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La preuve

Pendant longtemps, le mot preuve a surtout appartenu à la langue judiciaire. Les logiciens commencent à l'employer, surtout depuis Stuart Mill, qui a même proposé de la logique cette définition : la logique est la science de la preuve. En 1890, le sujet de dissertation donné au Concours général des lycées et collèges en philosophie était conçu en ces termes : nature et valeur de la preuve dans les différents ordres de sciences; et il fit une impression de nouveauté. II n'y a guère de mot cependant qui puisse mieux servir à désigner l'opération générale de l'esprit humain dont l'étude ressortit évidemment à la logique. Les Anciens employaient plutôt le mot « démonstration », et ainsi la logique était définie par Aristote la science de la démonstration. Mais c'est qu'Aristote et les Anciens ne connaissaient que la logique formelle qu'ils bornaient à la seule étude du raisonnement déductif tel qu'il se fait dans les mathématiques. Or la démonstration, qui n'est guère possible en effet que dans les sciences exactes, est en réalité une espèce d'un genre plus étendu, lequel comprend aussi la vérification expérimentale, principalement employée dans les sciences physiques. Si toute démonstration est preuve, toute preuve n'est pas nécessairement démonstration; et l'on pourrait même, à ce point de vue, distinguer trois grandes sortes de preuves : 

La preuve a priori.
La preuve a priori, ou purement logique, est propre aux mathématiques et aux sciences qui s'inspirent, d'elle. La preuve par le raisonnement qui, lorsqu'elle est parfaite et décisive, prend le nom de démonstration. On prouve la vérité d'une proposition en montrant qu'elle est la conséquence nécessaire d'une autre proposition nécessaire, c'est-à-dire dont le contraire est inconcevable. Cela ne peut pas se faire toujours directement ; le mécanisme de la preuve consiste soit en un mouvement régressif, qui, de proposition en proposition, conduit à un principe (définition ou axiome) qui n'est pas contesté, soit en un mouvement progressif, qui part de propositions reconnues vraies, en déduit d'autres comme conséquences nécessaires, de celles-ci de nouvelles, jusqu'à ce qu'on aboutisse à la proposée, qui se trouve ainsi reconnue comme vraie. 

En arithmétique élémentaire, on, parle de la preuve d'une opération pour désigner un procédé dont le but est de vérifier cette opération, de découvrir les erreurs qu'on aurait pu commettre. Il n'existe pas de preuve dans le sens absolu du mot, parce qu'on peut se tromper tout aussi bien dans l'opération de vérification que dans l'opération primitive. Mais quelques-uns des procédés dont il s'agit donnent, en les appliquant avec soin, un très haut degré de probabilité aux résultats obtenus. Parmi les moyens dont nous parlons, en ce qui concerne la multiplication et la division, il y a lieu de citer notamment les preuves par neuf et les preuves par onze. (C.-A. Laisant).
La preuve expérimentale.
La preuve par l'expérience, preuve inductive ou expérimentale consiste à établir que tel phénomène ou tel fait, etc., est bien la cause de tel autre phénomène, fait, etc. Elle est fournie par les différentes méthodes que Stuart Mill a appelées méthodes de concordance, de différence., des variations concomitantes, des résidus. Son mécanisme consiste à éliminer, de toutes les circonstances qui accompagnent un l'ait, celles qui sont inutiles à sa production. Si l'on arrive à réaliser le cas d'un phénomène que précède un seul antécédent, on a la preuve que cet, antécédent est bien la cause cherchée.

La preuve morale.
La preuve morale, dont relève en premier lieu le témoignage qui est surtout employée par l'histoire et par le justice civile et criminelle, s'appuie sur des impondérables, c'est-à-dire sur des sentiments et des idées que l'on ne connaît que par induction. Les faits qu'elle invoque ne sont l'objet d'une certitude ni mathématique, ni expérimentale. De là, une foule de causes d'erreur en histoire ou devant les tribunaux. La preuve morale est pourtant indispensable; quand il s'agit d'actes humains, on ne peut se passer, par exemple, d'examiner s'ils sont psychologiquement vraisemblables.

Preuve subjective et preuve objective.
D'autre part, le mot preuve a dans notre langue deux sens très voisins l'un de l'autre, mais qu'il importe cependant de distinguer et qu'on pourrait appeler un sens subjectif et un sens objectif.

La preuve, au sens subjectif, c'est l'action de prouver on l'opération par laquelle on prouve; au sens objectif, c'est la chose, fait ou vérité, par laquelle on prouve, la donnée, quelle qu'elle soit, qui sert à prouver. 

La preuve au sens subjectif.
Dans le premier sens, la preuve est toujours et nécessairement un raisonnement. Elle consiste en effet à rendre certaine ou évidente une proposition qui ne l'était pas primitivement; mais une proposition ne peut être ainsi rendue certaine qu'en faisant voir, ou bien qu'elle est identique, soit en totalité, soit en partie, à quelque autre proposition dont la certitude s'impose, ou bien qu'elle est liée à d'autres propositions déjà certaines par des rapports tels que, si on admet celles-ci, il faut nécessairement admettre aussi celles-là; et cette alternative correspond au dualisme de la preuve déductive et de la preuve inductive (dans laquelle rentre au fond la preuve testimoniale). Ainsi toute preuve est raisonnement, car elle suppose toujours, d'une part, une proposition à prouver, d'autre part, une seconde proposition par laquelle on prouve la première; et elle consiste, en somme, à conclure de la vérité de l'une à celle de l'autre. Mais la réciproque n'est pas vraie, et tout raisonnement n'est pas preuve, en ce sens que l'on peut raisonner à d'autres fins que de prouver, par exemple pour découvrir ou pour expliquer.

La preuve au sens objectif.
Dans le second sens, la preuve, c.-à-d. ce qui prouve, peut être, soit une vérité abstraite, soit un fait matériel (et nous considérons le témoignage oral ou écrit comme rentrant dans ce dernier cas), et on pourrait croire à première vue qu'elle est alors indépendante de toute espèce de raisonnement. Mais, à vrai dire, une chose prise en elle-même, dans sa réalité objective, ne peut être dite preuve d'une autre qu'autant que l'esprit établit un rapport entre ces deux choses, rapport tel que de l'existence ou des propriétés de l'une en puisse conclure légitimement à l'existence et aux propriétés de l'autre. Par conséquent, toute prouve n'est telle, au sens objectif du mot, que parce qu'elle enveloppe un raisonnement virtuel. (E. Boirac).

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