions, une difficulté semblable se présente. Assurément on ne peut refuser à Sâkyamouni / Gautama le titre de fondateur d'une confrérie monastique. L'institution des adhérents laïques doit aussi venir directement de lui, et ce fut sans doute une de ses meilleures créations. On hésite davantage au sujet de l'introduction des femmes dans la confrérie. La résistance qu'il opposa à cette étrange nouveauté, dont on avoue qu'il ne prit pas l'initiative, et qui, en somme, s'accomplit malgré lui, signifie-t-elle qu'elle lui est postérieure? On serait tenté de le croire. Mais la hardiesse même de cette création nous porte à conclure qu'elle ne dut pas se faire par d'autres que par lui. Et encore y a-t-il lieu de se demander si c'est véritablement une innovation dont il serait l'auteur, et s'il n'a pas, en l'admettant, fait autre chose que suivre le courant. Car on voit qu'il y avait des femmes dans une confrérie rivale de la sienne, celle des Niganthas dont Nâtapoutra était le chef. Ce Nâtapoutra, qui paraît être le même que le Mahâvira des Jaïnistes, était plus âgé que Sâkyamouni et plus ancien dans l'enseignement. Or sa confrérie se composait de Niganthas et de Niganthis, d'hommes et de femmes. A moins de supposer qu'il avait emprunté cette organisation à un rival plus jeune que lui qui peut-être avait été son disciple (ce qui n'est guère admissible), il faut bien conclure que c'est au contraire Sâkyamouni qui a dû l'imiter. Tout au moins doit-on reconnaître que le Bouddha a cédé au torrent, obéi à une tendance vers l'émancipation religieuse qui était dans l'esprit de sa génération.

Le cas des femmes ne diffère pas essentiellement de celui des castes. Or, il est notoire que Sâkyamouni s'est élevé contre le régime des castes; non pas qu'il ait tenté une révolution dans l'organisation de la société civile; mais, dans sa société religieuse, il ne tenait aucun compte des distinctions de naissance et acceptait indifféremment des personnes de toute origine. Ce système, qui peut-être devint ultérieurement une des causes de la disparition du bouddhisme en Inde, contribua à ses progrès dans l'origine et favorisa son extension au dehors.
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Bouddha de l'époque Song (960-1279).
Bouddha en ivoire de l'époque Song (Chine).

Conclusion, Canonisation. 
Nous ne pousserons pas plus loin cette tentative de distinguer entre l'oeuvre propre de Sâkyamouni / Gautama et celle de ses successeurs. Si large qu'on fasse la part de ceux-ci, Sâkyamouni n'en reste pas moins le véritable créateur du bouddhisme. Ce qui a fait le succès de cette religion, ce n'est pas tant le fatras métaphysique et la science abstruse (pour ne pas dire le pédantisme) d'une foule de docteurs que l'influence personnelle et l'autorité du caractère de Sâkyamouni. Il a fortement frappé les esprits par l'intégrité de sa vie, par la simplicité de ses moeurs, par sa modestie et sa douceur, plus encore peut-être que par certains principes qui répondaient aux tendances et à l'esprit général de son temps, et aussi, il faut le dire, par la longueur de sa vie : car c'est là un élément dont il importe de tenir compte; il est de ceux auxquels il convient d'appliquer l'adage : Chi dura vince.

La vénération qui entoure le souvenir du fondateur du bouddhisme en Inde et surtout hors de l'Inde, en Asie centrale et orientale, n'a pas été limitée aux régions voisines de son berceau, elle s'est étendue jusqu'en Occident dans l'Europe' chrétienne et catholique, où les peuples qui professent le bouddhisme étaient réputés païens, et elle a valu à ce fondateur d'un culte non chrétien les honneurs de la canonisation. 

« S'il eût été chrétien, dit Marco-Polo, il fût un grand saint avec notre Seigneur Jésus-Christ. » 
Cette hypothèse du voyageur vénitien s'est réalisée; on a fait du Bouddha un chrétien et un saint. Un roman grec, dont l'attribution à saint Jean Damascène paraît établie, expose, sous le titre de Vie profitable de Barlaam et de Joasaph l'histoire édifiante du prince indien Joasaph, qui renonça au trône pour vivre en ermite, sous l'influence du sage docteur Barlaam, et dans lequel Siddhârtha-Sâkyamouni, facilement reconnaissable, a été reconnu, bien que singulièrement travesti. Les héros de ce récit, le prince et son conseiller, sont devenus deux saints du calendrier romain, Barlaam et Josaphat, que l'on fête conjointement le 27 novembre; et leur exemple est proposé en modèle, de même que leur intercession est offerte pour obtenir le ciel. Voilà certes un succès que le fondateur du bouddhisme n'avait pas prévu; il le doit, il faut bien le dire, à l'ignorance d'un panégyriste imprudent autant, sinon plus, qu'à l'éclat de ses vertus et de ses erreurs. (L. Feer).


Shaka no Honji, Vie du Buddha, PUF (Sources), 2010. - Parvenu au Japon depuis l’Inde en passant par la Chine, puis la Corée, le bouddhisme constitue un élément fondamental de la civilisation japonaise. Innombrables sont les peintures et les sculptures qu’il a inspirées dans l’archipel à partir du VIe siècle de l’ère chrétienne. Il y a également suscité une production textuelle abondante : des austères commentaires doctrinaux rédigés en chinois aux délicats poèmes japonais, jusqu’aux histoires en prose inspirées de lointains modèles continentaux. En particulier, la vie du Buddha historique fit l’objet de nombreux récits aux épisodes souvent légendaires, récits qui pouvaient servir à édifier et à convertir les foules. Ce livre traduit pour la première fois en français l'une des versions les plus populaires de cette histoire, diffusée pendant l’époque médiévale et jusqu’au XVIIIe siècle. Il reproduit en fac-similé un manuscrit réalisé entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle. Mêlant avec bonheur d’authentiques épisodes indiens à des éléments chinois ou, le plus souvent, proprement japonais, cette Vie du Buddha teintée de merveilleux est agrémentée de miniatures peintes d’une grande fraîcheur et permet au lecteur d’aborder cette histoire comme un conte. La traduction intégrale du manuscrit de la Fondation Martin Bodmer est accompagnée d’une préface, d’une postface, ainsi que d’un glossaire des termes bouddhiques et des noms propres figurant dans le récit. (couv.) 
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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