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Les
Cent-Jours s'étaient terminés par la campagne
qui, après la bataille de Charleroi ,
de Ligny et des Quatre-Bras (16 juin), avait abouti, le 18 juin Ã
la défaite et à la déroute de Waterloo.
Quant à Napoléon, après avoir, dit-on, songé
à se faire tuer sur le champ de bataille, il s'était enfui tout
d'une traite jusqu'à Philippeville. Il lui était devenu impossible d'organiser
la résistance. Davout, à Paris,
n'entendait pas lui remettre ses 60000 hommes. Les corps de l'État, qui
avaient à peine dissimulé leur hostilité, appartiennent au plus fort.
Seul, Lucien lui avait conseillé de
parler encore en maître : «-Je n'ai que
trop osé-» répond-il. Sur la motion de
Lafayette, les Chambres se déclarent en permanence (24 juin). L'empereur
ne fait que prévenir un second vote de déchéance en abdiquant le 22
juin, en faveur de « son fils Napoléon II
». Le même jour, les Chambres instituent une commission exécutive provisoire
sous la présidence de Fauché : cette commission ne fait d'ailleurs que
préparer les voies à la seconde Restauration. Le 29, Napoléon quitte
Paris assiégé depuis la veille et se réfugie à la Malmaison. Davout
signe un armistice (3 juillet); le même jour, Napoléon part pour Rochefort,
dans l'espoir de gagner les États-Unis ;
mais ce port était bloqué par l'amiral Keith. Craignant surtout de tomber
entre les mains des Bourbons, il se fait transporter à bord du vaisseau
anglais le Bellerophon, et déclare s'en remettre à la générosité
du prince-régent d'Angleterre ,
et venir, « comme Thémistocle, s'asseoir
au foyer du peuple britannique », sous la protection de ses lois (15 juillet).
Il était à ce moment placé sous la surveillance d'un agent de Fouché,
le général Becker, qu'il congédia par ces mots :
«
Je ne veux pas qu'on puisse croire qu'un général français soit venu
me livrer à mes ennemis. »
En fait, il était captif, comme le capitaine
Maitland ne le lui laissa pas ignorer. Il fut transféré à Torbay, puis,
malgré ses protestations, déporté à l'île Sainte-Hélène ,
à 2000 lieues de l'Europe, sur la proposition de Castlereagh,
et malgré les objections de légalité du parti vvigh; le vice-amiral
Cockburn fut chargé de l'y conduire sur le vaisseau le Northumberland
(10 août). Les personnes qui furent autorisées à partager sa captivité
étaient : Bertrand, son grand maréchal du palais; Montholon et Gourgaud,
ses aides de camp; le comte de Las Cases, son ancien chambellan; ses valets
de chambre ou serviteurs Marchand, Saint-Denis, Novarraz; Cipriani, Archambaud,
Saintini, le chirurgien irlandais O'Meara. Anéanti pendant les premiers
jours de la traversée, il se remit à partir du jour de sa fête, le 15
août, et, vite rassuré au point de vue de l'étiquette à laquelle il
ne cessa de tenir, il devint familier, intarissable, même avec les Anglais
qui le dégoûtaient cependant par leurs habitudes d'ivrognerie. Pour le
distraire et le calmer, Gourgaud et Las Cases obtinrent qu'il leur dictât
sa campagne de Waterloo et sa campagne d'Italie .
A Funchal (Madère ),
où le vaisseau fit escale, il commanda une bibliothèque considérable.
Il débarqua le 17 octobre à Jamestown,
seul port de Saint-Hélène, logea d'abord, sur sa demande, dans un pavillon
de la maison des Briars, appartenant à la famille Balcombe, en attendant
que fût prête, sur le plateau de Longwood, la maison qui lui était destinée.
C'est là qu'il eut avec Las Cases les entretiens d'où est sorti le Mémorial
de Sainte-Hélène, apologie perpétuelle de sa personne et de sa politique,
mêlée d'attaques ou de critiques à l'adresse de ses ennemis, et même
des généraux qui l'avaient le mieux servi : il n'épargne guère que
Larrey, Drouot, Gérard, Duroc et le colonel Muiron
qui était mort pour lui à Arcole. Il accable
ses frères. Il a de l'indulgence, non seulement pour Joséphine, mais
pour Marie-Louise : c'est que, chez cet « homme de pierre », le sentiment
paternel avait acquis, par l'éloignement même, une acuité extraordinaire.
Cockburn n'agit pas en geôlier, et il paraît même avéré que Laetizia,
« Madame Mère », aurait alors apprêté une expédition pour délivrer
son fils.
