| La colère est un désir de vengeance mêlé de douleur. Cette douleur vient d'une humiliation qui nous paraît imméritée. La colère ne s'applique donc qu'à des objets singuliers. Or, comme nous pouvons être humiliés de trois manières, soit parce qu'on nous méprise, soit parce que nos actions sont empêchées, soit parce qu'on nous injurie, il y aura trois espèces de colères : l'une, excitée par le mépris; l'autre, par les obstacles qui entravent nos désirs; la troisième, par les injures. Dans chacun de ces trois cas nous nous sentons humiliés et nous désirons non seulement supprimer la cause de notre humiliation, mais nous venger d'elle. C'est proprement ce désir de vengeance qui constitue la colère. De là vient que l'enfant et l'adulte déraisonnables s'acharnent après les choses inanimées qui leur nuisent ou entravent leurs désirs. L'animal manifeste aussi de la colère contre les choses. La colère n'est ainsi la plus violente et la plus aveugle des passions que parce qu'elle tient à ce qu'il y a de plus essentiel et de plus intime dans l'amour-propre. C'est le sentiment que nous avons de notre excellence qui excite la colère. Mais nous pouvons nous aveugler sur notre valeur. Quant nous nous trompons sur nous-mêmes, notre colère est alors purement personnelle et déraisonnable; si nous ne nous trompons pas et que nous désirions simplement punir une injustice faite à notre personne, la colère devient de l'indignation. L'irritabilité ou la facilité à se mettre en colère vient donc de l'orgueil, d'une estime déréglée de soi. Elle peut aussi venir de dispositions physiques, d'une sensibilité nerveuse trop grande. C'est alors une maladie du corps beaucoup plus qu'une passion. Aristote (Rhétorique, II, 2, 4318) a consacré à la colère une dissertation très suggestive à laquelle nous avons emprunté notre définition; Senèque a aussi écrit un traité De Ira en quatre livres. (C. F.). | |