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Dans
la mathématique grecque, le mot porisme servait à désigner une
forme spéciale de proposition, dont le caractère a fait l'objet d'une
controverse qui n'est pas épuisée, et que souleva la question de la restitution
des Trois Livres de porismes d'Euclide,
en vain poursuivie depuis le XVIIe siècle,
et enfin accomplie, au moins quant au fond, par Michel
Chasles (Paris, 1860). Les difficultés de la question ne paraissent
pouvoir être résolues qu'en admettant que le sens du mot a subi, dans
l'Antiquité même, une évolution et un dédoublement. Rien ne prouve
que l'emploi technique du terme porisme soit antérieur à Euclide; en
tout cas, la tradition la plus ancienne distingue les propositions en théorèmes,
problèmes et porismes, suivant qu'il était demandé de démontrer, de
faire ou de trouver. Ainsi, construire un triangle équilatéral sur une
droite donnée est un problème, trouver le centre d'un cercle donné est
un porisme (Proclus).
La distinction, purement
formelle, entre le problème et le porisme, subsista d'autant moins en
géométrie élémentaire que, dans le texte des Eléments, les
propositions n'ont aucune désignation. Cependant celle qui a été indiquée
ci-dessus
(III,i) a dû être
de bonne heure notée sur les manuscrits comme exemple de porisme. Or,
si l'on examine de quelle façon Euclide la traite, on remarquera qu'après
avoir fait une construction, il démontre que le point obtenu est le centre
du cercle, puis il ajoute : « Il est clair, par là ,, que si (on fait
telle construction), etc., C. Q. F. F. » C'est simplement la conclusion,
mais si, d'ordinaire, elle répète l'énoncé pour les théorèmes, elle
ne répète pas, comme ici, la construction pour les problèmes; de plus,
elle n'est pas précédée du début : Il est clair par là ; du moins cette
formule est très rare dans les Eléments (on ne la rencontre pas
plus de quinze fois de façon authentique).
Lorsque la tradition
primitive s'obscurcit, il arriva dès lors (probablement vers les débuts
de l'ère chrétienne) que l'on nota comme porismes, non pas les propositions
commençant par trouver, mais les conclusions présentant le début spécial,
qu'elles suivissent d'ailleurs des théorèmes ou des problèmes; d'autre
part, on les. rejeta après la clausule finale : C. Q. F. D. ou C. Q. F.
F.; enfin on interpola des remarques sous la même forme. C'est ainsi que
le terme de porisme prit abusivement, en géométrie élémentaire, le
sens équivalent au sens actuel de corollaire, comme s'il avait signifié
originairement « gain obtenu par surcroit », et non pas « fait de procurer
ou fournir quelque chose ». L'étymologie prêtait, de fait, aux deux
acceptions.
Dans l'analyse géométrique
des anciens, le sort du terme fut tout à fait différent et se trouva
lié à l'étude des Livres des porismes d'Euclide ; mais la question
est plus obscure. Contrairement à l'opinion de Chasles, les énoncés
devaient y être formulés comme problèmes à trouver, non comme théorèmes;
toutefois, le titre doit seulement être entendu comme le serait aujourd'hui
celui de Questions ou de Recherches, et l'on n'est pas en
droit d'affirmer que la formule générale des énoncés fut exclusive
de toute autre.
Quoi qu'il en soit,
Pappus considère les porismes comme intermédiaires
entre les théorèmes et les problèmes, comme pouvant être rangés, soit
dans l'une, soit dans l'autre de ces deux classes de propositions; enfin,
tout en maintenant, sans la justifier, l'antique définition, il en mentionne
une autre, donnée par des géomètres récents. d'après laquelle un porisme
serait un théorème sur les lieux incomplètement formulé; par exemple
: le lieu de tels points est une droite (sans détermination de la droite,
ce qui aurait été requis pour l'énoncé régulier d'un théorème).
C'est, en fait, dans ce dernier sens que Chasles a restitué les énoncés
des porismes, sauf à supprimer la restriction aux lieux géométriques,
incompatible avec ce que nous savons d'ailleurs de ces énoncés. II a
d'ailleurs fait remarquer avec raison que, dans la mathématique actuelle,
où l'usage de découper un traité en propositions tend de plus en plus
à s'effacer, les énoncés prennent le plus souvent, du moment ou l'on
dépasse les éléments, la forme poristique (au sens qui vient d'être
indiqué), tant parce qu'il devient indispensable de débarrasser les énoncés
de l'inutile complication de déterminations qui ressortiront d'elles-mêmes
de la démonstration, que parce que les problèmes sont désormais traités
moins pour eux-mêmes que pour l'obtention de relations générales.
Mais ce qui échappe
ici; c'est la transition entre le sens primitif et le sens postérieur
du mot. Car nous avons dit que la forme des énoncés d'Euclide ne doit
pas avoir proposé une démonstration; et il n'est guère à supposer qu'il
ait dit, par exemple Trouver la droite, lieu de tels points, quand en réalité
il s'agissait de démontrer que ce lieu était une droite. Il aura plutôt,
supposant un point sur une droite, proposé de trouver telle autre condition
de la figure, puis l'analyse ayant établi que cette condition était déterminée,
quelle que fat la position du point sur la droite, conclu que, ladite condition
remplie, le lieu du point était nécessairement une droite. Il faut donc
admettre que les indications de Pappus sur les questions traitées (comme,
par ex.: que tel lieu est une droite) résument tout un travail d'élaboration
effectué sur les porismes d'Euclide, travail ayant consisté, pour constituer
une théorie, à transformer les énoncés en théorèmes à démontrer.
En résumé, le concept du porisme, tel que l'admet Chasles, est bien un
concept qui, en réalité, a eu tendance à se former dans l'analyse géométrique
des Anciens, mais n'a pas été définitivement dégagé, et ne paraît
pas mériter de l'être; quant à la restitution des Porismes, elle
correspond, comme forme, au travail accompli au temps de Pappus, non pas
au caractère originaire de l'oeuvre d'Euclide. (Paul Tannery).. |
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