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Napoléon
à Sainte-Hélène. Tableau de François Martinet.
L'arrivée du nouveau gouverneur, Hudson
Lowe, mit fin à toute espérance. Ce loyal, mais brutal officier, ne pensa
qu'à sa consigne, empêcher l'évasion, et s'imposa aux représentants
de l'Autriche
(de Sturmer), du tsar (comte de Balmany ou de Balmain), de Louis
XVIII (de Montchenu). Dès lors, ce fut entre le captif de Longwood
et son gardien en chef une lutte journalière sur les correspondances,
les entrées et les sorties, l'étiquette, etc. Le plan consistait à exagérer
les moindres difficultés pour émouvoir l'opinion européenne. En 1816,
le gouverneur fit embarquer Las Cases pour le Cap. En 1817, l'état de
santé de Napoléon s'aggrava, et, depuis, il
ne cessa de maigrir. Il avait un ulcère de l'estomac, maladie héréditaire
dans sa famille. O'Meara, homme d'honneur et de coeur, qui avait gagné
toute sa confiance, consentit aisément à diagnostiquer une hépatite,
que l'on pouvait attribuer au climat très inégal de l'île. En 1818,
sur l'ordre du malade, O'Meara refusa d'accepter une consultation, et préféra
repartir.
Napoléon, aux sorties duquel étaient
assignées des limites fixes et des conditions, ne se montrait plus, ce
qui redoublait les transes du gouverneur, obligé de constater sa présence
deux fois par jour; en août 1819, Hudson Lowe faillit être accueilli
violemment, et même à coups de fusil; il se retira quand il entendit
les éclats de rire nerveux de son prisonnier, qui s'empressa d'adresser,
par le gouverneur lui-même, une lettre au secrétaire d'État Bathurst,
où il se plaignait qu'on eût violé son domicile. Sa famille lui envoya
le médecin Antommarchi (19 septembre 1819),
et Fesch deux prêtres, Bonavita et Vignali.
Antommarchi ne fut d'abord accueilli qu'avec défiance, même par le malade,
et subit d'étranges interrogatoires. Il obtint enfin que Napoléon prit
un peu l'air et s'occupât de jardinage, ce qu'il fit d'ailleurs avec sa
fougue ordinaire. Mais l'abus des bains chauds, des narcotiques, qui calmaient
seuls ses douleurs, avait non moins que la maladie elle-même miné cet
organisme puissant, et la tête était de moins en moins solide. La nouvelle
de la mort de sa soeur Elisa Bacciochi détermina une crise qui faillit
l'emporter (1820). En janvier 1821, Antommarchi en est à proposer le sirop
d'éther; une promenade à cheval de deux heures, qu'il voulut faire malgré
le médecin, le terrassa; il sortit encore un peu en calèche, la dernière
fois le 17 mars. Hudson Lowe envoya le chirurgien anglais Arnott, qui fut
reçu. Le 3 avril, il prétendit faire transporter le malade dans la nouvelle
maison de Longwood, enfin achevée :
«
J'entends, répondit Antommarchi; après l'avoir
fait vivre dans une masure, vous voulez qu'il meure dans un palais : l'artifice
est grossier. »
Une période de rémittence suivit (13 au
27 avril) pendant laquelle, soit seul, soit avec Marchand et Montholon,
il écrivit son testament. Il se refuse aux drogues, se croit empoisonné
avec une citronnade. Avec l'abbé Vignali, ses pensées se retournent vers
la religion de son enfance, « qu'il avait rétablie ». Le 1er
mai, l'agonie commença, tantôt comateuse, tantôt spasmodique et délirante.
Au lit de mort, il n'a que des rêves et des hallucinations de bataille,
et les derniers noms qu'il prononça furent ceux de Desaix, de Masséna;
les derniers mots, ceux de « tête, armée ».
Napoléon mourut
le 5 mai, à six heures moins onze minutes du soir. Les funérailles furent
décentes, accompagnées de salves de canon. Le corps fut inhumé non loin
d'une source qu'il avait bénie dans les derniers jours de sa maladie,
sous le saule de Longwood. Depuis 1840, ses restes reposent aux Invalides .
Le testament qu'il laissait, et par lequel il disposait de 8 millions,
fut l'occasion de tristes contestations, le dépôt confié par l'empereur
au banquier Laffitte ne dépassant pas 6 millions;
quant au reliquat du domaine privé qu'il croyait pouvoir mettre en compte,
la Restauration ne l'avait pas respecté. (H. Monin).
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Mort
de Napoléon à Sainte-Hélène. Imagerie de Montbéliard.
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