| Semi-roturier parvenu, isolé, en tout cas, parmi les cours européennes avec lesquelles il ne pouvait espérer que d'incertaines alliances, Napoléon ne pouvait guère espérer une alliance sûre que par un mariage princier, et par conséquent en divorçant avec Joséphine. Plusieurs fois il avait été question de ce divorce, en 1804 avant le couronnement, parce que les Bonaparte jalousaient d'avance les Beauharnais; en 1808, où l'empereur avait essayé, à Fontainebleau, d'obtenir l'acquiescement de l'impératrice elle-même et avait fini par céder à ses larmes. Les enfants de Joséphine n'avaient pas à se plaindre : Eugène était vice-roi d'Italie, Hortense reine de Hollande. Mais l'éventualité de la mort de l'empereur, souvent discutée dans sa famille, livrerait vraisemblablement aux rivalités intestines qui se donnaient cours autour de lui « la succession d'Alexandre ». Napoléon ne reprochait rien à Joséphine; elle lui plaisait, en raison même du contraste des caractères, par sa faiblesse, par sa légèreté, par son âme d'enfant, par ses défauts plus encore que par ses qualités. Il la savait détestée et calomniée par les Bonaparte. Ne se piquant pas lui-même de fidélité conjugale, il avait eu le bon esprit de ne jamais lui chercher querelle sur ce chapitre. Mais elle ne lui avait pas donné d'héritier, et l'adoption du prince Eugène, bien que « constitutionnelle », n'aurait pas manqué de porter aux derniers excès la fureur de ses demi-frères, qui se seraient tous tournés contre lui, après la mort et peut-être du vivant du maître. Parmi les hommes politiques, Cambacérès fut le seul à soutenir timidement Joséphine; il se rallia bientôt à l'avis de Fouché, de Talleyrand, conforme à la secrète résolution de l'empereur. Fouché, chargé de préparer l'opinion, fit répandre dans le monde des théâtres, des concerts, des cafés, divers récits défavorables à l'impératrice; le résultat fut de rendre public le projet impérial et d'exciter la sympathie à l'égard de Joséphine, qui fut bruyamment applaudie dans toutes les occasions officielles où elle accompagnait son mari. Dans les premiers jours de décembre, Napoléon signifia son arrêt irrévocable. Au rapport du préfet du palais, M. de Bausset, Joséphine eut une crise de nerfs qui nécessita du secours. Napoléon s'adressa à la reine Hortense et au prince Eugène pour obtenir le consentement de leur mère. Celle-ci était peu sensible à la raison d'État; elle céda enfin, par lassitude. La majorité des évêques, l'officialité de Paris, admirent, en dépit du cardinal Fesch et malgré la protestation du pape, que le mariage religieux célébré aux Tuileries seulement en 1804, à la veille du couronnement, était nul faute de publicité suffisante, et à cause de l'absence du curé de la paroisse; le cardinal Maury, archevêque de Paris, avait entièrement répondu à la confiance du maître. Le 15 décembre fut convoqué aux Tuileries un conseil de famille. Joséphine lut la première phrase d'un consentement écrit; c'est l'officier de l'état civil de la famille impériale qui dut achever la lecture. Le Sénat prononça ensuite la dissolution du mariage civil; le 18 janvier 1810 fut publiée la sentence de l'officialité; un mois après, Napoléon épousait l'archiduchesse Marie-Louise, fille de l'empereur d'Autriche. Il avait pensé auparavant à une soeur du tsar, qui n'avait que seize ans. L'impératrice mère objecta la différence d'âge. Alexandre, pressé par Caulaincourt, demanda qu'en retour Napoléon s'engageât à ne pas rétablir la Pologne, et Napoléon y consentit. Mais la réponse définitive du tsar n'arriva pas, et c'est alors que les habiles indiscrétions de l'ambassadeur d'Autriche Schwarzenberg amenèrent l'empereur à demander la main de l'archiduchesse. François Ier ne se fit pas prier longtemps, soit par crainte, soit, à en croire Metternich, par machiavélisme et pour mieux endormir l'ennemi commun. La convention de mariage fut signée le 7 février; le 17, un sénatus-consulte fixa la condition des enfants à naître; il porte que le prince impérial aura le titre et recevra les honneurs de roi de Rome. Berthier fut envoyé à Vienne, pour épouser l'archiduchesse par procuration; la consécration eut lieu à Paris, le 1er avril. Pendant les fêtes du mariage, le feu prit à l'hôtel de l'ambassadeur d'Autriche, et fit de nombreuses victimes. Marie-Louise fut un moment abandonnée : c'est l'empereur qui l'emporta dans ses bras. Mauvais présage, pensèrent beaucoup de contemporains qui se souvenaient des funestes fêtes du mariage de Marie-Antoinette. En fait, il y eut un montent d'accalmie, du moins dans l'Europe centrale. On espère alors que Napoléon, entré dans la famille des rois légitimes, s'assagira; que, s'il naît un héritier de l'Empire, la prudence du père l'emportera sur la témérité du politique et la fougue du conquérant. (H. Monin). | |